CHAPITRE VI - CRIMINELS REPENTANTS
VERGER, assassin de l'archevêque de Paris
Le 3 janvier 1857, Mgr Sibour, archevêque de Paris, en sortant de l'église de Saint-Etienne du Mont, fut frappé mortellement par un jeune prêtre nommé Verger. Le coupable fut condamné à mort et exécuté le 30 janvier. Jusqu'au dernier moment il n'a témoigné ni regret, ni repentir, ni sensibilité.
Evoqué le jour même de son exécution, il fit les réponses suivantes :
1. Evocation. - R. Je suis encore retenu dans mon corps.
2. Est-ce que votre âme n'est pas entièrement dégagée de votre corps ? - R. Non... j'ai peur... je ne sais... Attendez que je me reconnaisse... je ne suis pas mort, n'est-ce pas ?
3. Vous repentez-vous de ce que vous avez fait ? - R. J'ai eu tort de tuer ; mais j'y ai été poussé par mon caractère qui ne pouvait souffrir les humiliations... Vous m'évoquerez une autre fois.
4. Pourquoi voulez-vous déjà vous en aller ? - R. J'aurais trop peur si je le voyais ; je craindrais qu'il ne m'en fît autant.
5. Mais vous n'avez rien à craindre puisque votre âme est séparée de votre corps ; bannissez toute inquiétude : elle n'est pas raisonnable. - R. Que voulez-vous ? êtes-vous toujours maître de vos impressions ?... Je ne sais où je suis... je suis fou.
6. Tâchez de vous remettre. - R. Je ne puis, puisque je suis fou... Attendez !... Je vais rappeler toute ma lucidité.
7. Si vous priiez, cela pourrait vous aider à recueillir vos idées ? - R. Je crains... je n'ose prier.
8. Priez, la miséricorde de Dieu est grande ! Nous allons prier avec vous. - R. Oui, la miséricorde de Dieu est infinie ; je l'ai toujours cru.
9. Maintenant, vous rendez-vous mieux compte de votre position ? - R. C'est si extraordinaire que je ne peux encore me rendre compte.
10. Voyez-vous votre victime ? - R. Il me semble entendre une voix qui ressemble à la sienne, et qui me dit : Je ne t'en veux pas... mais c'est un effet de mon imagination !... Je suis fou, vous dis-je, car je vois mon propre corps d'un côté et ma tête de l'autre... et cependant il me semble que je vis, mais dans l'espace, entre la terre et ce que vous appelez le ciel... Je sens même le froid d'un couteau tombant sur mon cou... mais c'est la peur que j'ai de mourir... il me semble que je vois quantité d'Esprits autour de moi, me regardant avec compassion... ils me causent, mais je ne les comprends pas.
11. Parmi ces Esprits y en a-t-il un dont la présence vous humilie à cause de votre crime ? - R. Je vous dirai qu'il n'y en a qu'un que je redoute, c'est celui que j'ai frappé.
12. Vous rappelez-vous vos existences antérieures ? - R. Non, je suis dans le vague... je crois rêver... une autre fois ; il faut que je me reconnaisse.
13. (Trois jours plus tard.) Vous reconnaissez-vous mieux maintenant ? - R. Je sais maintenant que je ne suis plus de ce monde, et je ne le regrette pas. J'ai regret de ce que j'ai fait, mais mon Esprit est plus libre ; je sais mieux qu'il y a une série d'existences qui nous donnent les connaissances utiles pour devenir parfaits autant que la créature le peut.
14. Etes-vous puni pour le crime que vous avez commis ? - R. Oui ; j'ai regret de ce que j'ai fait et j'en souffre.
15. De quelle manière êtes-vous puni ? - R. J'en suis puni, car je reconnais ma faute et j'en demande pardon à Dieu ; j'en suis puni par la conscience de mon manque de foi en Dieu, et parce que je sais maintenant que nous ne devons point trancher les jours de nos frères ; j'en suis puni par le remords d'avoir retardé mon avancement en faisant fausse route, et n'ayant point écouté le cri de ma conscience qui me disait que ce n'était point en tuant que j'arriverais à mon but ; mais je me suis laissé dominer par l'orgueil et la jalousie ; je me suis trompé et je m'en repens, car l'homme doit toujours faire des efforts pour maîtriser ses mauvaises passions, et je ne l'ai point fait.
16. Quel sentiment éprouvez-vous quand nous vous évoquons ? - R. Un plaisir et une crainte, car je ne suis pas méchant.
17. En quoi consistent ce plaisir et cette crainte ? - R. Un plaisir de m'entretenir avec les hommes, et de pouvoir en partie réparer ma faute en l'avouant. Une crainte que je ne saurais définir, une sorte de honte d'avoir été meurtrier.
18. Voudriez-vous être réincarné sur cette terre ? - R. Oui, je le demande, et je désire me trouver constamment en butte d'être tué et d'en avoir peur.
Mgr Sibour étant évoqué, dit qu'il pardonnait à son meurtrier et priait pour son retour au bien. Il ajouta que, quoique présent, il ne s'était point montré à lui pour ne pas augmenter sa souffrance ; la crainte de le voir, qui était un signe de remords, étant déjà un châtiment.
D. L'homme qui commet un meurtre sait-il, en choisissant son existence, qu'il deviendra assassin ? - R. Non ; il sait que, choisissant une vie de lutte, il y a chance pour lui de tuer un de ses semblables ; mais il ignore s'il le fera, car il y a presque toujours eu lutte en lui.
La situation de Verger, au moment de sa mort, est celle de presque tous ceux qui périssent de mort violente. La séparation de l'âme ne s'opérant point d'une manière brusque, ils sont comme étourdis et ne savent s'ils sont morts ou vivants. La vue de l'archevêque lui est épargnée, parce qu'elle n'était pas nécessaire pour exciter en lui le remords, tandis que d'autres, au contraire, sont incessamment poursuivis par les regards de leurs victimes.
A l'énormité de son crime, Verger avait ajouté de ne s'en être point repenti avant de mourir ; il était donc dans toutes les conditions voulues pour encourir la condamnation éternelle. Cependant, à peine a-t-il quitté la terre que le repentir pénètre son âme ; il répudie son passé et demande sincèrement à le réparer. Ce n'est pas l'excès des souffrances qui l'y pousse, puisqu'il n'a pas eu le temps de souffrir ; c'est donc le seul cri de sa conscience qu'il n'a pas écouté pendant sa vie et qu'il entend maintenant. Pourquoi donc ne lui en serait-il pas tenu compte ? Pourquoi, à quelques jours de distance, ce qui l'eût sauvé de l'enfer ne le pourrait-il plus ? Pourquoi Dieu, qui eût été miséricordieux avant la mort, serait-il sans pitié quelques heures plus tard ?
On pourrait s'étonner de la rapidité du changement qui s'opère parfois dans les idées d'un criminel endurci jusqu'au dernier moment, et chez qui le passage dans l'autre vie suffit pour lui faire comprendre l'iniquité de sa conduite. Cet effet est loin d'être général, sans cela il n'y aurait point de mauvais Esprits ; le repentir est souvent très tardif, aussi la peine est-elle prolongée en conséquence.
L'obstination dans le mal pendant la vie est parfois une suite de l'orgueil qui refuse de plier et d'avouer ses torts ; puis l'homme est sous l'influence de la matière qui jette un voile sur ses perceptions spirituelles, et le fascine. Ce voile tombé, une lumière subite l'éclaire, et il se trouve comme dégrisé. Le prompt retour à de meilleurs sentiments est toujours l'indice d'un certain progrès moral accompli qui ne demande qu'une circonstance favorable pour se révéler, tandis que celui qui persiste dans le mal plus ou moins longtemps après la mort, est incontestablement un Esprit plus arriéré, en qui l'instinct matériel étouffe le germe du bien, et à qui il faudra encore de nouvelles épreuves pour s'amender.
LEMAIRE
condamné à la peine de mort par la Cour d'Assises de l'Aisne, et exécuté le 31 décembre 1857 ; évoqué le 29 janvier 1858.
