REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Poésies Spirites

Méry le Rêveur.

Groupe de M. L…, 4 juillet 1866, méd. M. Vavasseur.

Tout nouveau-né sur votre rive

Je vis une femme attentive

Dire en épiant mon réveil :

Ne troublez pas son doux sommeil,

Il rêve ; et je naissais à peine !

Un peu plus tard, quand dans la plaine

J'effeuillais le trèfle fleuri,

On disait que Joseph Méry

Rêvait ; et quand ma pauvre mère

M'asseyait sur la blanche pierre

Qui du ruisseau gardait le bord,

Elle aussi disait : Rêve encor,

Mon enfant. Plus tard, au collège,

Par haine ou par mépris, que sais-je !

Tous mes amis fuyaient au loin,

Et me laissaient seul, dans un coin,

Rêver. Et quand la folle ivresse

Des plaisirs troubla ma jeunesse,

La foule me montrait au doigt

En disant : C'est Méry qui doit

Encor rêver. Et quand, plus sage,

Presque à mi-chemin du voyage,

Je fus jugé comme écrivain,

On disait de moi : C'est en vain

Qu'il évoque la poésie

Dans ses vers, c'est la rêverie

Qui vient à son appel. Méry,

Quoi qu'il fasse, sera Méry.

Et quand la dernière prière

Eut béni ma froide poussière,

Attentif sous mon linceul,

Je n'entendis qu'un mot, un seul ;

Rêveur ! Eh bien ! oui, sur la terre

J'ai rêvé ; pourquoi donc le taire ?

Un rêve qui n'est pas fini,

Et que je recommence ici.

J. Méry.



La prière de la mort pour les morts

Société de Paris, 13 juillet 1866, méd. M. Vavasseur.

Les siècles ont roulé dans le gouffre des temps

Sans pitié, fleurs et fruits, froids hivers, doux printemps,

Et la mort a passé sans frapper à la porte

Qui cachait le trésor qu'en secret elle emporte ;

La vie !O mort ! la main qui dirige ta main

Lasse d'avoir frappé, ne peut-elle demain

Suspendre un peu ses coups ? Ta faim mal assouvie

Veut-elle encore troubler le banquet de la vie ?

Mais, si tu viens sans cesse, à toute heure du jour

Chercher chez nous des morts pour peupler ton séjour,

L'univers est trop peu pour tes profonds abîmes,

Ou ton gouffre est sans fond pour tes pauvres victimes.

O mort ! tu vois pleurer la vierge sans pleurer,

Et tu sèches les fleurs qui devaient la parer,

Sans permettre à son front de ceindre la couronne

De roses et de lys que son époux lui donne.

O mort ! tu n'entends pas les cris du pauvre enfant,

Et tu viens sans pitié le frapper en naissant,

Sans permettre à ses yeux de connaître la mère

Que lui donnait le ciel en lui donnant la terre.

O mort ! tu n'entends pas les vœux de ce vieillard

Implorant la faveur, à l'heure du départ,

Et d'embrasser son fils et de bénir sa fille,

Pour s'endormir plus vite et mourir plus tranquille.

Mais, cruelle ! dis-moi, que deviennent les morts

Qui quittent notre rive et s'en vont sur tes bords ?

Souffriraient-ils toujours les douleurs de la terre

Dans cette éternité des temps, et la prière

Ne pourrait-elle au moins les adoucir un jour ?

Et la mort répondit : Dans ce sombre séjour

Où, libre, j'ai fixé mon ténébreux empire,

La prière est puissante et c'est Dieu qui l'inspire

A mes sujets, à moi. Quand je reviens, le soir,

Sur mon trône sanglant pompeusement m'asseoir,

Je regarde les cieux et je suis la première

A réciter tout bas pour mes morts la prière.

Écoute, enfant, écoute : « O Dieu, Dieu tout puissant,

Du haut des cieux sur moi, sur eux, jette en passant

Un regard de pitié. Qu'un rayon d'espérance

Éclaire enfin les lieux où pleure la souffrance.

Fais-nous voir, ô mon Dieu ! la terre du pardon,

Ce rivage sans bord, cette plage sans nom,

La terre des élus, l'éternelle patrie

Où tu créas pour tous une éternelle vie ;

Fais que chacun de nous, devant ta volonté,

S'incline avec respect ; devant la majesté

De tes secrets desseins, se prosterne et adore ;

Devant ton nom se courbe et se relève encore,

En s'écriant : Seigneur ! Si vous m'avez banni

Du séjour des vivants, si vous m'avez puni

Dans le séjour des morts, devant vous je confesse

Avoir mérité plus ; frappez, frappez sans cesse,

Seigneur, je souffrirai sans jamais murmurer,

Et mes yeux ne pourront jamais assez pleurer

Pour laver du passé l'ineffaçable tache

Qui toujours au présent honteusement s'attache.

