LE CIEL ET L'ENFER OU LA JUSTICE DIVINE SELON LE SPIRITISME

Allan Kardec

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CHAPITRE VIII - EXPIATIONS TERRESTRES

MARCEL, l'enfant du n° 4

Dans un hospice de province était un enfant de huit à dix ans environ, dans un état difficile à décrire ; il n'y était désigné que sous le n° 4. Entièrement contrefait, soit par difformité naturelle, soit par suite de la maladie, ses jambes contournées touchaient à son cou ; sa maigreur était telle que la peau se déchirait sous la saillie des os ; son corps n'était qu'une plaie et ses souffrances atroces. Il appartenait à une pauvre famille israélite, et cette triste position durait depuis quatre ans. Son intelligence était remarquable pour son âge ; sa douceur, sa patience et sa résignation étaient édifiantes. Le médecin dans le service duquel il se trouvait, touché de compassion pour ce pauvre être en quelque sorte délaissé, car il ne paraissait pas que ses parents vinssent le voir souvent, y prit intérêt, et se plaisait à causer avec lui, charmé de sa raison précoce. Non seulement il le traitait avec bonté, mais, quand ses occupations le lui permettaient, il venait lui faire la lecture, et s'étonnait de la rectitude de son jugement sur des choses qui paraissaient au-dessus de son âge.

Un jour, l'enfant lui dit : «Docteur, ayez donc la bonté de me donner encore des pilules, comme les dernières que vous m'avez ordonnées. - Et pourquoi cela, mon enfant ? dit le médecin ; je t'en ai donné suffisamment, et je craindrais qu'une plus grande quantité ne te fît du mal. - C'est que, voyez-vous, reprit l'enfant, je souffre tellement que j'ai beau me contraindre pour ne pas crier, et prier Dieu de me donner la force de ne pas déranger les autres malades qui sont à côté de moi, j'ai souvent bien de la peine à m'en empêcher ; ces pilules m'endorment, et pendant ce temps au moins je ne trouble personne.»

Ces paroles suffisent pour montrer l'élévation de l'âme que renfermait ce corps difforme. Où cet enfant avait-il puisé de pareils sentiments ? Ce ne pouvait être dans le milieu où il avait été élevé, et d'ailleurs, à l'âge où il commença à souffrir, il ne pouvait encore comprendre aucun raisonnement ; ils étaient donc innés en lui ; mais alors, avec de si nobles instincts, pourquoi Dieu le condamnait-il à une vie si misérable et si douloureuse, en admettant qu'il eût créé cette âme en même temps que ce corps, instrument de si cruelles souffrances ? Oui, il faut dénier la bonté de Dieu, ou il faut admettre une cause antérieure, c'est-à-dire la préexistence de l'âme et la pluralité des existences. Cet enfant est mort, et ses dernières pensées furent pour Dieu et pour le médecin charitable qui avait eu pitié de lui.

A quelque temps de là, il fut évoqué dans la Société de Paris, où il donna la communication suivante (1863).

«Vous m'avez appelé ; je suis venu faire que ma voix s'entende au-delà de cette enceinte pour frapper à tous les coeurs ; que l'écho qu'elle fera vibrer s'entende jusque dans leur solitude ; elle leur rappellera que l'agonie de la terre prépare les joies du ciel, et que la souffrance n'est que l'écorce amère d'un fruit délectable qui donne le courage et la résignation. Elle leur dira que sur le grabat où gît la misère, sont des envoyés de Dieu, dont la mission est d'apprendre à l'humanité qu'il n'est point de douleur qu'on ne puisse endurer avec l'aide du Tout-Puissant et des bons Esprits. Elle leur dira encore d'écouter les plaintes se mêlant aux prières, et d'en comprendre l'harmonie pieuse, si différente des accents coupables de la plainte se mêlant aux blasphèmes.

«Un de vos bons Esprits, grand apôtre du Spiritisme, a bien voulu me laisser cette place ce soir[1]; aussi dois-je vous dire à mon tour quelques mots du progrès de votre doctrine. Elle doit aider dans leur mission ceux qui s'incarnent parmi vous pour apprendre à souffrir. Le Spiritisme sera le poteau indicateur ; ils auront l'exemple et la voix ; c'est alors que les plaintes seront changées en cris d'allégresse et en pleurs de joie».

D. Il paraît, d'après ce que vous venez de dire, que vos souffrances n'étaient point l'expiation de fautes antérieures ?

R. Elles n'étaient point une expiation directe, mais soyez assurés que toute douleur a sa cause juste. Celui que vous avez connu si misérable a été beau, grand, riche et adulé ; j'avais des flatteurs et des courtisans : j'en ai été vain et orgueilleux. Jadis je fus bien coupable ; j'ai renié Dieu et j'ai fait le mal à mon prochain ; mais je l'ai cruellement expié, d'abord dans le monde des Esprits, et ensuite sur la terre. Ce que j'ai enduré pendant quelques années seulement dans cette dernière et très courte existence, je l'ai souffert pendant une vie tout entière jusqu'à l'extrême vieillesse. Par mon repentir, je suis rentré en grâce devant le Seigneur, qui a daigné me confier plusieurs missions, dont la dernière vous est connue. Je l'ai sollicitée pour achever mon épuration.

Adieu, mes amis, je reviendrai quelquefois parmi vous. Ma mission est de consoler et non d'instruire ; mais il en est tant ici dont les blessures sont cachées qu'ils seront contents de ma venue.

MARCEL.

Instruction du guide du médium.

Pauvre petit être souffrant, chétif, ulcéreux et difforme ! que de gémissements il faisait entendre dans cet asile de la misère et des larmes ! Et malgré son jeune âge, comme il était résigné, et combien son âme comprenait déjà le but des souffrances ! Il sentait bien qu'au-delà de la tombe l'attendait une récompense pour tant de plaintes étouffées ! Aussi, comme il priait pour ceux qui n'avaient point comme lui, le courage de supporter leurs maux, pour ceux surtout qui jetaient au ciel des blasphèmes au lieu de prières !

Si l'agonie a été longue, l'heure de la mort n'a point été terrible ; les membres convulsionnés se tordaient sans doute, et montraient aux assistants un corps déformé se révoltant contre la mort, la loi de la chair qui veut vivre quand même ; mais un ange planait au-dessus du lit du moribond et cicatrisait son coeur ; puis il emporta sur ses ailes blanches cette âme si belle qui s'échappait de ce corps informe en prononçant ces mots : Gloire vous soit rendue, ô mon Dieu ! Et cette âme montée vers le Tout-Puissant, heureuse, elle s'est écriée : Me voici, Seigneur ; vous m'aviez donné pour mission d'apprendre à souffrir ; ai-je supporté dignement l'épreuve ?

Et maintenant l'Esprit du pauvre enfant a repris ses propositions ; il plane dans l'espace, allant du faible au petit, disant à tous : Espérance et courage. Dégagé de toute matière et de toute souillure, il est là près de vous, vous parle, non plus avec sa voix souffreteuse et plaintive, mais avec de mâles accents ; il vous a dit : Ceux qui m'ont vu, ont regardé l'enfant qui ne murmurait pas ; ils y ont puisé le calme pour leurs maux, et leurs coeurs se sont raffermis dans la douce confiance en Dieu ; voilà le but de mon court passage sur la terre.

SAINT AUGUSTIN.

SZYMEL SLIZGOL

C'était un pauvre Israélite de Vilna, mort en mai 1865. Pendant trente ans il avait mendié, une sébile à la main. Partout, dans la ville, on connaissait son cri : «Souvenez-vous des pauvres, des veuves et des orphelins !» Pendant ce temps, Slizgol avait réuni 90.000 roubles. Mais il ne garda pas un kopeck pour lui. Il soulageait les malades, qu'il soignait lui-même ; il payait l'enseignement des pauvres enfants, il distribuait aux nécessiteux les comestibles qu'on lui donnait. Le soir était consacré à la préparation de tabac à priser, que le mendiant vendait pour subvenir à ses propres besoins. Ce qui lui restait appartenait aux pauvres. Szymel était seul au monde. Le jour de son enterrement, une grande partie de la population de la ville suivit son convoi, et les magasins furent fermés.



(Société spirite de Paris, 15 juin 1865.)

Evocation. - Trop heureux, et enfin parvenu à la plénitude de mon ambition, que j'ai payé bien cher, je suis là, au milieu de vous depuis le commencement de cette soirée. Je vous remercie de vous occuper de l'Esprit du pauvre mendiant qui, avec joie, va tâcher de répondre à vos questions.

D. Une lettre de Vilna nous a fait connaître les particularités les plus remarquables de votre existence. C'est par la sympathie qu'elles nous inspirent que nous avons eu le désir de nous entretenir avec vous. Nous vous remercions d'être venu à notre appel, et puisque vous voulez bien nous répondre, nous serons heureux, pour notre instruction, de connaître votre situation comme Esprit, et les causes qui ont motivé le genre de votre dernière existence.

R. Tout d'abord, accordez à mon Esprit, qui comprend sa vraie position, la faveur de vous dire son opinion sur une pensée qui vous est venue à mon sujet ; je réclame vos conseils si elle est fausse.

Vous trouvez singulier que la manifestation publique ait pris un tel développement pour rendre hommage à l'homme de rien qui a su, par sa charité, s'attirer une telle sympathie. - Je ne dis pas cela pour vous, cher maître, ni pour toi, cher médium, ni pour vous tous, spirites vrais et sincères, mais je parle pour les personnes indifférentes à la croyance. - Il n'y a là rien d'étonnant. La force de pression morale qu'exerce la pratique du bien sur l'humanité est telle que, si matériel que l'on soit, on s'incline toujours ; on salue le bien, en dépit de la tendance que l'on a pour le mal.

Maintenant, j'arrive à vos questions qui, de votre part, ne sont pas dictées par la curiosité, mais formulées simplement en vue de l'instruction générale. Je vais donc, puisque j'en ai la liberté, vous dire, avec le plus de brièveté possible, quelles sont les causes qui ont motivé et déterminé ma dernière existence.

Il y a de cela plusieurs siècles, je vivais avec le titre de roi, ou tout au moins de prince souverain. Dans ce cercle de ma puissance, relativement étroit à côté de vos Etats actuels, j'étais le maître absolu de la destinée de mes sujets ; j'agissais en tyran, disons le mot : en bourreau. D'un caractère impérieux, violent, avare et sensuel, vous voyez d'ici quel devait être le sort des pauvres êtres qui vivaient sous mes lois. J'abusais de mon pouvoir pour opprimer le faible, pour mettre à contribution toute espèce de métiers, de travaux, de passions et de douleurs, pour le service de mes propres passions. Ainsi, je frappais d'une redevance le produit de la mendicité ; nul ne pouvait mendier, sans qu'au préalable j'eusse pris ma large part de ce que la pitié humaine laissait tomber dans l'escarcelle de la misère. Plus que cela : afin de ne pas diminuer le nombre des mendiants parmi mes sujets, je défendis aux malheureux de donner à leurs amis, à leurs parents, à leurs proches, la faible part qui restait à ces pauvres êtres. En un mot, je fus tout ce qu'il y a de plus impitoyable envers la souffrance et la misère.

Je perdis enfin ce que vous appelez la vie dans des tourments et des souffrances horribles ; ma mort fut un modèle de terreur pour tous ceux qui, comme moi, mais sur une moins grande échelle, partageaient ma manière de voir. Je demeurai à l'état d'Esprit errant pendant trois siècles et demi, et lorsque au bout de ce laps de temps, je compris que le but de l'incarnation était tout autre que celui que mes sens grossiers et obtus m'avaient fait poursuivre, j'obtins, à force de prières, de résignations et de regrets, la permission de prendre la tâche matérielle de supporter les mêmes souffrances et plus encore, que j'avais fait endurer. J'obtins, cette permission et Dieu me laissa le droit, par mon libre arbitre, d'amplifier mes souffrances morales et physiques. Grâce au secours des bons Esprits qui m'assistaient, je persistai dans ma résolution de pratiquer le bien, et je les en remercie, car ils m'ont empêché de succomber sous la tâche que j'avais prise.

