CHAPITRE V - SUICIDES
LE SUICIDE DE LA SAMARITAINE
Le 7 avril 1858, vers sept heures du soir, un homme d'une cinquantaine d'années, et vêtu convenablement, se présenta dans l'établissement de la Samaritaine, à Paris, et se fit préparer un bain. Le garçon de service s'étonnant, après un intervalle de deux heures, que cet individu n'appelât pas, se décida à entrer dans son cabinet pour voir s'il n'était pas indisposé. Il fut alors témoin d'un hideux spectacle : ce malheureux s'était coupé la gorge avec un rasoir, et tout son sang s'était mêlé à l'eau de la baignoire. L'identité n'ayant pu être établie, on a transporté le cadavre à la Morgue.
L'esprit de cet homme, évoqué à la Société de Paris, six jours après sa mort, donna les réponses suivantes :
1. Evocation. (Réponse du guide du médium). Attends... il est là.
2. Où êtes-vous maintenant ? - R. Je ne sais... Dites-le moi, où je suis.
3. Vous êtes dans une assemblée de personnes qui s'occupent d'études spirites et qui sont bienveillantes pour vous. - R. Dites-moi si je vis... J'étouffe dans le cercueil.
Son âme, quoique séparée du corps, est encore complètement plongée dans ce qu'on pourrait appeler le tourbillon de la matière corporelle ; les idées terrestres sont encore vivaces ; il ne se croit pas mort.
4. Qui vous a engagé à venir à nous ? - R. Je me suis senti soulagé.
5. Quel motif vous a porté à vous suicider ? - R. Suis-je mort ?... Non pas... j'habite mon corps... Vous ne savez pas combien je souffre !... J'étouffe... Qu'une main compatissante essaye de m'achever !
6. Pourquoi n'avez-vous laissé aucune trace qui pût vous faire reconnaître ? - R. Je suis abandonné ; j'ai fui la souffrance pour trouver la torture.
7. Avez-vous maintenant les mêmes motifs de rester inconnu ? - R. Oui ; ne mettez pas un fer rouge dans la blessure qui saigne.
8. Voudriez-vous nous dire votre nom, votre âge, votre profession, votre domicile ? - R. Non... à tout non.
9. Aviez-vous une famille, une femme, des enfants ? - R. J'étais abandonné ; nul être ne m'aimait.
10. Qu'aviez-vous fait pour n'être aimé de personne ? - R. Combien le sont comme moi !... Un homme peut être abandonné au milieu de sa famille, quand aucun coeur ne l'aime.
11. Au moment d'accomplir votre suicide, n'avez-vous éprouvé aucune hésitation ? - R. J'avais soif de la mort... J'attendais le repos.
12. Comment la pensée de l'avenir ne vous a-t-elle pas fait renoncer à votre projet ? - R. Je n'y croyais plus ; j'étais sans espérance. L'avenir, c'est l'espoir.
13. Quelles réflexions avez-vous faites au moment où vous avez senti la vie s'éteindre en vous ? - R. Je n'ai pas réfléchi ; j'ai senti... Mais ma vie n'est pas éteinte... mon âme est liée à mon corps... Je sens les vers qui me rongent.
14. Quel sentiment avez-vous éprouvé au moment où la mort a été complète ? - R. L'est-elle ?
15. Le moment où la vie s'éteignait en vous a-t-il été douloureux ? - R. Moins douloureux qu'après. Le corps seul a souffert.
16. (A l'Esprit de saint Louis). Qu'entend l'Esprit en disant que le moment de la mort a été moins douloureux qu'après*. - R. L'Esprit se déchargeait d'un fardeau qui l'accablait ; il ressentait la volupté de la douleur.
17. Cet état est-il toujours la suite du suicide ? - R. Oui ; l'Esprit du suicidé est lié à son corps jusqu'au terme de sa vie ; la mort naturelle est l'affranchissement de la vie ; le suicide la brise tout entière.
18. Cet état est-il le même dans toute mort accidentelle indépendante de la volonté, et qui abrège la durée naturelle de la vie ? - R. Non... Qu'entendez-vous par le suicide ? l'Esprit n'est coupable que de ses oeuvres.
Ce doute de la mort est très ordinaire chez les personnes décédées depuis peu, et surtout chez celles qui, pendant leur vie, n'ont pas élevé leur âme au-dessus de la matière. C'est un phénomène bizarre au premier abord, mais qui s'explique très naturellement. Si à un individu mis en somnambulisme pour la première fois, on demande s'il dort, il répond presque toujours non, et sa réponse est logique : c'est l'interrogateur qui pose mal la question en se servant d'un terme impropre. L'idée de sommeil, dans notre langue usuelle, est liée à la suspension de toutes nos facultés sensitives ; or, le somnambule qui pense, qui voit, et qui sent, qui a conscience de sa liberté morale, ne croit pas dormir, et en effet il ne dort pas, dans l'acception vulgaire du mot. C'est pourquoi il répond non jusqu'à ce qu'il soit familiarisé avec cette manière d'entendre la chose. Il en est de même chez l'homme qui vient de mourir ; pour lui la mort, c'était l'anéantissement de l'être ; or, comme le somnambule, il voit, il sent, il parle donc pour lui il n'est pas mort, et il le dit jusqu'à ce qu'il ait acquis l'intuition de son nouvel état. Cette illusion est toujours plus ou moins pénible, parce qu'elle n'est jamais complète, et qu'elle laisse l'Esprit dans une certaine anxiété. Dans l'exemple ci-dessus, elle est un véritable supplice par la sensation des vers qui rongent le corps, et par sa durée qui doit être celle qu'aurait eue la vie de cet homme s'il ne l'eût pas abrégée. Cet état est fréquent chez les suicidés, mais il ne se présente pas toujours dans des conditions identiques ; il varie surtout en durée et en intensité selon les circonstances aggravantes ou atténuantes de la faute. La sensation des vers et de la décomposition du corps n'est pas non plus spéciale aux suicidés ; elle est fréquente chez ceux qui ont plus vécu de la vie matérielle que de la vie spirituelle. En principe, il n'y a pas de faute impunie ; mais il n'y a pas de règle uniforme et absolue dans les moyens de punition.
LE PERE ET LE CONSCRIT
Au commencement de la guerre d'Italie, en 1859, un négociant de Paris, père de famille, jouissant de l'estime générale de tous ses voisins, avait un fils que le sort avait appelé sous les drapeaux ; se trouvant, par sa position, dans l'impossibilité de l'exonérer du service, il eut l'idée de se suicider afin de l'exempter comme fils unique de veuve. Il a été évoqué un an après à la Société de Paris, sur la demande d'une personne qui l'avait connu et qui désirait connaître son sort dans le monde des Esprits.
(A saint Louis). Veuillez nous dire si nous pouvons faire l'évocation de l'homme dont on vient de parler ? - R. Oui, il en sera même très heureux, car il sera un peu soulagé.
1. Evocation. - R. Oh ! merci ! je souffre bien, mais... est juste ; cependant, il me pardonnera.
L'Esprit écrit avec une grande difficulté ; les caractères sont irréguliers et mal formés ; après le mot mais, il s'arrête, essaye vainement d'écrire, et ne fait que quelques traits indéchiffrables et des points. Il est évident que c'est le mot Dieu qu'il n'a pu écrire.
2. Remplissez la lacune que vous venez de laisser. - R. J'en suis indigne.
3. Vous dites que vous souffrez, vous avez sans doute eu tort de vous suicider, mais est-ce que le motif qui vous a porté à cet acte ne vous a pas mérité quelque indulgence ? - R. Ma punition sera moins longue, mais l'action n'en est pas moins mauvaise.
4. Pourriez-vous nous décrire la punition que vous subissez ? - R. Je souffre doublement dans mon âme et dans mon corps ; je souffre dans ce dernier, quoique ne le possédant plus, comme l'amputé souffre dans son membre absent.
5. Votre action a-t-elle eu votre fils pour unique motif, et n'avez-vous été sollicité par aucune autre cause ? - R. L'amour paternel m'a seul guidé, mais m'a mal guidé ; en faveur de ce motif, ma peine sera abrégée.
6. Prévoyez-vous le terme de vos souffrances ? - R. Je n'en sais pas le terme ; mais j'ai l'assurance que ce terme existe, ce qui est un soulagement pour moi.
