Le Visiteur. — Ce sont des faits positifs que les incrédules voudraient voir, qu'ils demandent, et
que la plupart du temps on ne peut pas leur fournir. Si tout le monde pouvait être témoin de ces
faits, le doute ne serait plus permis. Comment se fait-il donc que tant de gens n'aient pu rien voir
malgré leur bonne volonté ? On leur oppose, disent-ils, leur manque de foi ; à cela ils répondent
avec raison qu'ils ne peuvent avoir une foi anticipée, et que si on veut qu'ils croient, il faut leur
donner les moyens de croire.
A. K. — La raison en est bien simple. Ils veulent les faits à leur commandement, et les Esprits
n'obéissent pas au commandement ; il faut attendre leur bon vouloir. Il ne suffit donc pas de
dire : Montrez-moi tel fait, et je croirai ; il faut avoir la volonté de la persévérance, laisser les
faits se produire spontanément, sans prétendre les forcer ou les diriger ; celui que vous désirez
sera peut être précisément celui que vous n'obtiendrez pas ; mais il s'en présentera d'autres, et
celui que vous voulez viendra au moment où vous vous y attendrez le moins. Aux yeux de
l'observateur attentif et assidu, il en surgit des masses qui se corroborent les uns les autres ; mais
celui qui croit qu'il suffit de tourner une manivelle pour faire aller la machine, se trompe
étrangement. Que fait le naturaliste qui veut étudier les moeurs d'un animal ? Lui commande-t-il
de faire telle ou telle chose pour avoir tout loisir de l'observer à son gré ? Non, car il sait bien
qu'il ne lui obéira pas ; il épie les manifestations spontanées de son instinct ; il les attend et les
saisit au passage. Le simple bon sens montre qu'à plus forte raison il doit en être de même des
Esprits, qui sont des intelligences bien autrement indépendantes que celle des animaux.
C'est une erreur de croire que la foi soit nécessaire ; mais la bonne foi, c'est autre chose ; or, il y
a des sceptiques qui nient jusqu'à l'évidence, et que des prodiges ne pourraient convaincre.
Combien y en a-t-il qui, après avoir vu, n'en persistent pas moins à expliquer les faits à leur
manière, disant que cela ne prouve rien ! Ces gens-là ne servent qu'à porter le trouble dans les
réunions, sans profit pour eux-mêmes ; c'est pour cela qu'on les en écarte, et qu'on ne veut pas
perdre son temps avec eux. Il en est même qui seraient bien fâchés d'être forcés de croire, parce
que leur amour propre souffrirait de convenir qu'ils se sont trompés. Que répondre à des gens qui
ne voient partout qu'illusion et charlatanisme ? Rien ; il faut les laisser tranquilles et dire, tant
qu'ils voudront, qu'ils n'ont rien vu, et même qu'on n'a rien pu ou rien voulu leur faire voir.
A côté de ces sceptiques endurcis, il y a ceux qui veulent voir à leur manière ; qui, s'étant fait une
opinion, veulent tout y rapporter : ils ne comprennent pas que des phénomènes ne puissent obéir
à leur gré ; ils ne savent pas ou ne veulent pas se mettre dans les conditions nécessaires. Celui
qui veut observer de bonne foi doit, je ne dis pas croire sur parole, mais se dépouiller de toute
idée préconçue ; ne pas vouloir assimiler des choses incompatibles ; il doit attendre, suivre,
observer avec une patience infatigable ; cette condition même est en faveur des adeptes,
puisqu'elle prouve que leur conviction ne s'est pas faite à la légère. Avez-vous cette patience ?
Non, dites-vous, je n'ai pas le temps. Alors ne vous en occupez pas, mais n'en parlez pas ;
personne ne vous y oblige.
Le Visiteur. — Les Esprits, cependant, doivent avoir à coeur de faire des prosélytes ; pourquoi ne
se prêtent-ils pas mieux qu'ils ne le font aux moyens de convaincre certaines personnes dont
l'opinion serait d'une grande influence ?
A. K. — C'est qu'apparemment ils ne tiennent pas, pour le moment, à convaincre certaines
personnes dont ils ne mesurent pas l'importance comme elles le font elles-mêmes. C'est peu
flatteur, j'en conviens, mais nous ne commandons pas leur opinion ; les Esprits ont une manière
de juger les choses qui n'est pas toujours la notre ; ils voient, pensent et agissent d'après d'autres
éléments ; tandis que notre vue est circonscrite par la matière, bornée par le cercle étroit au
milieu duquel nous nous trouvons, ils embrassent l'ensemble ; le temps, qui nous paraît si long,
est pour eux un instant ; la distance n'est qu'un pas ; certains détails, qui nous semblent d'une
importance extrême, sont à leurs yeux des enfantillages ; et par contre ils jugent importantes des
choses dont nous ne saisissons pas la portée. Pour les comprendre, il faut s'élever par la pensée
au-dessus de notre horizon matériel et moral, et nous placer à leur point de vue ; ce n'est pas à
eux de descendre jusqu'à nous, c'est à nous de monter jusqu'à eux, et c'est à quoi nous conduisent
l'étude et l'observation.
Les Esprits aiment les observateurs assidus et consciencieux ; pour eux ils multiplient les sources
de lumière ; ce qui les éloigne, ce n'est pas le doute qui naît de l'ignorance, c'est la fatuité de ces
prétendus observateurs qui n'observent rien, qui prétendent les mettre sur la sellette et les faire
manoeuvrer comme des marionnettes ; c'est surtout le sentiment d'hostilité et de dénigrement
qu'ils apportent, sentiment qui est dans leur pensée, s'il n'est pas dans leurs paroles. Pour ceux-là
les Esprits ne font rien et s'inquiètent fort peu de ce qu'ils peuvent dire ou penser, parce que leur
tour viendra. C'est pourquoi j'ai dit que ce n'est pas la foi qui est nécessaire, mais la bonne foi.
Origine des idées spirites modernes.
Le Visiteur. — Une chose que je désirerais savoir, Monsieur, c'est le point de départ des idées
spirites modernes ; sont-elles le fait d'une révélation spontanée des Esprits, ou le résultat d'une
croyance préalable à leur existence ? Vous comprenez l'importance de ma question ; car, dans ce
dernier cas, on pourrait croire que l'imagination n'y est pas étrangère.
A. K. — Cette question, comme vous le dites, Monsieur, est importante à ce point de vue,
quoiqu'il soit difficile d'admettre, en supposant que ces idées aient pris naissance dans une
croyance anticipée, que l'imagination ait pu produire tous les résultats matériels observés. En
effet, si le spiritisme était fondé sur la pensée préconçue de l'existence des Esprits, on pourrait,
avec quelque apparence de raison, douter de sa réalité ; car si la cause est une chimère, les
conséquences doivent elles-mêmes être chimériques ; mais les choses ne se sont point passées
ainsi.
Remarquez d'abord que cette marche serait tout à fait illogique ; les Esprits sont une cause et non
un effet ; quand on voit un effet, on peut en rechercher la cause, mais il n'est pas naturel
d'imaginer une cause avant d'avoir vu les effets. On ne pouvait donc concevoir la pensée des
Esprits si des effets ne se fussent présentés, qui trouvaient leur explication probable dans
l'existence d'êtres invisibles. Eh bien ! ce n'est même pas de cette manière que cette pensée est
venue; c'est-à-dire que ce n'est pas une hypothèse imaginée en vue d'expliquer certains
phénomènes ; la première supposition que l'on a faite est celle d'une cause toute matérielle.
Ainsi, loin que les Esprits aient été une idée préconçue, on est parti du point de vue matérialiste.
Ce point de vue étant impuissant à tout expliquer, l'observation seule a conduit à la cause
spirituelle. Je parle des idées spirites modernes, puisque nous savons que cette croyance est aussi
vieille que le monde. Voici la marche des choses.
Des phénomènes spontanés se sont produits, tel que des bruits étranges, des coups frappés, des
mouvements d'objets, etc., sans cause ostensible connue, et ces phénomènes ont pu être
reproduits sous l'influence de certaines personnes. Jusque-là rien n'autorisait à en chercher la
cause ailleurs que dans l'action d'un fluide magnétique ou tout autre dont les propriétés étaient
encore inconnues. Mais on ne tarda pas à reconnaître dans ces bruits et ces mouvements un
caractère intentionnel et intelligent, d'où l'on conclut, comme je l'ai déjà dit, que : Si tout effet a
une cause, tout effet intelligent a une cause intelligente. Cette intelligence ne pouvait être dans
l'objet lui-même, car la matière n'est pas intelligente. Etait-ce le reflet de celle de la personne ou
des personnes présentes ? On l'a d'abord pensé, comme je l'ai dit également ; l'expérience seule
pouvait prononcer, et l'expérience a démontré par des preuves irrécusables, en maintes
circonstances, la complète indépendance de cette intelligence. Elle était donc en dehors de l'objet
et en dehors de la personne. Qui était-elle ? C'est elle-même qui a répondu ; elle a déclaré
appartenir à l'ordre des êtres incorporel désignés sous le nom d'Esprits. L'idée des Esprits n'a
donc pas préexisté ; elle n'a pas même été consécutive ; en un mot elle n'est pas sortie du
cerveau : elle a été donnée par les Esprits eux-mêmes, et tout ce que nous avons su depuis sur
leur compte, ce sont eux qui nous l'ont appris.
Une fois l'existence des Esprits révélée et les moyens de communication établis, on put avoir des
entretiens suivis et obtenir des renseignements sur la nature de ces êtres, les conditions de leur
existence, leur rôle dans le monde visible. Si l'on pouvait ainsi interroger les êtres du monde des
infiniment petits, que de choses curieuses n'apprendrait-on pas sur eux !
Supposons qu'avant la découverte de l'Amérique un fil électrique ait existé à travers l'Atlantique,
et qu'à son extrémité européenne on eût remarqué des signes intelligents, on aurait conclu qu'à
l'autre extrémité il y avait des êtres intelligents qui cherchaient à se communiquer ; on aurait pu
les questionner et ils auraient répondu. On eût ainsi acquis la certitude de leur existence, la
connaissance de leurs moeurs, de leurs habitudes, de leur manière d'être, sans les avoir jamais
vus. Il en a été de même des relations avec le monde invisible ; les manifestations matérielles ont
été comme des signaux, des moyens d'avertissement qui nous ont mis sur la voie de
communications plus régulières et plus suivies. Et, chose remarquable, à mesure que des moyens
plus faciles de communiquer sont à notre portée, les Esprits abandonnent les moyens primitifs,
insuffisants et incommodes, comme le muet qui recouvre la parole renonce au langage des
signes.
Quels étaient les habitants de ce monde ? Etaient-ce des êtres à part, en dehors de l'humanité ?
Etaient-ils bons ou mauvais ? C'est encore l'expérience qui s'est chargée de résoudre ces
questions ; mais, jusqu'à ce que des observations nombreuses aient eu jeté la lumière sur ce sujet,
le champ des conjectures et des systèmes était ouvert, et Dieu sait s'il en a surgi ! Les uns ont cru
les Esprits supérieurs en tout, d'autres n'ont vu en eux que des démons ; c'est à leurs paroles et à
leurs actes qu'on pouvait les juger. Supposons que parmi les habitants transatlantiques inconnus
dont nous venons de parler les uns aient dit de très bonnes choses, tandis que d'autres se seraient
fait remarquer par le cynisme de leur langage, on eût conclu qu'il y en avait de bons et de
mauvais. C'est ce qui est arrivé pour les Esprits ; c'est ainsi qu'on a reconnu parmi eux tous les
degrés de bonté et de méchanceté, d'ignorance et de savoir. Une fois bien édifiés sur les défauts
et les qualités qu'on rencontre chez eux, c'était à notre prudence à faire la part du bon et du
mauvais, du vrai et du faux dans leurs rapports avec nous, absolument comme nous le faisons à
l'égard des hommes.
L'observation ne nous a pas seulement éclairés sur les qualités morales des Esprits, mais aussi
sur leur nature et sur ce que nous pourrions appeler leur état physiologique. On sut, par ces
esprits eux-mêmes, que les uns sont très heureux et les autres très malheureux ; qu'ils ne sont
point des êtres à part, d'une nature exceptionnelle, mais que ce sont les âmes mêmes de ceux qui
ont vécu sur la terre, où ils ont laissé leur enveloppe corporelle, qui peuplent les espaces, nous
entourent et nous coudoient sans cesse, et, parmi eux, chacun a pu reconnaître, à des signes
incontestables, ses parents, ses amis et ceux qu'il a connus ici-bas ; on put les suivre dans
toutes les phases de leur existence d'outre tombe, depuis l'instant où ils quittent leur corps, et
observer leur situation selon leur genre de mort et la manière dont ils avaient vécu sur la terre.
On sut enfin que ce ne sont pas des êtres abstraits, immatériels dans le sens absolu du mot ; ils
ont une enveloppe, à laquelle nous donnons le nom de périsprit, sorte de corps fluidique,
vaporeux, diaphane, invisible dans l'état normal, mais qui, dans certains cas, et par une espèce de
condensation ou de disposition moléculaire, peut devenir momentanément visible et même
tangible, et, dès lors, fut expliqué le phénomène des apparitions et des attouchements. Cette
enveloppe existe pendant la vie du corps : c'est le lien entre l'Esprit et la matière ; à la mort du
corps, l'âme ou l'Esprit, ce qui est la même chose, ne se dépouille que de l'enveloppe grossière,
elle conserve la seconde, comme lorsque nous quittons un vêtement de dessus pour ne conserver
que celui de dessous. comme le germe d'un fruit se dépouille de l'enveloppe corticale et ne
conserve que le périsperme. C'est cette enveloppe semi-matérielle de l'Esprit qui est l'agent des
différents phénomènes au moyen desquels il manifeste sa présence.
Telle est, en peu de mots, Monsieur, l'histoire du spiritisme ; vous voyez, et vous le reconnaîtrez
encore mieux quand vous l'aurez étudié à fond, que tout y est le résultat de l'observation et non
d'un système préconçu.
Moyens de communication.
Le Visiteur. — Vous avez parlé des moyens de communication ; pourriez-vous m'en donner une
idée, car il est difficile de comprendre comment ces êtres invisibles peuvent converser avec
nous ?
A. K. — Volontiers ; je le ferai brièvement toutefois, parce que cela exigerait de trop longs
développements que vous trouverez notamment dans le
Livre des Médiums. Mais le peu que je
vous en dirai suffira pour vous mettre sur la voie du mécanisme et servira surtout à vous faire
mieux comprendre quelques-unes des expériences auxquelles vous pourriez assister en attendant
votre initiation complète.
L'existence de cette enveloppe semi-matérielle, ou du périsprit, est déjà une clef qui explique
beaucoup de choses et montre la possibilité de certains phénomènes. Quant aux moyens, ils sont
très variés et dépendent, soit de la nature plus ou moins épurée des Esprits, soit de dispositions
particulières aux personnes qui leur servent d'intermédiaires. Le plus vulgaire, celui qu'on peut
dire universel, consiste dans l'intuition, c'est-à-dire dans les idées et les pensées qu'ils nous
suggèrent ; mais ce moyen est trop peu appréciable dans la généralité des cas ; il en est d'autres
plus matériels.
Certains esprits se communiquent par des coups frappés répondant par oui et par non ou
désignant les lettres qui doivent former les mots. Les coups peuvent être obtenus par le
mouvement de bascule d'un objet, une table, par exemple, qui frappe du pied. Souvent ils se font
entendre dans la substance même des corps, sans mouvement de ceux-ci. Ce mode primitif est
long et se prête difficilement à des développements d'une certaine étendue ; l'écriture l'a
remplacé ; on l'obtient de différentes manières. On s'est d'abord servi, et l'on se sert encore
quelquefois, d'un objet mobile, comme une petite planchette, une corbeille, une boite, à laquelle
on adapte un crayon dont la pointe pose sur le papier. La nature et la substance de l'objet sont
indifférentes. Le médium place les mains sur cet objet auquel il transmet l'influence qu'il reçoit
de l'Esprit, et le crayon trace les caractères. Mais cet objet n'est, à proprement parler, qu'un
appendice de la main, une sorte de porte crayon. On a reconnu depuis l'inutilité de cet
intermédiaire, qui n'est qu'une complication de rouage, dont le seul mérite est de constater d'une
manière plus matérielle l'indépendance du médium ; ce dernier peut écrire en tenant lui-même le
crayon.