1. Evocation. - R. Je suis là.
2. Quel sentiment éprouvez-vous à notre vue ? - R. La honte.
3. Avez-vous conservé votre connaissance jusqu'au dernier moment ? - R. Oui.
4. Immédiatement après votre exécution, avez-vous eu connaissance de votre nouvelle existence ? - R. J'étais plongé dans un trouble immense dont je ne suis pas encore sorti. J'ai senti une immense douleur, et il m'a semblé que mon coeur la souffrait. J'ai vu rouler je ne sais quoi au pied de l'échafaud ; j'ai vu du sang couler, et ma douleur n'en est devenue que plus poignante. - Etait-ce une douleur purement physique, analogue à celle qui serait causée par une grave blessure, par l'amputation d'un membre, par exemple ? - R. Non ; figurez-vous un remords, une grande douleur morale. - D. Quand avez-vous commencé à ressentir cette douleur ? - R. Dès que j'ai été libre.
5. La douleur physique causée par le supplice était-elle ressentie par le corps ou par l'Esprit ? - R. La douleur morale était dans mon esprit ; le corps a ressenti la douleur physique ; mais l'Esprit séparé s'en ressentait encore.
6. Avez-vous vu votre corps mutilé ? - R. J'ai vu je ne sais quoi d'informe qu'il me semblait n'avoir pas quitté ; cependant, je me sentais encore entier : j'étais moi-même. - D. Quelle impression cette vue a-t-elle faite sur vous ? - R. Je sentais trop ma douleur ; j'étais perdu en elle.
7. Est-il vrai que le corps vive encore quelques instants après la décapitation, et que le supplicié ait conscience de ses idées ? - R. L'Esprit se retire peu à peu ; plus les liens de la matière l'enlacent, moins la séparation est prompte.
8. On dit avoir remarqué sur la figure de certains suppliciés l'expression de la colère et des mouvements comme s'ils voulaient parler ; est-ce l'effet d'une contraction nerveuse ou d'un acte de la volonté ? - R. La volonté ; car l'Esprit ne s'en était pas encore retiré.
9. Quel est le premier sentiment que vous avez éprouvé en entrant dans votre nouvelle existence ? - R. Une intolérable souffrance ; une sorte de remords poignant dont j'ignorais la cause.
10. Vous êtes-vous trouvé réuni à vos complices exécutés en même temps que vous ? - R. Pour notre malheur ; notre vue est un supplice continuel ; chacun de nous reproche à l'autre son crime.
11. Rencontrez-vous vos victimes ? - R. Je les vois... elles sont heureuses... leur regard me poursuit... je le sens qui plonge jusqu'au fond de mon être... en vain je veux le fuir. - Quel sentiment éprouvez-vous à leur vue ? - R. La honte et le remords. Je les ai élevées de mes propres mains, et je les hais encore. - Quel sentiment éprouvent-elles à votre vue ? - R. La pitié.
12. Ont-elles de la haine et le désir de la vengeance ? - R. Non ; leurs voeux appellent sur moi l'expiation. Vous ne sauriez sentir quel horrible supplice de tout devoir à qui l'on hait.
13. Regrettez-vous la vie terrestre ? - R. Je ne regrette que mes crimes. Si l'événement était encore entre mes mains, je ne succomberais plus.
14. Le penchant au mal était-il dans votre nature, ou bien avez-vous été entraîné par le milieu où vous avez vécu ? - R. Le penchant au crime était dans ma nature, car je n'étais qu'un Esprit inférieur. J'ai voulu m'élever promptement ; mais j'ai demandé plus que mes forces. Je me suis cru fort, j'ai choisi une rude épreuve ; j'ai cédé aux tentations du mal.
15. Si vous aviez reçu de bons principes d'éducation, auriez-vous pu être détourné de la vie criminelle ? - R. Oui ; mais j'ai choisi la position où je suis né. - Auriez-vous pu faire un homme de bien ? - R. Un homme faible, incapable du bien comme du mal. Je pouvais corriger le mal de ma nature pendant mon existence, mais je ne pouvais m'élever jusqu'à faire le bien.
16. De votre vivant, croyiez-vous en Dieu ? R. Non. - On dit cependant qu'au moment de mourir vous vous êtes repenti ; est-ce vrai ? - R. J'ai cru à un Dieu vengeur... j'ai eu peur de sa justice. - En ce moment, votre repentir est-il plus sincère ? - R. Hélas ! je vois ce que j'ai fait. - Que pensez-vous de Dieu maintenant ? - R. Je le sens et ne le comprends pas.
17. Trouvez-vous juste le châtiment qui vous a été infligé sur la terre ? - R. Oui.
18. Espérez-vous obtenir le pardon de vos crimes ? - R. Je ne sais. - Comment espérez-vous les racheter ? - R. Par de nouvelles épreuves ; mais il me semble que l'éternité est entre elles et moi.
19. Où êtes-vous maintenant ? - R. Je suis dans ma souffrance. - Nous vous demandons à quelle place vous êtes ? - R. Près du médium.
20. Puisque vous êtes ici, si nous pouvions vous voir, sous quelle forme nous apparaîtriez-vous ? - R. Sous ma forme corporelle ; la tête séparée du tronc. - Pourriez-vous nous apparaître ? - R. Non ; laissez-moi.
21. Voudriez-vous nous dire comment vous vous êtes évadé de la prison de Montdidier ? R. Je ne sais plus... ma souffrance est si grande, que je n'ai plus que le souvenir du crime... Laissez-moi.
22. Pourrions-nous apporter quelque soulagement à vos souffrances ? - R. Faites des voeux pour que l'expiation arrive.
BENOIST
(Bordeaux, mars 1862.)
Un Esprit se présente spontanément au médium, sous le nom de Benoist, dit être mort en 1704 et endurer d'horribles souffrances.
1. Qu'étiez-vous de votre vivant ? - R. Moine sans foi.
2. Le manque de croyance est-il votre seule faute ? - R. Il suffit pour entraîner les autres.
3. Pouvez-vous nous donner quelques détails sur votre vie ? La sincérité de vos aveux vous sera comptée. - R. Sans fortune et paresseux, j'ai pris les ordres, non par vocation, mais pour avoir une position. Intelligent, je me suis fait une place ; influent, j'ai abusé du pouvoir ; vicieux, j'ai entraîné dans les désordres ceux que j'avais mission de sauver ; dur, j'ai persécuté ceux qui avaient l'air de blâmer mes excès ; les in pace ont été remplis par mes soins. La faim a torturé bien des victimes ; leurs cris se sont souvent éteints sous la violence. Depuis, j'expie et je souffre toutes les tortures de l'enfer ; mes victimes attisent le feu qui me dévore. La luxure et la faim inassouvies me poursuivent ; la soif irrite mes lèvres brûlantes sans jamais y laisser tomber une goutte rafraîchissante ; tous les éléments s'acharnent après moi. Priez pour moi.
4. Les prières que l'on fait pour les trépassés vous doivent être attribuées comme aux autres ? - R. Croyez-vous qu'elles soient bien édifiantes. Elles ont pour moi la valeur de celles que j'avais l'air de faire. Je n'ai pas accompli ma tâche, je n'en trouve pas le salaire.
5. Ne vous êtes-vous jamais repenti ? - R. Il y a longtemps ; mais il n'est venu qu'après la souffrance. Comme j'ai été sourd aux cris de victimes innocentes, le Maître est sourd à mes cris. Justice !
6. Vous reconnaissez la justice du Seigneur ; confiez-vous à sa bonté et appelez-le à votre aide. - R. Les démons hurlent plus fort que moi ; les cris étouffent dans ma gorge ; ils remplissent ma bouche de poix bouillante !... Je l'ai fait, grand... (L'Esprit ne peut écrire le mot Dieu.)
7. N'êtes-vous donc pas encore assez séparé des idées terrestres pour comprendre que les tortures que vous endurez sont toutes morales ? - R Je les endure, je les sens, je vois mes bourreaux ; ils ont tous une figure bien connue ; ils ont tous un nom qui retentit dans mon cerveau.
8. Qu'est-ce qui pouvait vous pousser à toutes ces infamies ? - R. Les vices dont j'étais imbu ; la brutalité des passions.
9. N'avez-vous jamais imploré l'assistance des bons Esprits pour vous aider à sortir de cette position ? - R. Je ne vois que les démons de l'enfer.