7. Tout à l'heure, vous n'avez pu écrire le nom de Dieu ; nous avons cependant vu des Esprits très souffrants l'écrire ; cela fait-il partie de votre punition ? - R. Je le pourrai avec de grands efforts de repentir.
8. Eh bien ! faites de grands efforts, et tâchez de l'écrire ; nous sommes convaincus que si vous y parvenez, cela vous sera un soulagement.
L'Esprit finit par écrire en caractères irréguliers, tremblés et très gros : «Dieu est bien bon».
9. Nous vous savons gré d'être venu à notre appel, et nous prierons Dieu pour vous, afin d'appeler sa miséricorde sur vous. - R. Oui, s'il vous plaît.
10. (A saint Louis.) Veuillez nous donner votre appréciation personnelle sur l'acte de l'Esprit que nous venons d'évoquer. - R. Cet Esprit souffre justement, car il a manqué de confiance en Dieu, ce qui est une faute toujours punissable ; la punition serait terrible et très longue s'il n'y avait en sa faveur un motif louable, qui était celui d'empêcher son fils d'aller au-devant de la mort ; Dieu, qui voit le fond des coeurs, et qui est juste, ne le punit que selon ses oeuvres.
Observations. - Au premier abord, ce suicide paraît excusable, parce qu'il peut être considéré comme un acte de dévouement ; il l'est en effet, mais ne l'est pas, complètement. Ainsi que le dit l'Esprit de saint Louis, cet homme a manqué de confiance en Dieu. Par son action, il a peut-être empêché la destinée de son fils de s'accomplir ; d'abord, il n'est pas certain que celui-ci fût mort à la guerre, et peut-être que cette carrière devait lui fournir l'occasion de faire quelque chose qui aurait été utile à son avancement. Son intention, sans doute, était bonne, aussi lui en est-il tenu compte ; l'intention atténue le mal et mérite de l'indulgence, mais elle n'empêche pas ce qui est mal d'être mal ; sans cela, à la faveur de la pensée, on pourrait excuser tous les méfaits, l'on pourrait même tuer sous prétexte de rendre service. Une mère qui tue son enfant dans la croyance qu'elle l'envoie droit au ciel, est-elle moins fautive, parce qu'elle le fait dans une bonne intention ? Avec ce système on justifierait tous les crimes qu'un fanatisme aveugle a fait commettre dans les guerres de religion.
En principe, l'homme n'a pas le droit de disposer de sa vie, parce qu'elle lui a été donnée en vue des devoirs qu'il devait accomplir sur la terre. C'est pourquoi il ne doit l'abréger volontairement sous aucun prétexte. Comme il a son libre arbitre, nul ne peut l'empêcher, mais il en subit toujours les conséquences. Le suicide le plus sévèrement puni est celui qui est accompli par désespoir, et en vue de s'affranchir des misères de la vie ; ces misères étant à la fois des épreuves et des expiations, s'y soustraire, c'est reculer devant la tâche qu'on avait acceptée, parfois même devant la mission qu'on devait remplir.
Le suicide ne consiste pas seulement dans l'acte volontaire qui produit la mort instantanée ; il est aussi dans tout ce que l'on fait en connaissance de cause qui doit hâter prématurément l'extinction des forces vitales.
On ne peut assimiler au suicide le dévouement de celui qui s'expose à une mort imminente pour sauver son semblable ; d'abord parce qu'il n'y a, dans ce cas, nulle intention préméditée de se soustraire à la vie, et, en second lieu, qu'il n'est pas de péril d'où la Providence ne puisse nous tirer, si l'heure de quitter la terre n'est pas arrivée. La mort, si elle a lieu dans de telles circonstances, est un sacrifice méritoire, car c'est une abnégation au profit d'autrui. (Evangile selon le Spiritisme, chapitre V, n° 53, 65, 66, 67).
LOUVET FRANÇOlS-SIMON (du Havre)
La communication suivante a été donnée spontanément dans une réunion spirite, au Havre, le 12 février 1863 :
«Aurez-vous pitié d'un pauvre misérable qui souffre depuis si longtemps de si cruelles tortures ! Oh ! le vide... l'espace... je tombe, je tombe, au secours !... Mon Dieu, j'ai eu une si misérable vie !... J'étais un pauvre diable ; je souffrais souvent de la faim dans mes vieux jours ; c'est pour cela que je m'étais mis à boire et que j'avais honte et dégoût de tout... J'ai voulu mourir et je me suis jeté... Oh ! mon Dieu, quel moment !... Pourquoi donc désirer d'en finir quand j'étais si près du terme ? Priez ! pour que je ne voie plus toujours ce vide au-dessous de moi... Je vais me briser sur ces pierres !... Je vous en conjure, vous qui avez connaissance des misères de ceux qui ne sont plus ici-bas, je m'adresse à vous, quoique vous ne me connaissiez pas, parce que je souffre tant... Pourquoi vouloir des preuves ? Je souffre, n'est-ce pas assez ? Si j'avais faim au lieu de cette souffrance plus terrible, mais invisible pour vous, vous n'hésiteriez pas à me soulager en me donnant un morceau de pain. Je vous demande de prier pour moi... Je ne puis rester plus longtemps... Demandez à un de ces heureux qui sont ici, et vous saurez qui j'étais. Priez pour moi.»
FRANÇOIS-SIMON LOUVET.
Le guide du médium. - Celui qui vient de s'adresser à toi, mon enfant, est un pauvre malheureux qui avait une épreuve de misère sur la terre, mais le dégoût l'a pris ; le courage lui a failli, et l'infortuné, au lieu de regarder en haut ainsi qu'il aurait dû le faire, s'est adonné à l'ivrognerie ; il est descendu aux dernières limites du désespoir, et a mis un terme à sa triste épreuve en se jetant de la tour de François I°, le 22 juillet 1857. Ayez pitié de sa pauvre âme, qui n'est pas avancée, mais qui a cependant assez de connaissance de la vie future pour souffrir et désirer une nouvelle épreuve. Priez Dieu de lui accorder cette grâce, et vous ferez une bonne oeuvre.
Des recherches ayant été faites, on trouva dans le Journal du Havre, du 23 juillet 1857, l'article suivant, dont voici la substance :
«Hier, à quatre heures, les promeneurs de la jetée ont été douloureusement impressionnés par un affreux accident : un homme s'est élancé de la tour et est venu se briser sur les pierres. C'est un vieux haleur, que ses penchants à l'ivrognerie ont conduit au suicide. Il se nomme François-Victor-Simon Louvet. Son corps a été transporté chez une de ses filles, rue de la Corderie ; il était âgé de soixante-sept ans.»
Depuis tantôt six ans que cet homme est mort, il se voit toujours tombant de la tour et allant se briser sur les pierres ; il s'épouvante du vide qu'il a devant lui, il est dans les appréhensions de la chute... et cela depuis six ans ! Combien cela durera-t-il ? il n'en sait rien, et cette incertitude augmente ses angoisses. Cela ne vaut-il pas l'enfer et ses flammes ? Qui a révélé ces châtiments ? les a-t-on inventés ? Non ; ce sont ceux mêmes qui les endurent qui viennent les décrire, comme d'autres décrivent leurs joies. Souvent ils le font spontanément, sans que l'on songe à eux, ce qui exclut toute idée qu'on est le jouet de sa propre imagination.
UNE MERE ET SON FILS
Au mois de mars 1865, M. C..., négociant dans une petite ville près de Paris, avait chez lui son fils âgé de vingt et un ans, gravement malade. Ce jeune homme, se sentant sur le point d'expirer, appela sa mère et eut encore la force de l'embrasser. Celle-ci dit en versant des larmes abondantes : «Va, mon fils, précède-moi, je ne tarderai pas à te suivre.» En même temps, elle sortit cachant sa tête dans ses mains.
Les personnes qui se trouvaient présentes à cette scène déchirante, considérèrent les paroles de la dame C... comme une simple explosion de douleur que le temps et la raison devaient apaiser. Cependant, le malade ayant succombé, on la chercha dans toute la maison, et on la trouva pendue dans un grenier. Le convoi de la mère se fit en même temps que celui de son fils.
Evocation du fils plusieurs jours après l'événement. - D. Avez-vous connaissance de la mort de votre mère qui s'est suicidée en succombant au désespoir que lui a causé votre perte ?