Les Esprits se manifestent encore et peuvent transmettre leurs pensées par des sons articulés qui
retentissent soit dans le vague de l'air, soit dans l'oreille ; par la voix du médium, par la vue, par
des dessins, par la musique et par d'autres moyens qu'une étude complète fait connaître. Les
médiums ont pour ces différents moyens des aptitudes spéciales qui tiennent à leur organisation.
Nous avons ainsi des médiums à effets physiques, c'est-à-dire ceux qui sont aptes à produire des
phénomènes matériels, comme les coups frappés, le mouvement des corps, etc. ; les médiums
auditifs, parlants, voyants, dessinateurs, musiciens, écrivains. Cette dernière faculté est la plus
commune, celle qui se développe le mieux par l'exercice ; c'est aussi la plus précieuse, parce que
c'est celle qui permet les communications les plus suivies et les plus rapides.
Le médium écrivain présente de nombreuses variétés dont deux très distinctes. Pour les
comprendre, il faut se rendre compte de la manière dont s'opère le phénomène. L'Esprit agit
quelquefois directement sur la main du médium à laquelle il donne une impulsion tout à fait
indépendante de la volonté, et sans que celui-ci ait conscience de ce qu'il écrit : c'est le médium
écrivain mécanique. D'autres fois, il agit sur le cerveau ; sa pensée traverse celle du médium
qui, alors, bien qu'écrivant d'une manière involontaire, a une conscience plus ou moins nette de
ce qu'il obtient : c'est le médium intuitif ; son rôle est exactement celui d'un truchement qui
transmet une pensée qui n'est pas la sienne et que pourtant il doit comprendre. Quoique, dans ce
cas, la pensée de l'Esprit et celle du médium se confondent quelquefois, l'expérience apprend
facilement à les distinguer. On obtient des communications également bonnes par ces deux
genres de médiums ; l'avantage de ceux qui sont mécaniques est surtout pour les personnes qui
ne sont pas encore convaincues. Du reste, la qualité essentielle d'un médium est dans la nature
des Esprits qui l'assistent et dans les communications qu'il reçoit, bien plus que dans les moyens
d'exécution.
Le Visiteur. — Le procédé me paraît des plus simples. Est-ce qu'il me serait possible de
l'expérimenter moi-même ?
A. K. — Parfaitement ; je dis même que si vous étiez doué de la faculté médianimique, ce serait le
meilleur moyen de vous convaincre, car vous ne pourriez suspecter votre bonne foi. Seulement,
je vous engage vivement à ne tenter aucun essai avant d'avoir étudié avec soin. Les
communications d'outre-tombe sont entourées de plus de difficultés qu'on ne le pense ; elles ne
sont pas exemptes d'inconvénients ni même sans dangers pour ceux qui manquent de
l'expérience nécessaire. Il en est ici comme de celui qui voudrait faire des manipulations
chimiques sans savoir la chimie : il courrait risque de se brûler les doigts.
Le Visiteur. — Y a-t-il quelque signe auquel on puisse reconnaître cette aptitude ?
A. K. — Jusqu'à présent on ne connaît aucun diagnostic pour la médianimité ; tous ceux que l'on
avait cru reconnaître sont sans valeur ; essayer est le seul moyen de savoir si l'on est doué. Du
reste les médiums sont très nombreux, et il est fort rare que, si l'on ne l'est pas soi même, on n'en
trouve pas dans quelque membre de sa famille ou dans son entourage. Le sexe, l'âge et le
tempérament sont indifférents ; on en trouve parmi les hommes et parmi les femmes, les enfants
et les vieillards, les gens qui se portent bien et ceux qui sont malades.
Si la médiumnité se traduisait par un signe extérieur quelconque, cela impliquerait la
permanence de la faculté, tandis qu'elle est essentiellement mobile et fugitive. Sa cause physique
est dans l'assimilation plus ou moins facile des fluides périspritaux de l'incarné et de l'Esprit
désincarné ; sa cause morale est dans la volonté de l'Esprit qui se communique quand cela lui
plaît, et non à notre volonté, d'où il résulte 1° que tous les Esprits ne peuvent pas se
communiquer indifféremment par tous les médiums ; 2° que tout médium peut perdre ou voir
suspendre sa faculté au moment où il s'y attend le moins. Ce peu de mots suffit pour vous
montrer qu'il y a là toute une étude à faire, pour pouvoir se rendre compte des variations que
présente ce phénomène.
Ce serait donc une erreur de croire que tout Esprit peut venir à l'appel qui lui est fait, et se
communiquer par le premier médium venu. Pour qu'un Esprit se communique, il faut d'abord
qu'il lui convienne de le faire ; secondement que sa position ou ses occupations le lui permettent ;
troisièmement qu'il trouve dans le médium un instrument propice, approprié à sa nature.
En principe, on peut communiquer avec les Esprits de tous les ordres, avec ses parents et ses
amis, avec les Esprits les plus élevés comme avec les plus vulgaires ; mais indépendamment des
conditions individuelles de possibilité, ils viennent plus ou moins volontiers selon les
circonstances, et surtout en raison de leur sympathie pour les personnes qui les appellent, et non
sur la demande du premier venu à qui il prendrait fantaisie de les évoquer par un sentiment de
curiosité ; en pareil cas ils ne se seraient pas dérangés de leur vivant, ils ne le font pas davantage
après leur mort.
Les Esprits sérieux ne viennent que dans les réunions sérieuses où ils sont appelés avec
recueillement et pour des motifs sérieux ; ils ne se prêtent à aucune question de curiosité,
d'épreuve, ou ayant un but futile, ni à aucune expérience.
Les Esprits légers vont partout : mais dans les réunions sérieuses, ils se taisent et se tiennent à
l'écart pour écouter, comme le feraient des écoliers dans une docte assemblée. Dans les réunions
frivoles, ils prennent leurs ébats, s'amusent de tout, se moquent souvent des assistants, et
répondent à tout sans s'inquiéter de la vérité.
Les Esprits dits frappeurs, et généralement tous ceux qui produisent des manifestations
physiques, sont d'un ordre inférieur, sans être essentiellement mauvais pour cela ; ils ont une
aptitude en quelque sorte spéciale pour les effets matériels ; les Esprits supérieurs ne s'occupent
pas plus de ces choses, que nos savants de faire des tours de force ; s'ils en ont besoin, ils se
servent de ces Esprits, comme nous nous servons de manoeuvres pour la grosse besogne.
Les médiums interessés.
Le Visiteur. — Avant de se livrer à une étude de longue haleine, certaines personnes voudraient
avoir la certitude de ne pas perdre leur temps, certitude que leur donnerait un fait concluant, fût-il obtenu à prix d'argent.
A. K. — Chez celui qui ne veut pas se donner la peine d'étudier, il y a plus de curiosité que d'envie
réelle de s'instruire ; or, les Esprits n'aiment pas plus les curieux que je ne les aime moi-même.
D'ailleurs la cupidité leur est surtout antipathique, et ils ne se prêtent à rien de ce qui peut la
satisfaire ; il faudrait s'en faire une idée bien fausse pour croire que des Esprits supérieurs,
comme Fénelon, Bossuet, Pascal, saint Augustin, par exemple, se mettent aux ordres du premier
venu à tant par heure. Non, Monsieur, les communications d'outre-tombe sont une chose trop
grave, et qui exige trop de respect, pour servir d'exhibition.
Nous savons d'ailleurs que les phénomènes spirites ne marchent pas comme les roues d'un
mécanisme, puisqu'ils dépendent de la volonté des Esprits ; en admettant même l'aptitude
médianimique, nul ne peut répondre de les obtenir à tel moment donné. Si les incrédules sont
portés à suspecter la bonne foi des médiums en général, ce serait bien pis s'il y avait chez eux un
stimulant d'intérêt ; on pourrait à bon droit suspecter le médium rétribué de donner le coup de
pouce quand l'Esprit ne donnerait pas, parce qu'il lui faudrait, avant tout, gagner son argent.
Outre que le désintéressement absolu est la meilleure garantie de sincérité, il répugnerait à la
raison de faire venir à prix d'argent les Esprits des personnes qui nous sont chères, en supposant
qu'ils y consentissent, ce qui est plus que douteux ; il n'y aurait, dans tous les cas, que des Esprits
de bas étage, peu scrupuleux sur les moyens, et qui ne mériteraient aucune confiance ; et encore
ceux-là mêmes se font-ils souvent un malin plaisir de déjouer les combinaisons et les calculs de
leur cornac.
La nature de la faculté médianimique s'oppose donc à ce qu'elle devienne une profession,
puisqu'elle dépend d'une volonté étrangère au médium et qu'elle peut lui faire défaut au moment
où il en aurait besoin, à moins qu'il n'y supplée par l'adresse. Mais en admettant même une
entière bonne foi, dès lors que les phénomènes ne s'obtiennent pas à volonté, ce serait en effet du
hasard si dans la séance que l'on aurait payée, se produisait précisément celui que l'on désirerait
voir pour se convaincre. Vous donneriez cent mille francs à un médium, que vous ne lui feriez
pas obtenir des Esprits ce que ceux-ci ne veulent pas faire ; cet appât, qui dénaturerait l'intention
et la transformerait en un violent désir de lucre, serait même au contraire un motif pour qu'il ne
l'obtint pas. Si l'on est bien pénétré de cette vérité, que l'affection et la sympathie sont les plus
puissants mobiles d'attraction pour les Esprits, on comprendra qu'ils ne peuvent être sollicités par
la pensée de s'en servir pour gagner de l'argent.
Celui donc qui a besoin de faits pour se convaincre, doit prouver aux Esprits sa bonne volonté
par une observation sérieuse et patiente, s'il veut en être secondé ; mais s'il est vrai que la foi ne
se commande pas, il ne l'est pas moins de dire qu'elle ne s'achète pas.
Le Visiteur. — Je comprends ce raisonnement au point de vue moral ; cependant n'est-il pas juste
que celui qui donne son temps dans l'intérêt de sa cause, en soit indemnisé, si cela l'empêche de
travailler pour vivre ?
A. K. — D'abord est-ce bien dans l'intérêt de la cause qu'il le fait, ou dans le sien propre ? S'il a
quitté son état, c'est qu'il n'en était pas satisfait, et qu'il espérait gagner davantage ou avoir moins
de peine à ce nouveau métier. Il n'y a aucun dévouement à donner son temps quand c'est pour en
tirer profit. C'est absolument comme si l'on disait que c'est dans l'intérêt de l'humanité que le
boulanger fabrique du pain. La médiumnité n'est pas la seule ressource ; sans elle, ils seraient
bien obligés de gagner leur vie autrement. Les médiums vraiment sérieux et dévoués, lorsqu'ils
n'ont pas une existence indépendante, cherchent les moyens de vivre dans le travail ordinaire, et
ne quittent point leur état ; ils ne consacrent à la médiumnité que le temps qu'ils peuvent y
donner sans préjudice ; s'ils prennent sur leurs loisirs ou leur repos, c'est alors du dévouement
dont on leur sait gré ; on les en estime et respecte davantage.
La multiplicité des médiums dans les familles rend d'ailleurs les médiums de profession inutiles,
en supposant même qu'ils offrissent toutes les garanties désirables, ce qui est fort rare. Sans le
discrédit qui s'est attaché à ce genre d'exploitation, et auquel je me félicite d'avoir grandement
contribué, on aurait vu pulluler les médiums mercenaires et les journaux se couvrir de leurs
réclames ; or, pour un qui aurait pu être loyal, il y aurait eu cent charlatans qui, abusant d'une
faculté réelle ou simulée, auraient fait le plus grand tort au spiritisme. C'est donc comme
principe, que tous ceux qui voient dans le spiritisme autre chose qu'une exhibition de
phénomènes curieux, qui comprennent et ont à coeur la dignité, la considération et les véritables
intérêts de la doctrine, réprouvent toute espèce de spéculation sous quelque forme ou
déguisement qu'elle se présente. Les médiums sérieux et sincères, et je donne ce nom à ceux qui
comprennent la sainteté du mandat que Dieu leur a confié, évitent jusqu'aux apparences de ce qui
pourrait faire planer sur eux le moindre soupçon de cupidité ; l'accusation de tirer un profit
quelconque de leur faculté, serait regardée par eux comme une injure.
Convenez, Monsieur, tout incrédule que vous êtes, qu'un médium dans ces conditions-là, ferait
sur vous une tout autre impression que si vous aviez payé votre place pour le voir opérer, ou, lors
même que vous eussiez obtenu une entrée de faveur, si vous saviez qu'il y a derrière tout cela une
question d'argent ; convenez qu'en voyant le premier animé d'un véritable sentiment religieux,
stimulé par la foi seule, et non par l'appât du gain, involontairement il commandera votre respect,
fût-il le plus humble prolétaire, et vous inspirera plus de confiance, car vous n'aurez aucun motif
de suspecter sa loyauté. Eh bien ! Monsieur, vous en trouverez comme cela mille pour un, et c'est
une des causes qui ont puissamment contribué au crédit et à la propagation de la doctrine, tandis
que si elle n'avait eu que des interprètes intéressés, elle ne compterait pas le quart des adeptes
qu'elle a aujourd'hui.
On le comprend si bien, que les médiums de profession sont excessivement rares, en France du
moins ; qu'ils sont inconnus dans la plupart des centres spirites de province, où la réputation de
mercenaires suffirait pour les exclure de tous les groupes sérieux, et où, pour eux, le métier ne
serait pas lucratif, en raison du discrédit dont il serait l'objet et de la concurrence des médiums
désintéressés qui se trouvent partout.
Pour suppléer, soit à la faculté qui leur manque, soit à l'insuffisance de la clientèle, il est de soi-disant médiums qui cumulent, en pratiquant le jeu de cartes, le blanc d'oeuf, le marc de café, etc.,
afin de satisfaire tous les goûts, espérant par ce moyen, à défaut des spirites, attirer ceux qui
croient encore à ces stupidités. S'ils ne faisaient tort qu'à eux-mêmes, le mal serait peu de chose ;
mais il y a des gens qui, sans aller plus loin, confondent l'abus et la réalité, puis les
malintentionnés qui en profitent pour dire que c'est là en quoi consiste le spiritisme. Vous voyez
donc, Monsieur, que l'exploitation de la médiumnité conduisant à des abus préjudiciables à la
doctrine, le spiritisme sérieux a raison de la désavouer, et de la répudier comme auxiliaire.
Le Visiteur. — Tout cela est très logique, j'en conviens, mais les médiums désintéressés ne sont
pas à la disposition du premier venu, et l'on ne peut se permettre d'aller les déranger, tandis qu'on
ne se fait pas scrupule d'aller chez celui qui se fait payer, parce qu'on sait ne pas lui faire perdre
son temps. S'il y avait des médiums publics, ce serait une facilité pour les personnes qui veulent
se convaincre.
A. K. — Mais si les médiums publics, comme vous les appelez, n'offrent pas les garanties voulues,
de quelle utilité peuvent-ils être pour la conviction ? L'inconvénient que vous signalez ne détruit
pas ceux bien autrement graves que j'ai développés. On irait chez eux plus par amusement ou
pour se faire dire la bonne aventure que pour s'instruire. Celui qui veut sérieusement se
convaincre en trouve tôt ou tard les moyens s'il y met de la persévérance et de la bonne volonté ;
mais ce n'est pas parce qu'il aura assisté à une séance qu'il sera convaincu, s'il n'y est préparé. S'il
en emporte une impression défavorable, il le sera moins en sortant qu'en entrant, et peut-être
sera-t-il dégoûté de poursuivre une étude où il n'aura vu rien de sérieux ; c'est ce que prouve
l'expérience.
