REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

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Entretiens familiers d'outre-tombe

Madame Bertrand (Haute Saône.)
Décédée le 7 février 1861, évoquée dans la Société Spirite de Paris, le 15 du même mois.

Nota. Madame Bertrand avait fait une étude sérieuse du Spiritisme dont elle professait la doctrine, et dont elle comprenait toute la portée philosophique.

1. Évocation. - R. Je suis là.

2. Votre correspondance nous ayant appris à vous apprécier, et connaissant votre sympathie pour la Société, nous avons pensé que vous ne nous sauriez pas mauvais gré de vous avoir appelée sitôt. - R. Vous voyez que je suis là.

3. Un autre motif me détermine personnellement à le faire : je compte écrire à mademoiselle votre fille au sujet de l'événement qui vient de la frapper, et je suis sûr qu'elle sera heureuse de connaître le résultat de notre entretien. - R. Certainement ; elle l'attend, car je lui avais promis de me révéler aussitôt qu'une évocation me serait adressée.

4. Éclairée comme vous l'étiez sur le Spiritisme, et pénétrée des principes de cette doctrine, vos réponses seront pour nous doublement instructives.

Veuillez d'abord nous dire si vous avez beaucoup tardé à vous reconnaître, et si vous avez déjà recouvré la pleine jouissance de vos facultés ? - R. La pleine jouissance de mes anciennes facultés, oui ; la pleine jouissance de mes nouvelles facultés, non.

5. L'usage est de demander aux vivants comment ils se portent ; mais aux Esprits on leur demande s'ils sont heureux ; c'est avec un profond sentiment de sympathie que nous vous adressons cette dernière question. - R. Merci, mes amis. Je ne suis pas encore heureuse dans le sens spiritualiste du mot ; mais je suis heureuse par le renouvellement de mon être ravi en extase ; par la vue des choses qui nous sont révélées, mais que nous comprenons encore imparfaitement, tout bon médium ou Spirite que nous soyons.

6. De votre vivant vous vous étiez fait une idée du monde Spirite par l'étude de la doctrine ; veuillez nous dire si vous avez trouvé les choses telles que vous vous les étiez représentées ? - R. A peu près, comme nous voyons les objets dans l'incertitude de demi-ténèbres ; mais combien sont-elles différentes lorsque le jour éclatant les révèle !

7. Ainsi le tableau qui nous est fait de la vie Spirite n'a rien d'exagéré, rien d'illusoire ! - R. Il est amoindri par votre esprit qui ne peut comprendre les choses divines qu'adoucies et voilées ; nous agissons avec vous comme vous le faites avec les enfants auxquels vous ne montrez qu'une partie des choses disposées pour leur entendement.

8. Avez-vous été témoin de l'instant de la mort de votre corps ? - R. Mon corps, épuisé par de longues souffrances, n'a pas eu à subir une grande lutte ; mon âme s'est détachée de lui comme le fruit mûr tombe de l'arbre. L'anéantissement complet de mon être m'a empêchée de sentir la dernière angoisse de l'agonie.

9. Pourriez-vous nous décrire vos sensations au moment du réveil ? - R. Il n'y a pas de réveil, ou plutôt il m'a semblé qu'il y avait continuation ; comme après une courte absence on rentre chez soi, il m'a semblé que quelques minutes me séparaient à peine de ce que je venais de quitter. Errante autour de mon lit, je me voyais étendue, transfigurée, et je ne pouvais m'éloigner, retenue que j'étais, ou du moins à ce qu'il me semblait, par un dernier lien à cette enveloppe corporelle qui m'avait tant fait souffrir.

10. Avez-vous immédiatement vu d'autres Esprits vous entourer ? - R. Aussitôt ils sont venus me recevoir. J'ai alors détourné ma pensée du moi terrestre, et le moi spirituel transporté s'est abîmé dans la délicieuse jouissance des choses nouvelles et connues que je retrouvais.

11. Étiez-vous parmi les membres de votre famille pendant la cérémonie funèbre ? - R. J'ai vu enlever mon corps, mais je me suis détournée aussitôt ; le Spiritisme dématérialise par avance, et rend plus soudain le passage du monde terrestre au monde spirituel. Je n'avais emporté de ma migration sur la terre ni vains regrets ni curiosité puérile.