R. Oui, et sans le chagrin que m'a causé l'accomplissement de sa fatale résolution, je serais parfaitement heureux. Pauvre et excellente mère ! Elle n'a pu supporter l'épreuve de cette séparation momentanée, et elle a pris, pour être réunie à son fils qu'elle aimait, la route qui devait l'en éloigner, hélas ! pour bien longtemps. Elle a ainsi retardé indéfiniment cette réunion qui aurait été si prompte si la soumission aux volontés du Seigneur avait rempli son âme, et si elle s'était résignée, humble et repentante, devant l'épreuve qu'elle allait subir, et l'expiation qui allait la purifier !
Priez ! oh ! priez pour elle !... et surtout ne l'imitez pas, mères qui êtes attendries par le triste récit de sa mort ! Ne croyez pas qu'elle aimait mieux que d'autres mères ce fils qui était sa joie et son orgueil ; non, elle n'aimait pas mieux, mais elle a manqué de courage et de résignation. Mères qui m'écoutez, quand vous verrez l'agonie voiler les yeux éteints de vos enfants, souvenez-vous que, comme Christ, ils montent le sommet du calvaire d'où ils doivent s'élever dans la gloire éternelle.
BENJAMIN C...
Evocation de la mère. - Je veux voir mon fils ! Avez-vous le pouvoir de me le rendre ?... Les cruels !... ils me l'ont pris pour l'emmener dans la lumière et ils m'ont laissée dans la nuit !... Je le veux, je le veux... il m'appartient !... N'est-ce donc rien que l'amour maternel ?... Quoi ! avoir porté neuf mois, nourri de son lait la chair de sa chair, le sang de son sang ; avoir guidé ses premiers pas ; lui avoir appris à bégayer le nom sacré de Dieu et le doux nom de mère ; en avoir fait un homme plein d'activité, d'intelligence, d'honnêteté, de droiture, d'amour filial, et le perdre alors qu'il réalisait les espérances qu'on avait conçues de lui, qu'un brillant avenir s'ouvrait devant lui ! Non, Dieu n'est pas juste ; ce n'est pas le Dieu des mères ; il ne comprend pas leur désespoir et leur douleur... et quand je me donne la mort pour ne pas quitter mon enfant, on me le ravit de nouveau !... Mon fils ! mon fils ! où es-tu ?
L'évocateur. Pauvre mère, nous compatissons à votre douleur ; mais vous avez pris un triste moyen pour être réunie à votre fils ; le suicide est un crime aux yeux de Dieu, et vous auriez dû penser qu'il punit toute infraction à ses lois. La privation de la vue de votre enfant est votre punition.
La mère. Non ; je croyais Dieu meilleur que les hommes ; je ne croyais pas à son enfer, mais à la réunion éternelle des âmes qui se sont aimées comme nous nous aimions ; je me suis trompée... Il n'est pas le Dieu juste et bon, puisqu'il n'a pas compris l'immensité de ma douleur et de mon amour !... Oh ! qui me rendra mon fils ! L'ai-je donc perdu pour toujours ? Pitié ! pitié, mon Dieu !
L'évocateur. Voyons, calmez votre désespoir ; songez que, s'il est un moyen de revoir votre enfant, ce n'est pas en blasphémant Dieu, comme vous le faites. Au lieu de vous le rendre favorable, vous attirez sur vous une plus grande sévérité.
La mère. Ils m'ont dit que je ne le reverrais plus ; j'ai compris que c'est en paradis qu'ils l'ont emmené. Et moi, je suis donc dans l'enfer ?... l'enfer des mères ?... il existe, je ne le vois que trop.
L'évocateur. Votre fils n'est point perdu sans retour, croyez-moi ; vous le reverrez certainement ; mais il faut le mériter par votre soumission à la volonté de Dieu, tandis que par votre révolte vous pouvez retarder ce moment indéfiniment. Ecoutez-moi : Dieu est infiniment bon, mais il est infiniment juste. Il ne punit jamais sans cause, et s'il vous a infligé de grandes douleurs sur la terre, c'est que vous les aviez méritées. La mort de votre fils était une épreuve pour votre résignation ; malheureusement, vous y avez succombé de votre vivant, et voilà qu'après votre mort vous y succombez de nouveau ; comment voulez-vous que Dieu récompense ses enfants rebelles ? Mais il n'est pas inexorable ; il accueille toujours le repentir du coupable. Si vous aviez accepté sans murmure et avec humilité l'épreuve qu'il vous envoyait par cette séparation momentanée, et si vous eussiez attendu patiemment qu'il lui plût de vous retirer de dessus la terre, à votre entrée dans le monde où vous êtes, vous eussiez immédiatement revu votre fils qui serait venu vous recevoir et vous tendre les bras ; vous auriez eu la joie de le voir radieux après ce temps d'absence. Ce que vous avez fait, et ce que vous faites encore en ce moment, met entre vous et lui une barrière. Ne croyez pas qu'il soit perdu dans les profondeurs de l'espace ; non, il est plus près de vous que vous ne le croyez ; mais un voile impénétrable le dérobe à votre vue. Il vous voit, il vous aime toujours, et il gémit de la triste position où vous a plongée votre manque de confiance en Dieu ; il appelle de tous ses voeux le moment fortuné où il lui sera permis de se montrer à vous ; il dépend de vous seule de hâter ou de retarder ce moment. Priez Dieu, et dites avec moi :
«Mon Dieu, pardonnez-moi d'avoir douté de votre justice et de votre bonté ; si vous m'avez punie, je reconnais que je l'ai mérité. Daignez accepter mon repentir et ma soumission à votre sainte volonté.»
La mère. Quelle lueur d'espoir vous venez de faire luire dans mon âme ! C'est un éclair dans la nuit qui m'environne. Merci, je vais prier. Adieu.
C...
La mort, même par le suicide, n'a point produit chez cet Esprit l'illusion de se croire encore vivant, il a parfaitement conscience de son état ; c'est que chez d'autres la punition consiste dans cette illusion même, dans les liens qui les attachent à leur corps. Cette femme a voulu quitter la terre pour suivre son fils dans le monde où il était entré : il fallait qu'elle sût qu'elle était dans ce monde pour être punie en ne l'y retrouvant pas. Sa punition est précisément de savoir qu'elle ne vit plus corporellement, et dans la connaissance qu'elle a de sa situation. C'est ainsi que chaque faute est punie par les circonstances qui l'accompagnent et qu'il n'y a pas de punitions uniformes et constantes pour les fautes du même genre.
DOUBLE SUICIDE PAR AMOUR ET PAR DEVOIR
Un journal du 13 juin 1862 contenait le récit suivant :
«La demoiselle Palmyre, modiste, demeurant chez ses parents, était douée d'un extérieur charmant auquel se joignait le plus aimable caractère ; aussi était-elle recherchée en mariage. Parmi les aspirants à sa main, elle avait distingué le sieur B..., qui éprouvait pour elle une vive passion. Quoique l'aimant beaucoup elle-même, elle crut cependant devoir, par respect filial, se rendre aux voeux de ses parents en épousant le sieur D..., dont la position sociale leur semblait plus avantageuse que celle de son rival.
«Les sieurs B... et D... étaient amis intimes. Quoique n'ayant ensemble aucun rapport d'intérêt, ils ne cessèrent pas de se voir. L'amour mutuel de B... et de Palmyre, devenue dame D..., ne s'était nullement affaibli, et comme ils s'efforçaient de le comprimer, il augmentait en raison même de la violence qu'on lui faisait. Pour essayer de l'éteindre, B... prit le parti de se marier. Il épousa une jeune femme possédant d'éminentes qualités, et fit tout son possible pour l'aimer ; mais il ne tarda pas à s'apercevoir que ce moyen héroïque était impuissant à le guérir. Néanmoins, pendant quatre années, ni B... ni la dame D... ne manquèrent à leurs devoirs. Ce qu'ils eurent à souffrir ne saurait s'exprimer, car D..., qui aimait véritablement son ami, l'attirait toujours chez lui et, lorsqu'il voulait fuir, le contraignait à rester.
«Les deux amants, rapprochés un jour par une circonstance fortuite qu'ils n'avaient pas cherchée, se firent part de l'état de leur âme, et s'accordèrent à penser que la mort était le seul remède aux maux qu'ils éprouvaient. Ils résolurent de se faire mourir ensemble, et de mettre leur projet à exécution le lendemain, le sieur D... devant être absent de son domicile une grande partie de la journée. Après avoir fait leurs derniers préparatifs, ils écrivirent une longue et touchante lettre expliquant la cause de la mort qu'ils se donnaient pour ne pas manquer à leurs devoirs. Elle se terminait par une demande de pardon et la prière d'être réunis dans le même tombeau.
