Réunion générale des Spirites bordelais, le 14 octobre 1861 - Discours de M. SabòDiscours de M. Sabò
Mesdames, Messieurs,
Adressons à Dieu le sincère hommage de notre reconnaissance pour avoir
jeté sur nous un regard paternel et bienveillant, en nous accordant la
faveur précieuse de recevoir les enseignements des bons Esprits qui, par
son ordre, viennent chaque jour nous aider à discerner la vérité de
l'erreur, nous donner la certitude d'un bonheur à venir, nous montrer
que la punition est proportionnée à l'offense, mais non point éternelle,
et nous faire comprendre cette juste et équitable loi de la
réincarnation, clef de voûte de l'édifice Spirite, qui sert à nous
purifier et à nous faire progresser vers le bien.
La
réincarnation, ai-je dit ! Mais pour rendre ce mot plus saisissable,
cédons un instant la parole à l'un de nos guides spirituels qui, pour
notre instruction spirite, a bien voulu développer en quelques mots ce
grave et si intéressant sujet pour notre pauvre humanité.
« La
réincarnation, dit-il, c'est l'enfer ; la réincarnation, c'est le
purgatoire ; la réincarnation, c'est l'expiation ; la réincarnation,
c'est le progrès ; elle est enfin la sainte échelle que doivent gravir
tous les hommes ; ses échelons sont les phases des différentes
existences à parcourir pour arriver au sommet, car Dieu l'a dit : pour
aller à lui, il faut naître, mourir et renaître jusqu'à ce qu'on soit
arrivé aux limites de la perfection, et nul n'arrive à lui sans avoir
été purifié par la réincarnation. »
Encore novice dans la
science Spirite, nous n'avions, pour la répandre que du zèle et de la
bonne volonté ; Dieu s'est contenté de cela et a béni nos faibles
efforts en faisant germer dans le cœur de quelques-uns de nos frères de
Bordeaux la semence de la divine parole.
En effet, depuis le
mois de janvier que nous nous occupons de la science pratique, nous
avons vu se rallier à nous un certain nombre de frères qui s'en
occupaient isolément ; d'autres qui en ont entendu parler par la voix de
la presse, ou par celle de la renommée, cette trompette retentissante
qui s'est chargée de faire savoir sur tous les points de notre ville
l'apparition de celle foi consolante, témoignage irrécusable de la bonté
de Dieu pour ses enfants.
Malgré les difficultés que nous
avons rencontrées sur notre route, forts de la pureté et de la droiture
de nos convictions, soutenus par les conseils de notre aimé et vénéré
chef M. Allan Kardec, nous avons la douce satisfaction, après neuf mois
d'apostolat, avec l'aide de quelques-uns de nos frères, de pouvoir nous
réunir aujourd'hui sous ses yeux pour l'inauguration de cette Société
qui, je l'espère, continuera à porter des fruits en abondance, et se
répandra comme une rosée bienfaisante sur les cœurs desséchés par le
matérialisme, endurcis par l'égoïsme, gonflés par l'orgueil, et portera
le baume de la résignation aux affligés et aux souffrants, aux pauvres
et aux déshérités des biens terrestres, en leur disant : « Confiance et
courage ; les épreuves terrestres sont courtes comparativement à
l'éternité de bonheur que Dieu vous réserve en récompense de vos
souffrances et de vos luttes ici-bas. »
Oui, je le confesse à
haute voix, je suis heureux d'être l'interprète d'un grand nombre de
membres de la Société Spirite de Bordeaux, en protestant de notre
fidélité à suivre la route qui nous est tracée par notre cher
missionnaire ici présent, parce que nous avons compris que, pour être
sûr, le progrès ne peut se faire que graduellement, et qu'en heurtant
trop fortement certaines idées reçues depuis des siècles, nous
éloignerions le moment de notre émancipation spirituelle. Il est
possible qu'il y ait parmi nous des opinions divergentes sous ce rapport
; nous les respectons. Pour nous, marchons peu à peu suivant cette
maxime de la sagesse des nations : que va piano va sano ; nous
arriverons plus tard, peut-être, mais nous arriverons plus sûrement,
parce que nous n'aurons pas rompu avec la foi de nos ancêtres, qui sera
toujours sacrée pour nous, qu'elle qu'elle soit ; servons-nous de la
lumière du Spiritisme, non pour abattre, mais pour nous améliorer, pour
progresser ; en supportant avec courage et résignation les vicissitudes
de cette vie où nous ne sommes que de passage, nous mériterons la faveur
d'être conduits à la fin de nos épreuves, par les Esprits du Seigneur, à
la jouissance de l'immortalité pour laquelle nous avons été créés.
Permettez, cher maître, qu'au nom des membres de cette Société qui
vous entourent, je vous remercie de l'honneur que vous leur avez fait en
venant inaugurer vous-même cette réunion de famille qui est une fête
pour nous tous, et qui marquera sans contredit dans les fastes du
Spiritisme ; recevez également en ce jour, qui restera gravé dans nos
cœurs et d'une manière toute particulière, l'expression bien sincère de
notre vive reconnaissance pour la bonté paternelle avec laquelle vous
avez encouragé nos faibles travaux ; c'est vous qui nous avez tracé la
route où nous sommes heureux de vous suivre, convaincus d'avance que
votre mission est de faire marcher le progrès spirituel dans notre belle
France qui, à son tour, donnera l'élan aux autres nations de la terre,
pour les faire arriver peu à peu au bonheur, par le progrès intellectuel
et moral.
Quelques considérations sur le Spiritisme, lues en séance générale lors du passage de M. Allan Kardec à Bordeaux.
Par le docteur Bouché de Vitray.
(14 octobre 1861.)
Il
est certaines époques ou l'idée gouverne le monde, précédant ces grands
cataclysmes qui transforment les hommes et les peuples. Autant et plus
que celle qui préside aux intérêts temporaires, l'idée religieuse prend
aussi sa part dans le grand mouvement social.
Absorbée
fréquemment par les préoccupations matérielles, elle s'en dégage tout à
coup, ou insensiblement. Tantôt c'est la foudre qui s'échappe de la nue,
tantôt le volcan qui mine sourdement la montagne avant de franchir le
cratère. Aujourd'hui elle affecte un autre genre de manifestation :
après s'être montrée comme un point imperceptible à l'horizon de la
pensée, elle a fini par envahir l'atmosphère. L'air en est imprégné ;
elle traverse l'espace, féconde les intelligences, tient le monde entier
en émoi ; et ne croyez pas que j'emprunte ici à la métaphore
l'expression de la réalité ; non, c'est un phénomène dont on a
conscience et qui se traduit difficilement par la parole. C'est comme un
fluide qui nous presse de toutes part, c'est quelque chose de vague et
d'indéterminé dont chacun ressent l'influence, dont le cerveau est
imprégné, qui s'en dégage souvent comme par intuition, rarement comme
une pensée formulée explicitement. L'idée religieuse, disons Spirite,
tient sa place dans le comptoir du négociant, dans le cabinet du
médecin, dans l'étude de l'avocat et de l'avoué, dans l'atelier de
l'ouvrier, dans les camps et dans les casernes. Le nom de notre grand,
de notre cher missionnaire Spirite, est dans toutes les bouches, comme
son image est dans tous nos cœurs, et tous les yeux sont fixés sur ce
point culminant, digne interprète des ministres du Seigneur. Cette idée
qui parcourt l'immensité, qui surexcite tous les cerveaux humains, qui
existe même instinctivement dans les esprits incarnés les plus
récalcitrants, ne serait-elle pas l'œuvre de cette multitude
d'intelligences qui nous enveloppe, devançant et facilitant nos travaux
apostoliques ?