12. Avez-vous quelque chose de particulier à dire à mademoiselle votre fille qui partageait vos croyances, et m'a écrit plusieurs fois en votre nom ? - R. Je lui recommande de donner à ses études un caractère plus sérieux ; je lui recommande de transformer la douleur stérile en souvenir pieux et fécond ; qu'elle n'oublie pas que la vie se poursuit sans interruption, et que les frivoles intérêts du monde pâlissent devant le grand mot : Éternité ! D'ailleurs mon souvenir personnel, tendre et intime, lui sera transmis bientôt.

13. Au mois de janvier je vous ai adressé une carte de visite-portrait ; comme vous ne m'avez jamais vu, veuillez nous dire si vous me reconnaissez. - R. Mais je ne vous reconnais pas ; je vous vois.

N'avez-vous pas reçu cette carte ? - R. Je ne me la rappelle pas.

14. J'aurais plusieurs questions importantes à vous adresser sur les faits extraordinaires qui se sont passés dans votre demeure, et dont vous nous avez entretenus ; je pense que vous pourrez nous donner à ce sujet d'intéressantes explications ; mais l'heure avancée et la fatigue du médium m'engagent à les ajourner ; je me borne à quelques demandes pour terminer.

Quoique votre mort soit récente, avez-vous déjà quitté la terre ? avez-vous parcouru les espaces et visité d'autres mondes ? - R. Le mot visiter ne répond pas au mouvement aussi rapide que l'est la parole qui nous fait, aussi vite que la pensée, découvrir les sites nouveaux. La distance n'est qu'un mot, comme le temps n'est qu'une même heure pour nous.

15. En préparant les questions que l'on se propose d'adresser à un Esprit, c'est généralement une évocation anticipée ; veuillez nous dire si, par là, vous étiez prévenue de notre intention, et si vous étiez près de moi hier pendant que je préparais les questions ? - R. Oui, je savais tout ce que vous me diriez aujourd'hui, et je répondrai avec développement aux questions que vous réservez.

16. De votre vivant nous aurions été très heureux de vous voir parmi nous, mais puisque cela n'a pas pu avoir lieu, nous sommes également heureux de vous avoir en Esprit, et nous vous remercions de votre empressement à répondre à notre appel. - R. Mes amis, je suivais vos études avec intérêt, et maintenant que je puis en Esprit habiter parmi vous, je vous donne le conseil de vous attacher à l'Esprit plus qu'à la lettre.

Adieu.



La lettre suivante nous a été adressée au sujet de cette évocation :

Monsieur,

C'est avec un sentiment de profonde reconnaissance que je viens vous remercier, au nom de mon père et au mien, d'avoir devancé notre désir de recevoir par vous des nouvelles de celle que nous pleurons.

Les nombreuses épreuves morales et physiques que ma chère et bonne mère a eu à subir pendant son existence, sa patience à les supporter, son dévouement, sa complète abnégation d'elle-même, me faisaient espérer qu'elle était heureuse ; mais l'assurance que vous venez de nous en donner, Monsieur, est une grande consolation pour nous qui l'aimions tant, et voulons son bonheur avant le nôtre.

Ma mère était l'âme de la maison, Monsieur ; je n'ai pas besoin de vous dire quel vide son absence y fait ; nous souffrons de ne plus la voir, plus que je ne saurais l'exprimer, et pourtant nous éprouvons une certaine quiétude de ne plus la sentir dans les atroces douleurs qu'elle a éprouvées. Ma pauvre mère était une martyre ; elle doit avoir une belle récompense pour la patience et la douceur avec lesquelles elle a enduré toutes ses angoisses ; sa vie n'a été qu'une longue torture d'esprit et de corps. Ses sentiments élevés, sa foi dans une autre existence l'ont soutenue ; elle avait comme un pressentiment et un souvenir voilé du monde des Esprits ; souvent je la voyais, regardant en pitié les choses de notre planète, me dire : Rien d'ici-bas ne peut me suffire ; j'ai la nostalgie d'un autre monde.