10. En aviez-vous peur de votre vivant ? - R. Non, rien ; le néant, c'était ma foi ; les plaisirs à tout prix, c'était mon culte. Divinités de l'enfer, elles ne m'ont point abandonné ; je leur ai consacré ma vie, elles ne me quitteront plus !
11. N'entrevoyez-vous pas un terme à vos souffrances ? - R. L'infini n'a pas de terme.
12. Dieu est infini dans sa miséricorde ; tout peut avoir une fin quand il le veut. - R. S'il pouvait vouloir !
13. Pourquoi êtes-vous venu vous inscrire ici ? - R. Je ne sais pas comment ; mais j'ai voulu parler, comme je voudrais crier pour me soulager.
14. Vos démons ne vous empêchent-ils pas d'écrire ? - R. Non, mais ils sont devant moi, ils m'entendent ; c'est pourquoi je ne voudrais pas finir.
15. Est-ce la première fois que vous écrivez ainsi ? - R. Oui. - Saviez-vous que les Esprits pussent s'approcher ainsi des hommes ? - R. Non. - Comment donc avez-vous pu le comprendre ? - R. Je ne sais pas.
16. Qu'avez-vous éprouvé pour venir près de moi ? - R. Un engourdissement dans mes terreurs.
17. Comment vous êtes-vous aperçu que vous étiez ici ? - R. Comme on se réveille.
18. Comment avez-vous fait pour vous mettre en rapport avec moi ? - R. Je ne comprends pas ; n'as-tu pas senti, toi ?
19. Il ne s'agit pas de moi, mais de vous ; tâchez de vous rendre compte de ce que vous faites en ce moment quand j'écris. - R. Tu es ma pensée, voilà tout.
20. Vous n'avez donc pas eu la volonté de me faire écrire ? - R. Non, c'est moi qui écris, tu penses par moi.
21. Tâchez de vous rendre compte ; les bons Esprits qui nous entourent vous y aideront. - R. Non, les anges ne viennent pas en enfer. Tu n'es pas seule ? - Voyez autour de vous. - R. Je sens qu'on m'aide à penser en toi... ta main m'obéit... je ne te touche pas, et je te tiens... je ne comprends pas.
22. Demandez l'assistance de vos protecteurs ; nous allons prier ensemble. - R. Tu veux me quitter ? Reste avec moi ; ils vont me reprendre. Je t'en prie, reste ! reste !
23. Je ne peux pas rester plus longtemps. Revenez tous les jours ; nous prierons ensemble et les bons Esprits vous aideront. - R. Oui, je voudrais ma grâce. Demandez pour moi ; moi, je ne peux pas.
Le guide du médium. Courage, mon enfant ; il lui sera accordé ce que tu demandes, mais l'expiation est encore loin d'être terminée. Les atrocités qu'il a commises sont sans nom et sans nombre, et il est d'autant plus coupable qu'il avait l'intelligence, l'instruction et la lumière pour se guider. Il a donc failli en connaissance de cause ; aussi ses souffrances sont terribles ; mais avec le secours et l'exemple de la prière elles s'adouciront, parce qu'il en verra le terme possible, et l'espoir le soutiendra. Dieu le voit sur la route du repentir, et il lui a fait grâce de pouvoir se communiquer afin qu'il soit encouragé et soutenu. Pense donc souvent à lui ; nous te le laissons pour le fortifier dans les bonnes résolutions qu'il pourra prendre, aidé de tes conseils. Au repentir succédera en lui le désir de la réparation ; c'est alors qu'il demandera lui-même une nouvelle existence sur terre pour pratiquer le bien au lieu du mal qu'il a fait, et lorsque Dieu sera satisfait de lui, et le verra bien affermi, il lui fera entrevoir les divines clartés qui le conduiront au port du salut, et le recevra dans son sein comme l'enfant prodigue. Aie confiance, nous t'aiderons à accomplir ton oeuvre.
PAULIN.
Nous avons placé cet Esprit parmi les criminels, bien qu'il n'ait pas été frappé par la justice humaine, parce que le crime consiste dans les actes, et non dans le châtiment infligé par les hommes. Il en est de même du suivant.
L'ESPRIT DE CASTELNAUDARY
Dans une petite maison, près de Castelnaudary avaient lieu des bruits étranges et diverses manifestations qui la faisaient regarder comme hantée par quelque mauvais génie. Pour ce fait, elle fut exorcisée en 1848, sans résultat. Le propriétaire, M. D..., ayant voulu l'habiter, y mourut subitement quelques années après ; son fils, qui voulut, l'habiter ensuite, reçut un jour, en entrant dans un appartement, un vigoureux soufflet donné par une main inconnue ; comme il était parfaitement seul, il ne put douter qu'il ne lui vînt d'une source occulte, c'est pourquoi il résolut de la quitter définitivement. Il y a, dans le pays, une tradition selon laquelle un grand crime aurait été commis dans cette maison.
L'Esprit qui avait donné le soufflet ayant été évoqué à la Société de Paris, en 1859, se manifesta par des signes de violence ; tous les efforts pour le calmer furent impuissants. Saint Louis, interrogé à son sujet répondit : «C'est un Esprit de la pire espèce, un véritable monstre ; nous l'avons fait venir, mais nous n'avons pu le contraindre à écrire, malgré tout ce qui lui a été dit ; il a son libre arbitre : le malheureux en fait un triste usage.»
D. Cet Esprit est-il susceptible d'amélioration ? - R. Pourquoi non ? Ne le sont-ils pas tous, celui-là comme les autres ? Il faut cependant s'attendre à trouver des difficultés ; mais, quelque pervers qu'il soit, le bien, rendu pour le mal finira par le toucher. Que l'on prie d'abord et qu'on l'évoque dans un mois, vous pourrez juger du changement qui se sera opéré en lui.
L'Esprit évoqué de nouveau plus tard se montre plus traitable, puis peu à peu soumis et repentant. Des explications fournies par lui et par d'autres Esprits, il résulte qu'en 1608 il habitait cette maison, où il avait assassiné son frère par soupçon de jalouse rivalité en le frappant à la gorge pendant qu'il dormait, et quelques années après, celle dont il avait fait sa femme, après la mort de son frère. Il mourut en 1659 à l'âge de quatre-vingts ans, sans avoir été poursuivi pour ces meurtres, auxquels on faisait peu d'attention dans ces temps de confusion. Depuis sa mort, il n'avait cessé de chercher à faire le mal, et avait provoqué plusieurs accidents arrivés dans cette maison. Un médium voyant qui assistait à la première évocation, le vit au moment où on a voulu le faire écrire ; il secouait fortement le bras du médium : son aspect était effrayant ; il était vêtu d'une chemise couverte de sang, et tenait un poignard.
1. D. A saint Louis. Veuillez nous décrire le genre de supplice de cet Esprit. - R. Il est atroce pour lui ; il a été condamné au séjour de la maison où le crime a été commis, sans pouvoir diriger sa pensée sur autre chose que sur ce crime, toujours devant ses yeux, et il se croit condamné à cette torture pour l'éternité. Il se voit constamment au moment où il a commis son crime ; tout autre souvenir lui est retiré, et toute communication avec un autre Esprit, interdite ; il ne peut, sur terre, se tenir que dans cette maison, et s'il est dans l'espace, il y est dans les ténèbres et dans la solitude.
2. Y aurait-il un moyen de le faire déloger de cette maison, et quel serait-il ? - R. Si l'on veut se débarrasser des obsessions de semblables Esprits cela est facile en priant pour eux : c'est ce qu'on néglige toujours de faire. On préfère les effrayer par des formules d'exorcisme qui les divertissent beaucoup.
3. En donnant aux personnes intéressées l'idée de prier pour lui, et en priant nous-mêmes, le ferait-on déloger ? - R. Oui, mais remarquez que j'ai dit de prier, et non de faire prier.
4. Voilà deux siècles qu'il est dans cette situation ; apprécie-t-il ce temps comme il l'eût fait de son vivant ; c'est-à-dire le temps lui paraît-il aussi long ou moins long que s'il était vivant ? - R. Il lui paraît plus long : le sommeil n'existe pas pour lui.