Mais à côté des considérations morales, les progrès de la science spirite nous montrent
aujourd'hui une difficulté matérielle, que l'on ne soupçonnait pas dans le principe, en nous faisant
mieux connaître les conditions dans lesquelles se produisent les manifestations. Cette difficulté
tient aux affinités fluidiques qui doivent exister entre l'Esprit évoqué et le médium.
Je mets de côté toute pensée de fraude et de supercherie, et je suppose la plus entière loyauté.
Pour qu'un médium de profession puisse offrir toute sécurité aux personnes qui viendraient le
consulter, il faudrait qu'il possédât une faculté permanente et universelle c'est-à-dire qu'il pût
communiquer facilement avec tout Esprit et à tout moment donné, pour être constamment à la
disposition du public, comme un médecin, et satisfaire à toutes les évocations qui lui seraient
demandées ; or, c'est ce qui n'existe pas chez aucun médium, pas plus chez ceux qui sont
désintéressés que chez les autres, et cela par des causes indépendantes de la volonté de l'Esprit,
mais que je ne puis développer ici, parce que je ne vous fais pas un cours de spiritisme. Je me
bornerai à dire que les affinités fluidiques, qui sont le principe même des facultés
médianimiques, sont individuelles et non générales, qu'elles peuvent exister du médium à tel
Esprit et non à tel autre ; que sans ces affinités, dont les nuances sont très multiples les
communications sont incomplètes, fausses ou impossibles ; que le plus souvent l'assimilation
fluidique entre l'Esprit et le médium ne s'établit qu'à la longue, et qu'il n'arrive pas une fois sur
dix qu'elle soit complète dès la première fois. La médiumnité, comme vous le voyez, Monsieur,
est subordonnée à des lois en quelque sorte organiques, auxquelles tout médium est assujetti ; or,
on ne peut nier que ce ne soit un écueil pour la médiumnité de profession, puisque la possibilité
et l'exactitude des communications tiennent à des causes indépendantes du médium et de l'Esprit
(Voir ci après, chap. II, paragraphe des médiums.)
Si donc nous repoussons l'exploitation de la médiumnité, ce n'est ni par caprice, ni par esprit de
système, mais parce que les principes mêmes qui régissent les rapports avec le monde invisible,
s'opposent à la régularité et à la précision nécessaires pour celui qui se met à la disposition du
public, et que le désir de satisfaire une clientèle payante conduit à l'abus. Je n'en conclus pas que
tous les médiums intéressés sont des charlatans, mais je dis que l'appât du gain pousse au
charlatanisme et autorise le soupçon de supercherie, s'il ne le justifie pas. Celui qui veut se
convaincre doit avant tout chercher les éléments de sincérité.
Les médiums et les sorciers.
Le Visiteur. — Dès l'instant que la médiumnité consiste à se mettre en rapport avec les puissances
occultes, il me semble que médiums et sorciers sont à peu près des synonymes.
A. K. — Il y a eu à toutes les époques des médiums naturels et inconscients qui, par cela seul
qu'ils produisaient des phénomènes insolites et incompris, ont été qualifiés de sorciers et accusés
de pactiser avec le diable ; il en a été de même de la plupart des savants qui possédaient des
connaissances au-dessus du vulgaire. L'ignorance s'est exagérée leur pouvoir, et eux-mêmes ont
souvent abusé de la crédulité publique en l'exploitant ; de là la juste réprobation dont ils ont été
l'objet. Il suffit de comparer le pouvoir attribué aux sorciers et la faculté des médiums véritables
pour en faire la différence, mais la plupart des critiques ne se donnent pas cette peine. Le
spiritisme, loin de ressusciter la sorcellerie, la détruit à jamais en la dépouillant de sa prétendue
puissance surnaturelle de ses formules, grimoires, amulettes et talismans et en réduisant les
phénomènes possibles à leur juste valeur, sans sortir des lois naturelles.
L'assimilation que certaines personnes prétendent établir, vient de l'erreur où elles sont que les
Esprits sont aux ordres des médiums ; il répugne à leur raison de croire qu'il puisse dépendre
du premier venu de faire venir à sa volonté et à point nommé l'Esprit de tel ou tel personnage
plus ou moins illustre ; en cela ils sont parfaitement dans le vrai, et si, avant de jeter la pierre au
spiritisme, ils avaient pris la peine de s'en rendre compte, ils sauraient qu'il dit positivement que
les Esprits ne sont aux caprices de personne, et que nul ne peut les faire venir à sa volonté
et contre leur gré ; d'où il suit que les médiums ne sont pas des sorciers.
Le Visiteur. — D'après cela, tous les effets que certains médiums accrédités obtiennent à volonté
et en public, ne seraient, selon vous, que de la jonglerie ?
A. K. — Je ne le dis pas d'une manière absolue. De tels phénomènes ne sont pas impossibles,
parce qu'il y a des Esprits de bas étage qui peuvent se prêter à ces sortes de choses, et qui s'en
amusent, ayant peut-être déjà fait le métier de jongleurs de leur vivant, et aussi des médiums
spécialement propres à ce genre de manifestations ; mais le plus vulgaire bon sens repousse l'idée
que des Esprits tant soit peu élevés viennent faire la parade et des tours de force pour amuser les
curieux.
L'obtention de ces phénomènes à volonté, et surtout en public, est toujours suspecte ; dans ce cas
la médiumnité et la prestidigitation se touchent de si près qu'il est souvent bien difficile de les
distinguer ; avant d'y voir l'action des Esprits, il faut de minutieuses observations, et tenir compte
soit du caractère et des antécédents du médium, soit d'une foule de circonstances qu'une étude
approfondie de la théorie des phénomènes spirites peut seule faire apprécier. Il est à remarquer
que ce genre de médiumnité, lorsque médiumnité il y a, est limité à la production du même
phénomène, à quelques variantes près, ce qui n'est pas de nature à dissiper les doutes. Un
désintéressement absolu serait la meilleure garantie de sincérité.
Quoi qu'il en soit de la réalité de ces phénomènes, comme effets médianimiques, ils ont un bon
résultat, en ce qu'ils donnent du retentissement à l'idée spirite. La controverse qui s'établit à ce
sujet provoque chez beaucoup de personnes une étude plus approfondie. Ce n'est certes pas là
qu'il faut aller puiser des instructions sérieuses de spiritisme, ni la philosophie de la doctrine,
mais c'est un moyen de forcer l'attention des indifférents et d'obliger les plus récalcitrants d'en
parler.
Diversité dans les Esprits.
Le Visiteur. — Vous parlez d'Esprits, bons ou mauvais, sérieux ou légers ; je ne m'explique pas,
je l'avoue, cette différence ; il me semble qu'en quittant leur enveloppe corporelle, ils doivent se
dépouiller des imperfections inhérentes à la matière ; que la lumière doit se faire pour eux sur
toutes les vérités qui nous sont cachées, et qu'ils doivent être affranchis des préjugés terrestres.
A. K. — Sans doute ils sont débarrassés des imperfections physiques, c'est-à-dire des maladies et
des infirmités du corps ; mais les imperfections morales tiennent à l'Esprit et non au corps. Dans
le nombre il en est qui sont plus ou moins avancés intellectuellement et moralement. Ce serait
une erreur de croire que les Esprits en quittant leur corps matériel, sont subitement frappés de la
lumière de vérité. Croyez-vous, par exemple, que lorsque vous mourrez, il n'y aura aucune
différence entre votre Esprit et celui d'un sauvage ou d'un malfaiteur ? S'il en était ainsi, à quoi
vous servirait d'avoir travaillé à votre instruction et à votre amélioration, puisqu'un vaurien serait
autant que vous après la mort ? Le progrès des Esprits ne s'accomplit que graduellement, et
quelquefois bien lentement. Dans le nombre, et cela dépend de leur épuration il y en a qui voient
les choses à un point de vue plus juste que de leur vivant ; d'autres au contraire ont encore les
mêmes passions, les mêmes préjugés et les mêmes erreurs, jusqu'à ce que le temps et de
nouvelles épreuves leur aient permis de s'éclairer. Notez bien que ceci est un résultat
d'expérience, car c'est ainsi qu'ils se présentent à nous dans leurs communications. C'est donc un
principe élémentaire du spiritisme que, parmi les Esprits, il y en a de tous les degrés
d'intelligence et de moralité.
Le Visiteur. — Mais alors pourquoi les Esprits ne sont-ils pas tous parfaits ? Dieu en a donc créé
de toutes sortes de catégories.
A. K. — Autant vaudrait demander pourquoi tous les élèves d'un collège ne sont pas en
philosophie. Les Esprits ont tous la même origine et la même destinée. Les différences qui
existent entre eux ne constituent pas des espèces distinctes, mais des degrés divers d'avancement.
Les Esprits ne sont pas parfaits, parce que ce sont les âmes des hommes, et que les hommes ne
sont pas parfaits ; par la même raison, les hommes ne sont pas parfaits, parce qu'ils sont
l'incarnation d'Esprits plus ou moins avancés. Le monde corporel et le monde spirituel se
déversent incessamment l'un dans l'autre ; par la mort du corps, le monde corporel fournit son
contingent au monde spirituel ; par les naissances, le monde spirituel alimente l'humanité. A
chaque nouvelle existence, l'Esprit accomplit un progrès plus ou moins grand, et lorsqu'il a
acquis sur la terre la somme de connaissances et l'élévation morale que comporte notre globe, il
le quitte pour passer dans un monde plus élevé, où il apprend de nouvelles choses.
Les Esprits qui forment la population invisible de la terre sont en quelque sorte le reflet du
monde corporel ; on y retrouve les mêmes vices et les mêmes vertus ; il y a parmi eux des
savants, des ignorants et de faux savants, des sages et des étourdis, des philosophes, des
raisonneurs, des systématiques ; tous ne s'étant pas défaits de leurs préjugés, toutes les opinions
politiques et religieuses y ont leurs représentants ; chacun parle selon ses idées, et ce qu'ils disent
n'est souvent que leur opinion personnelle ; voilà pourquoi il ne faut pas croire aveuglément tout
ce que disent les Esprits.
Le Visiteur. — S'il en est ainsi, j'aperçois une immense difficulté ; dans ce conflit d'opinions
diverses, comment distinguer l'erreur de la vérité ? Je ne vois pas que les Esprits nous servent à
grand chose, et ce que nous avons à gagner à leur conversation.
A. K. — Les Esprits ne serviraient-ils qu'à nous apprendre qu'il y a des Esprits, et que ces Esprits
sont les âmes des hommes, ne serait-ce pas d'une grande importance pour tous ceux qui doutent
s'ils ont une âme, et qui ne savent ce qu'ils deviendront après la mort ?
Comme toutes les sciences philosophiques, celle-ci exige de longues études et de minutieuses
observations ; c'est alors qu'on apprend à distinguer la vérité de l'imposture, et les moyens
d'éloigner les Esprits trompeurs. Au-dessus de cette tourbe de bas étage, il y a les Esprits
supérieurs, qui n'ont en vue que le bien et qui ont pour mission de conduire les hommes dans la
bonne voie ; c'est à nous de savoir les apprécier et les comprendre. Ceux-là nous apprennent de
grandes choses ; mais ne croyez pas que l'étude des autres soit inutile ; pour connaître un peuple
il faut le voir sous toutes ses faces.
Vous en êtes vous-même la preuve ; vous pensiez qu'il suffisait aux Esprits de quitter leur
enveloppe corporelle pour se dépouiller de leurs imperfections ; or, ce sont les communications
avec eux qui nous ont appris le contraire, et nous ont fait connaître le véritable état du monde
spirituel, qui nous intéresse tous au plus haut point, puisque tous nous devons y aller. Quant aux
erreurs qui peuvent naître de la divergence d'opinion parmi les Esprits, elles disparaissent d'elles-mêmes, à mesure que l'on apprend à distinguer les bons des mauvais, les savants des ignorants,
les sincères des hypocrites, absolument comme parmi nous ; alors le bon sens fait justice des
fausses doctrines.
Le Visiteur. — Mon observation subsiste toujours au point de vue des questions scientifiques et
autres que l'on peut soumettre aux Esprits. La divergence de leurs opinions sur les théories qui
divisent les savants nous laisse dans l'incertitude. Je comprends que tous n'étant pas instruits au
même degré, ils ne peuvent tout savoir ; alors, de quel poids peut être pour nous l'opinion de
ceux qui savent, si nous ne pouvons vérifier qui a tort ou raison ? Autant vaut s'adresser aux
hommes qu'aux Esprits.
A. K. — Cette réflexion est encore une suite de l'ignorance du véritable caractère du spiritisme.
Celui qui croit y trouver un moyen facile de tout savoir, de tout découvrir, est dans une grande
erreur. Les Esprits ne sont point chargés de venir nous apporter la science toute faite ; ce serait
en effet par trop commode si nous n'avions qu'à demander pour être servis, et nous épargner ainsi
la peine des recherches. Dieu veut que nous travaillions, que notre pensée s'exerce : nous
n'acquérons la science qu'à ce prix ; les Esprits ne viennent pas nous affranchir de cette
nécessité ; ils sont ce qu'ils sont ; le spiritisme a pour objet de les étudier, afin de savoir par
analogie ce que nous serons un jour, et non de nous faire connaître ce qui doit nous être caché,
ou nous révéler les choses avant le temps.
Les Esprits ne sont pas non plus des diseurs de bonne aventure, et quiconque se flatte d'en
obtenir certains secrets se prépare d'étranges déceptions de la part des Esprits moqueurs ; en un
mot, le spiritisme est une science d'observation et non une science de divination ou de
spéculation. Nous l'étudions pour connaître l'état des individualités du monde invisible, les
rapports qui existent entre elles et nous leur action occulte sur le monde visible, et non pour
l'utilité matérielle que nous en pouvons tirer. A ce point de vue, il n'est aucun Esprit dont l'étude
soit inutile ; nous apprenons quelque chose avec tous ; leurs imperfections, leurs défauts, leur
insuffisance, leur ignorance même sont autant de sujets d'observation qui nous initient à la nature
intime de ce monde ; et quand ce ne sont pas eux qui nous instruisent par leur enseignement, c'est
nous qui nous instruisons en les étudiant, comme nous le faisons quand nous observons les
moeurs d'un peuple que nous ne connaissons pas.
Quant aux Esprits éclairés, ils nous apprennent beaucoup, mais dans la limite des choses
possibles et il ne faut pas leur demander ce qu'ils ne peuvent pas ou ne doivent pas nous révéler ;
il faut se contenter de ce qu'ils nous disent; vouloir aller au-delà, c'est s'exposer aux
mystifications des Esprits légers toujours prêts à répondre à tout. L'expérience nous apprend à
juger le degré de confiance que nous pouvons leur accorder.
Utilité pratique des manifestations.
Le Visiteur. — Je suppose que la chose soit constatée, et le spiritisme reconnu comme une
réalité ; quelle peut en être l'utilité pratique ? On s'en est passé jusqu'à présent, il me semble
qu'on pourrait bien encore s'en passer et vivre fort tranquillement sans cela.
A. K. — On pourrait en dire autant des chemins de fer et de la vapeur sans lesquels on vivait très
bien.
Si vous entendez par utilité pratique, les moyens de bien vivre, de faire fortune, de connaître
l'avenir, de découvrir des mines de charbon ou des trésors cachés, de recouvrer des héritages, de
s'épargner le travail des recherches, il ne sert à rien ; il ne peut faire hausser ni baisser la Bourse,
ni être mis en actions, ni même donner des inventions toutes faites, prêtes à être exploitées. A ce
point de vue, combien de sciences seraient inutiles ! Combien y en a-t-il qui sont sans avantages,
commercialement parlant ! Les hommes se portaient tout aussi bien avant la découverte de toutes
les nouvelles planètes ; avant qu'on ne sût que c'est la terre qui tourne et non le soleil, avant qu'on
n'eût calculé les éclipses ; avant qu'on ne connût le monde microscopique et cent autres choses.
