Discours et toast de M. Allan Kardec.Mes chers frères en Spiritisme,
Les expressions me manquent
pour rendre l'impression que je ressens de votre accueil si sympathique
et si bienveillant. Permettez-moi donc de vous dire en quelques mots, au
lieu de longues phrases qui n'en diraient pas davantage, que je
placerai mon premier séjour à Bordeaux au nombre des moments les plus
heureux de ma vie, et que j'en garderai un éternel souvenir ; mais je
n'oublierai pas non plus, messieurs, que cet accueil m'impose une grande
tâche, celle de le justifier, ce que j'espère faire avec l'aide de Dieu
et des bons Esprits. Il m'impose en outre de grandes obligations, non
seulement envers vous, mais encore envers les Spirites de tous les pays
dont vous êtes les représentants comme membres de la grande famille ;
envers le Spiritisme en général que vous venez acclamer dans ces deux
réunions solennelles, et qui, n'en doutez pas, puisera dans l'élan de
votre importante cité une force nouvelle pour lutter contre les
obstacles qu'on voudra jeter sur sa route.
Dans mon allocution
d'hier, j'ai parlé de son irrésistible puissance ; n'en êtes-vous pas la
preuve évidente, et n'est-ce pas un fait caractéristique que
l'inauguration d'une société Spirite qui débute, comme la vôtre, par la
réunion spontanée de près de 300 personnes, attirées, non par une vaine
curiosité, mais par la conviction, et le seul désir de se grouper en un
seul faisceau ? Oui, messieurs, ce fait est non seulement
caractéristique, mais il est providentiel. Voici à ce sujet ce que me
disait encore hier, avant la séance, mon guide spirituel : l'Esprit de
Vérité.
« Dieu a marqué du cachet de sa volonté immuable
l'heure de la régénération des enfants de cette grande cité. A l'œuvre
donc avec confiance et courage ; ce soir les destinées de ses habitants
vont commencer à sortir de l'ornière des passions que sa richesse et son
luxe faisaient germer comme l'ivraie près du bon grain, pour atteindre,
par le progrès moral que le Spiritisme va lui imprimer, la hauteur des
destinées éternelles. Bordeaux, vois-tu, est une ville aimée des
Esprits, car elle voit se multiplier dans ses murs les plus sublimes
dévouements de la charité sous toutes les formes ; aussi étaient-ils
affligés de la voir en arrière dans le mouvement progressif que le
Spiritisme vient imposer à l'humanité ; mais les progrès vont se faire
si rapidement, que les Esprits béniront le Seigneur de t'avoir inspiré
le désir de venir les aider à entrer dans cette voie sacrée. »
Vous le voyez donc, messieurs, l'élan qui vous anime vient d'en haut, et
bien téméraire serait celui qui voudrait l'arrêter, car il serait
terrassé comme les anges rebelles qui voulurent lutter contre la
puissance de Dieu. Ne craignez donc point l'opposition de quelques
adversaires intéressés, ou se pavanant dans leur incrédulité
matérialiste ; le matérialisme touche à sa dernière heure, et c'est le
Spiritisme qui vient la sonner, car il est l'aurore qui dissipe les
ténèbres de la nuit ; et, chose providentielle, c'est le matérialisme
lui-même qui, sans le vouloir, sert d'auxiliaire à la propagation du
Spiritisme ; par ses attaques il appelle sur lui l'attention des
indifférents ; on veut voir ce que c'est, et comme on le trouve bien, on
l'adopte. Vous en avez la preuve sous vos yeux ; sans les articles d'un
des journaux de votre ville, les Spirites bordelais seraient peut-être
moitié moins nombreux qu'ils ne le sont ; cet article a naturellement
éveillé la curiosité, car on s'est dit : On attaque, donc il y a quelque
chose ; et l'on a mesuré l'importance de la chose à la longueur de
l'article. On s'est demandé : est-ce bon ; est-ce mauvais ? est-ce vrai ;
est-ce faux ? voyons toujours. On a vu, et vous savez le résultat. Loin
donc d'en vouloir à l'auteur de l'article, il faut le remercier d'avoir
fait de la réclame gratuite ; et s'il y a ici quelqu'un de ses amis,
nous le prions de vouloir bien l'engager à recommencer, afin que, si
nous étions 300 hier, nous soyons 600 l'année prochaine. Je pourrais à
ce sujet vous citer des faits curieux de propagande semblable faite en
certaines villes par des sermons furibonds contre le Spiritisme.
Bordeaux comme Lyon vient donc de planter fièrement le drapeau du
Spiritisme, et ce que je vois m'est garant qu'il ne le laissera pas
enlever. Bordeaux et Lyon ! deux des plus grandes villes de France ;
foyers de lumières ! et l'on dit que tous les Spirites sont des fous !
Honneur aux fous de cette espèce ! N'oublions pas Metz qui vient aussi
de fonder sa société où figurent en grand nombre des officiers de tous
grades, et qui réclame son admission dans la grande famille. Bientôt, je
l'espère, Toulouse, Marseille, et d'autres cités où fermente déjà la
nouvelle semence, se joindront à leurs sœurs aînées, et donneront le
signal de la régénération dans leurs contrées respectives.
Messieurs, au nom de la Société parisienne des Etudes spirites, je porte
un toast aux Spirites de Bordeaux ; à leur union fraternelle pour
résister à l'ennemi qui voudrait les diviser, afin d'en avoir plus
facilement raison.
A ce toast j'associe du plus profond de mon
cœur, et avec la plus vive sympathie le groupe Spirite des ouvriers de
Bordeaux qui, comme ceux de Lyon, donnent un admirable exemple de zèle,
de dévouement, d'abnégation et de réforme morale. Je suis heureux, bien
heureux je vous assure, d'en voir les délégués réunis fraternellement à
cette table avec l'élite de la Société, qui prouve, par cette
association, l'influence du Spiritisme sur les préjugés sociaux. En
pourrait-il être autrement, quand il nous apprend que le plus haut placé
dans le monde a peut-être été lui-même un humble prolétaire, et qu'en
serrant la main du dernier manœuvre, il serre peut-être celle d'un
frère, d'un père ou d'un ami.
Au nom des Spirites de Metz et de
Lyon, dont je me rends l'interprète, je vous remercie de les avoir
compris dans l'expression de vos sentiments fraternels.
Aux Spirites bordelais !
Messieurs, les Spirites ne doivent pas être ingrats ; je crois qu'il
est du devoir de la reconnaissance de ne pas oublier ceux qui servent
notre cause, même sans le vouloir. Je propose donc un toast à l'auteur
de l'article du Courrier de la Gironde, pour le service qu'il nous a
rendu, en faisant des vœux pour qu'il renouvelle de temps en temps ses
spirituels articles ; et s'il plaît à Dieu, il sera bientôt le seul
homme sensé de Bordeaux.