«Lorsque le sieur D... rentra, il les trouva asphyxiés. Il a respecté leur dernier voeu, et a voulu qu'au cimetière ils ne fussent pas séparés.»
Ce fait ayant été proposé à la Société de Paris comme sujet d'étude, un Esprit répondit :
«Les deux amants qui se sont suicidés ne peuvent encore vous répondre ; je les vois ; ils sont plongés dans le trouble et effrayés par le souffle de l'éternité. Les conséquences morales de leur faute les châtieront pendant des migrations successives où leurs âmes dépareillées se chercheront sans cesse et souffriront le double supplice, du pressentiment et du désir. L'expiation accomplie, ils seront réunis pour toujours dans le sein de l'éternel amour. Dans huit jours, à votre prochaine séance, vous pourrez les évoquer ; ils viendront, mais ils ne se verront pas : une nuit profonde les cache pour longtemps l'un à l'autre.»
1. Evocation de la femme. - Voyez-vous votre amant, avec lequel vous vous êtes suicidée ? - R. Je ne vois rien ; je ne vois pas même les Esprits qui rôdent avec moi dans le séjour où je suis. Quelle nuit ! quelle nuit ! et quel voile épais sur mon visage !
2. Quelle sensation avez-vous éprouvée lorsque vous vous êtes réveillée après votre mort ? - R. Etrange ! j'avais froid et je brûlais ; de la glace courait dans mes veines, et du feu était dans mon front ! Chose étrange, mélange inouï ! de la glace et du feu semblant m'étreindre ! Je pensais que j'allais succomber une seconde fois.
3. Eprouvez-vous une douleur physique ? - R. Toute ma souffrance est là, et là. - Que voulez-vous dire par là et là ? - R. Là, dans mon cerveau ; là, dans mon coeur.
Il est probable que, si l'on eût pu voir l'Esprit, on l'aurait vu porter la main à son front et à son coeur.
4. Croyez-vous que vous serez toujours dans cette situation ? - R. Oh ! toujours, toujours ! J'entends parfois des rires infernaux, des voix épouvantables qui me hurlent ces mots : «Toujours ainsi !»
5. Eh bien ! nous pouvons vous dire en toute assurance qu'il n'en sera pas toujours ainsi ; en vous repentant, vous obtiendrez votre pardon. - R. Qu'avez-vous dit ? Je n'entends pas.
6. Je vous répète que vos souffrances auront un terme que vous pourrez hâter par votre repentir et nous vous y aiderons par la prière. - R. Je n'ai entendu qu'un mot et de vagues sons ; ce mot, c'est grâce ! Est-ce de grâce ! que vous avez voulu parler ? Vous avez parlé de grâce : c'est sans doute à l'âme qui passe à mes côtés, pauvre enfant qui pleure et qui espère.
Une dame de la société dit qu'elle vient d'adresser à Dieu une prière pour cette infortunée, et que c'est sans doute ce qui l'a frappée ; qu'elle avait en effet mentalement imploré pour elle la grâce de Dieu.
7. Vous dites que vous êtes dans les ténèbres ; est-ce que vous ne nous voyez pas ? - R. Il m'est permis d'entendre quelques-uns des mots que vous prononcez, mais je ne vois qu'un crêpe noir sur lequel se dessine, à certaines heures, une tête qui pleure.
8. Si vous ne voyez pas votre amant, ne sentez-vous pas sa présence auprès de vous, car il est ici ? - R. Ah ! ne me parlez pas de lui, je dois l'oublier pour l'instant, si je veux que du crêpe s'efface l'image que j'y vois tracée.
9. Quelle est cette image ? - R. Celle d'un homme qui souffre, et dont j'ai tué l'existence morale sur la terre pour longtemps.
En lisant ce récit on est tout d'abord disposé à trouver à ce suicide des circonstances atténuantes, à le regarder même comme un acte héroïque, puisqu'il a été provoqué par le sentiment du devoir. On voit qu'il en a été jugé autrement, et que la peine des coupables est longue et terrible pour s'être réfugiés volontairement dans la mort afin de fuir la lutte ; l'intention de ne pas manquer à leur devoir était honorable sans doute, et il leur en sera tenu compte plus tard, mais le vrai mérite eût consisté à vaincre l'entraînement, tandis qu'ils ont fait comme le déserteur qui s'esquive au moment du danger.
La peine des deux coupables consistera, comme on le voit, à se chercher longtemps sans se rencontrer, soit dans le monde des Esprits, soit dans d'autres incarnations terrestres ; elle est momentanément aggravée par l'idée que leur état présent doit durer toujours ; cette pensée faisant partie du châtiment, il ne leur a pas été permis d'entendre les paroles d'espérance qui leur ont été adressées. A ceux qui trouveraient cette peine bien terrible et bien longue, surtout si elle ne doit cesser qu'après plusieurs incarnations, nous dirons que sa durée n'est pas absolue, et qu'elle dépendra de la manière dont ils supporteront leurs épreuves futures, ce à quoi on peut les aider par la prière ; ils seront, comme tous les Esprits coupables, les arbitres de leur propre destinée. Cela, cependant, ne vaut-il pas encore mieux que la damnation éternelle, sans espoir, à laquelle ils sont irrévocablement condamnés selon la doctrine de l'Eglise, qui les regarde tellement comme à jamais voués à l'enfer, qu'elle leur a refusé les dernières prières, sans doute comme inutiles ?
LOUIS ET LA PIQUEUSE DE BOTTINES
Depuis sept ou huit mois, le nommé Louis G..., ouvrier cordonnier, faisait la cour à une demoiselle Victorine R., piqueuse de bottines, avec laquelle il devait se marier très prochainement, puisque les bans étaient en cours de publication. Les choses en étant à ce point, les jeunes gens se considéraient presque comme définitivement unis, et, par mesure d'économie, le cordonnier venait chaque jour prendre ses repas chez sa future.
Un jour, Louis étant venu, comme à l'ordinaire, souper chez la piqueuse de bottines, une contestation survint à propos d'une futilité ; on s'obstina de part et d'autre, et les choses en vinrent au point que Louis quitta la table, et partit en jurant de ne plus jamais revenir.
Le lendemain, pourtant, le cordonnier venait demander pardon : la nuit porte conseil, on le sait ; mais l'ouvrière, préjugeant peut-être, d'après la scène de la veille, ce qui pourrait survenir quand il ne serait plus temps de se dédire, refusa de se réconcilier, et, protestations, larmes désespoir, rien ne put la fléchir. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis celui de la brouille ; Louis, espérant que sa bien-aimée serait plus traitable, voulut tenter une dernière démarche : il arrive donc et frappe de façon à se faire connaître, mais on refuse de lui ouvrir ; alors nouvelles supplications de la part du pauvre évincé, nouvelles protestations à travers la porte, mais rien ne put toucher l'implacable prétendue. «Adieu donc, méchante ! s'écrie enfin le pauvre garçon, adieu pour toujours ! Tâchez de rencontrer un mari qui vous aime autant que moi !» En même temps la jeune fille entend une sorte de gémissement étouffé, puis comme le bruit d'un corps qui tombe en glissant le long de sa porte, et tout rentre dans le silence ; alors elle s'imagine que Louis s'est installé sur le seuil pour attendre sa première sortie, mais elle se promet bien de ne pas mettre le pied dehors tant qu'il sera là.
Il y avait à peine un quart d'heure que ceci avait eu lieu, lorsqu'un locataire qui passait sur le palier avec de la lumière pousse une exclamation et demande du secours. Aussitôt les voisins arrivent, et mademoiselle Victorine, ayant également ouvert sa porte jette un cri d'horreur en apercevant étendu sur le carreau son prétendu pâle et inanimé. Chacun s'empresse de lui porter secours, mais on s'aperçoit bientôt que tout est inutile, et qu'il a cessé d'exister. Le malheureux jeune homme s'était plongé son tranchet dans la région du coeur, et le fer était resté dans la plaie.
(Société Spirite de Paris, août 1853.)
1. A l'Esprit de saint Louis. La jeune fille, cause involontaire de la mort de son amant, en a-t-elle la responsabilité ? - R. Oui, car elle ne l'aimait pas.
2. Pour prévenir ce malheur, devait-elle l'épouser malgré sa répugnance ? - R. Elle cherchait une occasion pour se séparer de lui ; elle a fait au commencement de sa liaison ce qu'elle aurait fait plus tard.