Le paysan, pour vivre et faire pousser son blé, n'a pas besoin de savoir ce que c'est qu'une
comète. Pourquoi donc les savants se livrent-ils à ces recherches, et qui oserait dire qu'ils perdent
leur temps ?
Tout ce qui sert à soulever un coin du voile aide au développement de l'intelligence, élargit le
cercle des idées en nous faisant pénétrer plus avant dans les lois de la nature. Or, le monde des
Esprits existe en vertu d'une de ces lois de la nature ; le spiritisme nous fait connaître cette loi ; il
nous apprend l'influence que le monde invisible exerce sur le monde visible, et les rapports qui
existent entre eux, comme l'astronomie nous apprend les rapports des astres avec la terre ; il nous
le montre comme une des forces qui régissent l'univers et contribuent au maintien de l'harmonie
générale. Supposons que là se borne son utilité, ne serait-ce pas déjà beaucoup que la révélation
d'une pareille puissance, abstraction faite de toute doctrine morale ? N'est-ce donc rien que tout
un monde nouveau qui se révèle à nous, si surtout la connaissance de ce monde nous met sur la
voie d'une foule de problèmes insolubles jusqu'alors ; si elle nous initie aux mystères d'outre-tombe, qui nous intéressent bien quelque peu, puisque tous, tant que nous sommes, devons tôt ou
tard franchir le pas fatal ? Mais il est une autre utilité plus positive du spiritisme, c'est l'influence
morale qu'il exerce par la force même des choses. Le spiritisme est la preuve patente de
l'existence de l'âme, de son individualité après la mort, de son immortalité, de son sort à venir ;
c'est donc la destruction du matérialisme, non par le raisonnement, mais par les faits.
Il ne faut demander au spiritisme que ce qu'il peut donner, et ne pas y chercher au-delà de son
but providentiel. Avant les progrès sérieux de l'astronomie on croyait à l'astrologie. Serait-il
raisonnable de prétendre que l'astronomie ne sert à rien, parce qu'on ne peut plus trouver dans
l'influence des astres le pronostic de sa destinée ? De même que l'astronomie a détrôné les
astrologues, le spiritisme détrône les devins, les sorciers et les diseurs de bonne aventure. Il est à
la magie ce que l'astronomie est à l'astrologie, la chimie à l'alchimie.
Folie ; Suicide ; Obsesion.
Le Visiteur. — Certaines personnes regardent les idées spirites comme de nature à troubler les
facultés mentales, et c'est à ce titre qu'elles trouveraient prudent d'en arrêter l'essor.
A. K. — Vous connaissez le proverbe : Quand on veut tuer un chien, on dit qu'il est enragé. Il n'est
donc pas étonnant que les ennemis du spiritisme cherchent à s'appuyer sur tous les prétextes ;
celui-là leur a paru propre à éveiller les craintes et les susceptibilités, ils l'ont saisi avec
empressement ; mais il tombe devant le plus léger examen. Ecoutez donc sur cette folie le
raisonnement d'un fou.
Toutes les grandes préoccupations de l'esprit peuvent occasionner la folie ; les sciences, les arts,
la religion même fournissent leur contingent. La folie a pour principe un état pathologique du
cerveau, instrument de la pensée : l'instrument étant désorganisé, la pensée est altérée. La folie
est donc un effet consécutif, dont la cause première est une prédisposition organique qui rend le
cerveau plus ou moins accessible à certaines impressions ; et cela est si vrai que vous avez des
gens qui pensent énormément et qui ne deviennent pas fous ; d'autres qui le deviennent sous
l'empire de la moindre surexcitation. Etant donnée une prédisposition à la folie, celle-ci prendra
le caractère de la préoccupation principale, qui devient alors une idée fixe. Cette idée fixe pourra
être celle des Esprits chez celui qui s'en est occupé, comme elle pourra être celle de Dieu, des
anges, du diable, de la fortune, de la puissance, d'un art, d'une science, de la maternité, d'un
système politique ou social. Il est probable que le fou religieux fût devenu un fou spirite, si le
spiritisme eût été sa préoccupation dominante. Un journal a dit, il est vrai, que, dans une seule
localité d'Amérique, dont je ne me rappelle plus le nom, on comptait quatre mille cas de folie
spirite ; mais on sait que, chez nos adversaires, c'est une idée fixe de se croire seuls doués de
raison, et c'est là une manie comme une autre. A leurs yeux, nous sommes tous dignes des
Petites-Maisons, et, par conséquent, les quatre mille spirites de la localité en question devaient
être autant de fous. A ce compte, les Etats Unis en ont des centaines de mille, et tous les autres
pays du monde un bien plus grand nombre. Cette mauvaise plaisanterie commence à s'user
depuis qu'on voit cette folie gagner les rangs les plus élevés de la société. On fait grand bruit d'un
exemple connu, de Victor Hennequin ; mais on oublie qu'avant de s'occuper des Esprits, il avait
déjà donné des preuves d'excentricité dans les idées ; si les tables tournantes ne fussent pas
venues, qui, selon un jeu de mots bien spirituel de nos adversaires, lui ont fait tourner la tête, sa
folie eût pris un autre cours.
Je dis donc que le spiritisme n'a aucun privilège sous ce rapport ; mais je vais plus loin : je dis
que, bien compris, c'est un préservatif contre la folie et le suicide.
Parmi les causes les plus nombreuses de surexcitation cérébrale, il faut compter les déceptions,
les malheurs, les affections contrariées, qui sont en même temps les causes les plus fréquentes de
suicide. Or, le vrai spirite voit les choses de ce monde d'un point de vue si élevé, que les
tribulations ne sont pour lui que les incidents désagréables d'un voyage. Ce qui, chez un autre,
produirait une violente émotion, l'affecte médiocrement. Il sait d'ailleurs que les chagrins de la
vie sont des épreuves qui servent à son avancement s'il les subit sans murmure, parce qu'il sera
récompensé selon le courage avec lequel il les aura supportées. Ses convictions lui donnent donc
une résignation qui le préserve du désespoir, et, par conséquent, d'une cause incessante de folie
et de suicide. Il sait en outre, par le spectacle que lui donnent les communications avec les
Esprits, le sort déplorable de ceux qui abrègent volontairement leurs jours, et ce tableau est bien
fait pour le faire réfléchir ; aussi le nombre de ceux qui ont été arrêtés sur cette pente funeste est-il considérable. C'est là un des résultats du spiritisme.
Au nombre des causes de folie, il faut encore placer la frayeur, et celle du diable a dérangé plus
d'un cerveau. Sait-on le nombre de victimes que l'on a faites en frappant de faibles imaginations
avec ce tableau que l'on s'ingénie à rendre plus effrayant par de hideux détails ? Le diable, dit on,
n'effraie que les petits enfants ; c'est un frein pour les rendre sages ; oui, comme Croque-mitaine
et le loup-garou, et quand ils n'en ont plus peur, ils sont pires qu'avant ; et pour ce beau résultat,
on ne compte pas le nombre des épilepsies causées par l'ébranlement d'un cerveau délicat.
Il ne faut pas confondre la folie pathologique avec l'obsession ; celle-ci ne vient d'aucune lésion
cérébrale, mais de la subjugation que des Esprits malfaisants exercent sur certains individus, et a
parfois les apparences de la folie proprement dite. Cette affection, qui est très fréquente, est
indépendante de toute croyance au spiritisme, et a existé de tout temps. Dans ce cas, la
médication ordinaire est impuissante et même nuisible. Le spiritisme, en faisant connaître cette
nouvelle cause de trouble dans l'économie, donne en même temps le seul moyen d'en triompher,
en agissant, non sur le malade, mais sur l'Esprit obsesseur. Il est le remède et non la cause du
mal.
Oubli du passé.
Le Visiteur. — Je ne m'explique pas comment l'homme peut profiter de l'expérience acquise dans
ses existences antérieures, s'il n'en a pas le souvenir ; car, du moment qu'il ne s'en souvient pas,
chaque existence est pour lui comme si elle était la première, et c'est ainsi toujours à
recommencer. Supposons que chaque jour, à notre réveil, nous perdions la mémoire de ce que
nous avons fait la veille, nous ne serions pas plus avancés à soixante-dix ans qu'à dix ans ; tandis
que nous rappelant nos fautes, nos maladresses et les punitions que nous avons encourues, nous
tâcherions de ne pas recommencer. Pour me servir de la comparaison que vous avez faite de
l'homme sur la terre avec l'élève d'un collège, je ne comprendrais pas que cet élève pût profiter
des leçons de Quatrième, par exemple, s'il ne se souvient pas de ce qu'il a appris en Cinquième.
Ces solutions de continuité, dans la vie de l'Esprit, interrompent toutes les relations et en font, en
quelque sorte, un être nouveau ; d'où l'on peut dire que nos pensées meurent à chaque existence,
pour renaître sans conscience de ce que l'on a été ; c'est une sorte de néant.
A. K. — De questions en questions vous me conduiriez à vous faire un cours complet de
spiritisme ; toutes les objections que vous faites sont naturelles chez celui qui ne sait rien, tandis
qu'il trouve, dans une étude sérieuse, une solution bien plus explicite que celle que je puis donner
dans une explication sommaire qui, elle-même, doit provoquer incessamment de nouvelles
questions. Tout s'enchaîne dans le spiritisme, et quand on suit l'ensemble, on voit que les
principes découlent les uns des autres, se servant mutuellement d'appui ; et alors, ce qui
paraissait une anomalie contraire à la justice et à la sagesse de Dieu, semble tout naturel et vient
confirmer cette justice et cette sagesse.
Tel est le problème de l'oubli du passé qui se rattache à d'autres questions d'une égale
importance, c'est pourquoi je ne ferai que l'effleurer ici.
Si à chaque existence un voile est jeté sur le passé, l'Esprit ne perd rien de ce qu'il a acquis dans
le passé : il n'oublie que la manière dont il l'a acquis. Pour me servir de la comparaison de
l'écolier, je dirai que : peu importe pour lui de savoir où, comment, et sous quels professeurs il a
fait sa Cinquième, si, en arrivant en Quatrième, il sait ce que l'on apprend en Cinquième. Que lui
importe de savoir qu'il a été fustigé pour sa paresse et son insubordination, si ces châtiments l'ont
rendu laborieux et docile ? C'est ainsi qu'en se réincarnant, l'homme apporte, par intuition et
comme idées innées, ce qu'il a acquis en science et en moralité. Je dis en moralité, car si, pendant
une existence, il s'est amélioré, s'il a profité des leçons de l'expérience, quand il reviendra, il sera
instinctivement meilleur ; son Esprit, mûri à l'école de la souffrance et par le travail, aura plus de
solidité ; loin d'avoir tout à recommencer, il possède un fonds de plus en plus riche, sur lequel il
s'appuie pour acquérir davantage.
La seconde partie de votre objection, touchant le néant de la pensée, n'est pas mieux fondée, car
cet oubli n'a lieu que pendant la vie corporelle ; en la quittant, l'Esprit recouvre le souvenir de
son passé ; il peut alors juger du chemin qu'il a fait, et de ce qui lui reste encore à faire ; de sorte
qu'il n'y a pas solution de continuité dans la vie spirituelle, qui est la vie normale de l'Esprit.
L'oubli temporaire est un bienfait de la Providence ; l'expérience est souvent acquise par de rudes
épreuves et de terribles expiations, dont le souvenir serait très pénible et viendrait s'ajouter aux
angoisses des tribulations de la vie présente. Si les souffrances de la vie paraissent longues, que
serait-ce donc si leur durée s'augmentait du souvenir des souffrances du passé ? Vous, par
exemple, Monsieur, vous êtes aujourd'hui un honnête homme, mais vous le devez peut-être aux
rudes châtiments que vous avez subis pour des méfaits qui maintenant répugneraient à votre
conscience ; vous serait-il agréable de vous souvenir d'avoir été pendu pour cela ? La honte ne
vous poursuivrait-elle pas en songeant que le monde sait le mal que vous avez fait ? Que vous
importe ce que vous avez pu faire et ce que vous avez pu endurer pour l'expier, si maintenant
vous êtes un homme estimable ! Aux yeux du monde, vous êtes un homme nouveau, et aux yeux
de Dieu un Esprit réhabilité. Délivré du souvenir d'un passé importun, vous agissez avec plus de
liberté ; c'est pour vous un nouveau point de départ ; vos dettes antérieures sont payées, c'est à
vous de n'en pas contracter de nouvelles.
Que d'hommes voudraient ainsi pouvoir, pendant la vie, jeter un voile sur leurs premières
années ! Combien se sont dit, sur la fin de leur carrière : «Si c'était à recommencer, je ne ferais
pas ce que j'ai fait !» Eh bien ! ce qu'ils ne peuvent pas refaire dans cette vie, ils le referont dans
une autre ; dans une nouvelle existence leur Esprit apportera, à l'état d'intuition, les bonnes
résolutions qu'ils auront prises. C'est ainsi que s'accomplit graduellement le progrès de
l'humanité.
Supposons encore, ce qui est un cas très ordinaire, que, dans vos relations, dans votre intérieur
même, se trouve un être dont vous avez eu à vous plaindre, qui peut-être vous a ruiné ou
déshonoré dans une autre existence, et qui, Esprit repentant, vienne s'incarner au milieu de vous,
s'unir à vous par des liens de la famille, pour réparer ses torts envers vous par son dévouement et
son affection, ne seriez-vous pas mutuellement dans la plus fausse position si, tous les deux,
vous vous souveniez de vos inimitiés ? Au lieu de s'apaiser, les haines s'éterniseraient.
Concluez de là que le souvenir du passé porterait la perturbation dans les rapports sociaux, et
serait une entrave au progrès. En voulez-vous une preuve actuelle ? Qu'un homme condamné aux
galères prenne la ferme résolution de devenir honnête ; qu'advient-il à sa sortie ? il est repoussé
de la société, et cette répulsion le replonge presque toujours dans le vice. Supposons, au
contraire, que tout le monde ignore ses antécédents, il sera bien accueilli ; si lui-même pouvait
les oublier, il n'en serait pas moins honnête et pourrait marcher la tête levée, au lieu de la courber
sous la honte du souvenir.
Ceci concorde parfaitement avec la doctrine des Esprits sur les mondes supérieurs au notre. Dans
ces mondes où ne règne que le bien, le souvenir du passé n'a rien de pénible ; voilà pourquoi on
s'y souvient de son existence précédente comme nous nous souvenons de ce que nous avons fait
la veille. Quant au séjour qu'on a pu faire dans les mondes inférieurs, ce n'est plus qu'un mauvais
rêve.
Éléments de conviction.
Le Visiteur. — Je conviens, Monsieur, qu'au point de vue philosophique la doctrine spirite est
parfaitement rationnelle ; mais il reste toujours la question des manifestations, qui ne peut être
résolue que par des faits ; or, c'est la réalité de ces faits que beaucoup de personnes contestent ;
vous ne devez pas trouver étonnant le désir qu'on exprime d'en être témoin.
A. K. — Je le trouve très naturel ; seulement, comme je cherche à ce qu'ils profitent, j'explique
dans quelles conditions il convient de se placer pour les mieux observer, et surtout pour les
comprendre ; or, celui qui ne veut pas se placer dans ces conditions, c'est qu'il n'y a pas chez lui
envie sérieuse de s'éclairer, et alors il est inutile de perdre son temps avec lui.
Vous conviendrez aussi, Monsieur, qu'il serait étrange qu'une philosophie rationnelle fût sortie
de faits illusoires et controuvés. En bonne logique, la réalité de l'effet implique la réalité de la
cause ; si l'un est vrai, l'autre ne peut être fausse, car là où il n'y aurait point d'arbre, on ne saurait
récolter des fruits.
Tout le monde, il est vrai, n'a pu constater les faits, parce que tout le monde ne s'est pas mis dans
les conditions voulues pour les observer et n'y a pas apporté la patience et la persévérance
nécessaires. Mais il en est ici comme dans toutes les sciences : ce que les uns ne font pas,
d'autres le font ; tous les jours, on accepte le résultat des calculs astronomiques, sans les avoir
faits soi-même. Quoi qu'il en soit, si vous trouvez la philosophie bonne, vous pouvez l'accepter
comme vous en accepteriez une autre, tout en réservant votre opinion sur les voies et moyens qui
y ont conduit, ou, tout au moins, en n'admettant ceux-ci qu'à titre d'hypothèse jusqu'à plus ample
constatation.
