Le Spiritisme en AmériqueFragments traduits de l'anglais par Mlle Clémence Guérin *
Le Spiritisme compte en Amérique des hommes éminents qui, dès le
principe, en ont jugé la portée, et y ont vu autre chose que de simples
manifestations. De ce nombre est le juge Edmonds, de New-York, dont les
écrits sur cet important sujet sont justement estimés et trop peu connus
en Europe où ils n'ont point été traduits. Nous devons savoir gré à
Mlle Guérin de nous en donner une idée par les quelques fragments
qu'elle a publiés dans sa brochure, tout en nous faisant regretter
qu'elle n'ait pas achevé son œuvre par une traduction complète. Elle y
joint quelques extraits non moins remarquables du docteur Hare, de
Philadelphie, qui, lui aussi, osa un des premiers affirmer sa foi dans
les nouvelles révélations.
Mlle Guérin, qui a longtemps habité
l'Amérique, où elle a vu se produire et se développer les premières
manifestations, est un de ces Spirites sincères, consciencieux, jugeant
tout avec calme, sang-froid, et sans enthousiasme. Nous avons l'honneur
de la connaître personnellement, et nous sommes heureux de lui donner
ici un témoignage mérité de notre profonde estime. On jugera, par le
fragment suivant de son avant-propos, que notre opinion est justement
motivée.
« Comme les Américains, nous avons la Foi profonde, la
radieuse Espérance, que cette doctrine, si éminemment basée sur la
charité (non l'aumône, mais l'amour), est bien celle qui doit régénérer,
pacifier le monde. Jamais la solidarité fraternelle n'a été démontrée
plus clairement, ni d'une manière plus séduisante. Les Esprits en
revenant nous consoler, nous aider, nous instruire, nous indiquer enfin
le meilleur usage à faire de nos facultés, en vue de l'avenir, sont si
évidemment désintéressés, que l'homme ne peut les entendre longtemps
sans éprouver le désir de les imiter, sans chercher autour de lui
quelqu'un à qui faire part des bienfaits qu'on lui dispense si
généreusement. Il le fait d'autant plus volontiers qu'il a compris enfin
que son propre progrès est à ce prix, et qu'il n'est porté à son avoir,
sur le grand livre de Dieu, que les actes accomplis en vue du bien-être
matériel ou moral de ses frères. Ce que les Esprits font avec succès en
ce moment a été tenté bien des fois, sur la terre, par de nobles cœurs,
par des âmes courageuses, mais ils ont été et sont encore méconnus et
bafoués ; on suspecte leur dévouement, et ce n'est guère qu'en
disparaissant, qu'ils ont quelque chance d'être jugés avec impartialité.
C'est pourquoi Dieu leur permet de continuer l'œuvre après ce que nous
appelons la mort.
« N'est-ce pas le cas de répéter avec Davis :
Ne craignez rien, frères, l'erreur, étant mortelle, ne peut vivre, la
vérité, étant immortelle, ne peut mourir ! »
Clémence Guerin.
Le passage suivant du juge Edmonds montrera avec quelle justesse il
avait entrevu les conséquences du Spiritisme ; il ne faut pas oublier
qu'il écrivait en 1854, et qu'à cette époque le Spiritisme était encore
jeune en Amérique comme en Europe.
« Que mes déductions soient
vraies ou fausses, d'autres jugeront. Mon but sera atteint si, en
parlant de l'effet produit sur mon esprit par ces révélations, j'ai fait
naître chez quelques-uns le désir de chercher aussi et d'apporter par
là de nouvelles lumières à l'étude de ces phénomènes ; car jusqu'ici les
adversaires les plus véhéments, ceux qui dans leur indignation crient à
l'imposture, sont aussi les plus obstinés dans leur refus de rien voir
ni entendre à ce sujet, les plus résolus à rester dans une ignorance
complète de la nature des faits. Des hommes ayant une réputation de
savoir, sinon de science, ne craignent pas de la compromettre en donnant
des explications qui ne satisfont personne, basées qu'elles sont sur
des observations superficielles, faites avec une légèreté dont un
écolier rougirait.
« Ce n'est pourtant pas une chose
indifférente que ce nouveau pouvoir inhérent à l'homme (connected with
man), et qui, sans aucun doute, aura sur ses destinées une influence
considérable pour le bien ou pour le mal.
« Et déjà nous
pouvons voir que depuis l'origine, cinq ans à peine, l'idée
spiritualiste s'est propagée avec une rapidité que la religion
chrétienne n'avait pas égalée en cent ans ; elle ne cherche pas les
lieux retirés, ne s'enveloppe pas de mystères, mais vient ouvertement
aux hommes, provoquant leur minutieux examen, ne demandant pas une foi
aveugle, mais en toutes circonstances recommandant l'exercice de la
raison et du libre jugement.