3. Ainsi sa culpabilité consiste à avoir entretenu chez lui des sentiments qu'elle ne partageait pas, sentiments qui ont été la cause de la mort du jeune homme ? - R. Oui, c'est cela.
4. Sa responsabilité, dans ce cas, doit être proportionnée à sa faute ; elle ne doit pas être aussi grande que si elle eût provoqué volontairement la mort ? - R. Cela saute aux yeux.
5. Le suicide de Louis trouve-t-il une excuse dans l'égarement où l'a plongé l'obstination de Victorine ? - R. Oui, car son suicide, qui provient de l'amour, est moins criminel aux yeux de Dieu que le suicide de l'homme qui veut s'affranchir de la vie par un motif de lâcheté.
L'Esprit de Louis G... ayant été évoqué une autre fois, on lui adressa les questions suivantes :
1. Que pensez-vous de l'action que vous avez commise ? - R. Victorine est une ingrate, j'ai eu tort de me tuer pour elle, car elle ne le méritait pas.
2. Elle ne vous aimait donc pas ? - R. Non ; elle l'a cru d'abord ; elle se faisait illusion ; la scène que je lui ai faite lui a ouvert les yeux ; alors elle a été contente de ce prétexte pour se débarrasser de moi.
3. Et vous, l'aimiez-vous sincèrement ? - R. J'avais de la passion pour elle ; voilà tout, je crois ; si je l'avais aimée d'un amour pur, je n'aurais pas voulu lui faire de la peine.
4. Si elle avait su que vous vouliez réellement vous tuer, aurait-elle persisté dans son refus ? - R. Je ne sais ; je ne crois pas, car elle n'est pas méchante ; mais elle aurait été malheureuse ; il vaut encore mieux pour elle que cela se soit passé ainsi.
5. En arrivant à sa porte, aviez-vous l'intention de vous tuer en cas de refus ? - R. Non ; je n'y pensais pas ; je ne croyais pas qu'elle serait si obstinée ; ce n'est que quand j'ai vu son obstination, qu'alors un vertige m'a pris.
6. Vous semblez ne regretter votre suicide que parce que Victorine ne le méritait pas ; est-ce le seul sentiment que vous éprouvez ? - R. En ce moment, oui ; je suis encore tout troublé ; il me semble être à la porte ; mais je sens autre chose que je ne puis définir.
7. Le comprendrez-vous plus tard ? - R. Oui ; quand je serai débrouillé... C'est mal ce que j'ai fait ; j'aurais dû la laisser tranquille... J'ai été faible et j'en porte la peine... Voyez-vous, la passion aveugle l'homme et lui fait faire bien des sottises. Il les comprend quand il n'est plus temps.
8. Vous dites que vous en portez la peine ; quelle peine souffrez-vous ? - R. J'ai eu tort d'abréger ma vie ; je ne le devais pas ; je devais tout supporter plutôt que d'en finir avec le temps ; et puis je suis malheureux ; je souffre ; c'est toujours elle qui me fait souffrir ; il me semble être encore là, à sa porte ; l'ingrate ! Ne m'en parlez plus ; je n'y veux plus penser ; cela me fait trop de mal. Adieu.
On voit la une nouvelle preuve de la justice distributive qui préside à la punition des coupables, selon le degré de la responsabilité. Dans la circonstance présente, la première faute est à la jeune fille qui avait entretenu chez Louis un amour qu'elle ne partageait pas, et dont elle se jouait ; elle portera donc la plus grande part de la responsabilité. Quant au jeune homme, il est puni aussi par la souffrance qu'il endure ; mais sa peine est légère, parce qu'il n'a fait que céder à un mouvement irréfléchi et à un moment d'exaltation, au lieu de la froide préméditation de ceux qui se suicident pour se soustraire aux épreuves de la vie.
UN ATHEE
M. J.-B. D... était un homme instruit, mais imbu au dernier degré des idées matérialistes, ne croyant ni à Dieu ni à son âme. Il a été évoqué deux ans après sa mort, à la Société de Paris, sur la demande de l'un de ses parents.
1. Evocation. - R. Je souffre ! Je suis réprouvé.
2. Nous sommes prié de vous appeler de la part de vos parents qui désirent connaître votre sort ; veuillez nous dire si notre évocation vous est agréable ou pénible ? - R. Pénible.
3. Votre mort a-t-elle été volontaire ? - R. Oui.
L'Esprit écrit avec une extrême difficulté ; l'écriture est très grosse, irrégulière, convulsive et presque illisible. A son début, il montre de la colère, casse le crayon et déchire le papier.
4. Soyez plus calme ; nous prierons tous Dieu pour vous. - R. Je suis forcé de croire à Dieu.
5. Quel motif a pu vous porter à vous détruire ? - R. Ennui de la vie sans espérance.
On conçoit le suicide quand la vie est sans espoir ; on veut échapper au malheur à tout prix ; avec le Spiritisme l'avenir se déroule et l'espérance se légitime : le suicide n'a donc plus d'objet ; bien plus, on reconnaît que, par ce moyen, on n'échappe à un mal que pour retomber dans un autre qui est cent fois pire. Voilà pourquoi le Spiritisme a déjà arraché tant de victimes à la mort volontaire. Ils sont bien coupables ceux qui s'efforcent d'accréditer par des sophismes scientifiques, et soi-disant au nom de la raison, cette idée désespérante, source de tant de maux et de crimes, que tout finit avec la vie ! Ils seront responsables, non seulement de leurs propres erreurs, mais de tous les maux dont ils auront été la cause.
6. Vous avez voulu échapper aux vicissitudes de la vie ; y avez-vous gagné quelque chose ? êtes-vous plus heureux maintenant ? - R. Pourquoi le néant n'existe-t-il pas ?
7. Veuillez être assez bon pour nous écrire votre situation le mieux que vous pourrez. - R. Je souffre d'être obligé de croire tout ce que je niais. Mon âme est comme un brasier ; elle est tourmentée horriblement.
8. D'où vous venaient les idées matérialistes que vous aviez de votre vivant ? - R. Dans une autre existence j'avais été méchant, et mon Esprit était condamné à souffrir les tourments du doute pendant ma vie ; aussi me suis-je tué.
Il y a ici tout un ordre d'idées. On se demande souvent comment il peut y avoir des matérialistes, puisque ayant déjà passé par le monde spirituel, ils devraient en avoir l'intuition ; or, c'est précisément cette intuition qui est refusée à certains Esprits qui ont conservé leur orgueil, et ne se sont pas repentis de leurs fautes. Leur épreuve consiste à acquérir, pendant la vie corporelle, et par leur propre raison, la preuve de l'existence de Dieu et de la vie future qu'ils ont incessamment sous les yeux ; mais souvent la présomption de ne rien admettre au-dessus de soi l'emporte encore, et ils en subissent la peine jusqu'à ce que, leur orgueil étant dompté, ils se rendent enfin à l'évidence.
9. Quand vous vous êtes noyé, que pensiez-vous qu'il adviendrait de vous ? quelles réflexions avez-vous faites à ce moment ? - R. Aucune ; c'était le néant pour moi. J'ai vu après que, n'ayant pas subi toute ma condamnation, j'allais encore bien souffrir.
10. Maintenant, êtes-vous bien convaincu de l'existence de Dieu, de l'âme et de la vie future ? - R. Hélas ! je ne suis que trop tourmenté pour cela !
11. Avez-vous revu votre frère ? - R. Oh ! non.
12. Pourquoi cela ? - R. Pourquoi réunir nos tourments ? on s'exile dans le malheur, on se réunit dans le bonheur ; hélas !
13. Seriez-vous bien aise de revoir votre frère que nous pourrions appeler là, à côté de vous ? - R. Non. non, je suis trop bas.
14. Pourquoi ne voulez-vous pas que nous l'appelions ? - R. C'est qu'il n'est pas heureux, lui non plus.
15. Vous redoutez sa vue ; cela ne pourrait que vous faire du bien ? - R. Non ; plus tard.
16. Désirez-vous faire dire quelque chose à vos parents ? - R. Qu'on prie pour moi.
17. Il paraît que, dans la société que vous fréquentiez, quelques personnes partagent les opinions que vous aviez de votre vivant ; auriez-vous quelque chose à leur dire à ce sujet ? - R. Ah ! les malheureux ! Puissent-ils croire à une autre vie ! c'est ce que je peux leur souhaiter de plus heureux ; s'ils pouvaient comprendre ma triste position, cela les ferait bien réfléchir.
