Notre collègue, madame Costel, étant allée faire une excursion dans la
partie des Alpes où le crétinisme semble avoir établi un de ses
principaux foyers, y reçut d'un de ses Esprits habituels la
communication suivante :
- Les crétins sont des êtres punis sur
la terre pour le mauvais usage qu'ils ont fait de puissantes facultés ;
leur âme est emprisonnée dans un corps dont les organes impuissants ne
peuvent exprimer leurs pensées ; ce mutisme moral et physique est une
des plus cruelles punitions terrestres ; souvent elle est choisie par
les Esprits repentants qui veulent racheter leurs fautes. Cette épreuve
n'est point stérile, car l'Esprit ne reste pas stationnaire dans sa
prison de chair ; ces yeux hébétés voient, ce cerveau déprimé conçoit,
mais rien ne peut se traduire ni par la parole ni par le regard, et,
sauf le mouvement, ils sont moralement dans l'état des léthargiques et
des cataleptiques qui voient et entendent ce qui se passe autour d'eux
sans pouvoir l'exprimer. Quand vous avez en rêve ces terribles
cauchemars où vous voulez fuir un danger, que vous poussez des cris pour
appeler au secours, tandis que votre langue reste attachée au palais et
vos pieds au sol, vous éprouvez un instant ce que le crétin éprouve
toujours : paralysie du corps jointe à la vie de l'Esprit.
Presque toutes les infirmités ont ainsi leur raison d'être ; rien ne se
fait sans cause, et ce que vous appelez l'injustice du sort est
l'application de la plus haute justice. La folie est aussi une punition
de l'abus de hautes facultés ; le fou a deux personnalités : celle qui
extravague et celle qui a la conscience de ses actes, sans pouvoir les
diriger. Quant aux crétins, la vie contemplative et isolée de leur âme,
qui n'a pas les distractions du corps, peut être aussi agitée que les
existences les plus compliquées par les événements ; quelques-uns se
révoltent contre leur supplice volontaire ; ils regrettent de l'avoir
choisi et éprouvent un désir furieux de revenir à une autre vie, désir
qui leur fait oublier la résignation à la vie présente, et le remords de
la vie passée dont ils ont la conscience, car les crétins et les fous
savent plus que vous, et sous leur impuissance physique se cache une
puissance morale dont vous n'avez nulle idée. Les actes de fureur ou
d'imbécillité auxquels leur corps se livre sont jugés par l'être
intérieur qui en souffre et qui en rougit. Ainsi, les bafouer, les
injurier, les maltraiter même, comme on le fait quelquefois, c'est
augmenter leurs souffrances, car c'est leur faire sentir plus durement
leur faiblesse et leur abjection, et s'ils le pouvaient, ils
accuseraient de lâcheté ceux qui n'agissent de cette façon que parce
qu'ils savent que leur victime ne peut se défendre.
Le
crétinisme n'est pas une des lois de Dieu, et la science peut le faire
disparaître, car il est le résultat matériel de l'ignorance, de la
misère et de la malpropreté. Les nouveaux moyens d'hygiène que la
science, devenue plus pratique, a mis à la portée de tous, tendent à le
détruire. Le progrès étant la condition expresse de l'humanité, les
épreuves imposées se modifieront et suivront la marche des siècles ;
elles deviendront toutes morales, et lorsque votre terre, jeune encore,
aura accompli toutes les phases de son existence, elle deviendra un
séjour de félicité comme d'autres planètes plus avancées.
Pierre Jouty, père du médium.
Remarque.
Il fut un temps où l'on avait mis en question l'âme des crétins, et
l'on se demandait s'ils appartenaient véritablement à l'espèce humaine.
La manière dont le Spiritisme les fait envisager n'est-elle pas d'une
haute moralité et d'un grand enseignement ? N'y a-t-il pas matière à
sérieuses réflexions en songeant que ces corps disgraciés renferment des
âmes qui ont peut-être brillé dans le monde, qui sont aussi lucides et
aussi pensantes que les nôtres sous l'épaisse enveloppe qui en étouffe
les manifestations, et qu'il peut en être de même un jour de nous, si
nous abusons des facultés que nous a départies la Providence ?
Comment en outre le crétinisme pourrait-il s'expliquer ; comment le
faire concorder avec la justice et la bonté de Dieu, sans admettre la
pluralité des existences, autrement dit la réincarnation ? Si l'âme n'a
pas déjà vécu, c'est qu'elle est créée en même temps que le corps ; dans
cette hypothèse, comment justifier la création d'âmes aussi déshéritées
que celles des crétins de la part d'un Dieu juste et bon ? car ici, il
ne s'agit point d'un de ces accidents, comme la folie, par exemple, que
l'on peut ou prévenir ou guérir ; ces êtres naissent et meurent dans le
même état ; n'ayant aucune notion du bien et du mal, quel est leur sort
dans l'éternité ? Seront-ils heureux à l'égal des hommes intelligents et
travailleurs ? Mais pourquoi cette faveur, puisqu'ils n'ont rien fait
de bien ? Seront-ils dans ce qu'on appelle les limbes, c'est-à-dire dans
un état mixte qui n'est ni le bonheur ni le malheur ? Mais pourquoi
cette infériorité éternelle ? Est-ce leur faute si Dieu les a créés
crétins ? Nous défions tous ceux qui repoussent la doctrine de la
réincarnation de sortir de cette impasse. Avec la réincarnation, au
contraire, ce qui parait une injustice devient une admirable justice ;
ce qui est inexplicable s'explique de la manière la plus rationnelle. Au
reste, nous ne sachons pas que ceux qui repoussent cette doctrine
l'aient jamais combattue avec des arguments plus péremptoires que celui
de leur répugnance personnelle à revenir sur la terre. Ils sont donc
bien sûrs d'avoir assez de vertus pour gagner le ciel d'emblée ! Nous
leur souhaitons bonne chance. Mais les crétins ? mais les enfants qui
meurent en bas âge ? quels titres auront-ils à faire valoir ?