Dans les réponses que ma chère et adorée mère vous a faites, Monsieur, nous avons parfaitement reconnu sa manière de penser et de s'exprimer ; elle aimait à se servir de figures. Seulement je suis étonnée qu'elle ne se soit pas souvenue de l'envoi de votre carte-portrait qui lui avait fait un si grand et si vif plaisir ; je devais vous en remercier de sa part ; mes nombreuses occupations, pendant les derniers temps de la maladie de ma vénérée mère, ne m'ont pas permis de le faire ; je crois que, plus tard, elle se souviendra mieux ; pour le moment elle est enivrée des splendeurs de sa nouvelle vie ; l'existence qu'elle vient d'achever ne lui apparaît que comme un rêve pénible déjà bien loin d'elle. Nous espérons aussi, mon père et moi, qu'elle viendra nous dire quelques paroles d'affection dont nous avons bien besoin. Serait-ce une indiscrétion, Monsieur, de vous prier, quand ma bonne mère vous parlera de nous, de nous en faire part ? vous nous avez fait tant de bien en venant nous parler d'elle, en venant nous dire de sa part qu'elle ne souffre plus ! Ah ! merci encore, Monsieur ! je prie Dieu de cœur et d'âme qu'il vous en récompense. En me quittant, ma mère chérie me prive de la meilleure des mères, de la plus tendre des amies ; il me faut la certitude de la savoir heureuse, et ma croyance dans le Spiritisme pour me donner un peu de force. Dieu m'a soutenue ; mon courage a été plus grand que je ne l'espérais.

Recevez, etc.

Remarque. Que les incrédules rient tant qu'ils voudront du Spiritisme ; que ses adversaires plus ou moins intéressés le tournent en ridicule, qu'ils l'anathématisent même, cela ne lui ôtera pas cette puissance consolatrice qui fait la joie du malheureux, et qui le fait triompher du mauvais vouloir des indifférents en dépit de leurs efforts pour l'abattre. Les hommes ont soif de bonheur ; quand ils ne le trouvent pas sur la terre, n'est-ce pas un grand soulagement d'avoir la certitude de le trouver dans une autre vie si l'on fait ce qu'il faut pour le mériter. Qui donc leur offre plus d'adoucissements aux maux de la terre ? Est-ce le matérialisme, avec l'horrible expectative du néant ? Est-ce la perspective des flammes éternelles, auxquelles n'échappe pas un sur des millions ? Ne vous y trompez pas, cette perspective est encore plus horrible que celle du néant, et voilà pourquoi ceux dont la raison se refuse à l'admettre sont portés au matérialisme ; quand on présentera aux hommes l'avenir d'une manière rationnelle, il n'y aura plus de matérialistes. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir les idées spirites accueillies avec tant d'empressement par les masses, parce que ces idées relèvent le courage au lieu de l'abattre. L'exemple du bonheur est contagieux ; quand tous les hommes verront autour d'eux des gens heureux par le Spiritisme, ils se jetteront dans les bras du Spiritisme comme sur une planche de salut, car ils préféreront toujours une doctrine qui sourit et parle à la raison à celles qui épouvantent. L'exemple que nous venons de citer n'est pas le seul de ce genre, c'est par milliers qu'ils s'offrent à nous, et la plus grande joie que Dieu nous ait réservée ici-bas c'est d'être témoin des bienfaits et des progrès d'une croyance que nos efforts tendent à répandre. Les gens de bonne volonté, ceux qui viennent y puiser des consolations sont si nombreux que nous ne saurions leur dérober notre temps, en nous occupant des indifférents qui n'ont aucun désir de se convaincre. Ceux qui viennent à nous suffisent pour l'absorber, c'est pourquoi nous n'allons au-devant de personne ; c'est pourquoi aussi nous ne le perdons pas à glaner dans les champs stériles ; le tour des autres viendra quand il plaira à Dieu de lever le voile qui les aveugle, et ce temps viendra plus tôt qu'ils ne le pensent, pour la gloire des uns, et pour la honte des autres.

Mademoiselle Pauline M…

(Envoi de M. Pichon, médium de Sens.)

1. Évocation. - R. Je suis là, mes bons amis.

2. Vos parents nous ont priés de vous demander si vous êtes plus heureuse que pendant votre existence terrestre ; auriez-vous l'obligeance de nous le dire ? - R. Oh ! oui ; je suis plus heureuse qu'eux.