« Nous avons vu que les railleries
des philosophes n'ont pu détourner un seul croyant, que les sarcasmes
de la presse, les anathèmes de la chaire sont également impuissants à
arrêter le progrès, et surtout nous pouvons déjà constater son influence
moralisatrice ; le vrai croyant devient toujours plus sage et meilleur
(a wiser and a better man), parce qu'il lui est démontré que l'existence
de l'homme après la mort est positivement prouvée. Tous ceux qui ont
sérieusement, sincèrement porté leurs investigations sur ce sujet en ont
reçu les preuves irréfutables. Comment pourrait-il en être autrement ?
Voici une intelligence qui nous parle tous les jours, c'est un ami. (En
général, les Américains commencent par converser avec leurs parents ou
amis.) Il prouve son identité par mille circonstances qui ne peuvent
laisser aucun doute, par maints ressouvenirs que lui seul peut
connaître. Il nous parle des conséquences de la vie terrestre et nous
peint la vie future sous des couleurs si rationnelles, que nous sentons
qu'il dit vrai ; tant c'est conforme à l'idée intime que nous avions de
la Divinité et des devoirs qu'elle nous impose.
« Nous ne
sommes pas séparés par la mort de ceux que nous avons aimés, mais ils
sont souvent près de nous, nous aident et nous consolent par l'espoir
d'une réunion certaine. Combien de fois l'ai-je entendu pour moi et les
autres ! Que de personnes désolées j'ai vu calmées par la douce
certitude que l'être chéri « ramené par les liens de l'amour, voltige
autour d'elles, murmure à leur oreille, contemple leur âme, converse
avec leur esprit ! »
« La mort se trouve ainsi dépouillée du
cortège de terreurs mystérieuses et indéfinies dont elle a été entourée
par ceux qui attendent plus de la dégradante passion de la peur que du
noble sentiment d'amour.
« Remarquons en passant que, quelles
que soient les nuances dans l'enseignement de la nouvelle philosophie,
tous ses disciples s'entendent sur ce point, que la mort n'est pas un
épouvantail, mais un phénomène naturel, le passage à une existence où,
libre des mille maux de la vie matérielle, et des entraves qui le
confinent à une seule planète, l'Esprit peut parcourir l'immensité des
mondes, prendre l'essor vers des régions où la gloire de Dieu est
réellement visible.
« Il est également démontré (demonstraded)
que nos plus secrètes pensées sont connues des êtres qui, nous ayant
aimés, continuent à veiller sur nous. C'est en vain qu'on essaierait de
se soustraire à cette inquisition terrible par sa bienveillance même. Il
n'est pas possible, le voulût-ont, d'en douter. J'ai été souvent
stupéfait et j'en ai vu frissonner à cette révélation inattendue, mais
irrécusable, que les plis les mieux fermés de la conscience peuvent être
fouillés par ceux-là même auxquels nous voudrions cacher nos
faiblesses.
« N'est-ce pas là un frein salutaire contre les
mauvaises pensées, les actes criminels, commis le plus souvent parce que
le coupable s'est rassuré par ces mots : On ne le saura pas… Si quelque
chose peut confirmer cette vérité si terrifiante pour quelques-uns,
c'est le souvenir de ce que chacun éprouve après une bonne action, même
lorsqu'elle est restée secrète, - un contentement intime à rien autre
comparable. - Ceux-là le savent bien, dont la main gauche ignore ce que
donne la main droite. Il est donc rationnel de croire que si nos amis
peuvent nous féliciter, ils peuvent aussi nous réprimander ; s'ils
voient nos actes méritoires, ils voient aussi nos méfaits.
« A
ceci nous n'hésitons pas à attribuer le fait incontestable et
incontesté, qu'il n'y a pas un vrai croyant qui ne soit devenu meilleur.
« De notre conduite dépend notre destinée future, non de notre
adhésion à telle ou telle secte religieuse, mais de notre soumission à
ce grand précepte : Aimer Dieu et le prochain… Nous ne devons pas
ajourner notre conversion. Nous devons travailler nous-mêmes à notre
salut, non plus tard, mais maintenant ; non demain, mais aujourd'hui.
« Quoi de plus consolant, de plus fortifiant pour l'âme vertueuse, à
travers les épreuves et les vicissitudes de cette vie, que la certitude
complète que son bonheur futur dépend de ses actions, qu'elle peut
diriger.
« D'autre part le vicieux, le méchant, le cruel,
l'égoïste, l'égoïste surtout, souffrira par lui et les autres (self and
mutual torment) des tourments plus terribles que ceux de l'enfer
matériel, tel que l'imagination la plus désordonnée ait jamais pu le
peindre. »
Allan Kardec.
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* Broch. grand in-18, prix, I fr., chez Dentu, Palais-Royal, galerie d'Orléans.