Je subirai vos coups, je porterai ma croix

Sans maudire un seul jour vos équitables lois,

Et quand vous jugerez mon épreuve finie,

Seigneur, si vous rendez à mon ombre pâlie

Les biens qu'elle a perdus dans sa captivité,

La brise, le soleil, l'air pur, la liberté,

Le repos et la paix, devant vous je m'engage

A prier à mon tour, sur mon nouveau rivage,

Pour mes frères courbés sous le lourd poids des fers

Qui les retient cloués au fond de leurs enfers ;

Pour leurs ombres en pleurs, aux bords de l'autre rive,

Muettes, regardant la mienne fugitive

S'enfuir en leur disant : Courage, mes amis,

je tiendrai dans les cieux ce qu'ici j'ai promis. »

Casimir Delavigne.



Nous avons déjà publié d'autres morceaux de poésie obtenues par ce médium, dans les nos de juin et juillet, sous les titres de : A ton livre et La prière pour les Esprits. M. Vavasseur est un médium versificateur dans l'acception du mot, car il n'obtient que très rarement des communications en prose, et, quoique très lettré et connaissant les règles de la poésie, de lui-même il n'a jamais pu faire des vers. Qu'en savez-vous, dira-t-on, et qui vous dit que ce qu'il est censé obtenir me médianimiquement, n'est pas le produit de sa composition personnelle ? Nous le croyons, d'abord, parce qu'il l'affirme, et que nous le tenons pour incapable de tromper ; en second lieu, parce que la médiumnité chez lui étant complètement désintéressée, il n'aurait aucune raison de se donner une peine inutile, et de jouer une comédie indigne d'un caractère honorable. La chose serait sans doute plus évidente et surtout plus extraordinaire s'il était complètement illettré, comme cela se voit chez certains médiums, mais les connaissances qu'il possède ne sauraient infirmer sa faculté, dès lors qu'elle est démontrée par d'autres preuves.

Qu'on explique pourquoi, par exemple, s'il veut composer quelque chose de lui-même, un simple sonnet, il n'obtient rien, tandis que, sans le chercher, et sans dessein prémédité, il écrit des morceaux de longue haleine, d'un seul jet, plus rapidement et plus couramment qu'on écrirait de la prose, sur un sujet impromptu auquel il ne songeait pas ? Quel est le poète capable d'un pareil tour de force, renouvelé presque chaque jour ? Nous n'en saurions douter, puisque les morceaux que nous citons et beaucoup d'autres ont été écrits sous nos yeux, dans la société et dans différents groupes, et en présence d'une assemblée souvent nombreuse. Que tous les faiseurs de tours lui prétendent dévoiler les prétendues ficelles des médiums en imitant plus ou moins grossièrement quelques effets physiques, viennent donc se mettre en lutte avec certains médiums écrivains, et traiter, même en simple prose, instantanément, sans préparation ni retouche, le premier sujet venu, et les questions les plus abstraites ! C'est une épreuve à laquelle aucun détracteur n'a encore voulu se soumettre.

Nous nous rappelons à ce propos qu'il y a six ou sept ans un écrivain journaliste, dont le nom figure quelquefois dans la presse parmi les railleurs du Spiritisme, vint nous trouver, se donnant pour leur médium écrivain intuitif, et offrit son concours à la Société. Nous lui dîmes qu'avant de profiter de son offre obligeante, il nous était nécessaire de connaître l'étendue et la nature de sa faculté ; nous le convoquâmes en conséquence à une séance particulière d'essai où se trouvaient quatre ou cinq médiums. A peine ceux-ci eurent-ils pris le crayon qu'ils se mirent à écrire avec une rapidité qui le stupéfia ; il griffonna trois ou quatre lignes avec force ratures, prétendit avoir mal à la tête, ce qui troublait sa faculté ; il promit de revenir, et nous ne le revîmes plus. Les Esprits, à ce qu'il paraît, ne l'assistent qu'à tête reposée et dans son cabinet.

On a vu, il est vrai, des improvisateurs, comme feu Eugène de Pradel, captiver les auditeurs par leur facilité. On s'est étonné qu'ils n'aient rien imprimé ; la raison en est bien simple, c'est que ce qui séduisait à l'audition, n'était pas supportable à la lecture ; ce n'était qu'un arrangement de mots sortis d'une source abondante, où brillaient exceptionnellement quelques traits spirituels, mais dont l'ensemble était vide de pensées sérieuses et profondes, et semé d'incorrections révoltantes. Ce n'est pas le reproche qu'on peut faire aux vers que nous citons, quoique obtenus avec presque autant de rapidité que les improvisations verbales. S'ils étaient le fruit d'un travail personnel, ce serait une singulière humilité de la part de l'auteur d'en attribuer le mérite à d'autres qu'à lui, et de se priver de l'honneur qu'il en pourrait tirer.

Quoique la médiumnité de M. Vavasseur soit récente, il possède déjà un recueil assez important de poésies d'un mérite réel qu'il se propose de publier. Nous nous empresserons d'annoncer cet ouvrage dès qu'il paraîtra, et qui, nous n'en doutons pas, sera lu avec intérêt.


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