3. Assistez-vous souvent votre mère ? - R. Je ne la quitte presque pas ; mais elle ne peut comprendre tous les encouragements que je lui donne, sans cela elle ne serait pas aussi mal. Elle me pleure et je suis heureuse ! Dieu m'a rappelée à lui : c'est une faveur ; si toutes les mères étaient bien pénétrées des lumières du Spiritisme, quelles consolations pour elles ! Dites bien à ma pauvre mère qu'elle se résigne, car sans cela elle s'éloignerait de sa fille chérie. Toute personne qui n'est pas docile aux épreuves que lui envoie son Créateur manque le but de ses épreuves. Qu'elle comprenne bien ceci, car elle ne me reverrait pas de sitôt. Elle m'a perdue matériellement, mais elle me retrouvera spirituellement. Qu'elle se dépêche donc de se rétablir pour assister à vos séances ; c'est alors que je pourrai mieux la consoler ; je serai plus heureuse moi-même.

4. Pourriez-vous vous manifester à elle d'une manière plus particulière ? pourrait-elle vous servir de médium ? Elle recevrait ainsi plus de consolations que par notre entremise. - R. Qu'elle prenne un crayon, comme vous le faites, et j'essaierai de lui dire quelque chose. Ceci nous est bien difficile quand nous ne trouvons pas les dispositions voulues pour cela.

5. Pourriez-vous nous dire pourquoi Dieu vous a retirée si jeune du sein de votre famille dont vous faisiez la joie et la consolation ? - R. Relisez.

6. Voudriez-vous nous dire ce que vous avez ressenti à l'instant de votre mort ? - R. Un trouble ; je ne croyais pas être morte. Cela m'a fait tant de peine de quitter ma bonne mère ! Je ne me reconnaissais pas ; mais quand j'ai compris ce n'a plus été la même chose.

7. Êtes-vous maintenant complètement dématérialisée ? - R. Oui.

8. Pourriez-vous nous dire combien de temps vous êtes restée dans le trouble ? - R. J'y suis restée six de vos semaines.

9. A quel endroit étiez-vous lorsque vous vous êtes reconnue ? - R. Vers mon corps ; j'ai vu le cimetière et j'ai compris.

Mère ! je suis toujours à tes côtés ; je te vois, je te comprends beaucoup mieux que quand j'avais mon corps. Cesse donc de t'attrister, puisque tu n'as perdu que le pauvre corps que tu m'avais donné. Ta fille est toujours là ; ne pleure plus ; réjouis-toi au contraire, c'est le seul moyen de te faire du bien et à moi aussi. Nous nous comprendrons mieux ; je te dirai de bien douces choses ; Dieu me le permettra ; nous le prierons ensemble. Tu viendras parmi ces hommes qui travaillent pour le bien de l'humanité ; tu prendras part à leurs travaux ; je t'aiderai : cela servira à notre avancement à toutes les deux.

Ta fille qui t'aime,

Pauline.

P. S. Vous donnerez ceci à ma mère ; je vous en serai reconnaissante.

10. Pensez-vous que la convalescence de votre mère soit encore longue ? - R. Cela dépendra des consolations qu'elle recevra et de sa résignation.

11. Vous rappelez-vous toutes vos incarnations ? - R. Non, pas toutes.

12. L'avant-dernière a-t-elle eu lieu sur la terre ? - R. Oui ; j'étais dans une grande maison de commerce.

13. A quelle époque était-ce ? - R. Sous le règne de Louis XIV ; au commencement.

14. Vous rappelez-vous quelques-uns des personnages de ce temps-là ? - R. J'ai connu M. le duc d'Orléans, car il se fournissait chez nous. J'ai bien connu aussi Mazarin et une partie de sa famille.

15. Votre dernière existence a-t-elle beaucoup servi à votre avancement comme Esprit ? - R. Elle n'a pu me servir beaucoup, puisque je n'y ai subi aucune épreuve ; elle a été pour mes parents, plutôt que pour moi, un sujet d'épreuves.

16. Et votre avant-dernière existence, vous a-t-elle été plus profitable ? - R. Oui, car j'y ai été bien éprouvée. Des revers de fortune ; la mort de toutes les personnes qui m'étaient chères ; je suis restée seule ; mais, confiante en mon Créateur, j'ai supporté tout cela avec résignation. Dites à ma mère qu'elle fasse comme j'ai fait. Que celui qui leur portera mes consolations serre la main pour moi à tous mes bons parents ! Adieu.