Nous savons que le témoignage de l'authenticité
de notre doctrine remonte à la nuit des temps ; que les livres sacrés,
base fondamentale du christianisme les relatent ; que plusieurs Pères de
l'Église, entre autres Tertullien et saint Augustin, en affirment la
réalité ; les œuvres contemporaines même en font mention, et je ne puis
résister au désir de citer un passage d'un opuscule publié en 1843, qui
semble exposer analytiquement toute la quintessence du Spiritisme :
« Quelques personnes mettent en doute l'existence d'intelligences
supérieures, incorporelles, autrement de génies présidant à
l'administration du monde, et entretenant un commerce intime avec
quelques êtres privilégiés ; c'est pour elles que j'écris les lignes qui
vont suivre ; elles leur donneront, j'espère, la conviction. Dans tous
les règnes de la nature, c'est une loi que les espèces s'échelonnent
depuis les infiniment petits jusqu'aux infiniment grands. C'est par
degrés imperceptibles que l'on passe du ciron à l'éléphant, du globule
de sable au plus immense des globes célestes. Cette gradation régulière
est évidente dans toutes les œuvres sensibles du Créateur ; elle doit
donc se trouver dans ses chefs-d'œuvre, afin que l'échelle soit continue
pour monter jusqu'à lui ! La distance prodigieuse qui existe entre la
matière inerte et l'homme doué de raison semble être comblée par les
êtres organiques, mais privés de cette noble prérogative. Dans la
distance infinie entre l'homme et son auteur se trouve la place des purs
Esprits. Leur existence est indispensable pour que la création soit
achevée en tout sens.
« Il y a donc aussi le monde des Esprits,
dont la variété est aussi grande que celle des étoiles qui brillent au
firmament ; il y a aussi l'univers des intelligences qui, par la
subtilité, la promptitude et l'étendue de leur pénétration, approchent
de plus en plus de l'intelligence souveraine. Son dessein, déjà
manifeste dans l'organisation du monde visible, se continue jusqu'à
parfaite consommation dans le monde invisible. Toutes les religions
proclament l'existence de ces êtres immatériels, toutes les représentent
comme s'immisçant dans les affaires humaines en qualité d'agents
secondaires ; nier leur entremise dans les péripéties humanitaires,
c'est évidemment nier les faits sur lesquels reposent les croyances de
tous les peuples, de tous les philosophes et de tous les sages, en
remontant jusqu'à la plus haute antiquité. »
A coup sûr celui
qui a tracé ce tableau était Spirite au fond de l'âme. A cette ébauche
incomplète il manque le dogme essentiel de la réincarnation, ainsi que
les conséquences morales que l'enseignement des Esprits impose aux
adeptes du Spiritisme. La doctrine existait à l'état d'intuition dans
les intelligences et dans les cœurs : vous êtes apparu, vous, monsieur,
l'élu de Dieu ; le Tout-Puissant a enté sur une vaste érudition, sur un
esprit élevé et d'une rectitude complète une médiumnité privilégiée.
Tous les éléments des vérités éternelles étaient disséminés dans
l'espace ; il fallait fixer la science, porter la conviction dans les
consciences encore indécises, réunir toutes les inspirations émanées du
Très-Haut, en un corps substantiel de doctrine ; l'œuvre a marché, et le
pollen échappé de cette anthère intellectuelle a produit la
fécondation. Votre nom est le drapeau sous lequel nous nous rangeons à
l'envi. Aujourd'hui vous venez en aide à ces enfants du Spiritisme qui
ne font encore que balbutier les rudiments de la science, mais qu'un
grand nombre d'Esprits attentifs et bienveillants ne dédaignent pas de
favoriser de leurs célestes inspirations. Déjà, et nous nous en
félicitons, au milieu de ce congrès des intelligences des deux mondes,
les passions mauvaises s'ameutent autour de l'œuvre régénératrice ; déjà
le faux savoir, l'orgueil, l'égoïsme et les intérêts humains se
dressent contre le Spiritisme, en témoignage de sa puissance, tandis que
le grand moteur de ce progrès ascensionnel vers les régions célestes,
Dieu, caché derrière ce nuage de théories haineuses et chimériques,
reste calme, et poursuit son œuvre.
Et l'œuvre s'accomplit, et
sur tous les points du globe se forment des centres Spirites. Les jeunes
gens abandonnent les illusions du premier âge, qui leur préparent tant
de déceptions à l'époque de leur maturité ; des hommes mûrs apprennent à
prendre l'existence au sérieux ; des vieillards qui ont usé leurs
émotions au frottement de la vie, remplissent ce vide immense par des
jouissances plus réelles que celles qui les abandonnent, et de tous ces
éléments hétérogènes se forment des agrégats qui rayonnent à l'infini.
Notre belle cité n'a pas été la dernière à participer à ce mouvement
intellectuel. Un de ces hommes au cœur droit, au jugement sain, a pris
l'initiative. Son appel a été entendu par des intelligences qui
s'harmonisaient avec la sienne ; autour de ce foyer lumineux gravitait
un grand nombre de cercles Spirites.
De toutes parts surgissent
des communications variées portant le cachet de leur auteur : c'est la
mère qui, de sa sphère glorieuse, avec la perfection du détail et sa
tendresse infinie, se communique à son enfant bien-aimé ; c'est le père
ou l'aïeul qui allie à l'amour paternel la sévérité de la forme ; c'est
Fénelon qui donne au langage de la charité l'empreinte de la beauté
antique et la mélodie de sa prose ; c'est le spectacle touchant d'un
fils devenu Esprit bienheureux, et rendant celle qui le porta dans son
sein l'écho de ses hauts enseignements ; c'est celui d'une mère qui se
révèle à son fils, et qui, la tête couronnée d'étoiles, le conduit
d'épreuve en épreuve à la place qu'il doit occuper près d'elle et dans
le sein de Dieu pendant toutes les éternités (sic) ; c'est l'archevêque
d'Utrecht soufflant à son protégé ses inspirations éloquentes, et les
soumettant au frein de l'orthodoxie ; c'est un ange Gabriel, touchant
homonyme du grand archange, prenant spontanément, et avec la permission
de Dieu, la mission de guider son frère, de le suivre pas à pas, alliant
ainsi, lui Esprit supérieur, l'amour fraternel à l'amour divin ; ce
sont les purs Esprits, les saints, les archanges, qui revêtent leurs
sublimes instructions du sceau de la divinité ; ce sont enfin des
manifestations physiques, après lesquelles le doute n'est plus qu'une
absurdité s'il n'est pas une profanation.
Après avoir élevé vos
regards jusqu'aux degrés supérieurs de l'échelle des êtres, consentez,
chers collègues, à les abaisser jusqu'aux degrés infimes, et les
infiniment petits vous fourniront encore des enseignements.
Il y
a bientôt dix ans que les clartés du Spiritisme ont lui à mes yeux ;
mais c'était le Spiritisme à l'état rudimentaire, dénué de ses
principaux documents et de sa technologie caractéristique ; c'était un
reflet, quelques jets d'un mince rayonnement ; ce n'était pas encore la
lumière.
Au lieu de mettre à la main la plume et le crayon et
d'obtenir, par ce moyen ainsi simplifié, des communications rapides, on
recourait à la table par la typtologie ou l'écriture médiate. La table
n'était qu'un appendice de la main, mais ce mode de communication, en
général répulsif aux Esprits supérieurs, les tenait le plus souvent à
distance. Je n'eus donc que des mystifications, des réponses triviales
ou obscènes ; et je m'éloignai moi-même de ces mystères d'outre-tombe,
qui se traduisaient d'une manière si peu conforme à mon attente, ou
plutôt qui se présentaient sous un aspect qui m'épouvantait. Plusieurs
expérimentations avaient été tentées et avaient amené des résultats
analogues.
Et cependant ces déceptions apparentes n'étaient que
des épreuves temporaires qui devaient avoir pour conséquence définitive
l'entraînement de mes convictions.