J'ai enfin accompli une existence qui a racheté, par son abnégation et sa charité, ce que l'autre avait eu de cruel et d'injuste. Je suis né de parents pauvres ; orphelin de bonne heure, j'ai appris à me suffire à moi-même à l'âge où l'on est encore considéré comme incapable de comprendre. J'ai vécu seul, sans amour, sans affections, et même, au commencement de ma vie, j'ai supporté la brutalité que j'avais exercée sur les autres. On dit que les sommes recueillies par moi ont toutes été consacrées au soulagement de mes semblables ; c'est un fait exact, et sans emphase comme sans orgueil, j'ajoute que bien souvent, au prix de privations relativement fortes, très fortes, j'ai augmenté le bien que me permettait de faire la charité publique.

Je suis mort avec calme, confiant dans le prix qu'avait obtenu la réparation faite par ma dernière existence, et je suis récompensé au-delà de mes secrètes aspirations. Je suis aujourd'hui heureux, bien heureux de pouvoir vous dire que quiconque s'élève sera abaissé, et que celui qui s'humilie sera élevé.

D. Veuillez nous dire, je vous prie, en quoi a consisté votre expiation dans le monde des Esprits, et combien de temps elle a duré depuis votre mort jusqu'au moment où votre sort a été adouci par l'effet du repentir et des bonnes résolutions que vous avez prises. Dites-nous aussi ce qui a provoqué en vous ce changement dans vos idées à l'état d'Esprit.

R. Vous me remettez en mémoire de bien douloureux souvenirs ! Que j'ai souffert... Mais je ne me plains pas : je me souviens !... Vous voulez savoir de quelle nature a été mon expiation ; la voici dans toute sa terrible horreur.

Bourreau, comme je vous l'ai dit, de toute espèce de bons sentiments, je demeurai longtemps, bien longtemps, attaché par mon périsprit à mon corps en décomposition. Je me sentis, jusqu'à sa complète putréfaction, rongé par les vers qui me faisaient bien souffrir ! Lorsque je fus débarrassé des liens qui m'attachaient à l'instrument de mon supplice, j'en subis un encore plus cruel. Après la souffrance physique, vint la souffrance morale, et celle-ci a duré bien plus longtemps encore que la première. J'ai été mis en présence de toutes les victimes que j'avais torturées. Périodiquement, et par une force plus grande que la mienne, j'étais ramené en face de mes coupables actions. Je voyais physiquement et moralement toutes les douleurs que j'avais fait endurer. Oh ! mes amis, combien est terrible la vue constante de ceux à qui l'on a fait du mal ! Vous en avez un faible exemple parmi vous dans la confrontation de l'accusé avec sa victime.

Voilà, en abrégé, ce que j'ai souffert pendant deux siècles et demi, jusqu'à ce que Dieu, touché de ma douleur et de mon repentir, sollicité par les guides qui m'assistaient, permit que je prisse la vie d'expiation que vous connaissez.

D. Un motif particulier vous a-t-il engagé à choisir votre dernière existence dans la religion israélite ?

R. Non pas choisie par moi, mais que j'ai acceptée d'après le conseil de mes guides. La religion israélite ajoutait une petite humiliation de plus à ma vie d'expiation ; car, dans certains pays surtout, la majorité des incarnés méprise les Israélites, et particulièrement les Juifs mendiants.

D. Dans votre dernière existence, à quel âge avez-vous commencé à mettre à exécution les résolutions que vous aviez prises ? Comment cette pensée vous est-elle venue ? Pendant que vous exerciez ainsi la charité avec tant d'abnégation, aviez-vous une intuition quelconque de la cause qui vous y poussait ?

R. Je naquis de parents pauvres, mais intelligents et avares. Jeune encore, je fus privé de l'affection et des caresses de ma mère. Je ressentis de sa perte un chagrin d'autant plus vif que mon père, dominé par la passion du gain, me délaissait entièrement. Mes frères et mes soeurs, tous plus âgés que moi, ne semblaient pas s'apercevoir de mes souffrances. Un autre Juif, mû par une pensée plus égoïste que charitable, me recueillit et me fit apprendre à travailler. Il recouvra largement, par le produit de mes travaux qui souvent dépassaient mes forces, ce que j'avais pu lui coûter. Plus tard, je m'affranchis de ce joug et je travaillai pour moi. Mais partout, dans l'activité comme dans le repos, j'étais poursuivi par le souvenir des caresses de ma mère, et à mesure que j'avançais en âge, son souvenir se gravait plus profondément dans ma mémoire, et je regrettais davantage ses soins et son amour,

Bientôt, je demeurai seul de mon nom ; la mort, en quelques mois, enleva toute ma famille. C'est alors que commença à se révéler la manière dont je devais passer le reste de mon existence. Deux de mes frères avaient laissé des orphelins. Emu par le souvenir de ce que j'avais souffert, je voulus préserver ces pauvres petits êtres d'une jeunesse semblable à la mienne, et mon travail ne pouvant suffire à nous faire subsister tous, je commençai à tendre la main, non pour moi, mais pour les autres. Dieu ne devait pas me laisser la consolation de jouir de mes efforts ; les pauvres petits me quittèrent pour toujours. Je voyais bien ce qui leur avait manqué : c'était leur mère. Je résolus alors de demander la charité pour les veuves malheureuses qui, ne pouvant se suffire à elles et à leurs enfants, s'imposaient des privations qui les conduisaient à la tombe, laissant de pauvres orphelins qui demeuraient ainsi abandonnés et voués aux tourments que j'avais moi-même endurés.

J'avais trente ans lorsque, plein de force et de santé, on me vit mendier pour la veuve et l'orphelin. Les commencements me furent pénibles, et je dus supporter plus d'une humiliante parole. Mais, lorsqu'on vit que je distribuais réellement tout ce que je recevais au nom de mes pauvres ; lorsqu'on me vit y ajouter encore le surplus de mon travail, j'acquis une espèce de considération qui n'était pas sans charme pour moi.

J'ai vécu soixante et quelques années, et jamais je n'ai manqué à la tâche que je m'étais imposée. Jamais, non plus, un avertissement de la conscience n'est venu me faire supposer qu'un motif antérieur à mon existence fût le mobile de ma manière d'agir. Seulement, un jour avant de commencer à tendre la main, j'entendis ces paroles : «Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît.» Je demeurai frappé de la moralité générale contenue dans ces quelques mots, et bien souvent je me surprenais à y ajouter celles-ci : «Mais faites-leur au contraire ce que vous voudriez qui vous fût fait.» Le souvenir de ma mère et celui de mes souffrances aidant, je continuai à marcher dans une carrière que ma conscience me disait bonne.

Je vais finir cette longue communication en vous disant merci ! Je ne suis pas encore parfait, mais sachant que le mal ne mène qu'au mal, je ferai du nouveau, comme je l'ai fait, le bien pour recueillir du bonheur.

JULIENNE-MARIE, la pauvresse

Dans la commune de la Villate, près de Nozai (Loire-Inférieure), était une pauvre femme, nommée Julienne-Marie, vieille, infirme, et qui vivait de la charité publique. Un jour, elle tomba dans un étang, d'où elle fut retirée par un habitant du pays, M. A..., qui lui donnait habituellement des secours. Transportée à son domicile, elle mourut peu de temps après des suites de l'accident. L'opinion générale fut qu'elle avait voulu se suicider. Le jour même de son décès, celui qui l'avait sauvée, qui est spirite et médium, ressentit sur toute sa personne comme le frôlement de quelqu'un qui serait auprès de lui, sans toutefois s'en expliquer la cause ; lorsqu'il apprit la mort de Julienne*-Marie, la pensée lui vint que peut-être son Esprit était venu le visiter.

D'après l'avis d'un de ses amis, membre de la Société spirite de Paris, à qui il avait rendu compte de ce qui s'était passé, il fit l'évocation de cette femme, dans le but de lui être utile ; mais, préalablement, il demanda conseil à ses guides protecteurs dont il reçut la réponse suivante :

«Tu le peux, et cela lui fera plaisir, quoique le service que tu te proposes de lui rendre lui soit inutile ; elle est heureuse et toute dévouée à ceux qui lui ont été compatissants. Tu es un de ses bons amis ; elle ne te quitte guère et s'entretient souvent avec toi à ton insu. Tôt ou tard, les services rendus sont récompensés, si ce n'est par l'obligé, c'est par ceux qui s'intéressent à lui, avant sa mort comme après ; quand l'Esprit n'a pas eu le temps de se reconnaître, ce sont d'autres Esprits sympathiques qui témoignent en son nom toute sa reconnaissance. Voilà ce qui t'explique ce que tu as éprouvé le jour de son décès. Maintenant c'est elle qui t'aide dans le bien que tu veux faire. Rappelle-toi ce que Jésus a dit : «Celui qui a été abaissé sera élevé» ; tu auras la mesure des services qu'elle peut te rendre, si toutefois tu ne lui demandes assistance que pour être utile à ton prochain.»

Evocation. - Bonne Julienne-Marie, vous êtes heureuse, c'est tout ce que je voulais savoir ; cela ne m'empêchera pas de penser souvent à vous, et de ne jamais vous oublier dans mes prières.

R. Aie confiance en Dieu ; inspire à tes malades une foi sincère, et tu réussiras presque toujours. Ne t'occupe jamais de la récompense qui en adviendra, elle sera au-delà de ton attente. Dieu sait toujours récompenser comme il le mérite, celui qui se dévoue au soulagement de ses semblables, et apporte dans ses actions un désintéressement complet ; sans cela tout n'est qu'illusion et chimère ; il faut la foi avant tout ; autrement, rien. Rappelle-toi cette maxime et tu seras étonné des résultats que tu obtiendras. Les deux malades que tu as guéris en sont la preuve ; dans les circonstances où ils se trouvaient, avec les simples remèdes, tu aurais échoué.

Quand tu demanderas à Dieu de permettre aux bons Esprits de déverser sur toi leur fluide bienfaisant, si cette demande ne te fait pas ressentir un tressaillement involontaire, c'est que ta prière n'est pas assez fervente pour être écoutée ; elle ne l'est que dans les conditions que je te signale. C'est ce que tu as éprouvé quand tu as dit du fond du coeur : «Dieu tout-puissant, Dieu miséricordieux, Dieu de bonté sans limites, exaucez ma prière, et permettez aux bons Esprits de m'assister dans la guérison de... ; ayez pitié de lui, mon Dieu, et rendez-lui la santé ; sans vous, je ne puis rien. Que votre volonté soit faite.»

Tu as bien fait de ne pas dédaigner les humbles ; la voix de celui qui a souffert et supporté avec résignation les misères de ce monde est toujours écoutée ; et comme tu le vois, un service rendu reçoit toujours sa récompense.

Maintenant, un mot sur moi, et cela te confirmera ce qui a été dit ci-dessus.

Le Spiritisme t'explique mon langage comme Esprit : je n'ai pas besoin d'entrer dans des détails à ce sujet. Je crois aussi inutile de te faire part de mon existence précédente. La position où tu m'as connue sur cette terre doit te faire comprendre et apprécier mes autres existences, qui n'ont pas toujours été sans reproches. Vouée à une vie de misère, infirme et ne pouvant travailler, j'ai mendié toute ma vie. Je n'ai point thésaurisé ; sur mes vieux jours, mes petites économies se bornaient à une centaine de francs, que je réservais pour quand mes jambes ne pourraient plus me porter. Dieu a jugé mon épreuve et mon expiation suffisantes, et y a mis un terme en me délivrant sans souffrance de la vie terrestre ; car je ne me suis point suicidée comme on l'a cru d'abord. Je suis morte subitement sur le bord de l'étang, au moment où j'adressais ma dernière prière à Dieu ; la pente du terrain est la cause de la présence de mon corps dans l'eau.

Je n'ai pas souffert ; je suis heureuse d'avoir pu accomplir ma mission sans entraves et avec résignation. Je me suis rendue utile, dans la mesure de mes forces et de mes moyens, et j'ai évité de faire du tort à mon prochain. Aujourd'hui j'en reçois la récompense, et j'en rends grâce à Dieu, notre divin Maître, qui adoucit l'amertume des épreuves en nous faisant oublier, pendant la vie, nos anciennes existences, et met sur notre chemin des âmes charitables, pour nous aider à supporter le fardeau de nos fautes passées.

Persévère aussi, toi, et comme moi tu en seras récompensé. Je te remercie de tes bonnes prières et du service que tu m'as rendu ; je ne l'oublierai jamais. Un jour nous nous reverrons, et bien des choses te seront expliquées ; pour le moment, ce serait superflu. Sache seulement que je te suis toute dévouée, et que je serai toujours près de toi quand tu auras besoin de moi pour soulager celui qui souffre.

