Conclusion d'ErasteAprès le tournoi littéraire et philosophique qui a eu lieu dans les
dernières séances de votre société, et auquel nous avons assisté avec
une véritable satisfaction, je crois nécessaire, au point de vue
purement spirite, de vous faire part de quelques réflexions qui m'ont
été suscitées par cet intéressant débat dans lequel, du reste, je ne
veux intervenir en aucune façon. Mais avant tout, laissez-moi vous dire
que si votre réunion a été animée, cette animation n'a rien été auprès
de celle qui régnait entre les groupes nombreux d'Esprits éminents que
ces séances quasi académiques avaient attirés. Ah ! certes, si vous
aviez pu devenir voyants instantanément, vous auriez été surpris et
confus devant cet aréopage supérieur. Mais je n'ai pas l'intention de
vous dévoiler aujourd'hui ce qui s'est passé parmi nous ; mon but est
tout uniment de vous faire entendre quelques mots au sujet du profit que
vous devez retirer de cette discussion au point de vue de votre
instruction spirite.
Vous connaissez de longue main Lamennais,
et vous avez certainement apprécié combien ce philosophe est resté
amoureux de l'idée abstraite ; vous avez remarqué sans doute combien il
poursuit avec persistance et, je dois le dire, avec talent, ses théories
philosophiques et religieuses ; vous devez en déduire logiquement que
l'être personnel pensant poursuit, même au-delà de la tombe, ses études
et ses travaux, et qu'au moyen de cette lucidité qui est l'apanage
particulier des Esprits, comparant sa pensée spirituelle avec sa pensée
humaine, il doit en élaguer tout ce qui l'obscurcissait matériellement.
Eh bien ! ce qui est vrai pour Lamennais est également vrai pour les
autres, et chacun, dans le vaste pays de l'erraticité, conserve ses
aptitudes et son originalité.
Buffon, Gérard de Nerval, le
vicomte Delaunay, Bernardin de Saint-Pierre conservent, comme Lamennais,
les goûts et la forme littéraire que vous remarquiez en eux de leur
vivant. Je crois qu'il est utile d'appeler votre attention sur cette
condition d'être de notre monde d'outre-tombe, pour que vous ne vous
laissiez pas aller à croire qu'on abandonne instantanément ses
penchants, ses mœurs et ses passions en dépouillant le vêtement humain.
Sur la terre, les Esprits sont comme des prisonniers que la mort doit
délivrer ; mais de même que celui qui est sous les verrous a les mêmes
propensions, conserve la même individualité quand il est en liberté, de
même les Esprits conservent leurs tendances, leur originalité, leurs
aptitudes, quand ils arrivent parmi nous ; sauf toutefois ceux qui ont
passé, non par une vie de travail et d'épreuves, mais par une vie de
châtiment, comme les idiots, les crétins et les fous. Pour ceux-là, les
facultés intelligentes étant restées à l'état latent, ne se réveillent
qu'à leur sortie de la prison terrestre. Ceci, comme vous le pensez,
doit s'entendre du monde spirite inférieur ou moyen, et non des Esprits
élevés affranchis de l'influence corporelle.
Vous allez prendre
vos vacances, messieurs les Sociétaires ; permettez-moi de vous
adresser quelques paroles amies avant de nous séparer pour quelque
temps. Je crois que la doctrine consolante que nous sommes venus vous
enseigner ne compte que des adeptes fervents parmi vous ; c'est
pourquoi, comme il est essentiel que chacun se soumette à la loi du
progrès, je crois devoir vous conseiller d'examiner par-devers vous quel
profit vous avez retiré personnellement de nos travaux spirites, et
quelle amélioration morale il en est résulté dans vos milieux
réciproques. Car, vous le savez, il ne suffit pas de dire : Je suis
Spirite, et de renfermer au fond de soi-même cette croyance ; mais ce
qu'il vous est indispensable de savoir, c'est si vos actes se sont
conformés aux prescriptions de votre foi nouvelle qui est, on ne saurait
trop vous le répéter : Amour et charité. Que Dieu soit avec vous !
Éraste.