Malgré moi, le positivisme
de mes études avait déteint sur mes croyances philosophiques ; mais
j'étais sceptique et non pyrrhonien ; car je doutais, à mon grand
regret, et je faisais de vains efforts pour repousser le matérialisme
qui avait envahi par surprise mon âme et mon cœur. Que les décrets de
Dieu sont impénétrables ! Cette disposition morale servit précisément à
ma transformation. J'avais sous les yeux l'immortalité de l'âme revêtant
l'aspect d'une réalité matérielle et, pour asseoir celle foi si
nouvelle, que m'importait après tout que les manifestations me vinssent
d'un Esprit supérieur ou inférieur, pourvu que ce fût un Esprit ! Ne
savais-je pas bien qu'un corps inerte, tel que la table, peut être
l'instrument, mais non la cause d'une manifestation intelligente ; que
celle-ci n'entrait pour rien dans la sphère de mes idées, et que toutes
les théories fluidiques sont impuissantes à les expliquer ?
J'avais donc secoué ces tendances matérialistes, contre lesquelles je
luttais sans succès, avec une énergie désespérée, et j'aurais exploré
franchement ces régions intellectuelles que j'avais seulement entrevues,
n'était la démonophobie de M. de Mirville et l'impression profonde
qu'elle avait jetée dans mon âme. Il fallait, pour contrepartie de son
livre, ce traité si lumineux, si substantiel, si plein de vérités
consolantes, écrit sous la direction des intelligences célestes par un
Esprit incarné, mais un Esprit d'élite, auquel, dès ce jour, fut révélée
sa mission sur la terre.
La reconnaissance m'oblige
aujourd'hui à inscrire sur cette page le nom d'un de mes bons amis, qui
ouvrit mes yeux à la lumière, celui de M. Roustaing, avocat distingué,
et surtout consciencieux, destiné à jouer un rôle marquant dans les
fastes du Spiritisme ; je dois cet hommage passager à la reconnaissance
et à l'amitié.
Certes, si dans cette solennité, je ne craignais
pas d'abuser de l'emploi du temps, j'aurais à citer nombre de
communications d'un intérêt incontestable ; et cependant, au milieu de
cette activité purement intellectuelle, au-dessus de nos rapports
incessants avec le monde des Esprits, surnagent deux faits qui me
semblent, par exception, protester contre un mutisme absolu. Le premier
est caractérisé par des détails intimes et touchants qui nous ont émus
jusqu'aux larmes ; le second, par l'étrangeté du phénomène, appartient à
la médiumnité voyante, et constitue une preuve si palpable qu'on en
serait réduit à nier la bonne foi des médiums, si l'on voulait nier la
réalité du fait.
Quelques fervents Spirites se réunissent
hebdomadairement à moi, pour étudier en commun et plus fructueusement la
doctrine des Esprits. Une foi pleine et entière, l'analogie, pour la
plupart, des études et de l'éducation, ont fait naître une sympathie
réciproque et une communion d'idées et de pensées ; disposition
intellectuelle et morale sans contredit la plus favorable aux
communications sérieuses.
Dans ce modeste comité, l'un de nous,
doué à un degré éminent de la faculté médianimique, voulut évoquer
l'Esprit d'une jeune enfant qu'il avait connue et qui avait succombé, je
crois, à une affection croupale, à l'âge de 6 ans ; il faisait office
de médium et moi d'évocateur. L'Evocation était à peine terminée qu'une
percussion très sensible contre un des meubles de l'antichambre excita
notre attention, et nous porta à nous enquérir si ce bruit, d'un
caractère insolite, provenait d'une cause naturelle ou d'un effet
spirite. Ce sont, nous répondirent nos guides, les compagnes d'Estelle
(c'était le nom que portait la jeune fille pendant sa vie terrestre),
qui viennent au-devant de leur jeune amie ; et nous suivions, par la
pensée, ce gracieux cortège planant dans l'espace ! On nous désigna
parmi elles Antonia, jeune fille qui ne fit que passer sur la terre et
qui avait à peine achevé son quatrième printemps lorsqu'elle tomba sous
la faux meurtrière. Prévoyant qu'elles allaient achever leurs épreuves
dans une nouvelle existence, je priai mon ange gardien, cette bonne mère
dont la tendresse ne m'a jamais fait défaut, de les prendre sous son
patronage, et de leur montrer ostensiblement leur céleste protectrice.
L'adhésion ne se fit pas attendre ; mais Dieu ne lui permit d'apparaître
qu'à l'une d'elles, et elle choisit Antonia : « Que vois-tu, ma petite
amie ? m'écriai-je en évoquant cette dernière - Oh ! la belle dame, elle
est toute resplendissante de lumières ! - Et que dit cette belle dame ?
- Elle me dit : Viens à moi, mon enfant, je t'aime ! » Voilà pourquoi
j'ai représenté cette tendre mère la tête couronnée d'étoiles.
Si cette touchante anecdote, appartenant au monde Spirite, ne vous
paraît que le chapitre d'un roman, il faut renoncer à toute
communication.
L'autre fait peut se résumer en deux mots :
J'étais avec un de mes collègues en Spiritisme ; onze heures et demie
nous avaient surpris au milieu des prières que nous adressions à Dieu
pour les Esprits souffrants, lorsque j'entrevis vaguement une ombre
partant d'un des points de mon cabinet, en décrivant une ligne
diagonale, qui se prolongea jusqu'à mon lit, situé dans la pièce
voisine. Lorsqu'elle eut fini son parcours, nous entendîmes un
craquement très distinct, et l'ombre se dirigea vers la bibliothèque en
formant un angle aigu avec la première direction.
L'émotion me
gagnait, mais à cette heure où tout dispose aux émotions et au mystère,
je crus d'abord à une hallucination, à une illusion d'optique, et je
formai intérieurement la résolution de garder le silence sur cette
apparition fantastique, lorsque le compagnon de mes études incessantes,
se tournant vers moi, me demanda si je n'avais rien vu. J'étais
interdit, mais je résolus d'attendre une ouverture plus complète, et je
me bornai à m'enquérir des motifs de sa question. Il me décrivit alors
l'étrange phénomène dont il avait été également témoin avec une telle
exactitude qu'il ne me fut plus possible de douter et de ne pas
confirmer la réalité de l'apparition.
Le surlendemain, notre
médium par excellence était présent ; nos guides consultés nous
confirmèrent la vérité ; ils ajoutèrent que cette apparition spontanée
était celle d'un Esprit désigné, pendant sa vie terrestre, sous le nom
de Maria de los Angelles. Il nous fut permis de l'évoquer, et le
résultat de nos questions fut qu'elle était née en Espagne, qu'elle y
avait pris le voile, que sa vie avait été longtemps exempte de
reproches, mais qu'une faute grave, à laquelle la mort n'avait pas
laissé le temps de l'expiation, était la cause de ses souffrances dans
le monde des Esprits.
Quelques jours après, le hasard, ou
plutôt la volonté de Dieu, nous ménagea un second contrôle de ce fait
étrange. Un Spirite, jeune mécanicien d'une intelligence remarquable,
avait passé avec moi la dernière partie de sa soirée. Pendant que je
m'entretenais avec lui, je remarquai que son regard prenait une fixité
singulière. Il n'attendit pas ma demande pour me donner l'explication de
cette circonstance. « A l'instant même où vous aviez les yeux dirigés
vers moi, j'ai vu distinctement la silhouette d'une femme qui, de la
fenêtre, s'est avancée jusqu'au fauteuil voisin, devant lequel elle
s'est agenouillée ; elle avait l'aspect d'une personne de vingt-cinq ans
; elle était vêtue en noir ; la partie supérieure du torse était
recouverte d'une pèlerine ; elle était coiffée d'une sorte de mouchoir
ou béguin. »
Cette description concordait parfaitement avec
l'idée que je m'étais faite de la religieuse espagnole, et la place où
elle se prosterna est à peu près celle où j'ai l'habitude d'offrir à
Dieu, dans cette position, mes prières pour les décédés. Pour moi,
c'était Marie des Anges.