La pauvre bonne femme,

JULIENNE-MARIE.

L'Esprit de Julienne-Marie ayant été évoqué à la Société de Paris, le 10 juin 1864, dicta la communication ci-après.

«Merci d'avoir bien voulu m'admettre dans votre milieu, cher président ; vous avez bien senti que mes existences antérieures étaient plus élevées comme position sociale ; si je suis revenue subir cette épreuve de la pauvreté, c'était pour me punir d'un vain orgueil qui m'avait fait repousser ce qui était pauvre et misérable. Alors j'ai subi cette loi juste du talion, qui m'a rendue la plus affreuse pauvresse de cette contrée ; et, comme pour me prouver la bonté de Dieu, je n'étais pas repoussée de tous : c'était toute ma crainte ; aussi ai-je supporté mon épreuve sans murmurer, pressentant une vie meilleure d'où je ne devais plus revenir sur cette terre d'exil et de calamité.

«Quel bonheur, le jour où notre âme, jeune encore, peut rentrer dans la vie spirituelle pour revoir les êtres aimés ! car, moi aussi, j'ai aimé et suis heureuse d'avoir retrouvé ceux qui m'ont précédée. Merci à ce bon M. A... qui m'a ouvert la porte de la reconnaissance ; sans sa médianimité, je n'eusse pu le remercier, lui prouver que mon âme n'oublie pas les heureuses influences de son bon coeur, et lui recommander de propager sa divine croyance. Il est appelé à ramener des âmes égarées ; qu'il se persuade bien de mon appui. Oui, je puis lui rendre au centuple ce qu'il m'a fait, en l'instruisant dans la voie que vous suivez. Remerciez le Seigneur d'avoir permis que les Esprits pussent vous donner des instructions pour encourager le pauvre dans ses peines et arrêter le riche dans son orgueil. Sachez comprendre la honte qu'il y a à repousser un malheureux ; que je vous serve d'exemple, afin d'éviter de venir comme moi expier vos fautes par ces douloureuses positions sociales qui vous placent si bas, et font de vous le rebut de la société.»

JULIENNE-MARIE.

Cette communication ayant été transmise à M. A..., il obtint de son côté celle qui suit, et qui en est la confirmation :

D. Bonne Julienne-Marie, puisque vous voulez bien m'aider de vos bons avis, afin de me faire progresser dans la voie de notre divine doctrine, veuillez vous communiquer à moi ; je ferai tous mes efforts pour mettre à profit vos enseignements.

R. Souviens-toi de la recommandation que je vais te faire, et ne t'en écarte jamais. Sois toujours charitable dans la mesure de tes moyens ; tu comprends assez la charité telle qu'on doit la pratiquer dans toutes les positions de la vie terrestre. Je n'ai donc pas besoin de venir te donner un enseignement à ce sujet, tu seras toi-même le meilleur juge, en suivant, toutefois, la voix de ta conscience qui ne te trompera jamais, quand tu l'écouteras sincèrement.

Ne t'abuse point sur les missions que vous avez à accomplir ; petits et grands ont la leur ; la mienne a été pénible, mais je méritais une semblable punition pour mes existences précédentes, comme je suis venue m'en confesser au bon président de la Société mère de Paris, à laquelle vous vous rallierez tous un jour. Ce jour n'est pas aussi éloigné que tu le penses ; le Spiritisme marche à pas de géant, malgré tout ce que l'on fait pour l'entraver. Marchez donc tous sans crainte, fervents adeptes de la doctrine, et vos efforts seront couronnés de succès. Que vous importe ce que l'on dira de vous ! mettez-vous au-dessus d'une critique dérisoire qui retombera sur les adversaires du Spiritisme.

Les orgueilleux ! ils se croient forts et pensent facilement vous abattre ; vous, mes bons amis, soyez tranquilles, et ne craignez pas de vous mesurer avec eux ; ils sont plus faciles à vaincre que vous ne croyez ; beaucoup d'entre eux ont peur et redoutent que la vérité ne vienne enfin leur éblouir les yeux ; attendez, et ils viendront à leur tour aider au couronnement de l'édifice.

JULIENNE-MARIE.

Ce fait est plein d'enseignements pour quiconque méditera les paroles de cet Esprit dans ces trois communications ; tous les grands principes du Spiritisme s'y trouvent réunis. Dès la première, l'Esprit montre sa supériorité par son langage ; semblable à une fée bienfaisante, cette femme, resplendissante aujourd'hui, et comme métamorphosée, vient protéger celui qui ne l'a pas rebutée sous les haillons de la misère. C'est une application de ces maximes de l'Evangile : «Les grands seront abaissés et les petits seront élevés ; bienheureux les humbles ; bienheureux les affligés, car ils seront consolés ; ne méprisez pas les petits, car celui qui est petit en ce monde peut être plus grand que vous ne croyez...»

MAX, le mendiant

Dans un village de Bavière, mourut, vers l'année 1850, un vieillard presque centenaire, connu sous le nom de père Max. Personne ne connaissait au juste son origine, car il n'avait point de famille. Depuis près d'une demi-siècle, accablé d'infirmités qui le mettaient hors d'état de gagner sa vie par le travail, il n'avait d'autres ressources que la charité publique qu'il dissimulait en allant vendre dans les fermes et les châteaux des almanachs et de menus objets. On lui avait donné le sobriquet de comte Max, et les enfants ne l'appelaient jamais que monsieur le comte, ce dont il souriait sans se formaliser. Pourquoi ce titre ? Nul n'aurait pu le dire ; il était passé en habitude. C'était peut-être à cause de sa physionomie et de ses manières dont la distinction contrastait avec ses haillons. Plusieurs années après sa mort, il apparut en songe à la fille du propriétaire d'un des châteaux où il recevait l'hospitalité à l'écurie, car il n'avait point de domicile à lui. Il lui dit : «Merci à vous de vous être souvenue du pauvre Max dans vos prières, car elles ont été entendues du Seigneur. Vous désirez savoir qui je suis, âme charitable qui vous êtes intéressée au malheureux mendiant ; je vais vous satisfaire ; ce sera pour tous une grande instruction.»

Il lui fit alors le récit suivant à peu près en ces termes :

«Il y a un siècle et demi environ, j'étais un riche et puissant seigneur de cette contrée, mais vain, orgueilleux et infatué de ma noblesse. Mon immense fortune n'a jamais servi qu'à mes plaisirs, et elle y suffisait à peine, car j'étais joueur, débauché et passais ma vie dans les orgies. Mes vassaux, que je croyais créés à mon usage comme les animaux des fermes, étaient pressurés et maltraités pour subvenir à mes prodigalités. Je restais sourd à leurs plaintes comme à celles de tous les malheureux, et, selon moi, ils devaient s'estimer trop honorés de servir mes caprices. Je suis mort dans un âge peu avancé, épuisé par les excès, mais sans avoir éprouvé aucun malheur véritable ; tout semblait au contraire me sourire, de sorte que j'étais aux yeux de tous un des heureux du monde : mon rang me valut de somptueuses funérailles, les viveurs regrettèrent en moi le fastueux seigneur, mais pas une larme ne fut versée sur ma tombe, pas une prière du coeur ne fut adressée à Dieu pour moi, et ma mémoire fut maudite de tous ceux dont j'avais accru la misère. Ah ! qu'elle est terrible la malédiction des malheureux qu'on a faits ! elle n'a pas cessé de retentir à mes oreilles pendant de longues années qui m'ont paru une éternité ! Et à la mort de chacune de mes victimes, c'était une nouvelle figure menaçante ou ironique qui se dressait devant moi et me poursuivait sans relâche, sans que je pusse trouver un coin obscur pour me soustraire à sa vue ! Pas un regard ami ! mes anciens compagnons de débauche, malheureux comme moi, me fuyaient et semblaient me dire avec dédain : «Tu ne peux plus payer nos plaisirs.» Oh ! qu'alors j'aurais payé chèrement un instant de repos, un verre d'eau pour étancher la soif brûlante qui me dévorait ! mais je ne possédais plus rien, et tout l'or que j'avais semé à pleines mains sur la terre n'avait pas produit une seule bénédiction, pas une seule entendez-vous, mon enfant !

«Enfin, accablé de fatigue, épuisé comme un voyageur harassé qui ne voit pas le terme de sa route, je m'écriai : «Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Quand donc finira cette horrible situation ?» Alors une voix, la première que j'entendais depuis que j'avais quitté la terre, me dit : «Quand tu voudras. - Que faut-il faire, grand Dieu ? répondis-je ; dites : je me soumets à tout. - Il faut te repentir ; t'humilier devant ceux que tu as humiliés ; les prier d'intercéder pour toi, car la prière de l'offensé qui pardonne est toujours agréable au Seigneur.» Je m'humiliai, je priai mes vassaux, mes serviteurs, qui étaient là devant moi, et dont les figures, de plus en plus bienveillantes, finirent par disparaître. Ce fut alors pour moi comme une nouvelle vie ; l'espérance remplaça le désespoir et je remerciai Dieu de toutes les forces de mon âme. La voix me dit ensuite : «Prince !» et je répondis : «Il n'y a ici d'autre prince que le Dieu tout-puissant qui humilie les superbes. Pardonnez-moi, Seigneur, car j'ai péché ; faites de moi le serviteur de mes serviteurs, si telle est votre volonté.»

«Quelques années plus tard, je naquis derechef, mais cette fois d'une famille de pauvres villageois. Mes parents moururent que j'étais encore enfant, et je restai seul au monde et sans appui. Je gagnai ma vie comme je pus, tantôt comme manoeuvre, tantôt comme garçon de ferme, mais toujours honnêtement, car je croyais en Dieu cette fois. A l'âge de quarante ans, une maladie me rendit perclus de tous mes membres, et il me fallut mendier pendant plus de cinquante ans sur ces mêmes terres dont j'avais été le maître absolu ; recevoir un morceau de pain dans les fermes que j'avais possédées, et où, par une amère dérision, on m'avait surnommé monsieur le comte, trop heureux souvent de trouver un abri dans l'écurie du château qui avait été le mien. Dans mon sommeil, je me plaisais à parcourir ce même château où j'avais trôné en despote ; que de fois dans mes rêves, je m'y suis revu au milieu de mon ancienne fortune ! Ces visions me laissaient au réveil un indéfinissable sentiment d'amertume et de regrets ; mais jamais une plainte ne s'est échappée de ma bouche ; et quand il a plu à Dieu de me rappeler à lui, je l'ai béni de m'avoir donné le courage de subir sans murmure cette longue et pénible épreuve dont je reçois aujourd'hui la récompense ; et vous, ma fille, je vous bénis d'avoir prié pour moi.»

Nous recommandons ce fait à ceux qui prétendent que les hommes n'auraient plus de frein s'ils n'avaient pas devant eux l'épouvantail des peines éternelles, et nous demandons si la perspective d'un châtiment comme celui du père Max est moins faite pour arrêter dans la voie du mal que celle de tortures sans fin auxquelles on ne croit plus.

HISTOIRE D'UN DOMESTIQUE

Dans une famille de haut rang, était un tout jeune domestique dont la figure intelligente et fine nous frappa par son air de distinction ; rien, dans ses matières, ne sentait la bassesse ; son empressement pour le service de ses maîtres n'avait rien de cette obséquiosité servile propre aux gens de cette condition. L'année suivante, étant retourné dans cette famille, nous n'y vîmes plus ce garçon et nous demandâmes si on l'avait renvoyé. «Non, nous fut-il répondu : il était allé passer quelques jours dans son pays, et il y est mort. Nous le regrettons beaucoup, car c'était un excellent sujet, et qui avait des sentiments vraiment au-dessus de sa position. Il nous était très attaché, et nous a donné des preuves du plus grand dévouement.»