5. Il nous a été dit que pour les Esprits, le temps n'existe pas, et que, pour eux, un siècle est un point dans l'éternité ; il n'en est donc pas de même pour tous ? - R. Non, certes, il n'en est ainsi que pour les Esprits arrivés à un degré très élevé d'avancement ; mais pour les Esprits inférieurs, le temps est quelquefois bien long, surtout quand ils souffrent.
6. D'où venait cet Esprit avant son incarnation ? - R. Il avait eu une existence parmi les peuplades les plus féroces et les plus sauvages, et précédemment il venait d'une planète inférieure à la terre.
7. Cet Esprit est puni bien sévèrement pour le crime qu'il a commis ; s'il a vécu parmi les peuplades barbares, il a dû y commettre des actes non moins atroces que le dernier ; en a-t-il été puni de même ? - R. Il en a été moins puni, parce que, plus ignorant, il en comprenait moins la portée.
8. L'état où se trouve cet Esprit est-il celui des êtres vulgairement appelés damnés ? - R. Absolument ; et il y en a de bien plus affreux encore. Les souffrances sont loin d'être les mêmes pour tous, même pour des crimes semblables, car elles varient selon que le coupable est plus ou moins accessible au repentir. Pour celui-ci, la maison où il a commis son crime est son enfer ; d'autres le portent en eux, par les passions qui les tourmentent et qu'ils ne peuvent assouvir.
9. Cet Esprit, malgré son infériorité, ressent les bons effets de la prière ; nous avons vu la même chose pour d'autres Esprits également pervers et de la nature la plus brute ; comment se fait-il que des Esprits plus éclairés, d'une intelligence plus développée, montrent une absence complète de bons sentiments ; qu'ils se rient de tout ce qu'il y a de plus sacré ; en un mot, que rien ne les touche, et qu'il n'y a aucune trêve dans leur cynisme ? - R. La prière n'a d'effet qu'en faveur de l'Esprit qui se repent ; celui qui, poussé par l'orgueil, se révolte contre Dieu et persiste dans ses égarements en les exagérant encore, comme le font de malheureux Esprits, sur ceux-là la prière ne peut rien, et ne pourra rien que du jour où une lueur de repentir se sera manifestée chez eux. L'inefficacité de la prière est encore pour eux un châtiment ! elle ne soulage que ceux qui ne sont pas tout à fait endurcis.
10. Lorsqu'on voit un Esprit inaccessible aux bons effets de la prière, est-ce une raison pour s'abstenir de prier pour lui ? - R. Non, sans doute, car tôt ou tard elle pourra triompher de son endurcissement et faire germer en lui des pensées salutaires.
Il en est de même de certains malades sur lesquels les remèdes n'agissent qu'à la longue ; l'effet n'en est pas appréciable sur le moment ; sur d'autres, au contraire, ils opèrent promptement. Si l'on se pénètre de cette vérité que tous les Esprits sont perfectibles, et qu'aucun n'est éternellement et fatalement voué au mal, on comprendra que, tôt ou tard, la prière aura son effet, et que celle qui parait inefficace au premier abord n'en dépose pas moins des germes salutaires qui prédisposent l'Esprit au bien, si elle ne le touche pas immédiatement. Ce serait donc un tort de se décourager, parce qu'on ne réussit pas tout de suite.
11. Si cet Esprit se réincarnait, dans quelle catégorie d'individus se trouverait-il ? - R. Cela dépendra de lui et du repentir qu'il éprouvera.
Plusieurs entretiens avec cet Esprit amenèrent chez lui un notable changement dans son état moral. Voici quelques-unes de ses réponses.
12. A l'Esprit. Pourquoi n'avez-vous pas pu écrire la première fois que nous vous avons appelé ? - R. Je ne le voulais pas.
Pourquoi ne le vouliez-vous pas ? - R. Ignorance et abrutissement.
13. Vous pouvez donc quitter maintenant quand vous voulez la maison de Castelnaudary ? - R. On me le permet, parce que je profite de vos bons conseils.
En éprouvez-vous du soulagement ? - R. Je commence à espérer.
14. Si nous pouvions vous voir, sous quelle apparence vous verrions-nous ? - R. Vous me verriez en chemise, sans poignard. - D. Pourquoi n'auriez-vous plus votre poignard ; qu'en avez-vous fait ? - Je le maudis ; Dieu m'en épargne la vue.
15. Si M. D... fils (celui qui avait reçu le soufflet) retournait dans la maison, lui feriez-vous du mal ? - R. Non, car je suis repentant. - D. Et s'il voulait encore vous braver ? - R. Oh ! ne me demandez pas ça ! je ne pourrais me dominer, ce serait au-dessus de mes forces... car je ne suis qu'un misérable.
16. Entrevoyez-vous la fin de vos peines ? - R. Oh ! pas encore ; c'est déjà beaucoup plus que je ne mérite de savoir, grâce à votre intercession, qu'elles ne dureront pas toujours.
17. Veuillez nous décrire la situation où vous étiez avant que nous ne vous ayons appelé pour la première fois. Vous comprenez que nous vous demandons cela pour avoir un moyen de vous être utile, et non par un motif de curiosité. - R. Je vous l'ai dit, je n'avais conscience de rien au monde que de mon crime, et ne pouvais quitter la maison où je l'ai commis que pour m'élever dans l'espace où tout autour de moi était solitude et obscurité ; je ne saurais vous donner une idée de ce que c'est, je n'y ai jamais rien compris ; dès que je m'élevais au-dessus de l'air, c'était noir, c'était vide ; je ne sais ce que c'était. Aujourd'hui, j'éprouve beaucoup plus de remords, et je ne suis plus contraint de rester dans cette maison fatale ; il m'est permis d'errer sur terre, et de chercher à m'éclairer par mes observations ; mais alors je n'en comprends que mieux l'énormité de mes forfaits ; et si je souffre moins d'un côté, mes tortures augmentent de l'autre par le remords ; mais au moins j'ai l'espérance.
18. Si vous devriez reprendre une existence corporelle, laquelle choisiriez-vous ? - R. Je n'ai pas encore assez vu et assez réfléchi pour le savoir.
19. Pendant votre long isolement, et l'on peut dire votre captivité, avez-vous eu des remords ? - R. Pas le moindre, et c'est pour cela que j'ai si longtemps souffert ; c'est seulement quand j'ai commencé à en éprouver qu'ont été provoqués, à mon insu, les circonstances qui ont amené mon évocation à laquelle je dois le commencement de ma délivrance. Merci donc à vous qui avez eu pitié de moi et m'avez éclairé.
Nous avons vu en effet des avares souffrir de la vue de l'or, qui pour eux était devenu une véritable chimère ; des orgueilleux tourmentés par la jalousie des honneurs qu'ils voyaient rendre, et qui ne s'adressaient pas à eux ; des hommes qui avaient commandé sur la terre, humiliés par la puissance invisible qui les contraignait d'obéir, et par la vue de leurs subordonnés qui ne pliaient plus devant eux ; les athées subir les angoisses de l'incertitude, et se trouver dans un isolement absolu au milieu de l'immensité, sans rencontrer aucun être qui pût les éclairer. Dans le monde des Esprits, s'il y a des joies pour toutes les vertus, il y a des peines pour toutes les fautes ; et celles que n'atteint pas la loi des hommes sont toujours frappées par la loi de Dieu.
Il est en outre à remarquer que les mêmes fautes, quoique commises dans des conditions identiques, sont punies par des châtiments quelquefois fort différents, selon le degré d'avancement intellectuel de l'Esprit. Aux Esprits les plus arriérés, et d'une nature brute comme celui dont il s'agit ici, sont infligées des peines en quelque sorte plus matérielles que morales, tandis que c'est le contraire pour ceux dont l'intelligence et la sensibilité sont plus développées. Il faut aux premiers des châtiments appropriés à la rudesse de leur écorce pour leur faire comprendre les désagréments de leur position, et leur inspirer le désir d'en sortir ; c'est ainsi que la seule honte, par exemple, qui ne ferait que peu ou point d'impression sur eux, sera intolérable pour les autres.