Sans doute les incrédules et les faux
Spirites se riront de ma certitude, et verront dans ce fait trois
visionnaires au lieu d'un ; quant aux Spirites sincères, ils me
croiront, surtout quand je l'affirmerai sur l'honneur. Je ne reconnais à
personne le droit de révoquer en doute un pareil témoignage.
Les travaux du Spiritisme à Bordeaux, de quelque modestie et de quelque
réserve qu'ils s'entourent, n'en sont pas moins l'objet de la curiosité
publique, et il ne se passe guère de jours que je ne sois questionné à
ce sujet. Tout profane émerveillé des phénomènes spirites réclame avec
instance la faveur d'une expérimentation ; son âme flotte entre son
propre doute et la conviction des adeptes.
Introduisez-le dans
une assemblée sérieuse, dans une réunion de Spirites que nous supposons
profondément recueillie, c'est-à-dire apportant une disposition
convenable à la gravité de la circonstance ; que se passera-t-il chez
lui ? Le médium écrivain traduisant sous la dictée les inspirations d'un
Esprit supérieur les lui fera-t-il accepter comme telles ? J'en ai fait
la fâcheuse expérience : si la communication porte le cachet de
l'inspiration céleste, il en attribuera le mérite au talent du médium ;
si la pensée du messager de Dieu prend la teinte du milieu par où elle
passe, elle lui paraîtra bien certainement une conception tout humaine.
Dans cette circonstance, voici ma règle de conduite ; elle est à
l'avance tracée par l'homme de la Providence, par ce missionnaire de la
pensée, que nous possédons momentanément et qui de son centre habituel
d'activité, continuera à faire rayonner sur nous les trésors célestes
dont une grâce spéciale l'a fait le dispensateur. Au curieux qui vient
s'enquérir de la réalité des faits ou solliciter une audience, soit
comme sujet de distraction, soit comme une émotion qui traverse le cœur
sans s'y arrêter, je me borne à exposer la gravité du sujet ; à l'esprit
faux savant incarné, qui me représente parfaitement sur ce globe celui
de la 8° classe et du 3° ordre du monde Spirite, je réponds par une fin
de non-recevoir ; mais à celui qui, bien qu'obsédé par ses doutes,
possède la vérité à l'état de germe, qui débute par la bonne foi pour
arriver à la foi, je conseille les études théoriques, auxquelles ne
tarde pas à succéder l'étude pratique ou l'expérimentation ; ainsi, à
mesure que d'un fait nouveau se dégage une idée nouvelle, il
l'enregistre à côté du fait ; alors se logent goutte à goutte dans son
cœur et dans son cerveau, la science Spirite, ses conséquences morales,
qui nous font voir, au bout de cette longue succession de revers, de
travaux et d'épreuves alternant dans les deux existences, une éternité
radieuse qui s'écoule au sein de Dieu, source de bonheur et de vie !
Bouché de Vitray,
docteur-médecin.
Discours de M. Allan Kardec
Mesdames et Messieurs,
C'est avec bonheur que je me suis rendu à l'appel que vous avez bien voulu me faire, et l'accueil sympathique que je reçois de vous est une de ces satisfactions morales qui laissent dans le cœur une impression profonde et ineffaçable. Si je suis heureux de cet accueil cordial, c'est que j'y vois un hommage rendu à la doctrine que nous professons et aux bons Esprits qui nous l'enseignent, bien plus qu'à moi personnellement qui ne suis qu'un instrument dans les mains de la Providence. Convaincu de la vérité de cette doctrine, et du bien qu'elle est appelée à produire, j'ai tâché d'en coordonner les éléments ; je me suis efforcé de la rendre claire et intelligible pour tous ; c'est toute la part qui m'en revient, aussi ne m'en suis-je jamais posé comme le créateur : l'honneur tout entier en est aux Esprits ; c'est donc à eux seuls que doivent se reporter les témoignages de votre gratitude, et je n'accepte les éloges que vous voulez bien me donner que comme un encouragement de poursuivre ma tâche avec persévérance.
Dans les travaux que j'ai faits pour atteindre le but que je me suis proposé, j'ai sans doute été aidé par les Esprits, ainsi qu'ils me l'ont dit plusieurs fois, mais sans aucun signe extérieur de médianimité. Je ne suis donc point médium dans le sens vulgaire du mot, et aujourd'hui je comprends qu'il est heureux pour moi qu'il en soit ainsi. Par une médianimité effective, je n'aurais écrit que sous une même influence ; j'aurais été porté à n'accepter comme vrai que ce qui m'aurait été donné, et cela peut-être à tort ; tandis que, dans ma position, il convenait que j'eusse une liberté absolue de prendre le bon partout où il se trouve et de quelque côté qu'il vînt ; j'ai donc pu faire un choix des divers enseignements, sans prévention, et avec une entière impartialité. J'ai beaucoup vu, beaucoup étudié, beaucoup observé, mais toujours d'un œil impassible, et je n'ambitionne rien de plus que de voir l'expérience que j'ai acquise mise à profit par les autres, auxquels je suis heureux de pouvoir éviter les écueils inséparables de tout noviciat.
Si j'ai beaucoup travaillé, et si je travaille tons les jours, j'en suis bien largement récompensé par la marche si rapide de la doctrine, dont les progrès dépassent tout ce qu'il était permis d'espérer par les résultats moraux qu'elle produit, et je suis heureux de voir que la ville de Bordeaux, non seulement ne reste pas en arrière de ce mouvement, mais se dispose à marcher à la tête par le nombre et la qualité des adeptes. Si l'on considère que le Spiritisme doit sa propagation à ses propres forces, sans l'appui d'aucun des auxiliaires qui font d'ordinaire les succès, et malgré les efforts d'une opposition systématique, ou plutôt à cause même de ces efforts, on ne peut s'empêcher d'y voir le doigt de Dieu. Si ses ennemis sont puissants, puisqu'ils n'ont pu en paralyser l'essor, il faut donc convenir qu'il est plus puissant qu'eux, et que comme le serpent de la fable, ils usent en vain leurs dents contre une lime d'acier.
Si nous disons que le secret de sa puissance est dans la volonté de Dieu, ceux qui ne croient pas à Dieu s'en moqueront. Il y a bien aussi des gens qui ne nient pas Dieu, mais qui pensent être plus forts que lui ; ceux-là ne rient pas : ils opposent des barrières qu'ils croient infranchissables, et pourtant le Spiritisme les franchit tous les jours sous leurs yeux ; c'est qu'en effet il puise dans sa nature, dans son essence même, une force irrésistible. Quel est donc le secret de cette force ? Tenons-nous à le cacher, de peur qu'une fois connu, à l'exemple de Samson, ses ennemis n'en profitent pour le terrasser ? Nullement ; dans le Spiritisme, il n'y a point de mystères, tout se fait au grand jour, et nous pouvons sans crainte le révéler hautement. Quoique je l'aie déjà dit, il n'est peut-être pas hors de propos de le répéter ici, afin que l'on sache bien que si nous livrons à nos adversaires le secret de nos forces, c'est que nous connaissons aussi leur côté faible.