Plus tard, la pensée nous vint d'évoquer ce jeune homme, et voici ce qu'il nous dit :

«Dans mon avant-dernière incarnation, j'étais, comme on le dit sur terre, d'une très bonne famille, mais ruinée par les prodigalités de mon père. Je suis resté orphelin très jeune et sans ressources. Un ami de mon père m'a recueilli ; il m'a élevé comme son fils et m'a fait donner une belle éducation dont j'ai tiré un peu trop de vanité. Cet ami est aujourd'hui M. de G..., au service duquel vous m'avez vu. J'ai voulu, dans ma dernière existence, expier mon orgueil en naissant dans une condition servile, et j'y ai trouvé l'occasion de prouver mon dévouement à mon bienfaiteur. Je lui ai même sauvé la vie sans qu'il s'en soit jamais douté. C'était en même temps une épreuve dont je suis sorti à mon avantage puisque j'ai eu assez de force pour ne pas me laisser corrompre par le contact d'un entourage presque toujours vicieux ; malgré les mauvais exemples, je suis resté pur, et j'en remercie Dieu, car j'en suis récompensé par le bonheur dont je jouis.»

D. Dans quelles circonstances avez-vous sauvé la vie à M. de G... ? - R. Dans une promenade à cheval où je le suivais seul, j'aperçu un gros arbre qui tombait de son côté et qu'il ne voyait pas ; je l'appelle en poussant un cri terrible ; il se retourne vivement, et pendant ce temps l'arbre tombe à ses pieds ; sans le mouvement que j'ai provoqué, il était écrasé.

M. de G..., auquel le fait fut rapporté se l'est parfaitement rappelé.

D. Pourquoi êtes-vous mort si jeune ? - R. Dieu avait jugé mon épreuve suffisante.

D. Comment avez-vous pu profiter de cette épreuve, puisque vous n'aviez pas souvenir de la cause qui l'avait motivée ? - Dans mon humble position, il me restait un instinct d'orgueil que j'ai été assez heureux de pouvoir maîtriser, ce qui a fait que l'épreuve m'a été profitable, sans cela j'aurais encore à la recommencer. Mon Esprit se souvenait dans ses moments de liberté, et il m'en restait au réveil un désir intuitif de résister à mes tendances que je sentais être mauvaises. J'ai eu plus de mérite à lutter ainsi que si je m'étais clairement souvenu du passé. Le souvenir de mon ancienne position aurait exalté mon orgueil et m'aurait troublé, tandis que je n'ai eu à combattre que les entraînements de ma nouvelle position.

D. Vous avez reçu une brillante éducation, à quoi cela vous a-t-il servi dans votre dernière existence, puisque vous ne vous souveniez pas des connaissances que vous aviez acquises ? - R. Ces connaissances auraient été inutiles, un contre-sens même dans ma nouvelle position ; elles sont restées latentes, et aujourd'hui je les retrouve. Cependant elles ne m'ont pas été inutiles, car elles ont développé mon intelligence ; j'avais instinctivement le goût des choses élevées, ce qui m'inspirait de la répulsion pour les exemples bas et ignobles que j'avais sous les yeux ; sans cette éducation, je n'aurais été qu'un valet.

D. Les exemples des serviteurs dévoués à leurs maîtres jusqu'à l'abnégation ont-ils pour cause des relations antérieures ? - R. N'en doutez pas ; c'est du moins le cas le plus ordinaire. Ces serviteurs sont quelquefois des membres mêmes de la famille, ou, comme moi, des obligés qui payent une dette de reconnaissance, et que leur dévouement aide à s'avancer. Vous ne savez pas tous les effets de sympathie ou d'antipathie que ces relations antérieures produisent dans le monde. Non, la mort n'interrompt pas ces relations, qui se perpétuent souvent de siècle en siècle.

D. Pourquoi ces exemples de dévouement de serviteurs sont-ils si rares aujourd'hui ? - R. Il faut en accuser l'esprit d'égoïsme et d'orgueil de votre siècle, développé par l'incrédulité et les idées matérialistes. La foi vraie s'en va par la cupidité et le désir du gain, et avec elles les dévouements. Le Spiritisme, en ramenant les hommes au sentiment du vrai, fera renaître les vertus oubliées.

Rien ne peut mieux que cet exemple faire ressortir le bienfait de l'oubli des existences antérieures. Si M. de G... s'était souvenu de ce qu'avait été son jeune domestique, il eût été très gêné avec lui, et ne l'aurait même pas gardé dans cette condition ; il aurait ainsi entravé l'épreuve qui a été profitable à tous les deux.

ANTONIO B...

Enterré vivant. - La peine du talion.

M. Antonio B..., écrivain de mérite, estimé de ses concitoyens, ayant rempli avec distinction et intégrité des fonctions publiques en Lombardie, tomba, vers 1850, à la suite d'une attaque d'apoplexie, dans un état de mort apparente qu'on prit malheureusement, comme cela arrive quelquefois, pour la mort réelle. L'erreur était d'autant plus facile qu'on avait cru apercevoir sur le corps des signes de décomposition. Quinze jours après l'enterrement, une circonstance fortuite détermina la famille à demander l'exhumation ; il s'agissait d'un médaillon oublié par mégarde dans le cercueil ; mais la stupeur des assistants fut grande quand à l'ouverture, on reconnut que le corps avait changé de position, qu'il s'était retourné, et, chose horrible ! qu'une des mains était en partie mangée par le défunt. Il fut alors manifeste que le malheureux Antonio B... avait été enterré vivant ; il avait dû succomber sous les étreintes du désespoir et de la faim.

M. Antonio B... ayant été évoqué à la Société de Paris, en août 1861, sur la demande de l'un de ses parents, donna les explications suivantes :

1. Evocation. - Que me voulez-vous ?

2. Un de vos parents nous a prié de vous évoquer ; nous le faisons avec plaisir, et nous serons heureux si vous voulez bien nous répondre. - R. Oui, je veux bien vous répondre.

3. Vous rappelez-vous les circonstances de votre mort ? - R. Ah ! certes oui ! je me les rappelle ; pourquoi réveiller ce souvenir de châtiment ?

4. Est-il certain que vous avez été enterré vivant par méprise ? - R. Cela devait être ainsi, car la mort apparente a eu tous les caractères d'une mort réelle ; j'étais presque exsangue[2]. On ne doit imputer à personne un fait prévu avant ma naissance.

5. Si ces questions sont de nature à vous causer de la peine, faut-il les cesser ? - R. Non, continuez.

6. Nous voudrions vous savoir heureux, car vous avez laissé la réputation d'un honnête homme. - R. Je vous remercie bien ; je sais que vous prierez pour moi. Je vais tâcher de répondre, mais si j'échoue, un de vos guides y suppléera.

7. Pouvez-vous décrire les sensations que vous avez éprouvées dans ce terrible moment ? - R. Oh ! quelle douloureuse épreuve ! se sentir enfermé entre quatre planches, de manière à ne pouvoir remuer ni bouger ! Ne pouvoir appeler ; la voix ne résonnant plus, dans un milieu privé d'air. Oh ! quelle torture que celle d'un malheureux qui s'efforce en vain d'aspirer dans une atmosphère insuffisante et dépourvue de la partie respirable ! Hélas j'étais comme un condamné à la gueule d'un four, sauf la chaleur. Oh ! je ne souhaite à personne de pareilles tortures. Non, je ne souhaite à personne une fin comme la mienne ! Hélas ! cruelle punition d'une cruelle et féroce existence ! Ne me demandez pas à quoi je pensais, mais je plongeais dans le passé et j'entrevoyais vaguement l'avenir.

8. Vous dites : cruelle punition d'une féroce existence ; mais votre réputation, jusqu'à ce jour intacte, ne faisait rien supposer de pareil. Pouvez-vous nous expliquer cela ? - R. Qu'est-ce que la durée de l'existence dans l'éternité ! Certes, j'ai tâché de bien agir dans ma dernière incarnation ; mais cette fin avait été acceptée par moi avant de rentrer dans l'humanité. Ah ! pourquoi m'interroger sur ce passé douloureux que seul je connaissais, ainsi que les Esprits, ministres du Tout-Puissant ? Sachez donc, puisqu'il faut vous le dire, que dans une existence antérieure, j'avais muré une femme, la mienne ! toute vivante dans un caveau ! C'est la peine du talion que j'ai dû m'appliquer. Dent pour dent, oeil pour oeil.

9. Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions, et nous prions Dieu de vous pardonner le passé en faveur du mérite de votre dernière existence. - R. Je reviendrai plus tard ; du reste, l'Esprit d'Eraste voudra bien compléter.

Instruction du guide du médium.

Ce que vous devez retirer de cet enseignement, c'est que toutes vos existences se tiennent, et que nulle n'est indépendante des autres ; les soucis, les tracas, comme les grandes douleurs qui frappent les hommes, sont toujours les conséquences d'une vie antérieure criminelle ou mal employée. Cependant, je dois vous le dire, les fins pareilles à celle d'Antonio B... sont rares, et si cet homme, dont la dernière existence a été exempte de blâme, a fini de cette façon, c'est qu'il avait sollicité lui-même une mort pareille, afin d'abréger le temps de son erraticité et atteindre plus rapidement les sphères élevées. En effet, après une période de trouble et de souffrance morale pour expier encore son crime épouvantable, il lui sera pardonné et il s'élèvera vers un monde meilleur où il retrouvera sa victime, qui l'attend, et qui lui a déjà depuis longtemps pardonné. Sachez donc faire votre profit de cet exemple cruel, pour supporter avec patience, ô mes chers spirites, les souffrances corporelles, les souffrances morales, et toutes les petites misères de la vie.

D. Quel profit peut retirer l'humanité de pareilles punitions ? - R. Les châtiments ne sont pas faits pour développer l'humanité, mais pour châtier l'individu coupable. En effet, l'humanité n'a nul intérêt à voir souffrir un des siens. Ici la punition a été appropriée à la faute. Pourquoi des fous ? pourquoi des crétins ? pourquoi des gens paralysés ? pourquoi ceux qui meurent dans le feu ? pourquoi ceux qui vivent des années dans les tortures d'une longue agonie, ne pouvant ni vivre ni mourir? Ah ! croyez-moi, respectez la volonté souveraine et ne cherchez pas à sonder la raison des décrets providentiels ; sachez-le ! Dieu est juste et fait bien ce qu'il fait.

ERASTE.

N'y a-t-il pas dans ce fait un grand et terrible enseignement ? Ainsi la justice de Dieu atteint toujours le coupable, et pour être quelquefois tardive, elle n'en suit pas moins son cours. N'est-il pas éminemment moral de savoir que, si de grands coupables achèvent leur existence paisiblement, et souvent dans l'abondance des biens terrestres, l'heure de l'expiation sonnera tôt ou tard ? Des peines de cette nature se comprennent, non seulement parce qu'elles sont en quelque sorte sous nos yeux, mais parce qu'elles sont logiques ; on y croit, parce que la raison les admet.

Une existence honorable n'exempte donc pas des épreuves de la vie, parce qu'on les a choisies ou acceptées comme complément d'expiation ; c'est l'appoint d'une dette que l'on acquitte avant de recevoir le prix du progrès accompli.

Si l'on considère combien, dans les siècles passés, étaient fréquents, même dans les classes les plus élevées et les plus éclairées, les actes de barbarie qui nous révoltent tant aujourd'hui ; combien de meurtres étaient commis en ces époques où l'on se jouait de la vie de son semblable, où le puissant écrasait le faible sans scrupule, on comprendra combien, parmi les hommes de nos jours, il doit y en avoir qui ont à laver leur passé ; on ne s'étonnera plus du nombre si considérable des gens qui meurent victimes d'accidents isolés ou de catastrophes générales. Le despotisme, le fanatisme, l'ignorance et les préjugés du moyen âge et des siècles qui l'ont suivi, ont légué aux générations futures une dette immense, qui n'est point encore liquidée. Bien des malheurs ne nous semblent immérités que parce que nous ne voyons que le moment actuel.

M. LETIL

M. Letil, fabricant près de Paris, est mort en avril 1864, d'une manière affreuse. Une chaudière de vernis en ébullition ayant pris feu et s'étant renversée sur lui, il fut en un clin d'oeil couvert d'une matière embrasée, et comprit tout de suite qu'il était perdu. Seul en ce moment dans l'atelier, avec un jeune apprenti, il eut le courage de se rendre à son domicile, distant de plus de deux cents mètres. Lorsqu'on put lui donner les premiers secours, les chairs étaient brûlées et s'en allaient par lambeaux ; les os d'une partie du corps et de la face étaient à nu. Il vécut ainsi douze heures dans les plus horribles souffrances, conservant malgré cela toute sa présence d'esprit jusqu'au dernier moment, et mettant ordre à ses affaires avec une parfaite lucidité. Pendant cette cruelle agonie, il ne fit entendre aucune plainte, aucun murmure, et mourut en priant Dieu. C'était un homme très-honorable, d'un caractère doux et bienveillant, aimé et estimé de tous ceux qui l'ont connu. Il avait embrassé les idées spirites avec enthousiasme, mais pas assez de réflexion, et fut, par cette raison, étant un peu médium lui-même, le jouet de nombreuses mystifications qui, cependant, n'ébranlèrent pas sa foi. Sa confiance à ce que lui disaient les Esprits était poussée, dans certaines circonstances, jusqu'à la naïveté.