Dans ce code pénal divin, la sagesse, la bonté et la prévoyance de Dieu pour ses créatures se révèlent jusque dans les plus petites choses ; tout est proportionné ; tout est combiné avec une admirable sollicitude pour faciliter aux coupables les moyens de se réhabiliter ; il leur est tenu compte des moindres bonnes aspirations de l'âme. Selon les dogmes des peines éternelles, au contraire, dans l'enfer sont confondus les grands et les petits coupables, les coupables d'un jour et les cent fois récidivistes, les endurcis et les repentants ; tout est calculé pour les maintenir au fond de l'abîme ; aucune planche de salut ne leur est offerte ; une seule faute peut y précipiter à jamais, sans qu'il soit tenu compte du bien qu'on a fait. De quel côté trouve-t-on la véritable justice et la véritable bonté ?
Cette évocation n'est donc point le fait du hasard ; comme elle devait être utile à ce malheureux, les Esprits qui veillaient sur lui, voyant qu'il commençait à comprendre l'énormité de ses crimes, ont jugé que le moment était venu de lui donner un secours efficace, et c'est alors qu'ils ont amené les circonstances propices. C'est un fait que nous avons vu se produire bien des fois.
On a demandé, à ce sujet, ce qu'il serait advenu de lui s'il n'avait pu être évoqué, et ce qu'il en est de tous les Esprits souffrants qui ne peuvent pas l'être ou auxquels on ne songe pas. A cela il est répondu que les voies de Dieu, pour le salut de ses créatures, sont innombrables ; l'évocation est un moyen de les assister, mais ce n'est certainement pas le seul, et Dieu n'en laisse aucune dans l'oubli. D'ailleurs, les prières collectives doivent avoir sur les Esprits, accessibles au repentir, leur part d'influence.
Dieu ne pouvait subordonner le sort des Esprits souffrants aux connaissances et à la bonne volonté des hommes. Dès que ceux-ci purent établir des rapports réguliers avec le monde invisible, un des premiers résultats du Spiritisme fut de leur apprendre les services qu'à l'aide de ces rapports ils pouvaient rendre à leurs frères désincarnés. Dieu a voulu, par ce moyen, leur prouver la solidarité qui existe entre tous les êtres de l'univers, et donner une loi de nature pour base au principe de la fraternité. En ouvrant ce champ nouveau à l'exercice de la charité, il leur montre le côté vraiment utile et sérieux des évocations, détournées jusqu'alors de leur but providentiel par l'ignorance et la superstition. Les Esprits souffrants n'ont donc, à aucune époque, manqué de secours, et si les évocations leur ouvrent une nouvelle voie de salut, les incarnés y gagnent peut-être plus encore, en ce qu'elles sont pour eux de nouvelles occasions de faire le bien, tout en s'instruisant sur le véritable état de la vie future.
JACQUES LATOUR
assassin, condamné par la cour d'assises de Foix, et exécuté en septembre 1864.
Dans une réunion spirite intime de sept à huit personnes, qui eut lieu à Bruxelles, le 13 septembre 1864, et à laquelle nous assistions, une dame médium fut priée d'écrire ; aucune évocation spéciale n'étant faite, elle trace avec une agitation extraordinaire, en très gros caractères, et après avoir violemment raturé le papier, ces mots :
«Je me repens ! je me repens ! Latour.»
Surpris de cette communication inattendue, que rien n'avait provoquée, car nul ne songeait à ce malheureux dont la plupart même des assistants ignoraient la mort, on adresse à l'Esprit quelques paroles de commisération et d'encouragement ; puis on lui fait cette question :
Quel motif a pu vous engager à venir parmi nous plutôt qu'ailleurs, puisque nous ne vous avons pas appelé ?
Le médium, qui est aussi médium parlant, répond de vive voix :
«J'ai vu que vous étiez des âmes compatissantes et que vous prendriez pitié de moi, tandis que d'autres m'évoquent plus par curiosité que par véritable charité, ou bien s'éloignent de moi avec horreur.»
Alors a commencé une scène indescriptible qui n'a pas duré moins d'une demi-heure. Le médium joignant à la parole, les gestes et l'expression de la physionomie, il est évident que l'Esprit s'est identifié avec sa personne : parfois ses accents de désespoir sont si déchirants, il peint ses angoisses et ses souffrances avec un ton si navrant, ses supplications sont si véhémentes, que tous les assistants en sont profondément émus.
Quelques-uns même étaient effrayés de la surexcitation du médium, mais nous pensions que la communication d'un Esprit qui se repent et qui implore la pitié n'offrait aucun danger. S'il a emprunté les organes du médium, c'est pour mieux dépeindre sa situation et intéresser davantage à son sort, mais non, comme les Esprits obsesseurs et possesseurs, en vue de s'emparer de lui pour le dominer. Cela lui a sans doute été permis dans son propre intérêt, et peut-être aussi pour l'instruction des personnes présentes.
Il s'écrie :
«Oh ! oui, de la pitié ! j'en ai bien besoin, car vous ne savez pas ce que je souffre !... non, vous ne le savez pas ; vous ne pouvez pas le comprendre... c'est horrible !... La guillotine !... qu'est-ce que cela à côté de ce que j'endure maintenant ? Ce n'est rien ; c'est un instant. Mais ce feu qui me dévore, c'est pire *c'est une mort continuelle ; c'est une souffrance qui ne laisse ni trêve ni repos... qui n'a point de fin !
«Et mes victimes qui sont là, autour de moi... qui me montrent leurs plaies..., qui me poursuivent de leurs regards !... Elles sont là, devant moi..., je les vois toutes... oui, toutes..., je les vois toutes ; je ne puis les éviter !... Et cette mare de sang !... et cet or souillé de sang !... tout est là ! toujours devant moi !... Sentez-vous l'odeur du sang ?... Du sang, toujours du sang !... Les voilà, ces pauvres victimes ; elles m'implorent... et moi, sans pitié, je frappe... je frappe... je frappe toujours !... Le sang m'enivre !
«Je croyais qu'après ma mort tout serait fini ; c'est pourquoi j'ai bravé le supplice ; j'ai bravé Dieu, je l'ai renié !... Et voilà que, quand je me croyais anéanti pour toujours, un réveil terrible se fait... ; oh ! oui, terrible !... je suis entouré de cadavres, de figures menaçantes... je marche dans le sang... Je croyais être mort, et je vis !... C'est affreux !... c'est horrible ! plus horrible que tous les supplices de la terre !
«Oh ! si tous les hommes pouvaient savoir ce qu'il y a au-delà de la vie ! ils sauraient ce qu'il en coûte de faire le mal ; il n'y aurait plus d'assassins, plus de criminels, plus de malfaiteurs ! Je voudrais que tous les assassins puissent voir ce que je vois et ce que j'endure... Oh ! non, il n'y en aurait plus... c'est trop affreux de souffrir ce que je souffre !
«Je sais bien que je l'ai mérité, ô mon Dieu car je n'ai point eu pitié de mes victimes ; j'ai repoussé leurs mains suppliantes quand elles me demandaient de les épargner. Oui, j'ai moi-même été cruel ; je les ai lâchement tuées pour avoir leur or !... J'ai été impie ; je vous ai renié ; j'ai blasphémé votre saint nom... J'ai voulu m'étourdir ; c'est pourquoi je voulais me persuader que vous n'existiez pas* O mon Dieu ! je suis un grand criminel ! Je le comprends maintenant. Mais n'auriez-vous pas pitié de moi ?... Vous êtes Dieu, c'est-à-dire la bonté, la miséricorde ! Vous êtes tout-puissant !
«Pitié, Seigneur ! oh ! pitié ! pitié ! Je vous en prie, ne soyez pas inflexible ; délivrez-moi de cette vue odieuse, de ces images horribles..., de ce sang... de mes victimes dont les regards me percent jusqu'au coeur comme des coups de poignard.
«Vous qui êtes ici, qui m'écoutez, vous êtes de bonnes âmes, des âmes charitables ; oui, je le vois, vous aurez pitié de moi, n'est-ce pas ? Vous prierez pour moi... Oh ! je vous en supplie ! ne me repoussez pas. Vous demanderez à Dieu de m'ôter cet horrible spectacle de devant les yeux ; il vous écoutera, parce que vous êtes bons... Je vous en prie, ne me repoussez pas comme j'ai repoussé les autres... Priez pour moi.»