La force du Spiritisme a deux causes prépondérantes : la première, c'est qu'il rend heureux ceux qui le connaissent, le comprennent et le pratiquent ; or, comme il y a beaucoup de gens malheureux, il recrute une innombrable armée parmi ceux qui souffrent. Veut-on lui enlever cet élément de propagation ? Qu'on rende les hommes tellement heureux moralement et matériellement, qu'ils n'aient plus rien à désirer, ni dans ce monde ni dans l'autre ; nous ne demandons pas mieux, puisque le but sera atteint. La seconde, c'est qu'il ne repose sur la tête d'aucun homme qu'on puisse abattre ; qu'il n'a point de foyer unique qu'on puisse éteindre ; son foyer est partout, parce que partout il y a des médiums qui peuvent communiquer avec les Esprits ; qu'il n'y a pas de famille qui n'en puisse trouver dans son sein, et que cette parole du Christ s'accomplit : Vos fils et vos filles prophétiseront, et ils auront des visions ; parce qu'enfin le Spiritisme est une idée, et qu'il n'y a point de barrières impénétrables à l'idée, ni assez hautes pour qu'elle ne puisse les franchir. On a tué le Christ, on a tué ses apôtres et ses disciples ; mais le Christ avait lancé dans le monde l'idée chrétienne, et cette idée a triomphé de la persécution des Césars omnipotents. Pourquoi donc le Spiritisme, qui n'est autre chose que le développement et l'application de l'idée chrétienne, ne triompherait-il pas de quelques railleurs ou d'antagonistes qui, jusqu'à présent, malgré leurs efforts, n'ont pu lui opposer qu'une stérile négation ? Est-ce là une prétention chimérique ? Un rêve réformateur ? Les faits sont là pour répondre : le Spiritisme, envers et contre tout, pénètre partout ; comme la poussière fécondante des fleurs, il est porté par les vents, et prend racine aux quatre coins du monde, parce que partout il trouve une terre féconde en souffrances sur laquelle il verse un baume consolateur. Supposez donc l'état le plus absolu que l'imagination puisse rêver, recrutant le ban et l'arrière-ban de ses sbires pour arrêter l'idée au passage ; empêchera-t-il les Esprits d'entrer chez lui, de se manifester spontanément ? Empêchera-t-il les médiums de se former dans l'intimité des familles ? Supposons-le assez fort pour empêcher d'écrire, pour prohiber la lecture des livres ; peut-il empêcher d'entendre, puisqu'il y a des médiums auditifs ? Empêchera-t-il le père de recevoir les consolations du fils qu'il a perdu ? Vous voyez donc que c'est impossible, et que j'avais raison de dire que le Spiritisme peut, sans crainte, livrer le secret de ses forces à ses ennemis.
Soit, dira-t-on ; quand une chose est inévitable, il faut bien l'accepter ; mais si c'est une idée fausse ou mauvaise, n'a-t-on pas raison de l'entraver ? Il faudrait d'abord prouver qu'elle est fausse ; or, jusqu'à présent, qu'opposent ses adversaires ? Des railleries et des négations qui, en bonne logique, n'ont jamais passé pour des arguments ; mais une réfutation sérieuse, solide ; une démonstration catégorique, évidente, où la trouvez-vous ? Nulle part, pas plus dans les critiques de la science qu'ailleurs. D'un autre côté, quand une idée se propage avec la rapidité de l'éclair, quand elle trouve d'innombrables échos dans les rangs les plus éclairés de la société, quand elle a ses racines chez tous les peuples, depuis qu'il y a des hommes sur la terre ; quand les plus grands philosophes sacrés et profanes l'ont proclamée, il est illogique de supposer qu'elle ne repose que sur le mensonge et l'illusion ; tout homme sensé, ou qui n'est pas aveuglé par la passion ou l'intérêt personnel, se dira qu'il doit y avoir quelque chose de vrai, et tout au moins l'homme prudent, avant de nier, suspendra son jugement.
L'idée est-elle mauvaise ? Si elle est vraie, si elle n'est qu'une application des lois de la nature, il semble difficile qu'elle puisse être mauvaise, à moins d'admettre que Dieu a mal fait ce qu'il a fait. Comment une doctrine serait-elle mauvaise quand elle rend meilleurs ceux qui la professent, quand elle console les affligés, donne de la résignation dans le malheur, ramène la paix dans les familles, calme l'effervescence des passions, empêche le suicide ? Elle est, disent quelques-uns, contraire à la religion. Voilà le grand mot avec lequel on essaie d'effrayer les timides et ceux qui ne la connaissent pas. Comment une doctrine qui rend meilleur, qui enseigne la morale évangélique, qui ne prêche que la charité, l'oubli des offenses, la soumission à la volonté de Dieu, serait-elle contraire à la religion ? Ce serait un non-sens ; affirmer une pareille chose serait faire le procès à la religion elle-même ; c'est pourquoi je dis que ceux qui parlent ainsi ne la connaissent pas. Si telle était ce résultat, pourquoi ramènerait-elle aux idées religieuses ceux qui ne croient à rien ? Pourquoi ferait-elle prier ceux qui avaient oublié de le faire depuis leur enfance ?
Il est d'ailleurs une autre réponse également péremptoire : le Spiritisme est étranger à toute question dogmatique. Aux matérialistes, il prouve l'existence de l'âme ; à ceux qui ne croient qu'au néant, il prouve la vie éternelle ; à ceux qui croient que Dieu ne s'occupe pas des actions des hommes, il prouve les peines et les récompenses futures ; en détruisant le matérialisme, il détruit la plus grande plaie sociale : voilà son but ; quant aux croyances spéciales, il ne s'en occupe pas, et laisse à chacun toute liberté ; le matérialiste est le plus grand ennemi de la religion ; le Spiritisme, en le ramenant au Spiritualisme, lui fait faire les trois quarts du chemin pour rentrer dans le giron de l'Eglise ; c'est à l'Église à faire le reste ; mais si la communion vers laquelle il tendrait à se rallier le repousse, il serait à craindre qu'il ne se tournât vers une autre.
En vous disant cela, messieurs, je prêche des convertis, vous le savez tous aussi bien que moi ; mais il est un autre point sur lequel il est utile de dire quelques mots.
Si les ennemis du dehors ne peuvent rien contre le Spiritisme, il n'en est pas de même de ceux du dedans ; je veux dire de ceux qui sont plus Spirites de nom que de fait, sans parler de ceux qui n'ont du Spiritisme que le masque. Le plus beau côté du Spiritisme, c'est le côté moral ; c'est par ses conséquences morales qu'il triomphera, car là est sa force, par là il est invulnérable. Il inscrit sur son drapeau : Amour et charité, et devant ce palladium plus puissant que celui de Minerve, car il vient du Christ, l'incrédulité elle-même s'incline. Que peut-on opposer à une doctrine qui conduit les hommes à s'aimer comme des frères ? Si l'on n'admet pas la cause, du moins on respectera l'effet ; or, le meilleur moyen de prouver la réalité de l'effet, c'est d'en faire l'application à soi-même ; c'est de montrer aux ennemis de la doctrine, par son propre exemple, qu'elle rend réellement meilleur ; mais comment faire croire qu'un instrument peut produire l'harmonie, s'il rend des sons discordants ? De même, comment persuader que le Spiritisme doit conduire à la concorde, si ceux qui le professent, ou qui sont censés le professer, ce qui est tout un pour les adversaires, se jettent la pierre ? Si une simple susceptibilité d'amour-propre, de préséance suffit pour les diviser ? N'est-ce pas le moyen de se faire renvoyer son propre argument ? Les ennemis les plus dangereux du spiritisme sont donc ceux qui le font mentir à lui-même, en ne pratiquant pas la foi qu'eux-mêmes viennent proclamer. Il y aurait puérilité à faire dissidence pour des nuances d'opinion ; il y aurait malveillance évidente, oubli du premier devoir du vrai Spirite, de se séparer pour une question personnelle, car le sentiment de la personnalité est le fruit de l'orgueil et de l'égoïsme.