Evoqué à la Société de Paris, le 29 avril 1864, peu de jours après sa mort, et encore sous l'impression de la terrible scène dont il avait été victime, il donna la communication suivante :

«Une tristesse profonde m'accable ! Tout épouvanté encore de ma mort tragique, je me crois sous le fer d'un bourreau. Que j'ai donc souffert ! Oh ! que j'ai souffert ! J'en suis tout tremblant. Il me semble que je sens encore l'odeur fétide que mes chairs brûlées jetaient autour de moi. Agonie de douze heures, que tu as éprouvé le coupable Esprit ! Il a souffert sans murmurer, aussi Dieu va lui donner son pardon.

«O ma bien-aimée ! ne pleure plus sur moi, mes douleurs vont se calmer. Je ne souffre plus réellement mais le souvenir équivaut à la réalité. Ma connaissance du Spiritisme m'aide beaucoup ; je vois maintenant que, sans cette douce croyance, je serais resté dans le délire où j'ai été jeté par cette mort affreuse.

«Mais j'ai un consolateur qui ne m'a pas quitté depuis mon dernier soupir ; je parlais encore que je le voyais déjà près de moi ; il semblait que c'était un reflet de mes douleurs qui me donnait le vertige, et me montrait des fantômes... non : c'était mon ange protecteur qui, silencieux et muet, me consolait par le coeur. Dès que j'eus dit adieu à la terre, il me dit : «Viens, mon fils, et revois le jour.» Je respirai plus librement, croyant sortir d'un songe effroyable ; je parlai de ma bien-aimée épouse, du courageux enfant qui s'était dévoué pour moi. «Tous sont sur la terre, me dit-il ; toi, ô mon fils, tu es parmi nous.» Je cherchai ma maison ; l'ange m'y laissa rentrer, tout en m'y accompagnant. Je vis tout le monde en larmes ; tout était triste et en deuil dans cette paisible demeure d'autrefois. Je ne pus soutenir plus longtemps la vue de ce douloureux spectacle ; trop ému, je dis à mon guide : «O mon bon ange, sortons d'ici ! - Oui, sortons, dit l'ange, et cherchons le repos.»

«Depuis, je souffre moins ; si je ne voyais mon épouse inconsolable, mes amis si tristes, je serais presque heureux.

«Mon bon guide, mon cher ange, a bien voulu me dire pourquoi j'ai eu une mort si douloureuse, et pour votre enseignement, mes enfants, je vais vous faire un aveu.

«Il y a deux siècles, je fis étendre sur un bûcher une jeune fille, innocente comme on l'est à son âge, elle avait 12 à 14 ans à peu près. De quoi l'accusait-on ? Hélas ! d'avoir été la complice d'une menée contre la politique sacerdotale. J'étais Italien, et juge inquisiteur ; les bourreaux n'osaient pas toucher le corps de la jeune enfant ; moi-même je fus le juge et le bourreau. O justice, justice de Dieu, tu es grande ! Je m'y suis soumis ; j'avais tant promis de ne pas chanceler au jour du combat que j'ai eu la force de tenir parole ; je n'ai pas murmuré, et vous m'avez pardonné, ô mon Dieu ! Quand donc le souvenir de ma pauvre et innocente victime s'effacera-t-il de ma mémoire ? C'est là ce qui me fait souffrir ?* Il faut aussi qu'elle me pardonne.

«O vous, enfants de la nouvelle doctrine, vous dites parfois : Nous ne nous souvenons pas de ce que nous avons fait précédemment, c'est pourquoi nous ne pouvons éviter les maux auxquels nous nous exposons par l'oubli du passé. O mes frères ! bénissez Dieu : s'il vous en a laissé le souvenir, il n'y aurait pour vous aucun repos sur la terre. Sans cesse poursuivis par le remords et la honte, pourriez-vous avoir un seul instant de paix ?

«L'oubli est un bienfait ; le souvenir ici est une torture. Encore quelques jours, et pour récompense de la patience avec laquelle j'ai supporté mes douleurs, Dieu va me donner l'oubli de ma faute. Voici la promesse qui vient de m'être faite par mon bon ange.»

Le caractère de M. Letil, dans sa dernière existence, prouve combien son Esprit s'était amélioré. Sa conduite a été le résultat de son repentir et des résolutions qu'il avait prises ; mais cela ne suffisait pas ; il lui fallait sceller ses résolutions par une grande expiation ; il lui fallait endurer comme homme ce qu'il avait fait endurer aux autres ; la résignation, en cette terrible circonstance, était pour lui la plus grande épreuve, et, heureusement pour lui, il n'y a pas failli. La connaissance du Spiritisme a sans doute beaucoup contribué à soutenir son courage par la foi sincère qu'elle lui avait donnée en l'avenir ; il savait que les douleurs de la vie sont des épreuves et des expiations, et il s'y était soumis sans murmurer, disant : Dieu est juste ; je l'ai sans doute mérité.

UN SAVANT AMBITIEUX

Madame B..., de Bordeaux, n'a pas éprouvé les poignantes angoisses de la misère, mais elle a été toute sa vie un martyr de douleurs physiques par les innombrables maladies graves dont elle a été atteinte, pendant soixante-dix ans, depuis l'âge de cinq mois, et qui, presque chaque année, l'ont mise à la porte du tombeau. Trois fois elle fut empoisonnée par les essais que la science incertaine fit sur elle, et son tempérament, ruiné par les remèdes autant que par les maladies, l'a laissée jusqu'à la fin de ses jours en proie à d'intolérables souffrances que rien ne pouvait calmer. Sa fille, spirite chrétienne et médium, demandait à Dieu, dans ses prières, d'adoucir ses cruelles épreuves, mais son guide spirituel lui dit de demander simplement pour elle la force de les supporter avec patience et résignation, et lui dicta les instructions suivantes :

«Tout a raison d'être dans l'existence humaine ; il n'est pas une des souffrances que vous avez causées qui ne trouve un écho dans les souffrances que vous endurez ; pas un de vos excès qui ne trouve un contre-poids dans une de vos privations ; pas une larme ne tombe de vos yeux sans avoir à laver une faute, un crime quelquefois. Subissez donc avec patience et résignation vos douleurs physiques ou morales, quelque cruelles qu'elles vous semblent, et pensez au laboureur dont la fatigue brise les membres, mais qui continue son oeuvre sans s'arrêter, car il a toujours devant lui les épis dorés qui seront les fruits de sa persévérance. Tel est le sort du malheureux qui souffre sur votre terre ; l'aspiration vers le bonheur qui doit être le fruit de sa patience, le rendra fort contre les douleurs passagères de l'humanité.

«Ainsi en est-il de ta mère ; chaque douleur qu'elle accepte comme une expiation est une tache effacée de son passé, et plus tôt toutes les taches seront effacées, plus tôt elle sera heureuse. Le manque de résignation rend seul la souffrance stérile, car alors les épreuves sont à recommencer. Ce qui est donc le plus utile pour elle, c'est le courage et la soumission ; c'est ce qu'il faut prier Dieu et les bons Esprits de lui accorder.

«Ta mère fut jadis un bon médecin, répandu dans une classe où rien ne coûte pour s'assurer le bien-être, et où il fut comblé de dons et d'honneurs. Ambitieux de gloire et de richesses, voulant atteindre l'apogée de la science, non pas en vue de soulager ses frères, car il n'était pas philanthrope, mais en vue d'augmenter sa réputation, et par suite sa clientèle, rien ne lui a coûté pour mener à bonne fin ses études. La mère était martyrisée sur son lit de souffrance, parce qu'il prévoyait une étude dans les convulsions qu'il provoquait ; l'enfant était soumis aux expériences qui devaient lui donner la clef de certains phénomènes ; le vieillard voyait hâter sa fin ; l'homme vigoureux se sentait affaibli par les essais qui devaient constater l'action de tel ou tel breuvage, et toutes ces expériences étaient tentées sur le malheureux sans défiance. La satisfaction de la cupidité et de l'orgueil, la soif de l'or et de la renommée, tels furent les mobiles de sa conduite. Il a fallu des siècles et de terribles épreuves pour dompter cet Esprit orgueilleux et ambitieux ; puis le repentir a commencé son oeuvre de régénération, et la réparation s'achève, car les épreuves de cette dernière existence sont douces auprès de celles qu'il a endurées. Courage donc si la peine a été longue et cruelle, la récompense accordée à la patience, à la résignation et à l'humilité sera grande.

«Courage, vous tous qui souffrez ; pensez au peu de temps que dure votre existence matérielle ; pensez aux joies de l'éternité ; appelez à vous l'espérance, cette amie dévouée de tout coeur souffrant ; appelez à vous la foi, soeur de l'espérance ; la foi qui vous montre le ciel où l'espérance vous fait pénétrer avant le temps. Appelez aussi à vous ces amis que le Seigneur vous donne, qui vous entourent, vous soutiennent et vous aiment, et dont la constante sollicitude vous ramène à celui que vous aviez offensé en transgressant ses lois.»

Après sa mort, madame B... a donné, soit à sa fille, soit à la Société spirite de Paris, des communications où se reflètent les plus éminentes qualités, et où elle confirme ce qui avait été dit de ses antécédents.

CHARLES DE SAINT-G..., idiot

(Société spirite de Paris, 1860.)

Charles de Saint-G... était un jeune idiot âgé de treize ans, vivant, et dont les facultés intellectuelles étaient d'une telle nullité, qu'il ne connaissait pas ses parents et pouvait à peine prendre sa nourriture. Il y avait chez lui arrêt complet de développement dans tout le système organique.

1. A saint Louis. Voudriez-vous nous dire si nous pouvons faire l'évocation de l'Esprit de cet enfant ? - R. Vous pouvez l'évoquer comme si vous évoquiez l'Esprit d'un mort.

2. Votre réponse nous ferait supposer que l'évocation pourrait se faire à tout moment quelconque. - R. Oui ; son âme tient à son corps par des liens matériels, mais non par des liens spirituels ; elle peut toujours se dégager.

3. Evocation de Ch. de Saint-G... - Je suis un pauvre Esprit attaché à la terre comme un oiseau par une patte.

4. Dans votre état actuel, comme Esprit, avez-vous la conscience de votre nullité en ce monde ? - Certainement ; je sens bien ma captivité.

5. Quand votre corps dort, et que votre Esprit se dégage, avez-vous les idées aussi lucides que si vous étiez dans un état normal ? - R. Quand mon malheureux corps repose, je suis un peu plus libre de m'élever vers le ciel où j'aspire.

6. Eprouvez-vous, comme Esprit, un sentiment pénible de votre état corporel ? - R. Oui, puisque que c'est une punition.

7. Vous rappelez-vous votre existence précédente ? - R. Oh ! oui ; elle est la cause de mon exil d'à présent.

8. Quelle était cette existence ? - R. Un jeune libertin sous Henri III.

9. Vous dites que votre condition actuelle est une punition ; vous ne l'avez donc pas choisie ? - Non.

10. Comment votre existence actuelle peut-elle servir à votre avancement dans l'état de nullité où vous êtes ? - R. Elle n'est pas nulle pour moi devant Dieu qui me l'a imposée.

11. Prévoyez-vous la durée de votre existence actuelle ? - R. Non ; encore quelques années, et je rentrerai dans ma patrie.

12. Depuis votre précédente existence jusqu'à votre incarnation actuelle, qu'avez-vous fait comme Esprit ? - R. C'est parce que j'étais un Esprit léger que Dieu m'a emprisonné.

13. Dans votre état de veille, avez-vous conscience de ce qui se passe autour de vous, et cela malgré l'imperfection de vos organes ? - R. Je vois, j'entends, mais mon corps ne comprend ni ne voit rien.