Les éléments de conviction ne sont pas les mêmes pour tout le monde ; ce qui convainc les uns
ne fait aucune impression sur d'autres : c'est pourquoi il faut un peu de tout. Mais c'est une erreur
de croire que les expériences physiques soient le seul moyen de convaincre. J'en ai vu que les
phénomènes les plus remarquables n'ont pu ébranler et dont une simple réponse écrite a
triomphé. Lorsqu'on voit un fait que l'on ne comprend pas, plus il est extraordinaire, plus il paraît
suspect, et la pensée y cherche toujours une cause vulgaire ; si l'on s'en rend compte, on l'admet
bien plus facilement, parce qu'il a une raison d'être : le merveilleux et le surnaturel disparaissent.
Certes, les explications que je viens de vous donner dans cet entretien sont loin d'être complètes ;
mais, toutes sommaires qu'elles sont, je suis persuadé qu'elles vous donneront à réfléchir ; et, si
les circonstances vous rendent témoin de quelques faits de manifestation, vous les verrez d'un
oeil moins prévenu, parce que vous pourrez asseoir un raisonnement sur une base.
Il y a deux choses dans le spiritisme : la partie expérimentale des manifestations et la doctrine
philosophique. Or, je suis tous les jours visité par des gens qui n'ont rien vu et qui croient aussi
fermement que moi, par la seule étude qu'ils ont faite de la partie philosophique ; pour eux, le
phénomène des manifestations est l'accessoire ; le fond, c'est la doctrine, la science ; ils la voient
si grande, si rationnelle, qu'ils y trouvent tout ce qui peut satisfaire leurs aspirations intérieures, à
part le fait des manifestations ; d'où ils concluent qu'en supposant que les manifestations
n'existent pas, la doctrine n'en serait pas moins celle qui résout le mieux une foule de problèmes
réputés insolubles. Combien n'ont dit que ces idées avaient germé dans leur cerveau, mais
qu'elles y étaient confuses. Le spiritisme est venu les formuler, leur donner un corps, et il a été
pour eux comme un trait de lumière. C'est ce qui explique le nombre d'adeptes qu'a faits la seule
lecture du
Livre des Esprits. Croyez-vous qu'il en serait ainsi si l'on ne fût pas sorti des tables
tournantes et parlantes ?
Le Visiteur. — Vous aviez raison de dire, Monsieur, que des tables tournantes était sortie une
doctrine philosophique ; et j'étais loin de soupçonner les conséquences qui pouvaient surgir d'une
chose que l'on regardait comme un simple objet de curiosité. Je vois maintenant combien est
vaste le champ ouvert par votre système.
A. K. — Ici je vous arrête, Monsieur ; vous me faites trop d'honneur en m'attribuant ce système,
car il ne m'appartient pas. Il est tout entier déduit de l'enseignement des Esprits. J'ai vu, observé,
coordonné, et je cherche à faire comprendre aux autres ce que je comprends moi-même ; voilà
toute la part qui m'en revient. Il y a entre le spiritisme et les autres systèmes philosophiques cette
différence capitale, que ces derniers sont tous l'oeuvre d'hommes plus ou moins éclairés, tandis
que dans celui que vous m'attribuez, je n'ai pas le mérite de l'invention d'un seul principe. On
dit : la philosophie de Platon, de Descartes, de Leibnitz ; on ne dira point : la doctrine d'Allan
Kardec, et cela est heureux ; car de quel poids serait un nom dans une aussi grave question ? Le
spiritisme a des auxiliaires bien autrement prépondérants et auprès desquels nous ne sommes que
des atomes.
Société Spirite de Paris.
Le Visiteur. — Vous avez une société qui s'occupe de ces études ; me serait-il possible d'en faire
partie ?
A. K. — Assurément non, pas pour le moment ; car si, pour être reçu, il n'est pas nécessaire d'être
docteur ès-Spiritisme, il faut au moins avoir sur ce sujet des idées plus arrêtées que les vôtres.
Comme elle ne veut point être troublée dans ses études, elle ne peut admettre ceux qui
viendraient lui faire perdre son temps par des questions élémentaires, ni ceux qui, ne
sympathisant pas avec ses principes et ses convictions, y jetteraient le désordre par des
discussions intempestives ou un esprit de contradiction. C'est une société scientifique comme
tant d'autres, qui s'occupe d'approfondir les différents points de la science spirite, et qui cherche à
s'éclairer ; c'est le centre où aboutissent les renseignements de toutes les parties du monde, et où
s'élaborent et se coordonnent les questions qui se rattachent au progrès de la science ; mais ce
n'est pas une école, ni un cours d'enseignement élémentaire. Plus tard, quand vos convictions
seront formées par l'étude, elle verra s'il y a lieu de vous admettre. En attendant, vous pourrez
tout au plus y assister une ou deux fois comme auditeur, à la condition de n'y faire aucune
réflexion de nature à froisser personne, sans quoi, moi, qui vous y aurait introduit, j'encourrais
des reproches de la part de mes collègues, et la porte vous en serait à jamais interdite. Vous y
verrez une réunion d'hommes graves et de bonne compagnie, dont la plupart se recommandent
par la supériorité de leur savoir et leur position sociale, et qui ne souffriraient pas que ceux
qu'elle veut bien admettre s'écartassent en quoi que ce soit des convenances ; car ne croyez pas
qu'elle convie le public et qu'elle appelle le premier venu à ses séances. Comme elle ne fait point
de démonstrations en vue de satisfaire la curiosité, elle écarte avec soin les curieux. Ceux donc
qui croiraient y trouver une distraction et une sorte de spectacle seraient désappointés et feront
mieux de ne pas s'y présenter. Voilà pourquoi elle refuse d'admettre, même comme simples
auditeurs, ceux qu'elle ne connaît pas, ou dont les dispositions hostiles sont notoires.
Interdiction du Spiritisme.
Le Visiteur. — Une dernière question, je vous prie. Le spiritisme a de puissants ennemis ; ne
pourraient-ils en faire interdire l'exercice et les sociétés, et par ce moyen en arrêter la
propagation ?
A. K. — Ce serait le moyen de perdre la partie un peu plus vite, car la violence est l'argument de
ceux qui n'ont rien de bon à dire. Si le spiritisme est une chimère, il tombera de lui-même sans
qu'on se donne tant de peine ; si on le persécute, c'est qu'on le craint, et l'on ne craint que ce qui
est sérieux. Si c'est une réalité, il est, comme je l'ai dit, dans la nature, et on ne révoque pas une
loi de nature d'un trait de plume.
Si les manifestations spirites étaient le privilège d'un homme, nul doute qu'en mettant cet homme
de côté, on ne mît fin aux manifestations ; malheureusement pour les adversaires, elles ne sont
un mystère pour personne ; il n'y a rien de secret, rien d'occulte, tout se passe au grand jour ;
elles sont à la disposition de tout le monde, et l'on en use depuis le palais jusqu'à la mansarde. On
peut en interdire l'exercice public ; mais on sait précisément que ce n'est pas en public qu'elles se
produisent le mieux ; c'est dans l'intimité ; or, chacun pouvant être médium, qui peut empêcher
une famille dans son intérieur, un individu dans le silence du cabinet, le prisonnier sous les
verrous, d'avoir des communications avec les Esprits, à l'insu et à la barbe même des sbires ?
Admettons pourtant qu'un gouvernement fût assez fort pour les empêcher chez lui, les
empêchera-t-il chez ses voisins, dans le monde entier, puisqu'il n'y a pas un pays dans les deux
continents où il n'y ait des médiums ?
Le Spiritisme, d'ailleurs, n'a pas sa source parmi les hommes ; il est l'oeuvre des Esprits que l'on
ne peut ni brûler, ni mettre en prison. Il consiste dans la croyance individuelle et non dans les
sociétés qui ne sont nullement nécessaires, Si l'on parvenait à détruire tous les livres spirites, les
Esprits les dicteraient de nouveau.
En résumé, le spiritisme est aujourd'hui un fait acquis ; il a conquis sa place dans l'opinion et
parmi les doctrines philosophiques ; il faut donc que ceux à qui il ne convient pas prennent leur
parti de le voir à leurs côtés, tout en restant parfaitement libres de n'y pas toucher.
TROISIÈME ENTRETIEN.
LE PRÊTRE.
Un Abbé. — Me permettez-vous, monsieur, de vous adresser à mon tour quelques questions ?
A. K. — Volontiers, monsieur ; mais avant de vous répondre, je crois utile de vous faire connaître
le terrain sur lequel j'entends me placer avec vous.
Je dois tout d'abord vous déclarer que je ne chercherai nullement à vous convertir à nos idées. Si
vous voulez les connaître en détail, vous les trouverez dans les livres où elles sont exposées ; là,
vous pourrez les étudier à loisir, et vous serez libre de les accepter ou de les rejeter.
Le spiritisme a pour but de combattre l'incrédulité et ses funestes conséquences, en donnant des
preuves patentes de l'existence de l'âme et la vie future ; il s'adresse donc à ceux qui ne croient à
rien ou qui doutent, et le nombre en est grand, vous le savez ; ceux qui ont une foi religieuse, et
à qui cette foi suffit, n'en ont pas besoin. A celui qui dit : «Je crois à l'autorité de l'Eglise et je
m'en tiens à ce qu'elle enseigne, sans rien chercher au-delà,» le spiritisme répond qu'il ne
s'impose à personne et ne vient forcer aucune conviction.
La liberté de conscience est une conséquence de la liberté de penser, qui est un des attributs de
l'homme ; le spiritisme serait en contradiction avec ses principes de charité et de tolérance s'il ne
la respectait pas. A ses yeux, toute croyance, lorsqu'elle est sincère et ne porte pas à faire de tort
à son prochain, est respectable, fût-elle même erronée. Si quelqu'un trouvait sa conscience
engagée à croire, par exemple, que c'est le soleil qui tourne, nous lui dirions : Croyez-le si cela
vous plaît, car cela n'empêchera pas la terre de tourner ; mais, de même que nous ne cherchons
pas à violenter votre conscience, ne cherchez pas à violenter celle des autres. Si d'une croyance,
innocente en elle-même, vous faites un instrument de persécution, elle devient nuisible et peut
être combattue.
Telle est, monsieur l'abbé, la ligne de conduite que j'ai tenue avec les ministres des divers cultes
qui se sont adressés à moi. Lorsqu'ils m'ont questionné sur quelques uns des points de la
doctrine, je leur ai donné les explications nécessaires, tout en m'abstenant de discuter certains
dogmes dont le spiritisme n'a pas à se préoccuper, chacun étant libre dans son appréciation ; mais
je ne suis jamais allé les chercher dans le dessein d'ébranler leur foi par une pression quelconque.
Celui qui vient à nous comme un frère, nous l'accueillons en frère ; celui qui nous repousse, nous
le laissons en repos. C'est le conseil que je n'ai cessé de donner aux spirites, car je n'ai jamais
approuvé ceux qui s'attribuent la mission de convertir le clergé. Je leur ai toujours dit : Semez
dans le champ des incrédules, car là est une ample moisson à faire.
Le spiritisme ne s'impose pas, parce que, comme je l'ai dit, il respecte la liberté de conscience ; il
sait, d'ailleurs, que toute croyance imposée est superficielle et ne donne que les apparences de la
foi, mais non la foi sincère. Il expose ses principes aux yeux de tous, de manière à ce que chacun
puisse se former une opinion en connaissance de cause. Ceux qui les acceptent, prêtres ou
laïques, le font librement, et parce qu'ils les trouvent rationnels ; mais nous n'en voulons
nullement à ceux qui ne sont pas de notre avis. S'il y a lutte aujourd'hui entre l'Eglise et le
spiritisme, nous avons la conscience de ne l'avoir point provoquée.
Le Prêtre. — Si l'Eglise, en voyant surgir une nouvelle doctrine, y trouve des principes que, dans
sa conscience, elle croit devoir condamner, lui contestez-vous donc le droit de les discuter et de
les combattre, de prémunir les fidèles contre ce qu'elle considère comme des erreurs ?
A. K. — En aucune façon nous ne contestons un droit que nous réclamons pour nous-mêmes. Si
elle se fût renfermée dans les limites de la discussion, rien de mieux ; mais lisez la plupart des
écrits émanés de ses membres ou publiés au nom de la religion, des sermons qui ont été prêchés,
vous y verrez l'injure et la calomnie déborder de toutes parts, les principes de la doctrine partout
indignement et méchamment travestis. N'a-t-on pas entendu du haut de la chaire ses partisans
qualifiés d'ennemis de la société et de l'ordre public? ceux qu'elle a ramenés à la foi,
anathématisés et rejetés de l'Eglise par cette raison qu'il vaut encore mieux être incrédule que
croire à Dieu et à son âme par le spiritisme ? N'a-t-on pas regretté pour eux les bûchers de
l'inquisition ? Dans certaines localités, ne les a-t-on pas signalés à l'animadversion de leurs
concitoyens, jusqu'à les faire poursuivre et injurier dans les rues ? N'a-t-on pas enjoint à tous les
fidèles de les fuir comme des pestiférés, détourné les domestiques d'entrer à leur service ? Des
femmes n'ont-elles pas été sollicitées de se séparer de leurs maris, et des maris de leurs femmes
pour cause de spiritisme ? N'a-t-on pas fait perdre leur place à des employés, retiré à des ouvriers
le pain du travail, à des malheureux celui de la charité, parce qu'ils étaient spirites ? N'a-t-on pas
renvoyé de certains hospices jusqu'à des aveugles, parce qu'ils n'avaient pas voulu abjurer leur
croyance ? Dites-moi, monsieur l'abbé, est-ce là de la discussion loyale ? Les spirites ont-ils
rendu l'injure pour l'injure, le mal pour le mal ? Non. A tout ils ont opposé le calme et la
modération. La conscience publique leur a déjà rendu cette justice qu'ils n'ont pas été les
agresseurs.
Le Prêtre. — Tout homme sensé déplore ces excès ; mais l'Eglise ne saurait être responsable des
abus commis par quelques-uns de ses membres peu éclairés.
A. K. — J'en conviens ; mais sont-ce des membres peu éclairés que les princes de l'Eglise ? Voyez
le mandement de l'évêque d'Alger et quelques autres. N'est-ce pas un évêque qui a ordonné
l'autodafé de Barcelone ? L'autorité supérieure ecclésiastique n'a-t-elle pas tout pouvoir sur ses
subordonnés ? Si donc elle tolère des sermons indignes de la chaire évangélique, si elle favorise
la publication d'écrits injurieux et diffamatoires envers une classe de citoyens, si elle ne s'oppose
pas aux persécutions exercées au nom de la religion, c'est qu'elle les approuve.
En résumé, l'Eglise en repoussant systématiquement les spirites qui revenaient à elle les a forcés
de se replier sur eux-mêmes ; par la nature et la violence de ses attaques, elle a élargi la
discussion et l'a portée sur un nouveau terrain. Le spiritisme n'était qu'une simple doctrine
philosophique ; c'est elle-même qui l'a grandi en le présentant comme un ennemi redoutable ;
c'est elle enfin qui l'a proclamé religion nouvelle. C'était une maladresse, mais la passion ne
raisonne pas.
Un libre penseur. — Vous avez proclamé tout à l'heure la liberté de la pensée et de la conscience
et déclaré que toute croyance sincère est respectable. Le matérialisme est une croyance comme
une autre ; pourquoi ne jouirait-elle pas de la liberté que vous accordez à toutes les autres ?
A. K. — Chacun est assurément libre de croire à ce qui lui plaît, ou de ne croire à rien du tout, et
nous n'excuserions pas plus une persécution contre celui qui croit au néant après la mort que
contre un schismatique d'une religion quelconque. En combattant le matérialisme, nous
attaquons, non les individus, mais une doctrine qui, si elle est inoffensive pour la société, quand
elle se renferme dans le for intérieur de la conscience de personnes éclairées, est une plaie
sociale si elle se généralise.