Il ne faut pas oublier, messieurs, que les ennemis du Spiritisme sont de deux ordres : d'un côté vous avez les railleurs et les incrédules ; ceux-là reçoivent tous les jours des démentis par les faits ; vous ne les craignez pas et vous avez raison. Il servent notre cause sans le vouloir, et nous devons les en remercier. D'un autre côté sont les gens intéressés à combattre la doctrine ; ceux-là, n'espérez pas les ramener par la persuasion, car ils ne cherchent pas la lumière ; en vain déploieriez-vous à leurs yeux l'évidence du soleil, ils sont aveugles, parce qu'ils ne veulent pas voir. Ils ne vous attaquent pas, parce que vous êtes dans l'erreur, mais parce que vous êtes dans le vrai, et qu'à tort ou à raison ils croient que le Spiritisme est nuisible à leurs intérêts matériels ; s'ils étaient persuadés que c'est une chimère, ils le laisseraient parfaitement tranquille ; aussi leur acharnement croît en raison des progrès de la doctrine, de telle sorte qu'on peut mesurer son importance par la violence de leurs attaques. Tant qu'ils n'ont vu dans le Spiritisme qu'un jeu de tables tournantes, ils n'ont rien dit, et ils ont compté sur le caprice de la mode ; mais aujourd'hui qu'en dépit de leur mauvais vouloir ils voient l'insuffisance de la raillerie, ils emploieront d'autres moyens. Ces moyens, quels qu'ils soient, nous en avons démontré l'impuissance ; toutefois, s'ils ne peuvent étouffer cette voix qui s'élève de toutes les parties du monde, s'ils ne peuvent arrêter ce torrent qui les envahit de toutes parts, ils feront tout pour apporter des entraves, et s'ils peuvent reculer le progrès d'un seul jour, ils diront que c'est encore un jour de gagné.
Attendez-vous donc à ce qu'ils disputeront le terrain pied à pied, car l'intérêt matériel est de tous le plus tenace ; pour lui, les droits les plus sacrés de l'humanité ne sont rien ; vous en avez la preuve dans la lutte américaine. Périsse l'union qui faisait notre gloire, plutôt que nos intérêts ! disent les esclavagistes ; ainsi parlent les adversaires du Spiritisme, car la question humanitaire est le moindre de leurs soucis. Que leur opposer ? Un drapeau qui les fait pâlir, car ils savent bien qu'il porte ces mots sortis de la bouche du Christ : Amour et charité, et que ces mots sont leur sentence. Autour de ce drapeau, que tous les vrais Spirites se rallient, et ils seront forts, car l'union fait la force. Reconnaissez donc les vrais défenseurs de votre cause, non à de vaines paroles, les paroles ne coûtent rien, mais à la pratique de la loi d'amour et de charité, à l'abnégation de la personnalité ; le meilleur soldat n'est pas celui qui brandit le plus haut son sabre, mais celui qui sacrifie courageusement sa vie. Regardez donc comme faisant cause commune avec vos ennemis tous ceux qui tendraient à jeter parmi vous des ferments de discorde, car volontairement ou involontairement, ils fournissent des armes contre vous ; dans tous les cas, ne comptez pas plus sur eux que sur ces mauvais soldats qui lâchent pied au premier coup de fusil.
Mais, direz-vous, si les opinions sont partagées sur quelques points de la doctrine, comment reconnaître de quel côté est la vérité ? C'est la chose la plus facile. Vous avez d'abord pour poids votre jugement, pour mesure la saine et inflexible logique. Vous aurez ensuite l'assentiment de la majorité ; car, croyez bien que le nombre croissant ou décroissant des partisans d'une idée vous donne la mesure de sa valeur ; si elle est fausse, elle ne saurait conquérir plus de voix que la vérité : Dieu ne le permettrait pas ; il peut laisser l'erreur se montrer par-ci par-là, pour nous faire voir ses allures et nous apprendre à la reconnaître ; sans cela où serait notre mérite si nous n'avions pas de choix à faire ? Voulez-vous un autre critérium de la vérité ? En voici un qui est infaillible. Puisque la devise du Spiritisme est Amour et charité, reconnaissez la vérité à la pratique de cette maxime, et tenez pour certain que celui qui jette la pierre à l'autre ne peut être dans le vrai absolu. Quant à moi, messieurs, vous avez entendu ma profession de foi. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, il s'élevait des dissidences entre vous, je le dis à regret, je me séparerais ouvertement de ceux qui déserteraient le drapeau de la fraternité, car, à mes yeux, ils ne pourraient être regardés comme de vrais Spirites.
Dans tous les cas, ne vous inquiétez nullement de quelques dissidences passagères ; vous aurez bientôt la preuve qu'elles sont sans conséquences graves ; ce sont des épreuves pour votre foi et votre jugement ; ce sont souvent aussi des moyens permis par Dieu et les bons Esprits pour donner la mesure de la sincérité, et faire connaître ceux sur lesquels on peut réellement compter au besoin, et que l'on évite ainsi de mettre en avant ; ce sont de petites pierres semées sur votre route, afin de vous habituer à voir sur quoi vous vous appuyez.
Il me reste, messieurs, à vous parler de l'organisation de la Société. Puisque vous voulez bien me demander mon avis, je vous dirai ce que j'ai dit l'année passée à Lyon ; les mêmes motifs m'engagent à vous détourner de toutes mes forces du projet de former une Société unique embrassant tous les Spirites de la ville, ce qui serait tout simplement impraticable par le nombre croissant de ses adeptes. Vous ne tarderiez pas à être arrêtés par les obstacles matériels et par les difficultés morales plus grandes encore qui vous en montreraient l'impossibilité ; mieux vaut donc ne pas entreprendre une chose à laquelle vous seriez obligés de renoncer. Toutes les considérations à l'appui de cette opinion sont complètement développées dans la nouvelle édition du Livre des Médiums auquel je vous invite à vous en référer. Je n'y ajouterai que peu de mots.
Ce qu'il est difficile d'obtenir dans une réunion nombreuse l'est beaucoup moins dans les groupes particuliers ; ils se forment par une affinité de goûts, de sentiments et d'habitudes. Deux groupes séparés peuvent avoir une manière de voir différente sur quelques points de détail, et n'en pas moins très bien marcher d'accord, tandis que s'ils étaient réunis, la divergence des opinions y apporterait inévitablement le trouble.
Le système de la multiplication des groupes a encore pour résultat de couper court aux rivalités de suprématie et de présidence. Chaque groupe est naturellement présidé par le maître de la maison ou celui qui est désigné, et tout se passe en famille. Si la haute direction du Spiritisme, dans une ville, incombe à quelqu'un, celui ci y sera appelé par la force des choses, et un assentiment tacite le désignera tout naturellement en raison de son mérite personnel, de ses qualités conciliantes, du zèle et du dévouement dont il aura fait preuve, des services réels qu'il aura rendus à la cause ; il acquerra ainsi, sans la rechercher, une force morale que personne ne songera à lui contester, parce que tout le monde la reconnaîtra en lui ; tandis que celui qui, de son autorité privée, chercherait à s'imposer, ou qui serait porté par une coterie, rencontrerait de l'opposition de la part de tous ceux qui ne lui reconnaîtraient pas les qualités morales nécessaires, et de là une cause inévitable de divisions.
C'est une chose grave que de conférer à quelqu'un la direction suprême de la doctrine ; avant de le faire il faut être bien sûr de lui sous tous les rapports, car, avec des idées erronées, il pourrait entraîner la Société sur une pente fâcheuse et peut-être à sa ruine. Dans les groupes particuliers, chacun peut faire ses preuves d'habileté et se désigner, pour plus tard, au suffrage de ses collègues s'il y avait lieu ; mais nul ne peut prétendre être général avant d'avoir été soldat. De même que le bon général se reconnaît à son courage et à ses talents, le véritable Spirite se reconnaît à ses qualités ; or, la première dont il doit faire preuve, c'est l'abnégation de la personnalité ; c'est donc à ses actes qu'on le reconnaît, plus qu'à ses paroles. Ce qu'il faut pour une telle direction, c'est un vrai Spirite, et le vrai spirite n'est mû ni par l'ambition, ni par l'amour-propre. J'appelle à ce sujet, messieurs, votre attention sur les diverses catégories de Spirites dont les caractères distinctifs sont clairement définis dans le Livre des Médiums (n° 28).