14. Pouvons-nous faire quelque chose qui vous soit utile ? - R. Rien.

15. A saint Louis. Les prières pour un Esprit réincarné peuvent-elles avoir la même efficacité que pour un Esprit errant ? - R. Les prières sont toujours bonnes et agréables à Dieu ; dans la position de ce pauvre Esprit, elles ne peuvent lui servir à rien ; elles lui serviront plus tard, car Dieu en tiendra compte.

Cette évocation confirme ce qui a toujours été dit sur les idiots. Leur nullité morale ne tient point à la nullité de leur Esprit, qui, abstraction faite des organes, jouit de toutes ses facultés. L'imperfection des organes n'est qu'un obstacle à la libre manifestation des pensées : elle ne les annihile point. C'est le cas d'un homme vigoureux dont les membres seraient comprimés par des liens.

Instruction d'un Esprit sur les idiots et les crétins donnée à la Société de Paris.

Les crétins sont des êtres punis sur la terre pour le mauvais usage qu'ils ont fait de puissantes facultés ; leur âme est emprisonnée dans un corps dont les organes impuissants ne peuvent exprimer leurs pensées ; ce mutisme moral et physique est une des plus cruelles punitions terrestres ; souvent elle est choisie par les Esprits repentants qui veulent racheter leurs fautes. Cette épreuve n'est point stérile, car l'Esprit ne reste pas stationnaire dans sa prison de chair ; ces yeux hébétés voient, ce cerveau déprimé conçoit, mais rien ne peut se traduire ni par parole ni par le regard, et sauf le mouvement, ils sont moralement dans l'état des léthargiques et des cataleptiques qui voient et entendent ce qui se passe autour d'eux sans pouvoir l'exprimer. Quand vous avez en rêve ces terribles cauchemars où vous voulez fuir un danger, que vous poussez des cris pour appeler au secours, tandis que votre langue reste attachée au palais et vos pieds au sol, vous éprouvez un instant ce que le crétin éprouve toujours : paralysie du corps jointe à la vie de l'Esprit.

Presque toutes les infirmités ont ainsi leur raison d'être ; rien ne se fait sans cause, et ce que vous appelez l'injustice du sort est l'application de la plus haute justice. La folie est aussi une punition de l'abus de hautes facultés ; le fou a deux personnalités : celle qui extravague et celle qui a la conscience de ses actes, sans pouvoir les diriger. Quant aux crétins, la vie contemplative et isolée de leur âme, qui n'a pas les distractions du corps, peut être aussi agitée que les existences les plus compliquées par les événements ; quelques-uns se révoltent contre leur supplice volontaire ; ils regrettent de l'avoir choisi et éprouvent un désir furieux de revenir à une autre vie, désir qui leur fait oublier la résignation à la vie présente, et le remords de la vie passée dont ils ont la conscience, car les crétins et les fous savent plus que vous, et sous leur impuissance physique se cache une puissance morale dont vous n'avez nulle idée. Les actes de fureur ou d'imbécillité auxquels leur corps se livre sont jugés par l'être intérieur qui en souffre et qui en rougit. Ainsi, les bafouer, les injurier, les maltraiter même, comme on le fait quelquefois, c'est augmenter leurs souffrances, car c'est leur faire sentir plus durement leur faiblesse et leur abjection, et s'ils le pouvaient, ils accuseraient de lâcheté ceux qui n'agissent* de cette façon que parce qu'ils savent que leur victime ne peut se défendre.

Le crétinisme n'est pas une des lois de Dieu, et la science peut le faire disparaître, car il est le résultat matériel de l'ignorance, de la misère et de la malpropreté. Les nouveaux moyens d'hygiène que la science, devenue plus pratique, a mis à la portée de tous, tendent à le détruire. Le progrès étant la condition expresse de l'humanité, les épreuves imposées se modifieront et suivront la marche des siècles ; elles deviendront toutes morales, et lorsque votre terre, jeune encore, aura accompli toutes les phases de son existence, elle deviendra un séjour de félicité comme d'autres planètes plus avancées.

Pierre JOUTY, père du médium.

Il fut un temps où l'on avait mis en question l'âme des crétins, et l'on se demandait s'ils appartenaient véritablement à l'espèce humaine. La manière dont le Spiritisme les fait envisager n'est-elle pas d'une haute moralité et d'un grand enseignement ? N'y a-t-il pas matière à sérieuses réflexions en songeant que ces corps disgraciés renferment des âmes qui ont peut-être brillé dans le monde, qui sont aussi lucides et aussi pensantes que les nôtres, sous l'épaisse enveloppe qui en étouffe les manifestations, et qu'il peut en être de même un jour de nous, si nous abusons des facultés que nous a départies la Providence ?

Comment en outre le crétinisme pourrait-il s'expliquer ; comment le faire concorder avec la justice et la bonté de Dieu, sans admettre la pluralité des existences ? Si l'âme n'a pas déjà vécu, c'est qu'elle est créée en même temps que le corps ; dans cette hypothèse, comment justifier la création d'âmes aussi déshéritées que celles des crétins de la part d'un Dieu juste et bon ? car ici, il ne s'agit point d'un de ces accidents, comme la folie, par exemple, que l'on peut ou prévenir ou guérir ; ces êtres naissent et meurent dans le même état ; n'ayant aucune notion du bien et du mal, quel est leur sort dans l'éternité ? Seront-ils heureux à l'égal des hommes intelligents et travailleurs ? Mais pourquoi cette faveur, puisqu'ils n'ont rien fait de bien ? Seront-ils dans ce qu'on appelle les limbes, c'est-à-dire dans un état mixte qui n'est ni le bonheur ni le malheur ? Mais pourquoi cette infériorité éternelle ? Est-ce leur faute si Dieu les a créés crétins ? Nous défions tous ceux qui repoussent la doctrine de la réincarnation de sortir de cette impasse. Avec la réincarnation, au contraire, ce qui paraît une injustice devient une admirable justice ; ce qui est inexplicable s'explique de la manière la plus rationnelle.

Au reste, nous ne sachons pas que ceux qui repoussent cette doctrine l'aient jamais combattue avec d'autres arguments que celui de leur répugnance personnelle à revenir sur la terre. A cela on leur répond : Pour vous y renvoyer, Dieu ne demande pas votre permission, pas plus que le juge ne consulte le goût du condamné pour l'envoyer en prison. Chacun a la possibilité de n'y pas revenir en s'améliorant assez pour mériter de passer dans une sphère plus élevée. Mais, dans ces sphères heureuses, l'égoïsme et l'orgueil ne sont pas admis ; c'est donc à se dépouiller de ces infirmités morales qu'il faut travailler si l'on veut monter en grade.

On sait que, dans certaines contrées, les crétins, loin d'être un objet de mépris, sont entourés de soins bienveillants. Ce sentiment ne tiendrait-il pas à une intuition du véritable état de ces infortunés, d'autant plus dignes d'égards que leur Esprit, qui comprend sa position, doit souffrir de se voir le rebut de la société ?

On y considère même comme une faveur et une bénédiction d'avoir un de ces êtres dans une famille. Est-ce superstition.* C'est possible, parce que chez les ignorants, la superstition se mêle aux idées les plus saintes dont ils ne se rendent pas compte ; dans tous les cas, c'est, pour les parents, une occasion d'exercer une charité d'autant plus méritoire, qu'étant généralement pauvres, c'est pour eux une charge sans compensation matérielle. Il y a plus de mérite à entourer de soins affectueux un enfant disgracié, que celui dont les qualités offrent un dédommagement. Or, la charité du coeur étant une des vertus les plus agréables à Dieu, attire toujours sa bénédiction sur ceux qui la pratiquent. Ce sentiment inné, chez ces gens-là, équivaut à cette prière : «Merci, mon Dieu, de nous avoir donné pour épreuve un être faible à soutenir, et un affligé à consoler.»

ADELAIDE-MARGUERITE GOSSE

C'était une humble et pauvre servante de la Normandie, près d'Harfleur. A onze ans, elle entra au service de riches herbagers de son pays. Peu d'années après, un débordement de la Seine emporte et noie tous les bestiaux ! d'autres malheurs surviennent, ses maîtres tombent dans la détresse ! Adélaïde enchaîne son sort au leur, étouffe la voix de l'égoïsme, et, n'écoutant que son généreux coeur, elle leur fait accepter cinq cents francs épargnés par elle, et continue sans gages à les servir ; puis, à leur mort, elle s'attache à leur fille, demeurée veuve et sans ressources. Elle travaille dans les champs et rapporte son gain à la maison. Elle se marie, et, la journée de son mari s'ajoutant à la sienne, les voilà maintenant à deux à soutenir la pauvre femme, qu'elle appelle toujours «sa maîtresse !» Ce sublime sacrifice a duré près d'un demi-siècle.

La Société d'émulation de Rouen ne laissa pas dans l'oubli cette femme digne de tant de respect et d'admiration ; elle lui décerna une médaille d'honneur et une récompense en argent ; les loges maçonniques du Havre s'associèrent à ce témoignage d'estime et lui offrirent une petite somme pour ajouter à son bien-être. Enfin, l'administration locale s'occupa de son sort avec délicatesse, en ménageant sa susceptibilité.

Une attaque de paralysie a enlevé en un instant et sans souffrance cet être bienfaisant. Les derniers devoirs lui ont été rendus d'une manière simple, mais décente ; le secrétaire de la mairie s'était mis à la tête du deuil.

(Société de Paris, 27 décembre 1861.)

Evocation. - Nous prions Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit de Marguerite Gosse de se communiquer à nous. - R. Oui, Dieu veut bien me faire cette grâce.

D. Nous sommes heureux de vous témoigner notre admiration pour la conduite que vous avez tenue pendant votre existence terrestre, et nous espérons que votre abnégation a reçu sa récompense. - R. Oui, Dieu a été pour sa servante plein d'amour et de miséricorde. Ce que j'ai fait, ce que vous trouvez bien, était tout naturel.

D. Pour notre instruction, pourriez-vous nous dire quelle a été la cause de l'humble condition que vous avez occupée sur la terre ? - R. J'avais occupé, dans deux existences successives, une position assez élevée : le bien m'était facile ; je l'accomplissais sans sacrifice, parce que j'étais riche ; je trouvais que j'avançais lentement, c'est pourquoi j'ai demandé à revenir dans une condition plus infime où j'aurais à lutter moi-même contre les privations, et je m'y étais préparée pendant longtemps. Dieu a soutenu mon courage, et j'ai pu arriver au but que je m'étais proposé, grâce aux secours spirituels que Dieu m'a donnés.

D. Avez-vous revu vos anciens maîtres ? Dites-nous, je vous prie, quelle est votre position vis-à-vis d'eux, et si vous vous considérez toujours comme leur subordonnée. - R. Oui, je les ai revus ; ils étaient, à mon arrivée, dans ce monde. Je vous dirai, en toute humilité, qu'ils me considèrent comme leur étant bien supérieure.

D. Aviez-vous un motif particulier pour vous attacher à eux plutôt qu'à d'autres ? - R. Aucun motif obligatoire ; j'aurais atteint mon but partout ailleurs ; je les ai choisis pour acquitter envers eux une dette de reconnaissance. Jadis ils avaient été bons pour moi, et m'avaient rendu service.

D Quel avenir pressentez-vous pour vous ? R. J'espère être réincarnée dans un monde où la douleur est inconnue. Peut-être me trouverez-vous bien présomptueuse, mais je vous réponds avec toute la vivacité de mon caractère. Du reste, je m'en remets à la volonté de Dieu.

D. Nous vous remercions d'être venue à notre appel, et ne doutons pas que Dieu vous comble de ses bontés. - R. Merci. Puisse Dieu vous bénir et vous faire à tous, en mourant, éprouver les joies si pures qui m'ont été départies !

CLARA RIVIER

Clara Rivier était une jeune fille de dix ans, appartenant à une famille de laboureurs dans un village du midi de la France ; elle était complètement infirme depuis quatre ans. Pendant sa vie, elle n'a jamais fait entendre une seule plainte, ni donné un seul signe d'impatience ; quoique dépourvue d'instruction, elle consolait sa famille affligée en l'entretenant de la vie future et du bonheur qu'elle devait y trouver. Elle est morte en septembre 1862, après quatre jours de tortures et de convulsions, pendant lesquelles elle n'a pas cessé de prier Dieu. «Je ne crains pas la mort, disait-elle, puisqu'une vie de bonheur m'est réservée après.» Elle disait à son père qui pleurait : «Console-toi, je reviendrai te visiter ; mon heure est proche, je le sens ; mais, quand elle arrivera, je le saurai et te préviendrai d'avance.» En effet lorsque le moment fatal fut sur le point de s'accomplir, elle appela tous les siens en disant : «Je n'ai plus que cinq minutes à vivre ; donnez-moi vos mains.» Et elle expira comme elle l'avait annoncé.