La croyance que tout est fini pour l'homme après la mort, que toute solidarité cesse avec la vie, le
conduit à considérer le sacrifice du bien-être présent au profit d'autrui comme une duperie ; de là,
la maxime : Chacun pour soi pendant la vie, puisqu'il n'y a rien au-delà. La charité, la fraternité,
la morale, en un mot, n'ont aucune base, aucune raison d'être. Pourquoi se gêner, se contraindre,
se priver aujourd'hui quand, demain peut-être, nous ne serons plus ? La négation de l'avenir, le
simple doute sur la vie future, sont les plus grands stimulants de l'égoïsme, source de la plupart
des maux de l'humanité. Il faut une bien grande vertu pour être retenu sur la pente du vice et du
crime, sans autre frein que la force de sa volonté. Le respect humain peut retenir l'homme du
monde, mais non celui pour qui la crainte de l'opinion est nulle.
La croyance en la vie future, montrant la perpétuité des relations entre les hommes, établit entre
eux une solidarité qui ne s'arrête pas à la tombe ; elle change ainsi le cours des idées. Si cette
croyance n'était qu'un vain épouvantail, elle n'aurait qu'un temps ; mais comme sa réalité est un
fait acquis à l'expérience, il est du devoir de la propager et de combattre la croyance contraire,
dans l'intérêt même de l'ordre social. C'est ce que fait le spiritisme ; il le fait avec succès, parce
qu'il donne des preuves, et qu'en définitive, l'homme aime mieux avoir la certitude de vivre et de
pouvoir vivre heureux dans un monde meilleur, en compensation des misères d'ici-bas, que de
croire être mort pour toujours. La pensée de se voir à jamais anéanti, de croire ses enfants et les
êtres qui nous sont chers perdus sans retour, sourit à un bien petit nombre, croyez-le-moi ; c'est
pourquoi les attaques dirigées contre le spiritisme au nom de l'incrédulité ont si peu de succès, et
ne l'ont pas ébranlé un instant.
Le Prêtre. — La religion enseigne tout cela ; jusqu'à présent elle a suffi ; qu'est-il donc besoin
d'une nouvelle doctrine ?
A. K. — Si la religion suffit, pourquoi y a-t-il tant d'incrédules, religieusement parlant ? La
religion nous l'enseigne, il est vrai ; elle nous dit de croire ; mais il y a tant de gens qui ne croient
pas sur parole ! Le spiritisme prouve, et fait voir ce que la religion enseigne par la théorie.
D'ailleurs, d'où viennent ces preuves ? De la manifestation des Esprits. Or, il est probable que les
Esprits ne se manifestent qu'avec la permission de Dieu ; si donc Dieu, dans sa miséricorde,
envoie aux hommes ce secours pour les tirer de l'incrédulité, c'est une impiété de le repousser.
Le Prêtre. — Vous ne disconviendrez pas cependant que le spiritisme n'est pas sur tous les points
d'accord avec la religion.
A. K. — Mon Dieu, monsieur l'abbé, toutes les religions en diront autant : les protestants, les juifs,
les musulmans, aussi bien que les catholiques.
Si le spiritisme niait l'existence de Dieu, de l'âme, de son individualité et de son immortalité, des
peines et des récompenses futures, du libre arbitre de l'homme ; s'il enseignait que chacun n'est
ici-bas que pour soi et ne doit penser qu'à soi, il serait non seulement contraire à la religion
catholique, mais à toutes les religions du monde ; ce serait la négation de toutes les lois morales,
bases des sociétés humaines. Loin de là ; les Esprits proclament un Dieu unique souverainement
juste et bon ; ils disent que l'homme est libre et responsable de ses actes, rémunéré et puni selon
le bien ou le mal qu'il a fait ; ils placent au-dessus de toutes les vertus la charité évangélique, et
cette règle sublime enseignée par le Christ : Agir envers les autres comme nous voudrions qu'on
agit envers nous. Ne sont-ce pas là les fondements de la religion ? Ils font plus : ils nous initient
aux mystères de la vie future, qui pour nous n'est plus une abstraction, mais une réalité, car ce
sont ceux-mêmes que nous avons connus qui viennent nous dépeindre leur situation, nous dire
comment et pourquoi ils souffrent ou sont heureux. Qu'y a-t-il là d'anti-religieux ? Cette certitude
de l'avenir, de retrouver ceux que l'on a aimés, n'est-elle pas une consolation ? Ce grandiose de la
vie spirituelle qui est notre essence, comparé aux mesquines préoccupations de la vie terrestre,
n'est-il pas propre à élever notre âme, et à nous encourager au bien ?
Le Prêtre. — Je conviens que pour les questions générales, le spiritisme est conforme aux grandes
vérités du Christianisme ; mais en est-il de même au point de vue des dogmes ? Ne contredit-il
pas certains principes que l'Eglise nous enseigne ?
A. K. — Le spiritisme est avant tout une science, et ne s'occupe point des questions dogmatiques.
Cette science a des conséquences morales, comme toutes les sciences philosophiques ; ces
conséquences sont-elles bonnes ou mauvaises ? On en peut juger par les principes généraux que
je viens de rappeler. Quelques personnes se sont méprises sur le véritable caractère du spiritisme.
La question est assez grave pour mériter quelques développements.
Citons d'abord une comparaison : l'électricité étant dans la nature, a existé de tout temps, et de
tout temps aussi a produit les effets que nous connaissons et beaucoup d'autres que nous ne
connaissons pas encore. Les hommes, dans l'ignorance de la cause véritable, ont expliqué ces
effets d'une manière plus ou moins bizarre. La découverte de l'électricité et de ses propriétés est
venue renverser une foule de théories absurdes en jetant la lumière sur plus d'un mystère de la
nature. Ce que l'électricité et les sciences physiques en général ont fait pour certains
phénomènes, le spiritisme le fait pour des phénomènes d'un autre ordre.
Le spiritisme est fondé sur l'existence d'un monde invisible, formé d'êtres incorporels qui
peuplent l'espace, et qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu sur la terre ou dans
d'autres globes où ils ont laissé leur enveloppe matérielle. Ce sont ces êtres auxquels nous
donnons le nom d'Esprits. Ils nous entourent sans cesse, exercent sur les hommes et à leur insu
une grande influence ; ils jouent un rôle très actif dans le monde moral, et jusqu'à un certain
point dans le monde physique. Le spiritisme est donc dans la nature, et l'on peut dire que, dans
un certain ordre d'idées, c'est une puissance, comme l'électricité en est une à un autre point de
vue, comme la gravitation en est une autre. Les phénomènes dont le monde invisible est la
source, se sont en effet produits dans tous les temps ; voilà pourquoi l'histoire de tous les peuples
en fait mention. Seulement, dans leur ignorance, comme pour l'électricité, les hommes ont
attribué ces phénomènes à des causes plus ou moins rationnelles, et donné sous ce rapport un
libre cours à leur imagination.
Le spiritisme, mieux observé depuis qu'il est vulgarisé, vient jeter la lumière sur une foule de
questions jusqu'ici insolubles ou mal comprises. Son véritable caractère est donc celui d'une
science, et non d'une religion ; et la preuve en est, c'est qu'il compte parmi ses adhérents des
hommes de toutes les croyances, qui n'ont point pour cela renoncé à leurs convictions : des
catholiques fervents qui n'en pratiquent pas moins tous les devoirs de leur culte, quand ils ne sont
pas repoussés par l'Eglise, des protestants de toutes les sectes, des israélites, des musulmans, et
jusqu'à des bouddhistes et des brahmistes.
Il repose donc sur des principes indépendants de toute question dogmatique. Ses conséquences
morales sont dans le sens du Christianisme, parce que le Christianisme est, de toutes les
doctrines, la plus éclairée et la plus pure, et c'est pour cette raison que, de toutes les sectes
religieuses du monde, les chrétiens sont les plus aptes à le comprendre dans sa véritable essence.
Peut-on lui en faire un reproche ? Chacun sans doute peut se faire une religion de ses opinions,
interpréter à son gré les religions connues, mais de là à la constitution d'une nouvelle Eglise, il y
a loin.
Le Prêtre. — Ne faites-vous pas cependant les évocations d'après une formule religieuse ?
A. K. — Assurément nous apportons un sentiment religieux dans les évocations et dans nos
réunions, mais il n'y a point de formule sacramentelle ; pour les Esprits, la pensée est tout et la
forme rien. Nous les appelons au nom de Dieu, parce que nous croyons en Dieu, et savons que
rien ne se fait en ce monde sans sa permission, et que si Dieu ne leur permet pas de venir, ils ne
viendront pas ; nous procédons à nos travaux avec calme et recueillement, parce que c'est une
condition nécessaire pour les observations, et en second lieu, parce que nous connaissons le
respect que l'on doit à ceux qui ne vivent plus sur la terre, quelle que soit leur condition heureuse
ou malheureuse dans le monde des Esprits ; nous faisons un appel aux bons Esprits, parce que,
sachant qu'il y en a de bons et de mauvais, nous tenons à ce que ces derniers ne viennent pas se
mêler frauduleusement aux communications que nous recevons. Qu'est-ce que tout cela prouve ?
Que nous ne sommes pas des athées, mais cela n'implique nullement que nous soyons des
religionnaires.
Le Prêtre. — Eh bien ! que disent les Esprits supérieurs touchant la religion ? Les bons doivent
nous conseiller, nous guider. Je suppose que je n'aie aucune religion : j'en veux choisir une. Si je
leur demande : Me conseillez-vous de me faire catholique, protestant, anglican, quaker, juif,
mahométan ou mormon, que répondront-ils ?
A. K. — Il y a deux points à considérer dans les religions : les principes généraux, communs à
toutes, et les principes particuliers à chacune. Les premiers sont ceux dont nous avons parlé tout
à l'heure ; ceux-là, tous les Esprits les proclament, quel que soit leur rang. Quant aux seconds, les
Esprits vulgaires, sans être mauvais, peuvent avoir des préférences, des opinions ; ils peuvent
préconiser telle ou telle forme. Ils peuvent donc encourager dans certaines pratiques, soit par
conviction personnelle, soit parce qu'ils ont conservé les idées de la vie terrestre, soit par
prudence, pour ne pas effaroucher les consciences timorées. Croyez-vous, par exemple, qu'un
Esprit éclairé, fut-il même Fénelon, s'adressant à un musulman, ira maladroitement lui dire que
Mahomet est un imposteur, et qu'il sera damné s'il ne se fait chrétien ? Il s'en gardera bien, parce
qu'il serait repoussé.
Les Esprits supérieurs en général, et lorsqu'ils n'y sont sollicités par aucune considération
spéciale, ne se préoccupent pas des questions de détail ; ils se bornent à dire : «Dieu est bon et
juste ; il ne veut que le bien ; la meilleure de toutes les religions est donc celle qui n'enseigne que
ce qui est conforme à la bonté et à la justice de Dieu ; qui donne de Dieu l'idée la plus grande, la
plus sublime, et ne le rabaisse pas en lui prêtant les petitesses et les passions de l'humanité ; qui
rend les hommes bons et vertueux et leur apprend à s'aimer tous comme des frères qui condamne
tout mal fait à son prochain ; qui n'autorise l'injustice sous quelque forme ou prétexte que ce
soit ; qui ne prescrit rien de contraire aux lois immuables de la nature, car Dieu ne peut se
contredire ; celle dont les ministres donnent le meilleur exemple de bonté, de charité et de
moralité ; celle qui tend le mieux à combattre l'égoïsme et flatte le moins l'orgueil et la vanité des
hommes ; celle enfin au nom de laquelle il se commet le moins de mal, car une bonne religion ne
peut être le prétexte d'un mal quelconque : elle ne doit lui laisser aucune porte ouverte, ni
directement, ni par l'interprétation. Voyez, jugez et choisissez.
Le Prêtre. — Je suppose que certains points de la doctrine catholique soient contestés par les
Esprits que vous regardez comme supérieurs ; je suppose même que ces points soient erronés ;
celui pour qui ils sont, à tort ou à raison, des articles de foi, qui pratique en conséquence, cette
croyance peut-elle être, selon ces mêmes Esprits, préjudiciable à son salut ?
A. K. — Assurément non, si cette croyance ne le détourne pas de faire le bien, si elle l'y excite au
contraire ; tandis que la croyance la mieux fondée lui nuira évidemment si elle est pour lui une
occasion de faire le mal, de manquer de charité envers son prochain ; si elle le rend dur et
égoïste, car alors il n'agit pas selon la loi de Dieu, et Dieu regarde la pensée avant les actes. Qui
oserait soutenir le contraire ?
Pensez-vous, par exemple, qu'un homme qui croirait parfaitement en Dieu, et qui, au nom de
Dieu, commettrait des actes inhumains ou contraires à la charité, sa foi lui soit très profitable ?
N'est-il pas d'autant plus coupable qu'il a plus de moyens d'être éclairé ?
Le Prêtre. — Ainsi le catholique fervent qui accomplit scrupuleusement les devoirs de son culte
n'est pas blâmé par les Esprits ?
A. K. — Non, si c'est pour lui une question de conscience, et s'il le fait avec sincérité ; oui, mille
fois oui, si c'est par hypocrisie, et s'il n'y a chez lui qu'une piété apparente.
Les Esprits supérieurs, ceux qui ont pour mission le progrès de l'humanité, s'élèvent contre tous
les abus qui peuvent retarder ce progrès de quelque nature qu'ils soient, et quels que soient les
individus ou les classes de la société qui en profitent. Or, vous ne nierez pas que la religion n'en a
pas toujours été exempte ; si, parmi ses ministres, il y en a qui accomplissent leur mission avec
un dévouement tout chrétien, qui la font grande, belle et respectable, vous conviendrez que tous
n'ont pas toujours compris la sainteté de leur ministère. Les Esprits flétrissent le mal partout où il
se trouve ; signaler les abus de la religion, est-ce l'attaquer ? Elle n'a pas de plus grands ennemis
que ceux qui les défendent, car ce sont ces abus qui font naître la pensée que quelque chose de
mieux peut la remplacer. Si la religion courait un danger quelconque, il faudrait s'en prendre à
ceux qui en donnent une fausse idée en faisant une arène des passions humaines, et qui
l'exploitent au profit de leur ambition.
Le Prêtre. — Vous dites que le spiritisme ne discute pas les dogmes, et pourtant il admet certains
points combattus par l'Eglise, tels que, par exemple, la réincarnation, la présence de l'homme sur
la terre avant Adam ; il nie l'éternité des peines, l'existence des démons, le purgatoire, le feu de
l'enfer.
A. K. — Ces points ont été discutés depuis longtemps, et ce n'est pas le spiritisme qui les a mis en
question ; ce sont des opinions dont quelques-unes même sont controversées par la théologie et
que l'avenir jugera. Un grand principe les domine tous : la pratique du bien, qui est la loi
supérieure, la condition sine qua non de notre avenir, ainsi que nous le prouve l'état des Esprits
qui se communiquent à nous. En attendant que la lumière soit faite pour vous sur ces questions,
croyez, si vous voulez, aux flammes et aux tortures matérielles, si cela peut vous empêcher de
faire le mal : cela ne les rendra pas plus réelles, si elles n'existent pas. Croyez que nous n'avons
qu'une existence corporelle, si cela vous plaît : cela ne vous empêchera pas de renaître ici ou
ailleurs, si cela doit être, et cela malgré vous ; croyez que le monde a été créé de toutes pièces en
six fois vingt-quatre heures, si c'est votre opinion : cela n'empêchera pas la terre de porter écrit
dans ses couches géologiques la preuve du contraire ; croyez, si vous voulez, que Josué arrêta le
soleil : cela n'empêchera pas la terre de tourner ; croyez que l'homme n'est sur la terre que depuis
6.000 ans : cela n'empêchera pas les faits d'en montrer l'impossibilité. Et que direz-vous si, un
beau jour, cette inexorable géologie vient à démontrer par des traces patentes, l'antériorité de
l'homme, comme elle a démontré tant d'autres choses ? Croyez donc à tout ce que vous voudrez,
même au diable, si cette croyance peut vous rendre bon, humain et charitable pour vos
semblables. Le spiritisme, comme doctrine morale, n'impose qu'une chose : la nécessité de faire
le bien et de ne point faire de mal. C'est une science d'observation qui, je le répète, a des
conséquences morales, et ces conséquences sont la confirmation et la preuve des grands
principes de la religion ; quant aux questions secondaires, il les laisse à la conscience de chacun.