Les assistants, touchés de ses regrets, lui adressèrent des paroles d'encouragement et de consolation. Dieu, lui dit-on, n'est point inflexible ; ce qu'il demande au coupable, c'est un repentir sincère et le désir de réparer le mal qu'il a fait. Puisque votre coeur n'est point endurci, et que vous lui demandez pardon de vos crimes, il étendra sur vous sa miséricorde, si vous persévérez dans vos bonnes résolutions pour réparer le mal que vous avez fait. Vous ne pouvez sans doute pas rendre à vos victimes la vie que vous leur avez ôtée, mais, si vous le demandez avec ferveur, Dieu vous accordera de vous retrouver avec elles dans une nouvelle existence, où vous pourrez leur montrer autant de dévouement que vous avez été cruel ; et quand il jugera la réparation suffisante, vous rentrerez en grâce auprès de lui. La durée de votre châtiment est ainsi entre vos mains ; il dépend de vous de l'abréger ; nous vous promettons de vous aider de nos prières, et d'appeler sur vous l'assistance des bons Esprits. Nous allons dire à votre intention la prière contenue dans l'Evangile selon le Spiritisme pour les Esprits souffrants et repentants. Nous ne dirons pas celle pour les mauvais Esprits, parce que, dès lors que vous vous repentez, que vous implorez Dieu, et renoncez à faire le mal, vous n'êtes plus à nos yeux qu'un Esprit malheureux, et non mauvais.
Cette prière dite, et après quelques instants de calme, l'Esprit reprend :
«Merci, mon Dieu !... oh ! merci ! vous avez eu pitié de moi ; ces horribles images s'éloignent... Ne m'abandonnez pas... envoyez-moi vos bons Esprits pour me soutenir... Merci.»
Après cette scène, le médium est, pendant quelque temps, brisé et anéanti ; ses membres sont courbaturés. Il a le souvenir, d'abord confus, de ce qui vient de se passer ; puis, peu à peu il se rappelle quelques-unes des paroles qu'il a prononcées, et qu'il disait malgré lui ; il sentait que ce n'était pas lui qui parlait.
Le lendemain, dans une nouvelle réunion, l'Esprit se manifeste encore, et recommence, pendant quelques minutes seulement, la scène de la veille, avec la même pantomime expressive, mais moins violente ; puis il écrit, par le même médium, avec une agitation fébrile, les paroles suivantes :
«Merci de vos prières ; déjà une amélioration sensible se produit en moi. J'ai prié Dieu avec tant de ferveur, qu'il a permis que, pour un moment, mes souffrances soient soulagées ; mais je les verrai encore, mes victimes... Les voilà ! les voilà !... Voyez-vous ce sang ?...»
(La prière de la veille est répétée. L'Esprit continue, en s'adressant au médium) :
«Pardon de m'emparer de vous. Merci du soulagement que vous apportez à mes souffrances ; pardon à vous de tout le mal que je vous ai occasionné ; mais j'ai besoin de me manifester ; vous seule pouvez...
«Merci ! merci ! un peu de soulagement se produit ; mais je ne suis pas au bout de mes épreuves. Bientôt encore mes victimes reviendront. Voilà la punition ; je l'ai méritée, mon Dieu, mais soyez indulgent.
«Vous tous, priez pour moi ; ayez pitié de moi.»
LATOUR.
Un membre de la Société spirite de Paris, qui avait prié pour ce malheureux Esprit et l'avait évoqué, en obtint les communications suivantes, à différents intervalles :
I
J'ai été évoqué presque aussitôt après ma mort, et je n'ai pu me communiquer de suite, mais beaucoup d'Esprits légers ont pris mon nom et ma place. J'ai profité de la présence à Bruxelles du président de la Société de Paris, et avec la permission des Esprits supérieurs, je me suis communiqué.
Je viendrai me communiquer à la Société, et je ferai des révélations qui seront un commencement de réparation de mes fautes, et qui pourront servir d'enseignement à tous les criminels qui me liront et qui réfléchiront au récit de mes souffrances.
Les discours sur les peines de l'enfer font peu d'effet sur l'esprit des coupables, qui ne croient pas à toutes ces images, effrayantes pour les enfants et les hommes faibles. Or, un grand malfaiteur n'est pas un Esprit pusillanime, et la crainte des gendarmes agit plus sur lui que le récit des tourments de l'enfer. Voilà pourquoi tous ceux qui me liront seront frappés de mes paroles, de mes souffrances qui ne sont pas des suppositions. Il n'y a pas un seul prêtre qui puisse dire : «j'ai vu ce que je vous dis, j'ai assisté aux tortures des damnés.» Mais, lorsque je viendrai dire : «Voilà ce qui s'est passé après la mort de mon corps ; voilà quel a été mon désenchantement, en reconnaissant que je n'étais pas mort, comme je l'avais espéré, et que ce que j'avais pris pour la fin de mes souffrances était le commencement de tortures impossibles à décrire !» alors, plus d'un s'arrêtera sur le bord du précipice où il allait tomber, chaque malheureux que j'arrêterai ainsi dans la voie du crime servira à racheter une de mes fautes. C'est ainsi que le bien sort du mal, et que la bonté de Dieu se manifeste partout, sur la terre comme dans l'espace.
Il m'a été permis d'être affranchi de la vue de mes victimes, qui sont devenues mes bourreaux, afin de me communiquer à vous ; mais en vous quittant je les reverrai, et cette seule pensée me fait souffrir plus que je ne peux dire. Je suis heureux lorsqu'on m'évoque, car alors je quitte mon enfer pour quelques instants. Priez toujours pour moi ; priez le Seigneur pour qu'il me délivre de la vue de mes victimes.
Oui, prions ensemble, la prière fait tant de bien !... Je suis plus allégé ; je ne sens plus autant la pesanteur du fardeau qui m'accable. Je vois une lueur d'espérance qui luit à mes yeux, et plein de repentir, je m'écrie : Bénie soit la main de Dieu ; que sa volonté soit faite ?*
II
LE MEDIUM. - Au lieu de demander à Dieu de vous délivrer de la vue de vos victimes, je vous engage à prier avec moi pour lui demander la force de supporter cette torture expiatoire,
LATOUR. - J'aurais préféré être délivré de la vue de mes victimes. Si vous saviez ce que je souffre ?* L'homme le plus insensible serait ému s'il pouvait voir, imprimées sur ma figure comme avec le feu, les souffrances de mon âme. Je ferai ce que vous me conseillez. Je comprends que c'est un moyen un peu plus prompt d'expier mes fautes. C'est comme une opération douloureuse qui doit rendre la santé à mon corps bien malade.
Ah ! si les coupables de la terre pouvaient me voir, qu'ils seraient effrayés des conséquences de leurs crimes qui, cachés aux yeux des hommes sont vus par les Esprits ! Que l'ignorance est fatale à tant de pauvres gens !
Quelle responsabilité assument ceux qui refusent l'instruction aux classes pauvres de la société ! Ils croient qu'avec les gendarmes et la police, ils peuvent prévenir les crimes. Comme ils sont dans l'erreur !
III
Les souffrances que j'endure sont horribles, mais depuis vos prières, je me sens assisté par de bons Esprits qui me disent d'espérer. Je comprends l'efficacité du remède héroïque que vous m'avez conseillé, et je prie le Seigneur de m'accorder la force de supporter cette dure expiation. Elle est égale, je puis le dire, au mal que j'ai fait. Je ne veux pas chercher à excuser mes forfaits ; mais du moins, sauf les quelques instants de terreur qui ont précédé, pour chacune de mes victimes, le moment de la mort, la douleur, une fois le crime commis, a cessé pour elles, et celles qui avaient terminé leurs épreuves terrestres sont allées recevoir la récompense qui les attendait. Mais, depuis mon retour dans le monde des Esprits, je n'ai pas cessé, excepté dans les moments bien courts où je me suis communiqué, de souffrir les douleurs de l'enfer.
Les prêtres, malgré leur tableau effrayant des peines que ressentent les réprouvés, n'ont qu'une idée bien faible des véritables souffrances que la justice de Dieu inflige à ses enfants qui ont violé sa loi d'amour et de charité. Comment faire croire à des gens raisonnables qu'une âme, c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas matériel, puisse souffrir au contact du feu matériel ? C'est absurde, et voilà pourquoi tant de criminels se rient de ces peintures fantastiques de l'enfer. Mais il n'en est pas de même de la douleur morale qu'endure le condamné, après la mort physique.