(Evocation du frère du précédent, professant les mêmes idées, mais qui ne s'est pas suicidé. Quoique malheureux, il est plus calme ; son écriture est nette et lisible.)
18. Evocation. - R. Puisse le tableau de nos souffrances vous être une utile leçon, et vous persuader qu'une autre vie existe, où l'on expie ses fautes, son incrédulité.
19. Vous voyez-vous réciproquement avec votre frère que nous venons d'appeler ? - R. Non, il me fuit.
On pourrait demander comment les Esprits peuvent se fuir dans le monde spirituel, où n'existent pas d'obstacles matériels, ni de retraites cachées à la vue. Tout est relatif dans ce monde, et en rapport avec la nature fluidique des êtres qui l'habitent. Les Esprits supérieurs ont seuls des perceptions indéfinies ; chez les Esprits inférieurs, elles sont limitées, et pour eux les obstacles fluidiques font l'effet d'obstacles matériels. Les Esprits se dérobent à la vue les uns des autres par un effet de leur volonté qui agit sur leur enveloppe périspritale et les fluides ambiants. Mais la Providence, qui veille sur chacun individuellement, comme sur ses enfants, leur laisse ou leur refuse cette faculté d'après les dispositions morales de chacun ; selon les circonstances, c'est une punition ou une récompense.
20. Vous êtes plus calme que lui ; pourriez-vous nous donner une description plus précise de vos souffrances ? - R. Sur la terre ne souffrez-vous pas dans votre amour propre, dans votre orgueil, quand vous êtes obligé de convenir de vos torts ? Votre esprit ne se révolte-t-il pas à la pensée de vous humilier devant celui qui vous démontre que vous êtes dans l'erreur ? Eh bien ! que croyez-vous que souffre l'Esprit qui, pendant toute une existence, s'est persuadé que rien n'existe après lui, qu'il a raison contre tous ? Quand tout à coup il se trouve en face de l'éclatante vérité, il est anéanti, il est humilié. A cela vient se joindre le remords d'avoir pu si longtemps oublier l'existence d'un Dieu si bon, si indulgent. Son état est insupportable ; il ne trouve ni calme ni repos ; il ne retrouvera un peu de tranquillité qu'au moment où la grâce sainte, c'est-à-dire l'amour de Dieu, le touchera, car l'orgueil s'empare tellement de notre pauvre esprit, qu'il l'enveloppe tout entier, et il lui faut encore bien du temps pour se défaire de ce vêtement fatal ; ce n'est que la prière de nos frères qui peut nous aider à nous en débarrasser.
21. Voulez-vous parler de vos frères vivants ou Esprits ? - R. Des uns et des autres.
22. Pendant que nous nous entretenions avec votre frère, une personne ici présente a prié pour lui ; cette prière lui a-t-elle été utile ? - R. Elle ne sera pas perdue. S'il repousse la grâce maintenant, cela lui reviendra, quand il sera en état de recourir à cette divine panacée.
Nous voyons ici un autre genre de châtiment, mais qui n'est point le même chez tous les incrédules ; c'est, indépendamment de la souffrance, la nécessité, pour cet Esprit, de reconnaître les vérités qu'il avait reniées de son vivant. Ses idées actuelles dénotent un certain progrès comparativement à d'autres Esprits qui persistent dans la négation de Dieu. C'est déjà quelque chose et un commencement d'humilité de convenir qu'on s'est trompé. Il est plus que probable que, dans sa prochaine incarnation, l'incrédulité aura fait place au sentiment inné de la foi.
Le résultat de ces deux évocations ayant été transmis à la personne qui nous avait prié de les faire, nous reçûmes de cette dernière la réponse suivante :
«Vous ne pouvez croire, monsieur, le grand bien produit par l'évocation de mon beau-père et de mon oncle. Nous les avons parfaitement reconnus ; l'écriture du premier surtout a une analogie frappante avec celle qu'il avait de son vivant, d'autant mieux que, pendant les derniers mois qu'il a passé avec nous, elle était saccadée et indéchiffrable ; on y retrouve la même forme des jambages, du paraphe, et de certaines lettres. Quant aux paroles, aux expressions et au style, c'est encore plus frappant ; pour nous, l'analogie est parfaite, si ce n'est qu'il est plus éclairé sur Dieu, l'âme et l'éternité qu'il niait si formellement autrefois. Nous sommes donc parfaitement convaincus de son identité ; Dieu en sera glorifié par notre croyance plus ferme au Spiritisme, et nos frères, Esprits et vivants, en deviendront meilleurs. L'identité de son frère n'est pas moins évidente ; à la différence immense de l'athée au croyant, nous avons reconnu son caractère, son style, ses tournures de phrases ; un mot surtout nous a frappés, c'est celui de panacée ; c'était son mot d'habitude ; il le disait et répétait à tous et à chaque instant.
«J'ai communiqué ces deux évocations à plusieurs personnes, qui ont été frappées de leur véracité ; mais les incrédules, ceux qui partagent les opinions de mes deux parents, auraient voulu des réponses encore plus catégoriques : que M. D..., par exemple, précisât l'endroit où il a été enterré, celui où il s'est noyé, de quelle manière il s'y est pris, etc. Pour les satisfaire et les convaincre, ne pourriez-vous l'évoquer de nouveau, et dans ce cas vous voudriez bien lui adresser les questions suivantes : où et comment il a accompli son suicide ?- combien de temps il est resté sous l'eau ? - à quel endroit son corps a été retrouvé ? - à quelle place il a été enseveli ? - de quelle manière civile ou religieuse on a procédé à son inhumation, etc. ?
«Veuillez, je vous prie, monsieur, faire répondre catégoriquement à ces demandes qui sont essentielles pour ceux qui doutent encore ; je suis persuadé du bien immense que cela produira. Je fais en sorte que ma lettre vous parvienne demain vendredi, afin que vous puissiez faire cette évocation dans la séance de la Société qui doit avoir lieu ce jour-là... etc.»
Nous avons reproduit cette lettre à cause du fait d'identité qu'elle constate ; nous y joignons la réponse que nous y avons faite, pour l'instruction des personnes qui ne sont pas familiarisées avec les communications d'outre-tombe.
«... Les questions que vous nous priez d'adresser de nouveau à l'Esprit de votre beau-père sont sans doute dictées par une louable intention, celle de convaincre des incrédules, car, chez vous, il ne s'y mêle aucun sentiment de doute et de curiosité ; mais une plus parfaite connaissance de la science spirite vous eût fait comprendre qu'elles sont superflues. - D'abord, en me priant de faire répondre catégoriquement votre parent, vous ignorez sans doute qu'on ne gouverne pas les Esprits à son gré ; ils répondent quand ils veulent, comme ils veulent, et souvent comme ils peuvent ; leur liberté d'action est encore plus grande que de leur vivant, et ils ont plus de moyens d'échapper à la contrainte morale qu'on voudrait exercer sur eux. Les meilleures preuves d'identité sont celles qu'ils donnent spontanément, de leur propre volonté, ou qui naissent des circonstances, et c'est, la plupart du temps, en vain qu'on cherche à les provoquer. Votre parent a prouvé son identité d'une manière irrécusable selon vous ; il est donc plus que probable qu'il refuserait de répondre à des questions qu'à bon droit il peut regarder comme superflues, et faites en vue de satisfaire la curiosité de gens qui lui sont indifférents. Il pourrait répondre, comme l'ont souvent fait d'autres Esprits en pareil cas : «A quoi bon demander des choses que vous savez ?» J'ajouterai même que l'état de trouble et de souffrance où il se trouve doit lui rendre plus pénibles les recherches de ce genre ; c'est absolument comme si l'on voulait contraindre un malade qui peut à peine penser et parler à raconter les détails de sa vie ; ce serait assurément manquer aux égards que l'on doit à sa position.
«Quant au résultat que vous en espériez, il serait nul, soyez-en persuadé. Les preuves d'identité qui ont été fournies ont une bien plus grande valeur, par cela même qu'elles sont spontanées, et que rien ne pouvait mettre sur la voie ; si les incrédules n'en sont pas satisfaits, ils ne le seraient pas davantage, moins encore peut-être, par des questions prévues et qu'ils pourraient suspecter de connivence. Il y a des gens que rien ne peut convaincre ; ils verraient de leurs yeux votre parent en personne, qu'ils se diraient le jouet d'une hallucination.