Remarquez bien, monsieur, que quelques-uns des points divergents dont vous venez de parler, le
spiritisme ne les conteste pas en principe. Si vous aviez lu tout ce que j'ai écrit à ce sujet, vous
auriez vu qu'il se borne à leur donner une interprétation plus logique et plus rationnelle que celle
qu'on leur donne vulgairement. C'est ainsi, par exemple, qu'il ne nie point le purgatoire ; il en
démontre, au contraire, la nécessité et la justice ; mais il fait plus, il le définit. L'enfer a été décrit
comme une immense fournaise ; mais est-ce ainsi que l'entend la haute théologie ? Evidemment
non ; elle dit très bien que c'est une figure ; que le feu dont on brûle est un feu moral, symbole
des plus grandes douleurs.
Quant à l'éternité des peines, s'il était possible d'aller aux voix pour connaître l'opinion intime de
tous les hommes en état de raisonner ou de comprendre, même parmi les plus religieux, on
verrait de quel côté est la majorité, parce que l'idée d'une éternité de supplices est la négation de
l'infinie miséricorde de Dieu.
Voici, du reste, ce que dit la doctrine spirite à ce sujet :
La durée du châtiment est subordonnée à l'amélioration de l'Esprit coupable. Aucune
condamnation pour un temps déterminé n'est prononcée contre lui. Ce que Dieu exige pour
mettre un terme aux souffrances, c'est le repentir, l'expiation et la réparation, en un mot, une
amélioration sérieuse, effective, et un retour sincère au bien. L'Esprit est ainsi l'arbitre de son
propre sort ; il peut prolonger ses souffrances par son endurcissement dans le mal, les adoucir ou
les abréger par ses efforts pour faire le bien.
La durée du châtiment étant subordonnée au repentir, il en résulte que l'Esprit coupable qui ne se
repentirait et ne s'améliorerait jamais, souffrirait toujours, et que, pour lui, la peine serait
éternelle. L'éternité des peines doit donc s'entendre dans le sens relatif et non dans le sens absolu.
Une condition inhérente à l'infériorité des Esprits est de ne point voir le terme de leur situation de
croire qu'ils souffriront toujours ; c'est pour eux un châtiment. Mais, dès que leur âme s'ouvre au
repentir, Dieu leur fait entrevoir un rayon d'espérance.
Cette doctrine est évidemment plus conforme à la justice de Dieu qui punit tant qu'on persiste
dans le mal, qui fait grâce quand on entre dans la bonne voie. Qui l'a imaginée ? Est-ce nous ?
Non ; ce sont les Esprits qui l'enseignent et la prouvent par les exemples qu'ils mettent
journellement sous nos yeux.
Les Esprits ne nient donc pas les peines futures puisqu'ils décrivent leurs propres souffrances ; et
ce tableau nous touche plus que celui des flammes perpétuelles, parce que tout y est parfaitement
logique. On comprend que cela est possible, qu'il doit en être ainsi, que cette situation est une
conséquence toute naturelle des choses ; il peut être accepté par le penseur philosophe, parce que
rien n'y répugne à la raison. Voilà pourquoi les croyances spirites ont ramené au bien une foule
de gens, des matérialistes même, que la crainte de l'enfer tel qu'on nous le dépeint n'avait point
arrêtés.
Le Prêtre. — En admettant votre raisonnement, pensez-vous qu'il faille au vulgaire des images
plus frappantes qu'une philosophie qu'il ne peut comprendre ?
A. K. — C'est là une erreur qui a fait plus d'un matérialiste, ou tout au moins détourné plus d'un
homme de la religion. Il vient un moment où ces images ne frappent plus, et alors les gens qui
n'approfondissent pas, en rejetant une partie, rejettent le tout parce qu'ils se disent : Si l'on m'a
enseigné comme une vérité incontestable un point qui est faux, si l'on m'a donné une image, une
figure pour la réalité, qui me dit que le reste est plus vrai ? Si, au contraire, la raison, en
grandissant, ne repousse rien, la foi se fortifie. La religion gagnera toujours à suivre le progrès
des idées ; si jamais elle devait péricliter, c'est que les hommes auraient avancé et qu'elle serait
restée en arrière. C'est se tromper d'époque que de croire qu'on peut aujourd'hui conduire les
hommes par la crainte du démon et des tortures éternelles.
Le Prêtre. — L'Eglise en effet, reconnaît aujourd'hui que l'enfer matériel est une figure ; mais cela
n'exclut pas l'existence des démons ; sans eux, comment expliquer l'influence du mal qui ne peut
venir de Dieu ?
A. K. — Le spiritisme n'admet pas les démons dans le sens vulgaire du mot, mais il admet les
mauvais Esprits qui ne valent pas mieux et qui font tout autant de mal en suscitant de mauvaises
pensées ; seulement il dit que ce ne sont pas des êtres à part, crées pour le mal et perpétuellement
voués au mal, sorte de parias de la création et bourreaux du genre humain ; ce sont des êtres
arriérés, encore imparfaits, mais auxquels Dieu réserve l'avenir. Il est en cela d'accord avec
l'Eglise catholique grecque qui admet la conversion de Satan, allusion à l'amélioration des
mauvais Esprits. Remarquez encore que le mot démon n'implique l'idée de mauvais Esprit que
par l'acceptation moderne qui lui a été donnée, car le mot grec daimôn signifie génie,
intelligence. Or, admettre la communication des mauvais Esprits, c'est reconnaître en principe la
réalité des manifestations. Il faut savoir si ce sont les seuls qui se communiquent, ainsi que
l'affirme l'Eglise pour motiver la défense qu'elle fait de communiquer avec les Esprits. Ici nous
invoquons le raisonnement et les faits. Si des Esprits, quels qu'ils soient, se communiquent, ce
n'est que par la permission de Dieu : comprendrait-on qu'il ne le permît qu'aux mauvais ?
Comment ? tandis qu'il laisserait à ceux-ci toute liberté de venir tromper les hommes, il
interdirait aux bons de venir faire contre poids, de neutraliser leurs pernicieuses doctrines ?
Croire qu'il en est ainsi, ne serait-ce pas révoquer en doute sa puissance et sa bonté et faire de
Satan un rival de la Divinité? La Bible, l'Evangile, les Pères de l'Eglise reconnaissent
parfaitement la possibilité de communiquer avec le monde invisible, et de ce monde les bons ne
sont pas exclus ; pourquoi donc le seraient-ils aujourd'hui ? D'ailleurs, l'Eglise, en admettant
l'authenticité de certaines apparitions et communications de saints, exclut par cela même l'idée
que l'on ne peut avoir affaire qu'aux mauvais Esprits. Assurément, quand des communications ne
renferment que de bonnes choses, quand on n'y prêche que la morale évangélique la plus pure et
la plus sublime, l'abnégation. le désintéressement et l'amour du prochain ; quand on y flétrit le
mal, de quelque couleur qu'il se farde, est-il rationnel de croire que l'Esprit malin vienne ainsi
faire son procès ?
Le Prêtre. — L'Evangile nous apprend que l'ange des ténèbres, ou Satan, se transforme en ange
de lumière pour séduire les hommes.
A. K. — Satan, selon le spiritisme et l'opinion de beaucoup de philosophes chrétiens, n'est point
un être réel ; c'est la personnification du mal, comme jadis Saturne était la personnification du
temps. L'Eglise prend à la lettre cette figure allégorique ; c'est une affaire d'opinion que je ne
discuterai point. Admettons, pour un instant, que Satan soit un être réel ; l'Eglise, à force
d'exagérer sa puissance en vue d'effrayer, arrive à un résultat tout contraire, c'est-à-dire à la
destruction, non seulement de toute crainte, mais aussi de toute croyance en sa personne, selon le
proverbe : «Qui veut trop prouver ne prouve rien.» Elle le représente comme éminemment fin,
adroit et rusé, et dans la question du spiritisme elle lui fait jouer le rôle d'un sot et d'un maladroit.
Puisque le but de Satan est d'alimenter l'enfer de ses victimes et d'enlever des âmes à Dieu, on
comprend qu'il s'adresse à ceux qui sont dans le bien pour les induire au mal, et que pour cela il
se transforme, selon une très belle allégorie, en ange de lumière, c'est-à-dire qu'il fasse
l'hypocrite en simulant la vertu ; mais qu'il laisse échapper ceux qu'il tient déjà dans ses griffes,
c'est ce que l'on ne comprend pas. Ceux qui ne croient ni à Dieu ni à leur âme, qui méprisent la
prière et sont plongés dans le vice sont à lui autant qu'il est possible de l'être ; il n'a plus rien à
faire pour les mettre plus avant dans le bourbier ; or, les exciter à retourner à Dieu, à le prier, à se
soumettre à sa volonté, les encourager à renoncer au mal en leur montrant la félicité des élus et le
triste sort qui attend les méchants, serait l'acte d'un niais, plus stupide que si l'on donnait la
liberté à des oiseaux en cage, avec la pensée de les rattraper ensuite.
Il y a donc dans la doctrine de la communication exclusive des démons une contradiction qui
frappe tout homme sensé ; c'est pourquoi on ne persuadera jamais que les Esprits qui ramènent à
Dieu ceux qui le reniaient, au bien ceux qui faisaient le mal, qui consolent les affligés, donnent la
force et le courage aux faibles ; qui, par la sublimité de leurs enseignements, élèvent l'âme au-dessus de la vie matérielle soient les suppôts de Satan, et que, par ce motif on doit s'interdire
toute relation avec le monde invisible.
Le Prêtre. — Si l'Eglise défend les communications avec les Esprits des morts, c'est parce qu'elles
sont contraires à la religion comme étant formellement condamnées par l'Evangile et par Moïse.
Ce dernier, en prononçant la peine de mort contre ces pratiques, prouve combien elles sont
répréhensibles aux yeux de Dieu.
A. K. — Je vous demande pardon mais cette défense n'est nulle part dans l'Evangile ; elle est
seulement dans la loi mosaïque. Il s'agit donc de savoir si l'Eglise met la loi mosaïque au-dessus
de la loi évangélique, autrement dit si elle est plus juive que chrétienne. Il est même à remarquer
que de toutes les religions, celle qui a fait le moins d'opposition au spiritisme, c'est la juive, et
qu'elle n'a point invoqué contre les évocations la loi de Moïse sur laquelle s'appuient les sectes
chrétiennes. Si les prescriptions bibliques sont le code de la foi chrétienne, pourquoi interdire la
lecture de la Bible ? Que dirait-on si l'on faisait défense à un citoyen d'étudier le code des lois de
son pays ?
La défense faite par Moïse avait alors sa raison d'être, parce que le législateur hébreu voulait que
son peuple rompît avec toutes les coutumes puisées chez les Egyptiens, et que celle dont il s'agit
ici était un sujet d'abus. On n'évoquait pas les morts par respect et affection pour eux, ni avec un
sentiment de piété ; c'était un moyen de divination, l'objet d'un trafic honteux exploité par le
charlatanisme et la superstition ; Moïse a donc eu raison de le défendre. S'il a prononcé contre
cet abus une pénalité sévère, c'est qu'il fallait des moyens rigoureux pour gouverner ce peuple
indiscipliné ; aussi la peine de mort est-elle prodiguée dans sa législation. On s'appuie à tort sur
la sévérité du châtiment pour prouver le degré de culpabilité de l'évocation des morts.
Si la défense d'évoquer les morts vient de Dieu même, comme le prétend l'Eglise, ce doit être
Dieu qui a édicté la peine de mort contre les délinquants. La peine a donc une origine aussi
sacrée que la défense ; pourquoi ne pas l'avoir conservée ? Moise promulgua toutes ses lois au
nom de Dieu et par son ordre. Si l'on croit que Dieu en soit l'auteur, pourquoi ne sont-elles plus
observées ? Si la loi de Moïse est pour l'Eglise un article de foi sur un point, pourquoi ne l'est-elle pas sur tous ? Pourquoi y recourir en ce dont on a besoin et la repousser en ce qui ne
convient pas ? Pourquoi n'en suit-on pas toutes les prescriptions, la circoncision entre autres, que
Jésus a subi et n'a point aboli ?
Il y avait dans la loi mosaïque deux parties : 1° la loi de Dieu, résumée dans les tables du Sinaï ;
cette loi est restée parce qu'elle est divine, et le Christ n'a fait que la développer ; 2° la loi civile
ou disciplinaire appropriée aux moeurs du temps et que le Christ a aboli.
Aujourd'hui les circonstances ne sont plus les mêmes, et la défense de Moïse n'a plus de motifs.
D'ailleurs, si l'Eglise défend d'appeler les Esprits peut-elle les empêcher de venir sans qu'on les
appelle ? Ne voit-on pas tous les jours des personnes qui ne se sont jamais occupées du
spiritisme, n'en voyait-on pas bien avant qu'il en fût question, avoir des manifestations de tout
genre?
Autre contradiction, si Moïse a défendu d'évoquer les Esprits des morts, c'est donc que ces
Esprits peuvent venir, autrement sa défense eût été inutile. S'ils pouvaient venir de son temps, ils
le peuvent encore aujourd'hui; si ce sont les Esprits des morts, ce ne sont donc pas
exclusivement des démons. Il faut être logique avant tout.
Le Prêtre. — L'Eglise ne nie pas que de bons Esprits puissent se communiquer, puisqu'elle
reconnaît que les saints ont eu des manifestations ; mais elle ne peut considérer comme bons
ceux qui viennent contredire ses principes immuables. Les Esprits enseignent les peines et les
récompenses futures, mais ils ne l'enseignent pas comme elle ; elle seule peut juger leurs
enseignements et discerner les bons des mauvais.
A. K. — Voilà la grande question. Galilée a été accusé d'hérésie et d'être inspiré du démon, parce
qu'il venait révéler une loi de la nature prouvant l'erreur d'une croyance que l'on regardait
inattaquable ; il fut condamné et excommunié. Si les Esprits eussent sur tous les points abondé
dans le sens exclusif de l'Eglise, s'ils n'eussent pas proclamé la liberté de conscience et condamné
certains abus, ils auraient été les bienvenus et on ne les aurait pas qualifiés de démons.
Telle est aussi la raison pour laquelle toutes les religions, les musulmans aussi bien que les
catholiques, se croyant en possession exclusive de la vérité absolue, regardent comme l'oeuvre
du démon toute doctrine qui n'est pas entièrement orthodoxe à leur point de vue. Or, les Esprits
viennent non pas renverser la religion, mais, de même que Galilée, révéler de nouvelles lois de la
nature. Si quelques points de foi en souffrent, c'est que, de même que la croyance au mouvement
du soleil, ils sont en contradiction avec ces lois. La question est de savoir si un article de foi peut
annuler une loi de la nature qui est l'oeuvre de Dieu : et si, cette loi reconnue, il n'est pas plus
sage d'interpréter le dogme dans le sens de la loi, au lieu d'attribuer celle-ci au démon.
Le Prêtre. — Passons sur la question des démons ; je sais qu'elle est diversement interprétée par
les théologiens ; mais le système de la réincarnation me paraît plus difficile à concilier avec les
dogmes, car ce n'est autre chose que la métempsycose renouvelée de Pythagore.
A. K. — Ce n'est pas ici le moment de discuter une question qui exigerait de longs
développements ; vous la trouverez traitée dans le
Livre des Esprits et dans la Morale de l'Evangile selon le spiritisme *, je n'en dirai donc que deux mots.