Henri Murger

Nota. Dans une séance spirite intime qui avait lien chez un de nos collègues de la Société, le 6 février 1861, le médium écrivit spontanément ce qui suit :

Plus grand est l'espace des cieux, plus grande est l'atmosphère, plus belles sont les fleurs, plus doux sont les fruits, et les aspirations sont remplies au-delà même de l'illusion. Salut, nouvelle patrie ! Salut, nouveau séjour ! Salut, bonheur, amour ! Que notre courte station sur la terre est pâle, et que celui qui a poussé le soupir de soulagement doit se trouver heureux d'avoir quitté le Tartare pour le ciel ! Salut, vraie bohème ! Salut, vraie insouciance ! Salut, rêves réalisés ! je me suis endormi gai, parce que je savais me réveiller heureux. Ah ! merci à mes amis de leur doux souvenir !

H. Murger.

Les questions et les réponses suivantes ont été faites à la Société le 8 février :

1. Mercredi vous êtes venu spontanément vous communiquer chez un de nos collègues, et vous y avez dicté une charmante page ; cependant il ne s'y trouvait personne qui vous connût particulièrement ; veuillez nous dire, je vous prie, ce qui nous a procuré l'honneur de votre visite ? - R. Je suis venu faire acte de vie pour être évoqué aujourd'hui.

2. Étiez-vous porté aux idées spirites ? - R. Entre les deux ; je pressentais, puis je me laissais facilement aller à mes inspirations.

3. Il paraît que le trouble a duré peu de temps chez vous, puisque vous vous exprimez si promptement, avec autant de facilité et de clarté ? - R. Je suis mort dans la parfaite connaissance de moi-même, et par conséquent je n'ai eu qu'à ouvrir les yeux de l'Esprit aussitôt que les yeux de la chair ont été fermés.

4. Cette dictée peut être considérée comme un récit de vos premières impressions dans le monde où vous êtes maintenant ; voudriez-vous nous décrire avec plus de précision ce qui s'est passé en vous depuis l'instant où votre âme a quitté votre corps ? - R. La joie m'a inondé ; j'ai revu de chers visages que je croyais perdus à jamais. A peine dématérialisé, je n'ai encore eu que des sensations quasi terrestres.

5. Voudriez-vous nous donner une appréciation, à votre point de vue actuel, de votre principal ouvrage : La Vie de Bohème ? - R. Comment voulez-vous qu'ébloui, comme je le suis, des splendeurs inconnues de la résurrection, je fasse un retour sur cette pauvre œuvre, pâle reflet d'une jeunesse souffrante ?

6. Un de vos amis, M. Théodore Pelloquet, a publié dans le Siècle du 6 de ce mois un article bibliographique sur vous. Voudriez-vous lui adresser quelques paroles, ainsi qu'à vos autres amis et confrères en littérature, et parmi lesquels il doit s'en trouver d'assez peu croyants sur la vie future ? - R. Je leur dirai que le succès présent est semblable à l'or changé en feuilles sèches ; ce que nous croyons, ce que nous espérons, nous autres glaneurs affamés du champ parisien, c'est le succès, toujours le succès, et jamais nos yeux ne s'élèvent vers le ciel pour penser à celui qui juge en dernier ressort nos œuvres. Mes paroles les changeront-elles ? Non ; entraînés par la vie brûlante qui consume croyance et jeunesse, ils écouteront distraits et passeront oublieux.

7. Voyez-vous ici Gérard de Nerval qui vient de nous parler de vous ? - Je le vois, et Musset, et l'aimable, la grande Delphine ; je les vois tous ; ils m'aident, ils m'encouragent ; ils m'apprennent à parler.

Remarque. Cette question est motivée par la communication suivante qu'un des médiums de la Société avait écrite spontanément au commencement de la séance.