Priez pour moi, pour que le désespoir ne s'empare pas de moi.
IV
Je vous remercie du but que vous me faites entrevoir, but glorieux auquel je sais que je parviendrai lorsque je me serai purifié. Je souffre beaucoup, et cependant il me semble que mes souffrances diminuent. Je ne puis croire que, dans le monde des Esprits, la douleur diminue parce qu'on s'y habitue peu à peu. Non. Je comprends que vos bonnes prières ont accru mes forces, et si mes douleurs sont les mêmes, ma force étant plus grande, je souffre moins.
Ma pensée se reporte sur ma dernière existence, sur les fautes que j'aurais pu éviter si j'avais su prier. Je comprends aujourd'hui l'efficacité de la prière ; je comprends la force de ces femmes honnêtes et pieuses, faibles selon la chair, mais fortes par leur foi ; je comprends ce mystère que ne comprennent pas les faux savants de la terre. Prière ! ce mot seul excite la risée des esprits forts. Je les attends dans le monde et lorsque le voile qui leur dérobe la vérité se déchirera pour eux, à leur tour ils viendront se prosterner aux pieds de l'Eternel qu'ils ont méconnu, et ils seront heureux de s'humilier pour se relever de leurs péchés et de leurs forfaits ! Ils comprendront la vertu de la prière.
Prier, c'est aimer ; aimer, c'est prier ! Alors, ils aimeront le Seigneur et lui adresseront leurs prières d'amour et de reconnaissance, et, régénérés par la souffrance, car ils devront souffrir, ils prieront comme moi pour avoir la force d'expier et de souffrir, et lorsqu'ils auront cessé de souffrir, ils prieront pour remercier le Seigneur du pardon qu'ils auront mérité par leur soumission et leur résignation. Prions frère, pour me fortifier davantage...
Oh ! merci, frère, de ta charité, car je suis pardonné. Dieu me délivre de la vue de mes victimes. Oh ! mon Dieu, soyez béni pendant l'éternité pour la grâce que vous m'accordez ! O mon Dieu ! je sens l'énormité de mes crimes, et je m'abîme devant votre toute-puissance. Seigneur ! je vous aime de tout mon coeur, et je vous demande la grâce de me permettre, lorsque votre volonté m'enverra subir sur la terre de nouvelles épreuves, d'y venir, missionnaire de paix et de charité, apprendre aux enfants à prononcer votre nom avec respect. Je vous demande de pouvoir leur apprendre à vous aimer, vous le Père de toutes les créatures. Oh ! merci, mon Dieu ! Je suis un Esprit repentant, et mon repentir est sincère. Je vous aime, autant que mon coeur si impur peut comprendre ce sentiment, pure émanation de votre divinité. Frère, prions, car mon coeur déborde de reconnaissance. Je suis libre, j'ai brisé mes fers, je ne suis plus un réprouvé, je suis un Esprit souffrant, mais repentant, et je voudrais que mon exemple pût retenir sur le seuil du crime toutes ces mains criminelles que je vois prêtes à se lever. Oh ! arrêtez, frères, arrêtez ! car les tortures que vous vous préparez seront atroces. Ne croyez pas que le Seigneur se laissera toujours aussi promptement fléchir par la prière de ses enfants. Ce sont des siècles de torture qui vous attendent.
Le guide du médium. Tu ne comprends pas, dis-tu, les paroles de l'Esprit. Rends-toi compte de son émotion et de sa reconnaissance envers le Seigneur ; il ne croit pas pouvoir mieux l'exprimer et la témoigner qu'en essayant d'arrêter tous ces criminels qu'il voit et que tu ne peux voir. Il voudrait que ses paroles arrivassent jusqu'à eux, et ce qu'il ne t'a pas dit, parce qu'il l'ignore encore, c'est qu'il lui sera permis de commencer des missions réparatrices. Il ira près de ses complices chercher à leur inspirer le repentir, et à introduire dans leurs coeurs le germe du remords. Quelquefois l'on voit sur la terre des personnes que l'on croyait honnêtes, venir aux pieds d'un prêtre s'accuser d'un crime. C'est le remords qui leur dicte l'aveu de leur faute. Et si le voile qui te sépare du monde invisible se soulevait, tu verrais souvent un Esprit qui fut le complice ou l'instigateur du crime, venir comme le fera Jacques Latour, chercher à réparer sa faute, en inspirant le remords à l'Esprit incarné.
Ton guide protecteur.
Le médium de Bruxelles qui avait eu la première manifestation de Latour, en reçut plus tard la communication suivante :
«Ne craignez plus rien de moi ; je suis plus tranquille, mais je souffre encore cependant. Dieu a eu pitié de moi, car il a vu mon repentir. Maintenant, je souffre de ce repentir qui me montre l'énormité de mes fautes.
«Si j'avais été bien guidé dans la vie, je n'aurais pas fait tout le mal que j'ai fait ; mais mes instincts n'ont pas été réprimés, et j'y ai obéi, n'ayant connu aucun frein. Si tous les hommes pensaient davantage à Dieu, ou du moins si tous les hommes y croyaient, de pareils forfaits ne se commettraient plus.
«Mais la justice des hommes est mal entendue ; pour une faute, quelquefois légère, un homme est enfermé dans une prison qui, toujours, est un lieu de perdition et de perversion. Il en sort complètement perdu par les mauvais conseils et les mauvais exemples qu'il y a puisés. Si cependant sa nature est assez bonne et assez forte pour résister au mauvais exemple, en sortant de prison toutes les portes lui sont fermées, toutes les mains se retirent devant lui, tous les coeurs honnêtes le repoussent. Que lui reste-t-il ? Le mépris et la misère ; l'abandon, le désespoir, s'il sent en lui de bonnes résolutions pour revenir au bien ; la misère le pousse à tout. Lui aussi alors méprise son semblable, le hait, et perd toute conscience du bien et du mal, puisqu'il se voit repoussé, lui qui cependant avait pris la résolution de devenir honnête homme. Pour se procurer le nécessaire, il vole, il tue parfois ; puis on le guillotine !
«Mon Dieu, au moment où mes hallucinations vont me reprendre, je sens votre main qui s'étend vers moi ; je sens votre bonté qui m'enveloppe et me protège. Merci, mon Dieu ! dans ma prochaine existence, j'emploierai mon intelligence, mon bien à secourir les malheureux qui ont succombé et à les préserver de la chute.
«Merci vous qui ne répugnez pas à communiquer avec moi ; soyez sans crainte ; vous voyez que je ne suis pas mauvais. Quand vous pensez à moi, ne vous représentez pas le portrait que vous avez vu de moi, mais représentez-vous une pauvre âme désolée qui vous remercie de votre indulgence.
«Adieu ; évoquez-moi encore, et priez Dieu pour moi.»
LATOUR.
Etude sur l'Esprit de Jacques Latour.
On ne peut méconnaître la profondeur et la haute portée de quelques-unes des paroles que renferme cette communication ; elle offre en outre un des aspects du monde des Esprits châtiés, au-dessus duquel cependant on entrevoit la miséricorde de Dieu. L'allégorie mythologique des Euménides n'est pas aussi ridicule qu'on le croit, et les démons, bourreaux officiels du monde invisible, qui les remplacent dans la croyance moderne, sont moins rationnels, avec leurs cornes et leurs fourches, que ces victimes servant elles-mêmes au châtiment du coupable.
En admettant l'identité de cet Esprit, on s'étonnera peut-être d'un changement aussi prompt dans son état moral ; c'est, ainsi que nous l'avons fait remarquer dans une autre occasion, qu'il y a souvent plus de ressources chez un Esprit brutalement mauvais, que chez celui qui est dominé par l'orgueil, ou qui cache ses vices sous le manteau de l'hypocrisie. Ce prompt retour à de meilleurs sentiments indique une nature plus sauvage que perverse, à laquelle il n'a manqué qu'une bonne direction. En comparant son langage à celui d'un autre criminel mentionné ci-après, sous le titre de : Châtiment par la lumière, il est aisé de voir celui des deux qui est le plus avancé moralement, malgré la différence de leur instruction et de leur position sociale ; l'un obéissait à un instinct naturel de férocité, à une sorte de surexcitation, tandis que l'autre apportait dans la perpétration de ses crimes, le calme et le sang-froid d'une lente et persévérante combinaison, et après sa mort bravait encore le châtiment par orgueil ; il souffre, mais ne veut pas en convenir ; l'autre est dompté immédiatement. On peut ainsi prévoir lequel des deux souffrira le plus longtemps.