La métempsycose des Anciens consistait dans la transmigration de l'âme de l'homme dans les
animaux, ce qui impliquait une dégradation. Du reste cette doctrine n'était pas ce que l'on croit
vulgairement. La transmigration dans les animaux n'était point considérée comme une condition
inhérente à la nature de l'âme humaine, mais comme un châtiment temporaire ; c'est ainsi que les
âmes des meurtriers passaient dans le corps des bêtes féroces pour y recevoir leur punition ;
celles des impudiques dans les porcs et les sangliers ; celles des inconstants et des évaporés dans
les oiseaux ; celles des paresseux et des ignorants dans les animaux aquatiques. Après quelques
milliers d'années, plus ou moins selon la culpabilité de cette sorte de prison, l'âme rentrait dans
l'humanité. L'incarnation animale n'était donc pas une condition absolue, et elle s'alliait, comme
on le voit, à la réincarnation humaine, et la preuve en est c'est que la punition des hommes
timides consistait à passer dans le corps des femmes exposées au mépris et aux injures.** C'était
une sorte d'épouvantail pour les simples, bien plus qu'un article de foi chez les philosophes. De
même qu'on dit aux enfants : «Si vous êtes méchants, le loup vous mangera.» Les Anciens
disaient aux criminels : «Vous deviendrez loups.» Aujourd'hui, on leur dit : «Le diable vous
prendra et vous emportera dans l'enfer.»
La pluralité des existences, selon le spiritisme, diffère essentiellement de la métempsycose, en ce
qu'elle n'admet pas l'incarnation de l'âme dans les animaux, même comme punition. Les Esprits
enseignent que l'âme ne rétrograde pas, mais qu'elle progresse sans cesse. Ses différentes
existences corporelles s'accomplissent dans l'humanité ; chaque existence est pour elle un pas en
avant dans la voie du progrès intellectuel et moral, ce qui est bien différent. Ne pouvant acquérir
un développement complet dans une seule existence souvent abrégée par des causes
accidentelles, Dieu lui permet de continuer dans une nouvelle incarnation, la tâche qu'elle n'a pu
achever, ou de recommencer ce qu'elle a mal fait. L'expiation, dans la vie corporelle, consiste
dans les tribulations que l'on y endure.
Quant à la question de savoir si la pluralité des existences est ou n'est pas contraire à certains
dogmes de l'Eglise, je me bornerai à dire ceci :
De deux choses l'une, ou la réincarnation existe, ou elle n'existe pas ; si elle existe, c'est qu'elle
est dans les lois de la nature. Pour prouver qu'elle n'existe pas, il faudrait prouver qu'elle est
contraire, non aux dogmes, mais à ces lois, et qu'on en pût trouver une autre qui expliquât plus
clairement et plus logiquement les questions qu'une seule peut résoudre.
Du reste, il est facile de démontrer que certains dogmes y trouvent une sanction rationnelle qui
les fait accepter par ceux qui les repoussaient faute de les comprendre. Il ne s'agit donc pas de
détruire, mais d'interpréter ; c'est ce qui aura lieu plus tard par la force des choses. Ceux qui ne
voudront pas accepter l'interprétation seront parfaitement libres, comme ils le sont aujourd'hui de
croire que c'est le soleil qui tourne. L'idée de la pluralité des existences se vulgarise avec une
étonnante rapidité, en raison de son extrême logique et de sa conformité avec la justice de Dieu.
Quand elle sera reconnue comme vérité naturelle et acceptée par tout le monde, que fera
l'Eglise ?
En résumé, la réincarnation n'est point un système imaginé pour les besoins d'une cause, ni une
opinion personnelle ; c'est ou ce n'est pas un fait. S'il est démontré que certaines choses qui
existent sont matériellement impossibles sans la réincarnation, il faut bien admettre
qu'elles sont le fait de la réincarnation ; donc si elle est dans la nature, elle ne saurait être
annulée par une opinion contraire.
* Livre des Esprits, n° 166 et suiv., 222, 1010. La morale de l’Evangile, chap. IV et V.
** La pluralité des existences de l'âme, par Pezzani.
Le prêtre. — Ceux qui ne croient pas aux Esprits et à leurs manifestations, sont-ils, au dire des
Esprits, moins bien partagés dans la vie future ?
A. K. — Si cette croyance était indispensable au salut des hommes, que deviendraient ceux qui,
depuis que le monde existe, n'ont pas été à même de l'avoir, et ceux qui, de longtemps encore,
mourront sans l'avoir ? Dieu peut-il leur fermer la porte de l'avenir ? Non ; les Esprits qui nous
instruisent sont plus logiques que cela ; ils nous disent : Dieu est souverainement juste et bon, et
ne fait pas dépendre le sort futur de l'homme de conditions indépendantes de sa volonté ; ils ne
disent pas : Hors le spiritisme point de salut, mais comme le Christ : Hors la charité point de
salut.
Le prêtre. — Alors permettez-moi de vous dire que, du moment que les Esprits n'enseignent que
les principes de la morale que nous trouvons dans l'Evangile, je ne vois pas de quelle utilité peut
être le spiritisme, puisque nous pouvions faire notre salut avant, et que nous pouvons le faire
encore sans cela. Il n'en serait pas de même si les Esprits venaient enseigner quelques grandes
vérités nouvelles, quelques-uns de ces principes qui changent la face du monde, comme a fait le
Christ. Au moins le Christ était seul, sa doctrine était unique, tandis que les Esprits sont par
milliers qui se contredisent ; les uns disent blanc, les autres noir ; d'où il suit que dès le début
leurs partisans forment déjà plusieurs sectes. Ne serait-il pas mieux de laisser les Esprits
tranquilles, et de nous en tenir à ce que nous avons ?
A. K. — Vous avez le tort, monsieur, de ne point sortir de votre point de vue, et de prendre
l'Eglise comme unique critérium des connaissances humaines. Si Christ a dit la vérité, le
spiritisme ne pouvait pas dire autre chose, et au lieu de lui jeter la pierre, on devrait l'accueillir
comme un puissant auxiliaire venant confirmer, par toutes les voix d'outre tombe, les vérités
fondamentales de la religion battues en brèche par l'incrédulité. Que le matérialisme le combatte,
cela se comprend ; mais que l'Eglise se ligue contre lui avec le matérialisme, c'est moins
concevable. Ce qui est tout aussi inconséquent, c'est qu'elle qualifie de démoniaque un
enseignement qui s'appuie sur la même autorité, et proclame la mission divine du fondateur du
christianisme.
Mais Christ a-t-il tout dit ? Pouvait-il tout révéler ? Non, car il dit lui même : «J'aurais encore
beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les comprendriez pas, c'est pourquoi je vous parle
en parabole.» Le spiritisme vient, aujourd'hui que l'homme est mûr pour le comprendre,
compléter et expliquer ce que Christ n'a fait qu'effleurer à dessein, ou n'a dit que sous la forme
allégorique. Vous direz sans doute que le soin de cette explication appartenait à l'Eglise. Mais à
laquelle ? à l'Eglise romaine, grecque ou protestante ? Puisqu'elles ne sont pas d'accord, chacune
eût expliqué dans son sens et revendiqué ce privilège. Quelle est celle qui eût rallié tous les
cultes dissidents ? Dieu, qui est sage, prévoyant que les hommes y mêleraient leurs passions et
leurs préjugés, n'a pas voulu leur confier le soin de cette nouvelle révélation ; il en a chargé les
Esprits, ses messagers, qui la proclament sur tous les points du globe, et cela en dehors de tout
culte particulier, afin qu'elle puisse s'appliquer à tous, et qu'aucun ne la détourne à son profit.
D'un autre coté les divers cultes chrétiens ne se sont-ils en rien écartés de la voie tracée par le
Christ ? Ses préceptes de morale sont-ils scrupuleusement observés ? N'a-t-on pas torturé ses
paroles pour en faire un appui de l'ambition et des passions humaines, alors qu'elles en sont la
condamnation ? Or, le spiritisme, par la voix des Esprits envoyés de Dieu, vient rappeler à la
stricte observation de ses préceptes ceux qui s'en écartent ; ne serait-ce pas ce dernier motif
surtout qui le fait qualifier d'oeuvre satanique ?
C'est à tort que vous donnez le nom de sectes à quelques divergences d'opinions touchant les
phénomènes spirites. Il n'est pas étonnant qu'au début d'une science, alors que pour beaucoup les
observations étaient encore incomplètes, il ait surgi des théories contradictoires, mais ces
théories reposent sur des points de détail et non sur le principe fondamental. Elles peuvent
constituer des écoles qui expliquent certains faits à leur manière, mais ce ne sont pas plus des
sectes que les différents systèmes qui partagent nos savants sur les sciences exactes : en
médecine, en physique, etc.. Rayez donc ce mot de secte qui est tout à fait impropre dans le cas
dont il s'agit. Est-ce que d'ailleurs, dès l'origine, le Christianisme n'a pas lui-même donné
naissance à une foule de sectes ? Pourquoi la parole du Christ n'a-t-elle pas été assez puissante
pour imposer silence à toutes les controverses ? Pourquoi est-elle susceptible d'interprétations
qui partagent encore aujourd'hui les Chrétiens en différentes Eglises qui prétendent toutes avoir
seules la vérité nécessaire au salut, se détestent cordialement et s'anathématisent au nom de leur
divin maître qui n'a prêché que l'amour et la charité ? La faiblesse des hommes, direz-vous ?
soit ; pourquoi voulez-vous que le spiritisme triomphe subitement de cette faiblesse et transforme
l'humanité comme par enchantement ?
Je viens à la question d'utilité. Vous dites que le spiritisme ne nous apprend rien de nouveau ;
c'est une erreur : il apprend beaucoup à ceux qui ne s'arrêtent pas à la surface. N'aurait-il fait que
substituer la maxime : Hors la charité point de salut, qui réunit les hommes, à celle de : Hors
l'Eglise point de salut, qui les divise, il aurait marqué une nouvelle ère de l'humanité.
Vous dites qu'on pourrait s'en passer ; d'accord ; comme on pouvait se passer d'une foule de
découvertes scientifiques. Les hommes se portaient tout aussi bien avant la découverte de toutes
les nouvelles planètes ; avant qu'on eût calculé les éclipses ; avant qu'on ne connût le monde
microscopique et cent autres choses ; le paysan, pour vivre et faire pousser son blé, n'a pas
besoin de savoir ce qu'est une comète, et pourtant personne ne nie que toutes ces choses étendent
le cercle des idées et nous font pénétrer plus avant dans les lois de la nature. Or, le monde des
Esprits est une de ces lois que le spiritisme nous fait connaître ; ils nous apprend l'influence qu'il
exerce sur le monde corporel ; supposons que là se borne son utilité, ne serait-ce pas déjà
beaucoup que la révélation d'une pareille puissance ?
Voyons maintenant son influence morale. Admettons qu'il n'apprenne absolument rien de
nouveau sous ce rapport ; quel est le plus grand ennemi de la religion ? Le matérialisme, parce
que le matérialisme, ne croit à rien ; or, le spiritisme est la négation du matérialisme, qui n'a plus
de raison d'être. Ce n'est plus par le raisonnement ; par la foi aveugle qu'on dit au matérialiste
que tout ne finit pas avec son corps, c'est par les faits ; on le lui montre, on le lui fait toucher au
doigt et à l'oeil. Est-ce là un petit service qu'il rend à l'humanité, à la religion ? Mais ce n'est pas
tout : la certitude de la vie future, le tableau vivant de ceux qui nous y ont précédés, montrent la
nécessité du bien, et les suites inévitables du mal. Voilà pourquoi, sans être lui-même une
religion, il porte essentiellement aux idées religieuses ; il les développe chez ceux qui n'en ont
pas, il les fortifie chez ceux en qui elles sont incertaines. La religion y trouve donc un appui, non
pour ces gens à vues étroites qui la voient tout entière dans la doctrine du feu éternel, dans la
lettre plus que dans l'esprit, mais pour ceux qui la voient selon la grandeur et la majesté de Dieu.
En un mot, le spiritisme grandit et élève les idées ; il combat les abus engendrés par l'égoïsme, la
cupidité, l'ambition ; mais qui oserait les défendre et s'en déclarer les champions ? S'il n'est pas
indispensable au salut, il le facilite en nous affermissant dans la route du bien. Quel est,
d'ailleurs, l'homme sensé qui oserait avancer qu'un défaut d'orthodoxie est plus répréhensible aux
yeux de Dieu que l'athéisme et le matérialisme ? Je pose nettement les questions suivantes à tous
ceux qui combattent le spiritisme sous le rapport des conséquences religieuses :
1° Quel est le plus mal partagé dans la vie future, de celui qui ne croit à rien, ou de celui qui,
croyant aux vérités générales, n'admet pas certaines parties de dogme ?
2° Le protestant et le schismatique sont-ils confondus dans la même réprobation que l'athée et le
matérialiste ?
3° Celui qui n'est pas orthodoxe dans la rigueur du mot, mais qui fait tout le bien qu'il peut, qui
est bon et indulgent pour son prochain, loyal dans ses rapports sociaux, est-il moins assuré de
son salut que celui qui croit à tout, mais qui est dur, égoïste, et manque de charité ?
4° Lequel vaut le mieux aux yeux de Dieu ; la pratique des vertus chrétiennes sans celle des
devoirs de l'orthodoxie, ou la pratique de ces derniers sans celle de la morale ?
J'ai répondu, M. l'abbé, aux questions et aux objections que vous m'avez adressées, mais, comme
je vous l'ai dit en commençant, sans aucune intention préconçue de vous amener à nos idées et de
changer vos convictions, me bornant à vous faire envisager le spiritisme sous son véritable point
de vue. Si vous ne fussiez pas venu, je ne serais point allé vous chercher. Cela ne veut pas dire
que nous méprisions votre adhésion à nos principes, si elle devait avoir lieu, bien loin de là ;
nous sommes heureux, au contraire, de toutes les acquisitions que nous faisons et qui ont pour
nous d'autant plus de prix qu'elles sont libres et volontaires. Nous n'avons non seulement aucun
droit pour exercer une contrainte sur qui que ce soit, mais nous nous ferions un scrupule d'aller
troubler la conscience de ceux qui ayant des croyances qui les satisfont, ne viennent pas
spontanément à nous.
Nous avons dit que le meilleur moyen de s'éclairer sur le spiritisme est d'en étudier au préalable
la théorie ; les faits viendront ensuite naturellement, et on les comprendra, quel que soit l'ordre
dans lequel ils seront amenés par les circonstances. Nos publications sont faites dans le but de
favoriser cette étude ; voilà, à cet effet, l'ordre que nous conseillons.
La première lecture à faire est celle de ce résumé qui présente l'ensemble et les points les plus
saillants de la science ; avec cela on peut déjà s'en faire une idée et se convaincre qu'au fond il y
a quelque chose de sérieux. Dans ce rapide exposé nous nous sommes attachés à indiquer les
points qui doivent particulièrement fixer l'attention de l'observateur. L'ignorance des principes
fondamentaux est la cause des fausses appréciations de la plupart de ceux qui jugent ce qu'ils ne
comprennent pas, ou d'après leurs idées préconçues.
Si ce premier aperçu donne le désir d'en savoir davantage, on lira le Livre des Esprits où les
principes de la doctrine sont complètement développés ; puis le
Livre des médiums pour la
partie expérimentale, destiné à servir de guide à ceux qui veulent opérer eux-mêmes, comme à
ceux qui veulent se rendre compte des phénomènes. Viennent ensuite les divers ouvrages où sont
développées les applications et les conséquences de la doctrine, tels que :
La morale de
l'Evangile selon le spiritisme
, Le ciel et l'enfer selon le spiritisme, etc..
La Revue spirite est en quelque sorte un cours d'applications par les nombreux exemples et les
développements qu'elle renferme, sur la partie théorique et sur la partie expérimentale.
Aux personnes sérieuses, qui ont fait une étude préalable, nous nous faisons un plaisir de donner
verbalement les explications nécessaires sur les points qu'elles n'auraient pas complètement
compris.