Du reste, quelle que soit la nature de la réunion, qu'elle soit nombreuse ou non, les conditions qu'elle doit remplir pour atteindre le but sont les mêmes ; c'est à cela qu'il faut apporter tous ses soins, et ceux qui les rempliront seront forts, parce qu'ils auront nécessairement l'appui des bons Esprits. Ces conditions sont tracées dans le Livre des Médiums (n° 341).
Un travers assez fréquent chez quelques nouveaux adeptes, c'est de se croire passés maîtres après quelques mois d'étude. Le Spiritisme est une science immense, comme vous savez, et dont l'expérience ne peut s'acquérir qu'avec le temps, en cela comme en toutes choses. Il y a dans cette prétention de n'avoir plus besoin des conseils d'autrui et de se croire au-dessus de tous, une preuve d'insuffisance, puisqu'on manque à l'un des premiers préceptes de la doctrine : la modestie et l'humilité. Quand les Esprits mauvais rencontrent de semblables dispositions dans un individu, ils ne manquent pas de les surexciter et de les entretenir, en lui persuadant qu'il possède seul la vérité. C'est un des écueils que l'on peut rencontrer, et contre lequel j'ai cru devoir vous prémunir, en ajoutant qu'il ne suffit pas plus de se dire Spirite que de se dire chrétien : il faut le prouver par la pratique.
Si, par la formation des groupes, on évite la rivalité des individus, cette rivalité ne peut-elle exister entre les groupes eux-mêmes qui, marchant dans des voies un peu divergentes, pourraient produire des schismes, tandis qu'une Société unique maintiendrait l'unité de principes ? A cela je réponds que l'inconvénient que l'on signale ne serait pas évité, puisque ceux qui n'adopteraient pas les principes de la Société s'en sépareraient, et que rien ne les empêcherait de faire bande à part. Les groupes sont autant de petites Sociétés qui marcheront nécessairement dans la même voie si elles adoptent toutes le même drapeau, et les bases de la science consacrées par l'expérience. J'appelle également à ce sujet votre attention sur le n° 348 du Livre des Médiums. D'ailleurs, rien n'empêche qu'un groupe central ne soit formé de délégués des divers groupes particuliers qui se trouveraient ainsi avoir un point de ralliement et un correspondant direct avec la Société de Paris. Puis, tous les ans, une assemblée générale pourrait réunir tous les adeptes et devenir ainsi une véritable fête du Spiritisme. Du reste, sur ces divers points, je préparerai une instruction détaillée que j'aurai l'honneur de vous transmettre ultérieurement, soit sur l'organisation, soit sur l'ordre des travaux. Ceux qui la suivront se maintiendront naturellement dans l'unité des principes.
Tels sont, messieurs, les conseils que je crois devoir vous donner, puisque vous avez bien voulu en référer à mes avis. Je suis heureux d'ajouter que j'ai trouvé à Bordeaux d'excellents éléments, et un progrès beaucoup plus grand que je ne m'y attendais ; j'y ai trouvé un grand nombre de vrais et sincères Spirites, et j'emporte de ma visite l'espoir fondé que notre doctrine s'y développera sur les bases les plus larges et dans d'excellentes conditions. Croyez bien que mon concours ne fera jamais défaut à tout ce qui sera en mon pouvoir de faire pour seconder les efforts de ceux qui sont sincèrement et consciencieusement dévoués de cœur à cette noble cause qui est celle de l'humanité.
L'Esprit d'Éraste, que vous connaissez déjà, messieurs, par les remarquables dissertations que vous avez lues de lui, veut aussi vous apporter le tribut de ses conseils. Avant mon départ de Paris il a dicté, par son médium habituel, la communication suivante dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture.
Première épître aux Spirites de Bordeaux, par Éraste, humble serviteur de Dieu
Que la paix du Seigneur soit avec vous, mes bons amis, afin que rien ne vienne jamais troubler la bonne harmonie qui doit régner dans un centre de Spirites sincères ! Je sais combien votre foi en Dieu est profonde, et quels fervents adeptes vous êtes de la nouvelle révélation ; c'est pourquoi je vous le dis dans toute l'effusion de ma tendresse pour vous, je serais désolé, nous serions tous désolés, nous qui sommes, sous la direction de l'Esprit de Vérité, les initiateurs du Spiritisme en France, si la concorde dont vous avez donné jusqu'à ce jour des preuves éclatantes, venait à disparaître d'au milieu de vous. Si vous n'aviez pas donné l'exemple d'une fraternité solide ; si enfin vous n'étiez pas un centre sérieux et important de la grande communion Spirite française, j'aurais laissé cette question dans l'ombre. Mais si je l'ai soulevée, c'est que j'ai de plausibles raisons pour vous inviter à maintenir parmi vos divers groupes l'union, la paix et l'unité de doctrine. Oui, mes chers disciples, je profite avec empressement de cette occasion, que nous avons préparée nous-mêmes, pour vous montrer combien serait funeste au développement du Spiritisme, et quel scandale causerait parmi vos frères des autres pays, la nouvelle d'une scission dans le centre que nous avons été charmés, jusqu'à cette heure, de citer, pour son Esprit de fraternité, à tous les autres groupes formés ou en voie de formation. Je n'ignore pas, et vous ne devez pas ignorer non plus, qu'on mettra tout en œuvre pour semer la division parmi vous ; qu'on cherchera à vous tendre des pièges ; qu'on sèmera sur votre route des embûches de toute sorte ; qu'on vous opposera les uns aux autres, afin de fomenter une division et d'amener une rupture à tous égards regrettable ; mais vous saurez éviter cela, en pratiquant d'abord vis-à-vis de vous-mêmes, et ensuite vis-à-vis de tous, les sublimes préceptes de la loi d'amour et de charité. Non, j'en suis convaincu, vous ne donnerez pas aux ennemis de notre sainte cause, la satisfaction de dire : Voyez ces Spirites de Bordeaux, qu'on nous montrait comme marchant à l'avant-garde des nouveaux croyants ; ils ne savent pas même être d'accord, entre eux ! C'est là, mes chers amis, où l'on vous attend, où l'on nous attend tous. Vos excellents guides vous l'ont déjà dit : vous aurez à lutter non seulement contre les orgueilleux, les égoïstes, les matérialistes et tous ces infortunés qui sont imbus de l'esprit du siècle ; mais encore et surtout contre la tourbe des Esprits trompeurs qui, trouvant au milieu de vous une rare réunion de médiums, car vous êtes des mieux partagés sous ce rapport, viendront bientôt vous assaillir : les uns, avec des dissertations savamment combinées où, à la faveur de quelques pieuses tirades, ils insinueront l'hérésie ou quelque principe dissolvant ; les autres avec des communications ouvertement hostiles aux enseignements donnés par les vrais missionnaires de l'Esprit de vérité. Ah ! Croyez-moi, ne craignez jamais alors de démasquer les fourbes qui, nouveaux Tartuffes, s'introduiraient parmi vous sous le masque de la religion ; soyez également sans pitié pour les loups dévorants qui se cacheraient sous des peaux de brebis. Avec l'aide de Dieu, que vous n'invoquerez jamais en vain, et avec l'assistance des bons Esprits qui vous protègent, vous resterez inébranlables dans votre foi ; les mauvais Esprits vous trouveront invulnérables, et lorsqu'ils verront leurs traits s'émousser contre l'amour et la charité qui animent vos cœurs, ils se retireront tout confus d'une campagne où ils n'auront récolté que l'impuissance et la honte. En regardant comme subversive toute doctrine contraire à la morale de l'Evangile et aux prescriptions générales du Décalogue, qui se résument dans celle loi concise : Aimez Dieu par-dessus tout et votre prochain comme vous-même, vous resterez invariablement unis. Du reste, en toute chose, il faut savoir se soumettre à la loi commune : il n'appartient à personne de s'y soustraire, ou de vouloir imposer son opinion et son sentiment quand ceux-ci ne sont pas acceptés par les autres membres d'une même famille Spirite ; et en cela, je vous invite instamment à vous modeler sur les usages et les règlements de la Société des études Spirites de Paris, où nul, quels que soient son rang, son âge, les services rendus ou l'autorité acquise, ne peut substituer son initiative personnelle à celle de la Société dont il fait partie, et à fortiori l'engager en rien par des démarches qu'elle n'a pas approuvées. Cela dit, il est incontestable que les adeptes d'un même groupe doivent avoir une juste déférence pour la sagesse et l'expérience acquises : l'expérience n'est le partage ni du plus âgé ni du plus savant, mais bien de celui qui s'est occupé depuis le plus long temps et avec le plus de fruit pour tous de notre consolante philosophie ; quant à la sagesse, c'est à vous d'examiner celui ou ceux qui parmi vous en suivent et en pratiquent le mieux les préceptes et les lois. Toutefois, mes amis, avant de suivre vos propres inspirations, vous avez, ne l'oubliez pas, vos conseils et vos protecteurs éthérés à consulter, et ceux-ci ne vous feront jamais défaut quand vous les solliciterez avec ferveur et dans un but d'intérêt général. Pour cela, il vous faut de bons médiums, et j'en vois ici d'excellents au milieu desquels vous n'aurez qu'à choisir. Certes, et je m'y connais, madame et mademoiselle Cazemajoux et quelques autres possèdent au plus haut degré les qualités médianimiques, et nul pays, je vous le répète, n'est, sous ce rapport, mieux partagé que Bordeaux.