«Deux mots encore, monsieur, sur la demande que vous me faites de faire cette évocation le jour même où je devais recevoir votre lettre. Les évocations ne se font pas ainsi à la baguette ; les Esprits ne répondent pas toujours à notre appel ; il faut pour cela qu'ils le puissent ou qu'ils le veuillent ; il faut, de plus, un médium qui leur convienne, et qui ait l'aptitude spéciale nécessaire ; que ce médium soit disponible à un moment donné ; que le milieu soit sympathique à l'Esprit, etc.; toutes circonstances dont on ne peut jamais répondre, et qu'il importe de connaître quand on veut faire la chose sérieusement.»
M. FELICIEN
C'était un homme riche, instruit, poète spirituel, d'un caractère bon, obligeant et plein d'aménité, et d'une parfaite honorabilité. De fausses spéculations avaient compromis sa fortune ; son âge ne lui permettant plus de se rétablir, il céda au découragement et se suicide en décembre 1864, en se pendant dans sa chambre à coucher. Ce n'était ni un matérialiste, ni un athée, mais un homme d'une humeur un peu légère, prenant peu de souci de la vie future. L'ayant intimement connu, nous l'évoquâmes quatre mois après sa mort, par sympathie pour sa personne.
Evocation. - Je regrette la terre ; j'y ai eu des déceptions, mais moindres qu'ici. Je rêvais des merveilles, et je suis au-dessous de la réalité idéale que j'en avais. Le monde des Esprits est bien mêlé, et pour le rendre supportable, il serait besoin d'un bon triage. Je n'en reviens pas ! Quelles esquisses de moeurs spirites on pourrait faire ici ! Balzac devrait être à la besogne ; elle serait rude. Mais je ne l'ai pas aperçu ; où se trouvent-ils donc ces grands Esprits qui ont si fort flagellé les vices de l'humanité ? Ils devraient, comme moi, séjourner ici quelque temps, avant d'aller dans des régions plus élevées. C'est un pandémonium curieux qui me plaît à observer, et j'y reste.
Bien que l'Esprit déclare se trouver dans une société très mélangée, et par conséquent d'Esprits inférieurs, son langage avait lieu de nous surprendre, en raison de son genre de mort auquel il ne fait aucune allusion, car autrement c'était bien le reflet de son caractère. Cela nous laissait quelques doutes sur son identité.
D. Veuillez nous dire, je vous prie, comment vous êtes mort ? - R. Comment je suis mort ? Par la mort que j'ai choisie ; elle m'a plu ; j'ai assez longtemps médité sur celle que je devais choisir pour me délivrer de la vie. Et, ma foi, j'avoue que je n'y ai pas gagné grand-chose, si ce n'est d'être délivré de mes soucis matériels, mais pour en retrouver de plus graves, de plus pénibles dans ma position d'Esprit dont je ne prévois pas la fin.
D. (Au guide du médium.) - Est-ce bien l'Esprit de M. Félicien qui a répondu ? Ce langage presque insouciant nous étonne chez un suicidé. - R. Oui ; mais par un sentiment excusable dans sa position, et que vous comprendrez, il ne voulait pas révéler son genre de mort au médium, c'est pour cela qu'il a fait des phrases ; il a fini par l'avouer, amené par votre question directe, mais il en est très affecté. Il souffre beaucoup de s'être suicidé, et écarte tant qu'il peut tout ce qui lui rappelle cette fin funeste.
D. (A l'Esprit.) - Votre mort nous a d'autant plus affectés que nous prévoyions les tristes conséquences pour vous, et en raison surtout de l'estime et de l'attachement que nous vous portions. Personnellement, je n'ai point oublié combien vous avez été bon et obligeant pour moi. Je serais heureux de vous en témoigner ma reconnaissance, si je puis faire quelque chose qui vous soit utile. - R. Et pourtant je ne pouvais échapper autrement aux embarras de ma position matérielle. Maintenant je n'ai besoin que de prières ; priez surtout pour que je sois délivré des horribles compagnons qui sont près de moi et qui m'obsèdent de leurs rires, de leurs cris et de leurs moqueries infernales. Ils m'appellent lâche et ils ont raison ; c'est lâcheté que de quitter la vie. Voilà quatre fois que je succombe à cette épreuve. Je m'étais pourtant bien promis de ne pas faillir... Fatalité !... Ah ! priez ; quel supplice est le mien ! Je suis bien malheureux ! vous ferez plus pour moi en le faisant, que je n'ai fait pour vous, quand j'étais sur la terre ; mais l'épreuve à laquelle j'ai si souvent failli, se dresse devant moi en traits ineffaçables ; il faut que je la subisse de nouveau dans un temps donné ; en aurai-je la force ? Ah ! si souvent recommencer la vie ! Si longtemps lutter et être entraîné par les événements à succomber malgré soi, c'est désespérant, même ici ! c'est pour cela que j'ai besoin de force. On en puise dans la prière, dit-on : priez pour moi ; je veux prier aussi.
Ce cas particulier de suicide, quoique accompli dans des circonstances très vulgaires, se présente néanmoins sous une phase spéciale. Il nous montre un Esprit ayant succombé plusieurs fois à cette épreuve qui se renouvelle à chaque existence et se renouvellera tant qu'il n'aura pas eu la force d'y résister. C'est la confirmation de ce principe que, lorsque le but d'amélioration pour lequel nous nous sommes incarnés n'est pas atteint, nous avons souffert sans profit, car c'est pour nous à recommencer jusqu'à ce que nous sortions victorieux de la lutte.
A l'Esprit de M Félicien. - Ecoutez, je vous prie, ce que je vais vous dire, et veuillez méditer mes paroles. Ce que vous appelez fatalité n'est autre chose que votre propre faiblesse, car il n'y a pas de fatalité, autrement l'homme ne serait pas responsable de ses actes. L'homme est toujours libre, et c'est là son plus beau privilège ; Dieu n'a pas voulu en faire une machine agissant et obéissant en aveugle. Si cette liberté le rend faillible, elle le rend aussi perfectible, et ce n'est que par la perfection qu'il arrive au bonheur suprême. Son orgueil seul le porte à accuser la Destinée de ses malheurs sur la terre, tandis que le plus souvent il ne doit s'en prendre qu'à son incurie. Vous en êtes un exemple frappant dans votre dernière existence ; vous aviez tout ce qu'il faut pour être heureux selon le monde : esprit, talent, fortune, considération méritée ; vous n'aviez point de vices ruineux, et au contraire, des qualités estimables ; comment votre position s'est-elle trouvée si radicalement compromise ? Uniquement par votre imprévoyance. Convenez que si vous aviez agi avec plus de prudence, si vous aviez su vous contenter de la belle part que vous aviez, au lieu de chercher à l'accroître sans nécessité, vous ne vous seriez pas ruiné. Il n'y avait donc aucune fatalité, puisque vous pouviez éviter ce qui est arrivé.
Votre épreuve consistait dans un enchaînement de circonstances qui devaient vous donner, non la nécessité, mais la tentation du suicide ; malheureusement pour vous, malgré votre esprit et votre instruction, vous n'avez pas su dominer ces circonstances, et vous portez la peine de votre faiblesse. Cette épreuve, ainsi que vous le pressentez avec raison, doit se renouveler encore ; dans votre prochaine existence, vous serez en butte à des événements qui provoqueront de nouveau la pensée du suicide, et il en sera de même jusqu'à ce que vous ayez triomphé.
Loin d'accuser le sort, qui est votre propre ouvrage, admirez la bonté de Dieu qui, au lieu de vous condamner irrémissiblement sur une première faute, vous offre sans cesse les moyens de réparer. Vous souffrirez donc, non pas éternellement, mais aussi longtemps que la réparation n'aura pas eu lieu. Il dépend de vous de prendre à l'Etat d'Esprit des résolutions tellement énergiques, d'exprimer à Dieu un repentir si sincère, de solliciter avec tant d'instance l'appui des bons Esprits, que vous arriviez sur la terre cuirassé contre toutes les tentations. Une fois cette victoire remportée, vous marcherez dans la voie du bonheur avec d'autant plus de rapidité, que, sous d'autres rapports, votre avancement est déjà très grand. C'est donc encore un pas à franchir ; nous vous y aiderons par nos prières, mais elles seraient impuissantes si vous ne nous secondiez pas par vos efforts.