Un frère est arrivé parmi nous, heureux et dispos ; il remercie le ciel, comme vous l'avez entendu tout à l'heure, de sa délivrance un peu tardive. Au loin ! maintenant la tristesse, les larmes et le rire amer, car nous le voyons bien à présent, le rire n'est jamais franc parmi vous ; ce qu'il y a de lamentable et de vraiment pénible sur la terre, c'est qu'il faut rire ; il faut rire forcément et d'un rien, surtout d'un rien en France, quand on serait disposé à rêver solitairement. Ce qu'il y a d'affreux pour le cœur qui a beaucoup espéré, c'est la désillusion, ce squelette hideux dont on veut palper en vain les contours : la main inquiète et tremblante ne rencontre que les os. O horreur ! pour celui qui a cru à l'amour, à la religion, à la famille, à l'amitié ; ceux qui peuvent regarder en face impunément ce masque horrible qui pétrifie, ah ! ceux-là vivent, quoique pétrifiés ; mais ceux qui chantent en bohémiens, ah ! ceux-là meurent bien vite : ils ont vu la tête de Méduse ; mon frère Murger était de ces derniers.

Vous le voyez, amis, désormais nous ne vivons plus seulement dans nos œuvres, et nous serons aussitôt votre appel près de vous. Loin d'être fiers de cet air de bonheur qui nous entoure, nous viendrons à vous comme si nous étions encore sur la terre, et Murger chantera encore.

Gérard de Nerval.

L'Esprit et les roses
(Envoi de Madame de B… de la Nouvelle-Orléans.)

Emma D…, jeune et jolie petite fille, morte à l'âge de 7 ans, après 6 mois de souffrances, ne mangeant presque plus six semaines avant sa mort.

1. Évocation. - R. Je suis là, madame, que voulez-vous ?

2. Savoir où vous êtes ; si vous êtes heureuse, et pourquoi Dieu a infligé à votre charmante mère et à vos sœurs un si grand chagrin que celui de vous perdre ? - R. Je suis au milieu de bons Esprits, qui m'aiment et m'instruisent ; je suis heureuse, bien heureuse ; mon passage chez vous n'était qu'un reste d'épreuve physique ; j'ai souffert, mais cette souffrance n'était rien ; elle épurait mon âme en même temps qu'elle saccageait mon pauvre corps. Maintenant, j'apprends la vie de l'âme ; je suis réincarnée, mais en Esprit conservateur ; je suis dans un monde où nul de nous ne séjourne que pendant la durée des enseignements qui nous sont donnés par les Grands Esprits. En dehors de cela, je voyage, prévenant les malheurs, éloignant les tentations ; je suis souvent par ici : il y a tant de pauvres nègres ; je les ai toujours plaints, mais maintenant je les aime. Oui, je les aime, pauvres âmes ! Parmi eux, il y en a beaucoup de bons, de meilleurs que leurs maîtres ; et même ceux qui sont paresseux, il faut les plaindre.

Ma mère chérie, je vais souvent près d'elle ; et quand elle sent son cœur raffermi, c'est moi qui lui ai versé le baume divin ; mais il faut qu'elle souffre, hélas ! mais, plus tard, tout sera oublié ; et Lucie, ma bien-aimée Lucie sera avec moi avant tout ; mais les autres viendront ; ce n'est rien que mourir pour être ainsi ; rien : on change de corps, c'est tout. Moi, je n'ai plus ce mal qui me rendait un sujet d'horreur pour chacun ; je suis plus heureuse, et, la nuit, je me penche vers ma mère et je l'embrasse ; elle ne sent rien, mais alors elle rêve de moi, et me voit comme j'étais avant mon affreuse maladie. Vous comprenez, madame, que je suis heureuse.

Je voudrais des roses dans le coin du jardin où j'allais dormir autrefois ; suggérez à Lucie l'idée d'en mettre. J'aimais tant les roses, et je vais si souvent là ! J'ai des roses là-bas ; mais Lucie dort chaque jour dans mon ancien coin, et je viens chaque jour aussi près d'elle ; je l'aime tant !

3. Ma chère enfant, est-ce que je ne pourrais pas vous voir ? - R. Non, pas encore. Vous ne pouvez me voir ; mais regardez le rayon du soleil, là, sur votre table, je vais le traverser. Merci de m'avoir évoquée ; soyez indulgente pour mes sœurs. Adieu.

L'Esprit disparut en faisant ombre un instant sur le rayon de soleil qui continuait. Les roses ayant été mises dans le cher petit coin, trois jours après, le médium écrivant une lettre, le mot merci est venu sous la plume ainsi que la signature de l'enfant, qui lui fit écrire : « Recommence ta lettre ; tant pis ! mais je suis si heureuse d'avoir un médium ! Je reviendrai. Merci pour les roses. Adieu !

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