J'ai dû vous faire entendre une voix d'autant plus sévère, mes bien-aimés, que l'Esprit de Vérité, notre maître à tous, attend davantage de vous. Rappelez-vous que vous faites partie de l'avant-garde Spirite, et que l'avant-garde, comme l'état-major, doit à tous l'exemple d'une soumission absolue à la discipline établie. Ah ! votre tâche n'est pas facile, puisque c'est à vous qu'incombe l'œuvre de porter, d'une main vigoureuse, la cognée dans les sombres forêts du matérialisme, et de poursuivre jusque dans leurs derniers retranchements les intérêts matériels coalisés. Nouveaux Jasons, vous marchez à la conquête de la véritable toison d'or, c'est-à-dire, de ces idées nouvelles et fécondes qui doivent régénérer le monde ; mais vous y marchez non plus dans votre intérêt privé, non plus même dans l'intérêt de la génération actuelle, mais surtout dans l'intérêt des générations futures auxquelles vous préparez les voies. Il y a dans cette œuvre un cachet d'abnégation et de grandeur qui frappera d'admiration et de reconnaissance les siècles futurs, et dont Dieu, croyez-moi, saura vous tenir compte. J'ai dû vous parler comme je l'ai fait, parce que je m'adresse à des gens qui entendent la raison, à des hommes qui poursuivent sérieusement un but éminemment utile : l'amélioration et l'émancipation de la race humaine ; à des Spirites, enfin, qui enseignent et qui prêchent d'exemple, que le meilleur moyen pour y arriver est dans la pratique des véritables vertus chrétiennes. J'ai dû vous parler ainsi, parce qu'il fallait vous prémunir contre un danger en vous le signalant : c'était mon devoir ; je viens de le remplir. Aussi, maintenant, je puis envisager sans inquiétude l'avenir, parce que je suis convaincu que mes paroles profiteront à tous et à chacun ; et que l'égoïsme, l'amour-propre ou la vanité n'auront désormais aucune prise sur des cœurs où la vraie fraternité régnera sans partage.
Vous vous souviendrez, Spirites de Bordeaux, que l'union entre vous est le véritable acheminement vers l'union et la fraternité universelle ; et, à cet égard, je suis heureux, très heureux, de pouvoir constater hautement que le Spiritisme vous devra de lui avoir fait faire un pas en avant. Recevez donc nos félicitations, car je parle ici au nom de tous les Esprits qui président à la grande œuvre de la régénération humaine, pour avoir, par votre initiative, ouvert un nouveau champ d'exploration et une nouvelle cause de certitude aux études des phénomènes d'outre-tombe, par votre demande d'affiliation, non plus comme individus isolés, mais comme groupe compact, à la société initiatrice de Paris. Je reconnais, à l'importance de cette démarche, la haute sagesse de vos guides principaux, et j'en remercie le tendre Fénelon et ses fidèles coadjuteurs Georges et Marius, qui président avec lui à vos pieuses et studieuses réunions. Je profite de cette circonstance pour rendre également un témoignage éclatant aux Esprits Ferdinand et Félicia, que vous connaissez tous. Bien que ces dignes collaborateurs aient fait le bien pour le bien seul, il est bon que vous sachiez que c'est à ces modestes pionniers, secondés par l'humble Marcelin, que notre sainte doctrine doit d'avoir si rapidement prospéré à Bordeaux et dans le sud-ouest de la France.
Oui, mes fidèles croyants, votre admirable initiative sera suivie, je le sais, par tous les groupes Spirites sérieusement formés. C'est donc un pas immense en avant. Vous avez compris, et tous vos frères comprendront comme vous quels avantages, quels progrès, quelle propagande résulteront de l'adoption d'un programme uniforme pour les travaux et les études de la doctrine que nous vous avons révélée. Il est bien entendu, néanmoins, que chaque groupe conservera son originalité et son initiative particulière ; mais en dehors de ses travaux particuliers, il aura à s'occuper de diverses questions d'intérêt général soumises à son examen par la Société centrale, et à résoudre diverses difficultés dont la solution n'a pu jusqu'à ce jour être obtenue des Esprits, par des raisons qu'il est inutile de vous développer ici. Je croirais vous faire injure si je faisais ressortir à vos yeux les conséquences qui résulteront de travaux simultanés ; et qui donc alors osera contester une vérité, quand cette vérité sera confirmée par l'unanimité ou la majorité des réponses médianimiques obtenues simultanément à Lyon, à Bordeaux, à Constantinople, à Metz, à Bruxelles, à Sens, à Mexico, à Carlsruhe, à Marseille, à Toulouse, à Mâcon, à Sétif, à Alger, à Oran, à Cracovie, à Moscou, à Saint-Pétersbourg ainsi qu'à Paris ?
Je vous ai entretenu avec la rude franchise dont je me sers avec vos frères de Paris. Néanmoins, je ne vous quitterai pas sans témoigner mes sympathies justement acquises à cette famille patriarcale où les excellents Esprits commis à votre direction spirituelle ont commencé à faire entendre leurs éloquentes paroles ; j'ai nommé la famille Sabò, qui a su traverser avec une constance et une piété inaltérable les épreuves douloureuses dont Dieu a bien voulu l'affliger, afin de l'élever et de la rendre apte à sa mission actuelle. Je ne dois pas oublier non plus le concours dévoué de tous ceux qui, dans leurs sphères respectives, ont contribué à propager notre consolante doctrine. Continuez tous, mes amis, à marcher résolument dans la voie ouverte : elle vous conduira sûrement vers les sphères éthérées du parfait bonheur où je vous donne rendez-vous. Au nom de l'Esprit de Vérité qui vous aime, je vous bénis, Spirites de Bordeaux !
Éraste.