R. Merci, oh ! merci de vos bonnes exhortations, j'en avais bien besoin, car je suis plus malheureux que je ne voulais le faire paraître. Je vais les mettre à profit, je vous assure, et me préparer à ma prochaine incarnation où je ferai en sorte cette fois de ne pas succomber. Il me tarde de sortir de l'ignoble milieu où je suis relégué ici.
FELICIEN.
ANTOINE BELL
Comptable dans une maison de banque au Canada ; suicidé le 28 février 1865. Un de nos correspondants, docteur en médecine et pharmacien dans la même ville, nous a donné sur son compte les renseignements suivants :
«Je connaissais Bell depuis plus de vingt ans. C'était un homme inoffensif et père d'une nombreuse famille. Il y a quelque temps, il s'était imaginé avoir acheté du poison chez moi et qu'il s'en était servi en empoisonnant quelqu'un. Il était bien souvent venu me supplier de lui dire à quelle époque je le lui avais vendu, et il se livrait alors à des transports terribles. Il perdait le sommeil, s'accusait, se frappait la poitrine. Sa famille était dans une anxiété continuelle, de quatre heures du soir jusqu'à neuf heures du matin, moment où il se rendait à la maison de banque où il tenait ses livres d'une manière très régulière, sans jamais commettre une seule erreur. Il avait coutume de dire qu'un être qu'il sentait en lui, lui faisait tenir sa comptabilité avec ordre et régularité. Au moment où il semblait être convaincu de l'absurdité de ses pensées, il s'écriait : «Non, non, vous voulez me tromper... je me souviens... cela est vrai.»
Antoine Bell a été évoqué à Paris, le 17 avril 1865, sur la demande de son ami.
1. Evocation. - R. Que me voulez-vous ? Me faire subir un interrogatoire ? c'est inutile, j'avouerai tout.
2. Il est loin de notre pensée de vouloir vous tourmenter par d'indiscrètes questions ; nous désirons seulement savoir quelle est votre position dans le monde où vous êtes, et si nous pouvons vous être utiles. - R. Ah ! si vous le pouviez, je vous en serais bien reconnaissant ! J'ai horreur de mon crime, et je suis bien malheureux !
3. Nos prières, nous en avons l'espoir, adouciront vos peines. Vous nous paraissez, du reste, dans de bonnes conditions ; le repentir est en vous, et c'est déjà un commencement de réhabilitation. Dieu, qui est infiniment miséricordieux, a toujours pitié du pécheur repentant. Priez avec nous. (Ici, on dit la prière pour les suicidés, qui se trouve dans l'Evangile selon le Spiritisme.)
Maintenant, voudriez-vous nous dire de quel crime vous vous reconnaissez coupable. Il vous sera tenu compte de cet aveu fait avec humilité. - R. Laissez-moi d'abord vous remercier de l'espérance que vous venez de faire naître en mon coeur. Hélas ! il y a bien longtemps déjà, je vivais dans une ville dont la mer du Midi baignait les murailles. J'aimais une jeune et belle enfant qui répondait à mon amour ; mais j'étais pauvre, et je fus repoussé par sa famille. Elle m'annonça qu'elle allait épouser le fils d'un négociant dont le commerce s'étendait au-delà des deux mers, et je fus éconduit. Fou de douleur, je résolus de m'ôter la vie, après avoir assouvi ma vengeance en assassinant mon rival abhorré. Les moyens violents me répugnaient pourtant ; je frissonnais à l'idée de ce crime, mais ma jalousie l'emporta. La veille du jour où ma bien-aimée devait être à lui, il mourut empoisonné par mes soins, trouvant ce moyen plus facile. Ainsi s'expliquent ces réminiscences du passé. Oui, j'ai déjà vécu, et il faut que je revive encore... O mon Dieu, ayez pitié de ma faiblesse et de mes larmes.
4. Nous déplorons ce malheur qui a retardé votre avancement, et nous vous plaignons sincèrement ; mais, puisque vous vous repentez, Dieu aura pitié de vous. Dites-nous, je vous prie, si vous mîtes à exécution votre projet de suicide. - R. Non ; j'avoue à ma honte que l'espoir revint dans mon coeur, je voulais jouir du prix de mon crime ; mais mes remords me trahirent ; j'expiai par le dernier supplice ce moment d'égarement : je fus pendu.
5. Aviez-vous conscience de cette mauvaise action dans votre dernière existence ? - R. Dans les dernières années de ma vie seulement, et voici comment. J'étais bon par nature ; après avoir été soumis, comme tous les Esprits homicides, au tourment de la vue continuelle de ma victime qui me poursuivait comme un remords vivant, j'en fus délivré de bien longues années après par mes prières et mon repentir. Je recommençai une autre fois la vie, la dernière, et la traversai paisible et craintif. J'avais en moi une vague intuition de ma faiblesse native et de ma faute antérieure dont j'avais conservé le souvenir latent. Mais un Esprit obsesseur et vindicatif, qui n'est autre que le père de ma victime, n'eut pas grand-peine à s'emparer de moi, et à faire revivre dans mon coeur, comme dans un miroir magique, les souvenirs du passé.
Tour à tour influencé par lui et par le guide qui me protégeait, j'étais l'empoisonneur, ou le père de famille qui gagnait le pain de ses enfants par son travail. Fasciné par ce démon obsesseur, il m'a poussé au suicide. Je suis bien coupable, il est vrai, mais moins cependant que si je l'eusse résolu moi-même. Les suicidés de ma catégorie, et qui sont trop faibles pour résister aux Esprits obsesseurs, sont moins coupables et moins punis que ceux qui s'ôtent la vie par le fait de la seule action de leur libre arbitre. Priez avec moi pour l'Esprit qui m'a influencé si fatalement, afin qu'il abdique ses sentiments de vengeance, et priez aussi pour moi, afin que j'acquière la force et l'énergie nécessaires pour ne pas faiblir à l'épreuve de suicide par libre volonté à laquelle je serai soumis, me dit-on, dans ma prochaine incarnation.
6. Au guide du médium. Un Esprit obsesseur peut-il réellement pousser au suicide ? - R. Assurément, car l'obsession qui, elle-même, est un genre d'épreuve, peut revêtir toutes les formes ; mais ce n'est pas une excuse. L'homme a toujours son libre arbitre et, par conséquent, il est libre de céder ou de résister aux suggestions auxquelles il est en butte ; lorsqu'il succombe, c'est toujours par le fait de sa volonté. L'Esprit a raison, du reste, quand il dit que celui qui fait le mal à l'instigation d'un autre est moins répréhensible et moins puni que lorsqu'il le commet de son propre mouvement ; mais il n'est pas innocenté, parce que, dès l'instant qu'il se laisse détourner du droit chemin, c'est que le bien n'est pas assez fortement enraciné en lui.
7. Comment se fait-il que, malgré la prière et le repentir qui avaient délivré cet Esprit du tourment qu'il éprouvait par la vue de sa victime, il ait encore été poursuivi par la vengeance de l'Esprit obsesseur dans sa dernière incarnation ? - R. Le repentir vous le savez, n'est que le préliminaire de la réhabilitation, mais il ne suffit pas pour affranchir le coupable de toute peine ; Dieu ne se contente pas de promesses ; il faut prouver, par ses actes, la solidité du retour au bien ; c'est pour cela que l'Esprit est soumis à de nouvelles épreuves qui le fortifient, en même temps qu'elles lui font acquérir un mérite de plus lorsqu'il en sort victorieux. Il est en butte aux poursuites des mauvais Esprits, jusqu'à ce que ceux-ci le sentent assez fort pour leur résister ; alors ils le laissent en repos, parce qu'ils savent que leurs tentatives seraient inutiles.
Ces deux derniers exemples nous montrent la même épreuve se renouvelant à chaque incarnation, aussi longtemps qu'on y succombe. Antoine Bell nous montre, en outre, le fait non moins instructif d'un homme poursuivi par le souvenir d'un crime commis dans une existence antérieure, comme un remords et un avertissement. Nous voyons par là que toutes les existences sont solidaires les unes des autres ; la justice et la bonté de Dieu éclatent dans la faculté qu'il laisse à l'homme de s'améliorer graduellement, sans jamais lui fermer la porte du rachat de ses fautes ; le coupable est puni par sa faute même, et la punition, au lieu d'être une vengeance de Dieu, est le moyen employé pour le faire progresser