Depuis lors, un Esprit frappeur est venu visiter la maison des époux Rivier, où il bouleverse tout ; il frappe la table, comme s'il avait une massue ; il agite les draperies et les rideaux, remue la vaisselle. Cet esprit apparaît sous la forme de Clara à la jeune soeur de celle-ci qui n'a que cinq ans. D'après cette enfant, sa soeur lui a souvent parlé, et ces apparitions lui font souvent pousser des cris de joie, et dire : «Mais voyez donc comme Clara est jolie !»

1. Evocation de Clara Rivier. - R. Je suis près de vous disposée à répondre.

2. D'où venaient, quoique si jeune et sans instruction, les idées élevées que vous exprimiez sur la vie future avant votre mort ? - R. Du peu de temps que j'avais à passer sur votre globe et de ma précédente incarnation. J'étais médium lorsque je quittai la terre, et j'étais médium en revenant parmi vous. C'était une prédestination ; je sentais et je voyais ce que je disais.

3. Comment se fait-il qu'une enfant de votre âge n'ait poussé aucune plainte pendant quatre années de souffrances ? - R. Parce que la souffrance physique était maîtrisée par une puissance plus grande, celle de mon ange gardien, que je voyais continuellement près de moi ; il savait alléger tout ce que je ressentais ; il rendait ma volonté plus forte que la douleur.

4. Comment avez-vous été prévenue de l'instant de votre mort ? - R. Mon ange gardien me le disait ; jamais il ne m'a trompée.

5. Vous aviez dit à votre père : «Console-toi, je viendrai te visiter.» Comment se fait-il qu'animée d'aussi bons sentiments pour vos parents, vous veniez les tourmenter après votre mort, en faisant du tapage chez eux ? - R. J'ai sans doute une épreuve, ou plutôt une mission à remplir. Si je viens revoir mes parents, croyez-vous que ce soit pour rien ? Ces bruits, ce trouble, ces luttes amenées par ma présence sont un avertissement. Je suis aidée par d'autres Esprits dont la turbulence a une portée, comme j'ai la mienne en apparaissant à ma soeur. Grâce à nous, bien des convictions vont naître. Mes parents avaient une épreuve à subir ; elle cessera bientôt, mais seulement après avoir porté la conviction dans une foule d'esprits.

6. Ainsi, ce n'est pas vous personnellement qui causez ce trouble ? - R. Je suis aidée par d'autres Esprits qui servent à l'épreuve réservée à mes chers parents.

7. Comment se fait-il que votre soeur vous ait reconnue, si ce n'est pas vous qui produisiez ces manifestations ? - R. Ma soeur n'a vu que moi. Elle possède maintenant une seconde vue, et ce n'est pas la dernière fois que ma présence viendra la consoler et l'encourager.

8. Pourquoi, si jeune, avez-vous été affligée de tant d'infirmités ? - R. J'avais des fautes antérieures à expier ; j'avais mésusé de la santé et de la position brillante dont je jouissais dans ma précédente incarnation ; alors Dieu m'a dit : «Tu as joui grandement, démesurément, tu souffriras de même, tu étais orgueilleuse, tu seras humble ; tu étais fière de ta beauté et tu seras brisée ; au lieu de la vanité, tu t'efforceras d'acquérir la charité et la bonté.» J'ai fait selon la volonté de Dieu et mon ange gardien m'a aidée.

9. Voudriez-vous faire dire quelque chose à vos parents ? - R. A la demande d'un médium, mes parents ont fait beaucoup de charité ; ils ont eu raison de ne pas toujours prier des lèvres : il faut le faire de la main et du coeur. Donner à ceux qui souffrent, c'est prier, c'est être spirite.

Dieu a donné à toutes les âmes le libre arbitre, c'est-à-dire la faculté de progresser ; à toutes il a donné la même aspiration, et c'est pour cela que la robe de bure touche de plus près la robe brochée d'or qu'on ne le pense généralement. Aussi, rapprochez les distances par la charité ; introduisez le pauvre chez vous, encouragez-le, relevez-le, ne l'humiliez pas. Si l'on savait pratiquer partout cette grande loi de la conscience, on n'aurait pas, à des époques déterminées, ces grandes misères qui déshonorent les peuples civilisés, et que Dieu envoie pour les châtier et pour leur ouvrir les yeux.

Chers parents, priez Dieu, aimez-vous, pratiquez la loi du Christ : ne pas faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait : implorez Dieu qui vous éprouve, en vous montrant que sa volonté est sainte et grande comme lui. Sachez, en prévision de l'avenir, vous armer de courage et de persévérance, car vous êtes appelés encore à souffrir : il faut savoir mériter une bonne position dans un monde meilleur, où la compréhension de la justice divine devient la punition des mauvais Esprits.

Je serai toujours près de vous, chers parents. Adieu, ou plutôt au revoir. Ayez la résignation, la charité, l'amour de vos semblables, et vous serez heureux un jour.

CLARA.

C'est une belle pensée que celle-ci : «La robe de bure touche de plus près qu'on ne croit à la robe brochée d'or.» C'est une allusion aux Esprits qui, d'une existence à l'autre, passent d'une position brillante à une position humble ou misérable, car souvent ils expient dans un milieu infime l'abus qu'ils ont fait des dons que Dieu leur avait accordés. C'est une justice que tout le monde comprend.

Une autre pensée, non moins profonde, est celle qui attribue les calamités des peuples à l'infraction à la loi de Dieu, car Dieu châtie les peuples comme il châtie les individus. Il est certain que s'ils pratiquaient la loi de charité, il n'y aurait ni guerres, ni grandes misères. C'est à la pratique de cette foi que conduit le Spiritisme ; serait-ce donc pour cela qu'il rencontre des ennemis si acharnés ? Les paroles de cette jeune fille à ses parents sont-elles celles d'un démon ?

FRANÇOISE VERNHES

Aveugle de naissance, fille d'un métayer des environs de Toulouse, morte en 1855, à l'âge de quarante-cinq ans. Elle s'occupait constamment à enseigner le catéchisme aux enfants pour les préparer à leur première communion. Le catéchisme ayant été changé, elle n'eut aucune difficulté à leur apprendre le nouveau, car elle les savait tous les deux par coeur. Un soir d'hiver, revenant d'une excursion à plusieurs lieues en compagnie de sa tante, il fallait traverser une forêt par des chemins affreux et pleins de boue, les deux femmes devaient marcher avec précaution sur le bord des fossés. Sa tante voulait la conduire par la main, mais elle lui répondit : Ne vous mettez point en peine de moi, je ne cours aucun danger de tomber, je vois sur mon épaule une lumière qui me guide, suivez-moi, c'est moi qui vais vous conduire. Elles arrivèrent ainsi chez elles sans accident, l'aveugle conduisant celle qui avait l'usage de ses yeux.

Evocation à Paris en mai 1865.

D. Auriez-vous la bonté de nous donner l'explication de la lumière qui vous guidait dans cette nuit obscure, et qui n'était visible que pour vous ? - R. Comment ! des personnes qui, comme vous, sont en rapport continuel avec les Esprits ont besoin d'une explication pour un fait semblable ! C'était mon ange gardien qui me guidait.

D. C'était bien notre opinion, mais nous désirions en avoir la confirmation. Aviez-vous à ce moment conscience que c'était votre ange gardien qui vous servait de guide ? - R. Non, j'en conviens ; cependant je croyais à une protection céleste. J'avais si longtemps prié notre Dieu bon et clément d'avoir pitié de moi !... et c'est si cruel d'être aveugle !... Oui, c'est bien cruel ; mais je reconnais aussi que c'est justice. Ceux qui pèchent par les yeux doivent être punis par les yeux, et ainsi de toutes les facultés dont les hommes sont doués et dont ils abusent. Ne cherchez donc pas, aux nombreuses infortunes qui affligent l'humanité, d'autre cause que celle qui lui est naturelle : l'expiation ; expiation qui n'est méritoire que lorsqu'elle est subie avec soumission, et qui peut être adoucie, si, par la prière, on attire les influences spirituelles qui protègent les coupables du pénitencier humain, et versent l'espérance et la consolation dans les coeurs affligés et souffrants.

D. Vous vous étiez vouée à l'instruction religieuse des enfants pauvres ; avez-vous eu de la peine à acquérir les connaissances nécessaires à l'enseignement du catéchisme que vous saviez par coeur, malgré votre cécité, et quoiqu'il eût été changé ? - R. Les aveugles ont, en général, les autres sens doubles, si je peux m'exprimer ainsi. L'observation n'est pas une des moindres facultés de leur nature. Leur mémoire est comme un casier où sont placés avec ordre, et pour n'en disparaître jamais, les enseignements dont ils ont les tendances et les aptitudes ; rien d'extérieur n'étant capable de troubler cette faculté, il en résulte qu'elle peut être développée d'une manière remarquable par l'éducation. Ce n'était pas le cas où je me trouvais, car je n'avais point reçu d'éducation. Je n'en remercie que plus Dieu d'avoir permis qu'elle le fût assez pour me permettre de remplir ma mission de dévouement auprès de ces jeunes enfants. C'était en même temps une réparation pour le mauvais exemple que je leur avais donné dans ma précédente existence. Tout est sujet sérieux pour les spirites ; ils n'ont pour cela qu'à regarder autour d'eux, et cela leur serait plus utile que de se laisser égarer par les subtilités philosophiques de certains Esprits qui se moquent d'eux, en flattant leur orgueil par des phrases à grand effet, mais vides de sens.

D. A votre langage, nous vous jugeons avancée intellectuellement, de même que votre conduite sur la terre est une preuve de votre avancement moral. - R. J'ai grandement à acquérir ; encore ; mais il en est beaucoup sur la terre qui passent pour ignorants parce que leur intelligence est voilée par l'expiation ; mais à la mort ces voiles tombent, et ces pauvres ignorants sont souvent plus instruits que ceux dont ils excitaient les dédains. Croyez-moi, l'orgueil est la pierre de touche à laquelle on reconnaît les hommes. Tous ceux dont le coeur est accessible à la flatterie, ou qui ont trop de confiance dans leur science, sont dans la mauvaise voie ; en général, ils ne sont pas sincères ; méfiez-vous-en. Soyez humbles comme le Christ, et portez comme lui votre croix avec amour, afin d'avoir accès dans le royaume des cieux.

FRANÇOISE VERNHES.

ANNA BITTER

Etre frappé par la perte d'un enfant adoré est un chagrin cuisant ; mais voir un enfant unique donnant les plus belles espérances, sur lequel on a concentré ses seules affections, dépérir sous ses yeux, s'éteindre sans souffrances par une cause inconnue, une de ces bizarreries de la nature qui déroutent la sagacité de la science ; avoir épuisé inutilement toutes les ressources de l'art et acquis la certitude qu'il n'y a aucun espoir, et endurer cette angoisse de chaque jour pendant de longues années sans prévoir le terme, est un supplice cruel que la fortune augmente, loin de l'adoucir, parce qu'on a l'espoir d'en voir jouir un être chéri.