«Je souffre, dit l'Esprit de Latour, de ce repentir qui me montre l'énormité de mes fautes». Il y a là une pensée profonde. L'Esprit ne comprend réellement la gravité de ses méfaits que lorsqu'il se repent ; le repentir amène le regret, le remords, sentiment douloureux qui est la transition du mal au bien, de la maladie morale à la santé morale. C'est pour y échapper que les Esprits pervers se raidissent contre la voix de leur conscience, comme ces malades qui repoussent le remède qui doit les guérir ; ils cherchent à se faire illusion, à s'étourdir en persistant dans le mal. Latour est arrivé à cette période où l'endurcissement finit par céder ; le remords est entré dans son coeur ; le repentir s'en est suivi ; il comprend l'étendue du mal qu'il a fait ; il voit son abjection, et il en souffre ; voilà pourquoi il dit : «Je souffre de ce repentir». Dans sa précédente existence, il a dû être pire que dans celle-ci, car s'il se fût repenti comme il le fait aujourd.hui, sa vie eût été meilleure. Les résolutions qu'il prend maintenant influeront sur son existence terrestre future ; celle qu'il vient de quitter, toute criminelle qu'elle ait été, a marqué pour lui une étape de progrès. Il est plus que probable qu'avant de la commencer, il était, dans l'erraticité, un de ces mauvais Esprits rebelles, obstinés dans le mal, comme on en voit tant.
Beaucoup de personnes ont demandé quel profit on pouvait tirer des existences passées, puisqu'on ne se souvient ni de ce que l'on a été ni de ce que l'on a fait.
Cette question est complètement résolue par le fait que, si le mal que nous avons commis est effacé, et s'il n'en reste aucune trace dans notre coeur, le souvenir en serait inutile, puisque nous n'avons pas à nous en préoccuper. Quant à celui dont nous ne nous sommes pas entièrement corrigés, nous le connaissons par nos tendances actuelles ; c'est sur celles-ci que nous devons porter toute notre attention. Il suffit de savoir ce que nous sommes, sans qu'il soit nécessaire de savoir ce que nous avons été.
Quand on considère la difficulté, pendant la vie, de la réhabilitation du coupable le plus repentant, la réprobation dont il est l'objet, on doit bénir Dieu d'avoir jeté un voile sur le passé. Si Latour eût été condamné à temps, et même s'il eût été acquitté, ses antécédents l'eussent fait rejeter de la société. Qui aurait voulu, malgré son repentir, l'admettre dans son intimité ? Les sentiments qu'il manifeste aujourd'hui comme Esprit nous donnent l'espoir que, dans sa prochaine existence terrestre, il sera un honnête homme, estimé et considéré ; mais supposez qu'on sache qu'il a été Latour, la réprobation le poursuivra encore. Le voile jeté sur son passé lui ouvre la porte de la réhabilitation ; il pourra s'asseoir sans crainte et sans honte parmi les plus honnêtes gens.Combien en est-il qui voudraient à tout prix pouvoir effacer de la mémoire des hommes certaines années de leur existence !
Que l'on trouve une doctrine qui se concilie mieux que celle-ci avec la justice et la bonté de Dieu ! Au reste, cette doctrine n'est pas une théorie, mais un résultat d'observations. Ce ne sont point les spirites qui l'ont imaginée ; ils ont vu et observé les différentes situations dans lesquelles se présentent les Esprits ; ils ont cherché à se les expliquer, et de cette explication est sortie la doctrine. S'ils l'ont acceptée, c'est parce qu'elle résulte des faits, et qu'elle leur a paru plus rationnelle que toutes celles émises jusqu'à ce jour sur l'avenir de l'âme.
On ne peut refuser à ces communications un haut enseignement moral ?* L'Esprit a pu être, a même dû être aidé dans ses réflexions et surtout dans le choix de ses expressions, par des Esprits plus avancés ; mais, en pareil cas, ces derniers n'assistent que dans la forme et non dans le fond, et ne mettent jamais l'Esprit inférieur en contradiction avec lui-même. Ils ont pu poétiser chez Latour la forme du repentir, mais ils ne lui auraient point fait exprimer le repentir contre son gré, parce que l'Esprit a son libre arbitre ; ils voyaient en lui le germe de bons sentiments, c'est pourquoi ils l'ont aidé à s'exprimer, et par là ils ont contribué à les développer en même temps qu'ils ont appelé sur lui la commisération.
Est-il rien de plus saisissant, de plus moral, de nature à impressionner plus vivement que le tableau de ce grand criminel repentant, exhalant son désespoir et ses remords ; qui, au milieu de ses tortures, poursuivi par le regard incessant de ses victimes, élève sa pensée vers Dieu pour implorer sa miséricorde ? N'est-ce pas là un salutaire exemple pour les coupables ? On comprend la nature de ses angoisses ; elles sont rationnelles, terribles, quoique simples et sans mise en scène fantasmagorique.
On pourrait s'étonner peut-être d'un si grand changement dans un homme comme Latour ; mais pourquoi n'aurait-il pas eu de repentir ? Pourquoi n'y aurait-il pas en lui une corde sensible vibrante ? Le coupable serait-il donc à jamais voué au mal ? N'arrive-t-il pas un moment où la lumière se fait dans son âme ? Ce moment était arrivé pour Latour. C'est précisément là le côté moral de ses communications ; c'est l'intelligence qu'il a de sa situation ; ce sont ses regrets, ses projets de réparation qui sont éminemment instructifs. Qu'eût-on trouvé d'extraordinaire à ce qu'il se repentit sincèrement avant de mourir, qu'il eût dit avant ce qu'il a dit après ? N'en a-t-on pas de nombreux exemples ?
Un retour au bien avant sa mort eût passé aux yeux de la plupart de ses pareils pour de la faiblesse ; sa voix d'outre-tombe est la révélation de l'avenir qui les attend. Il est dans le vrai absolu quand il dit que son exemple est plus propre à ramener les coupables que la perspective des flammes de l'enfer et même de l'échafaud. Pourquoi donc ne leur donnerait-on pas dans les prisons ? Cela en ferait réfléchir plus d'un, ainsi que nous en avons déjà plusieurs exemples. Mais comment croire à l'efficacité des paroles d'un mort, quand on croit soi-même que quand on est mort tout est fini ? Un jour cependant viendra où l'on reconnaîtra cette vérité que les morts peuvent venir instruire les vivants.
Il y a plusieurs autres instructions importantes à tirer de ces communications ; c'est d'abord la confirmation de ce principe d'éternelle justice, que le repentir ne suffit pas pour placer le coupable au rang des élus. Le repentir est le premier pas vers la réhabilitation qui appelle la miséricorde de Dieu ; c'est le prélude du pardon et de l'abrégement des souffrances ; mais Dieu n'absout pas sans condition ; il faut l'expiation et surtout la réparation ; c'est ce que comprend Latour, et c'est à quoi il se prépare.
En second lieu, si l'on compare ce criminel à celui de Castelnaudary, on trouve une grande différence dans le châtiment qui leur est infligé. Chez ce dernier, le repentir a été tardif et par conséquent la peine plus longue. Cette peine est en outre presque matérielle, tandis que chez Latour la souffrance est plutôt morale ; c'est que, comme nous l'avons dit plus haut, chez l'un l'intelligence était bien moins développée que chez l'autre ; il fallait quelque chose qui pût frapper ses sens obtus ; mais les peines morales n'en sont pas moins cuisantes pour celui qui est arrivé au degré voulu pour les comprendre ; on en peut juger par les plaintes qu'exhale Latour ; ce n'est pas la colère, c'est l'expression des remords bientôt suivie du repentir et du désir de réparer, afin de s'avancer.