Telle était la situation du père d'Anna Bitter ; aussi un sombre désespoir s'était emparé de son âme, et son caractère s'aigrissait de plus en plus à la vue de ce spectacle navrant dont l'issue ne pouvait être que fatale quoique indéterminée. Un ami de la famille, initié au Spiritisme, crut devoir interroger son Esprit protecteur à ce sujet, et en reçut la réponse suivante :

«Je veux bien te donner l'explication de l'étrange phénomène que tu as sous les yeux, parce que je sais qu'en me la demandant tu n'es point mû par une indiscrète curiosité, mais par l'intérêt que tu portes à cette pauvre enfant, et parce qu'il en sortira pour toi, croyant à la justice de Dieu, un enseignement profitable. Ceux que le Seigneur veut frapper doivent courber leur front et non le maudire et se révolter, car il ne frappe jamais sans cause. La pauvre jeune fille, dont le Tout-Puissant avait suspendu l'arrêt de mort, doit bientôt revenir parmi nous, car Dieu a eu pitié d'elle, et son père, ce malheureux parmi les hommes, doit être frappé dans la seule affection de sa vie, pour s'être joué du coeur et de la confiance de ceux qui l'entourent. Un moment son repentir a touché le Très-Haut, et la mort a suspendu son glaive sur cette tête si chère ; mais la révolte est revenue, et le châtiment suit toujours la révolte. Heureux lorsque c'est sur cette terre que vous êtes châtiés ! Priez, mes amis, pour cette pauvre enfant, dont la jeunesse rendra les derniers moments difficiles ; la sève est si abondante dans ce pauvre être, malgré son état de dépérissement, que l'âme s'en détachera avec peine. Oh ! priez ; plus tard elle vous aidera, et elle-même vous consolera, car son Esprit est plus élevé que ceux des personnes qui l'entourent.

«C'est par une permission spéciale du Seigneur que j'ai pu répondre à ce que tu m'as demandé, parce qu'il faut que cet Esprit soit aidé pour que le dégagement soit plus facile pour lui.»

Le père est mort après avoir subi le vide de l'isolement de la perte de son enfant. Voici les premières communications que l'un et l'autre ont données après leur mort.

La fille. Merci, mon ami, de vous être intéressé à la pauvre enfant, et d'avoir suivi les conseils de votre bon guide. Oui, grâce à vos prières, j'ai pu quitter plus facilement mon enveloppe terrestre, car mon père, hélas ! lui ne priait pas : il maudissait. Je ne lui en veux pas cependant : c'était par suite de sa grande tendresse pour moi. Je prie Dieu de lui faire la grâce d'être éclairé avant de mourir ; je l'excite, je l'encourage ; ma mission est d'adoucir ses derniers instants. Parfois un rayon de lumière divine semble pénétrer jusqu'à lui ; mais ce n'est qu'un éclair passager, et il retombe bientôt dans ses premières idées. Il n'y a en lui qu'un germe de foi étouffé par les intérêts du monde, et que de nouvelles épreuves plus terribles pourront seules développer ; je le crains bien du moins. Quant à moi, je n'avais qu'un reste d'expiation à subir, c'est pourquoi elle n'a pas été bien douloureuse ni bien difficile. Dans mon étrange maladie, je ne souffrais pas ; j'étais plutôt un instrument d'épreuve pour mon père, car il souffrait plus de me voir en cet état que je ne souffrais moi-même ; j'étais résignée, et il ne l'était pas. Aujourd'hui j'en suis récompensée, Dieu m'a fait la grâce d'abréger mon séjour sur la terre, et je l'en remercie. Je suis heureuse au milieu des bons Esprits qui m'entourent ; tous nous vaquons à nos occupations avec joie, car l'inactivité serait un cruel supplice.

(Le père, un mois environ après sa mort.) D. Notre but, en vous appelant, est de nous enquérir de votre situation dans le monde des Esprits, pour vous être utiles si c'est en notre pouvoir. - R. Le monde des Esprits ! je n'en vois point. Je ne vois que les hommes que j'ai connus et dont aucun ne pense à moi et ne me regrette ; au contraire, ils semblent être contents d'être débarrassés de moi.

D Vous rendez-vous bien compte de votre situation ? - R. Parfaitement. Pendant quelque temps j'ai cru être encore de votre monde, mais maintenant je sais très bien que je n'en suis plus.

D. Comment se fait-il alors que vous ne voyiez pas d'autres Esprits autour de vous ? - R. Je l'ignore ; tout est pourtant clair autour de moi.

D. Est-ce que vous n'avez pas revu votre fille ? - R. Non ; elle est morte ; je la cherche, je l'appelle inutilement. Quel vide affreux sa mort m'a laissé sur la terre ! En mourant, je me disais que je la retrouverais sans doute ; mais rien ; toujours l'isolement autour de moi ; personne qui m'adresse une parole de consolation et d'espérance. Adieu ; je vais chercher mon enfant.

Le guide du médium. Cet homme n'était ni athée, ni matérialiste ; mais il était de ceux qui croient vaguement, sans se préoccuper de Dieu ni de l'avenir, absorbés qu'ils sont par les intérêts de la terre. Profondément égoïste, il eût sans doute tout sacrifié pour sauver sa fille, mais il eût aussi sacrifié sans scrupule tous les intérêts d'autrui à son profit personnel. Hors sa fille, il n'avait d'attachement pour personne. Dieu l'en a puni, comme vous le savez ; il lui a enlevé sa seule consolation sur la terre, et comme il ne s'est pas repenti, elle lui est également enlevée dans le monde des Esprits. Il ne s'intéressait à personne sur la terre, personne ne s'intéresse à lui ici ; il est seul, abandonné : c'est là sa punition. Sa fille est près de lui cependant, mais il ne la voit pas ; s'il la voyait, il ne serait pas puni. Que fait-il ? s'adresse-t-il à Dieu ? se repent-il ? Non ; il murmure toujours ; il blasphème même ; il fait, en un mot, comme il faisait sur la terre. Aidez-le, par la prière et les conseils, à sortir de son aveuglement.

JOSEPH MAITRE, aveugle


Joseph Maître appartenait à la classe moyenne de la société ; il jouissait d'une modeste aisance qui le mettait à l'abri du besoin. Ses parents lui avaient fait donner une bonne éducation et le destinaient à l'industrie, mais à vingt ans il devint aveugle. Il est mort en 1845, vers sa cinquantième année. Une seconde infirmité vint le frapper ; environ dix ans avant sa mort, il était devenu complètement sourd ; de sorte que ses rapports avec les vivants ne pouvaient avoir lieu que par le toucher. Ne plus voir était déjà bien pénible, mais ne plus entendre était un cruel supplice pour celui qui, ayant joui de toutes ses facultés, devait mieux encore ressentir les effets de cette double privation. Qui avait pu lui mériter ce triste sort ? Ce n'était pas sa dernière existence, car sa conduite avait toujours été exemplaire ; il était bon fils, d'un caractère doux et bienveillant, et lorsqu'il se vit, par surcroît, privé de l'ouïe, il accepta cette nouvelle épreuve avec résignation, et jamais on ne l'entendit murmurer une plainte. Ses discours dénotaient une parfaite lucidité d'esprit, et une intelligence peu commune.

Une personne qui l'avait connu, présumant qu'on pourrait retirer d'utiles instructions d'un entretien avec son Esprit en l'appelant, reçut de lui la communication suivante, en réponse aux questions qui lui furent adressées.

(Paris, 1863.)

Mes amis, je vous remercie de vous être souvenus de moi, quoique peut-être vous n'y eussiez pas songé, si vous n'aviez pas espéré tirer quelque profit de ma communication ; mais je sais qu'un motif plus sérieux vous anime ; c'est pourquoi je me rends avec plaisir à votre appel, puisqu'on veut bien me le permettre, heureux de pouvoir servir à votre instruction. Puisse mon exemple ajouter aux preuves si nombreuses que des Esprits vous donnent de la justice de Dieu.

Vous m'avez connu aveugle et sourd, et vous vous êtes demandé ce que j'avais fait pour mériter un sort pareil ; je vais vous le dire. Sachez d'abord que c'est la seconde fois que j'ai été privé de la vue. Dans ma précédente existence, qui eut lieu au commencement du siècle dernier, je devins aveugle à l'âge de trente ans par suite d'excès de tout genre qui avaient ruiné ma santé et affaibli mes organes ; c'était déjà une punition pour avoir abusé des dons que j'avais reçus de la Providence, car j'étais largement doué ; mais, au lieu de reconnaître que j'étais la première cause de mon infirmité, j'en accusais cette même Providence, à laquelle, du reste, je croyais peu. J'ai blasphémé contre Dieu, je l'ai renié, je l'ai accusé, en disant que, s'il existait, il devait être injuste et méchant, puisqu'il faisait ainsi souffrir ses créatures. J'aurais dû m'estimer heureux au contraire de n'être pas, comme tant d'autres misérables aveugles, obligé de mendier mon pain. Mais, non ; je ne songeais qu'à moi et à la privation des jouissances qui m'était imposée. Sous l'empire de ces idées et de mon manque de foi, j'étais devenu acariâtre exigeant, insupportable en un mot pour ceux qui m'entouraient. La vie était désormais sans but pour moi ; je ne songeais pas à l'avenir que je regardais comme une chimère. Après avoir inutilement épuisé toutes les ressources de la science, voyant ma guérison impossible, je résolus d'en finir plus tôt, et je me suicidai.

A mon réveil, hélas ! j'étais plongé dans les mêmes ténèbres que pendant ma vie. Je ne tardai pas cependant à reconnaître que je n'appartenais plus au monde corporel, mais j'étais un Esprit aveugle. La vie d'outre-tombe était donc une réalité ! en vain j'essayai de me l'ôter pour me plonger dans le néant : je me heurtais dans le vide. Si cette vie devait être éternelle, comme je l'avais entendu dire, je serais donc pendant l'éternité dans cette situation ? Cette pensée était affreuse. Je ne souffrais point, mais vous dire les tourments et les angoisses de mon esprit est chose impossible. Combien de temps cela dura-t-il ? je l'ignore ; mais que ce temps me parut long !

Epuisé, harassé, j'eus enfin un retour sur moi-même ; je compris qu'une puissance supérieure s'appesantissait sur moi ; je me dis que si cette puissance pouvait m'accabler, elle pouvait aussi me soulager, et j'implorai sa pitié. A mesure que je priais et que ma ferveur s'augmentait, quelque chose me disait que cette cruelle position aurait un terme. La lumière se fit enfin ; mon ravissement fut extrême lorsque j'entrevis les célestes clartés, et que je distinguai les Esprits qui m'entouraient en souriant avec bienveillance et ceux qui flottaient, radieux, dans l'espace. Je voulus suivre leurs traces, mais une force invisible me retint. Alors l'un d'eux me dit : «Dieu, que tu as méconnu, t'a tenu compte de ton retour à lui, et il nous a permis de te rendre la lumière, mais tu n'as cédé qu'à la contrainte et à la lassitude. Si tu veux désormais participer au bonheur dont on jouit ici, il faut prouver la sincérité de ton repentir et de tes bons sentiments en recommençant ton épreuve terrestre, dans des conditions où tu seras exposé à retomber dans les mêmes fautes, car cette nouvelle épreuve sera plus rude encore que la première.» J'acceptai avec empressement, me promettant bien de ne plus faillir.

Je suis donc revenu sur la terre dans l'existence que vous connaissez. Je n'eus pas de peine à être bon car je n'étais pas méchant par nature ; je m'étais révolté contre Dieu, et Dieu m'avait puni. J'y revins avec la foi innée, c'est pourquoi je ne murmurai plus contre lui et j'acceptai ma double infirmité avec résignation et comme une expiation qui devait avoir sa source dans la souveraine justice. L'isolement où je me suis trouvé dans les dernières années n'avait rien de désespérant, parce que j'avais foi en l'avenir et en la miséricorde de Dieu ; il m'a été très profitable, car pendant cette longue nuit, où tout était silence, mon âme, plus libre, s'élançait vers l'Eternel, et entrevoyait l'infini par la pensée. Quand est venue la fin de mon exil, le monde des Esprits n'a eu pour moi que des splendeurs et d'ineffables jouissances.

La comparaison avec le passé me fait trouver ma situation très heureuse relativement, et j'en rends grâces à Dieu ; mais, lorsque je regarde en avant, je vois combien je suis encore loin du parfait bonheur. J'ai expié, il me faut réparer maintenant. Ma dernière existence n'a été profitable qu'à moi seul ; j'espère bientôt en recommencer une nouvelle où je pourrai être utile aux autres ; ce sera la réparation de mon inutilité précédente ; alors seulement j'avancerai dans la voie bénie, ouverte à tous les Esprits de bonne volonté.

Voilà mon histoire, mes amis, si mon exemple peut éclairer quelques-uns de mes frères incarnés et leur éviter le bourbier où je suis tombé, j'aurai commencé à acquitter ma dette.



[1]Saint Augustin, par le médium auquel il se communique d'habitude à la Société.


[2]Privé de sang. Décoloration de la peau par la privation de sang.


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