La loi humaine
Instruction de l'Esprit de M. Bonnamy père
La loi humaine, comme toutes choses, est
soumise au progrès ; progrès lent, insensible, mais constant.
Quelque admirables que soient, pour
certaines gens, les législations antiques des Grecs et des Romains, elles sont
bien inférieures à celles qui gouvernent les populations avancées de votre
époque ! ‑ Que voyons-nous, en effet, à l'origine de tout peuple ? ‑
Un code de coutumes et d'us puisant sa sanction dans la force et ayant pour
moteur l'égoïsme le plus absolu. Quel est le but de tous les législateurs
primitifs ? ‑ Détruire le mal et ses instruments pour la plus grande paix
de la société. A-t-on souci du criminel ? ‑ Non. ‑ Le frappe-t-on pour le
corriger et lui montrer la nécessité d'une conduite plus modérée à l'égard de
ses concitoyens ? Est-ce en vue de son amélioration ? ‑ Point du
tout ; c'est exclusivement pour préserver la société de ses atteintes,
société égoïste qui rejette impitoyablement de son sein tout ce qui peut
troubler sa tranquillité. Aussi toutes les répressions sont-elles excessives et
la peine de mort est le plus généralement appliquée.
Cela est concevable, lorsque l'on considère
la liaison intime qui existe entre la loi et le principe religieux. Tous deux
avancent de concert vers un but unique, en se soutenant mutuellement.
La religion consacre-t-elle les jouissances
matérielles et toutes les satisfactions des sens ? la loi dure et
excessive frappe le criminel pour débarrasser la société d'un hôte importun. La
religion se transforme-t-elle, consacre-t-elle la vie de l'âme et son indépendance
de la matière ? Elle réagit aussitôt sur la législation, lui démontre la
responsabilité qui lui incombe, dans l'avenir du violateur de la loi ; de
là, l'assistance du ministre, quel qu'il soit, aux derniers moments du
condamné. On le frappe encore, mais déjà on a souci de cet être qui ne meurt
pas tout entier avec son corps et dont la partie spirituelle va recevoir le
châtiment que les hommes ont infligé à l'élément matériel.
Au moyen âge et depuis l'ère chrétienne, la
législation reçoit du principe religieux une influence de plus en plus notable.
Elle perd peu de sa cruauté, mais ses mobiles encore absolus et cruels ont
complètement changé de direction.
Tout comme la science, la philosophie et la
politique, la jurisprudence a ses révolutions, qui ne doivent s'opérer que
lentement pour être acceptées par la généralité des êtres qu'elles intéressent.
Une nouvelle institution, pour porter fruit, ne doit pas être imposée. L'art du
législateur est de préparer les esprits de manière à la faire désirer et considérer
comme un bienfait… Tout novateur, de quelques bonnes intentions qu'il soit
animé, quelque louables que soient ses desseins, sera considéré comme un
despote dont il faut secouer le joug, s'il veut s'imposer, fût-ce même par des
bienfaits. ‑ L'homme, par son principe, est essentiellement libre, et veut
accepter sans contrainte. De là, les difficultés que rencontrent les hommes
trop avancés pour leur temps ; de là, les persécutions dont ils sont
accablés. Ils vivent dans l'avenir ! d'un siècle ou deux en avance sur la
masse de leurs contemporains, ils ne peuvent qu'échouer et se briser contre la
routine réfractaire.
Au moyen âge donc, on avait souci de
l'avenir du criminel ; on songeait à son âme, et pour l'amener à
résipiscence, on l'effrayait des châtiments de l'enfer, des flammes éternelles
que lui infligerait, pour un entraînement coupable, un Dieu infiniment juste et
infiniment bon !
Ne pouvant s'élever à la hauteur de Dieu,
les hommes pour se grandir le ravalaient à leurs mesquines proportions !
On s'inquiétait de l'avenir du criminel ; on songeait à son âme, non pour
elle-même, mais en raison d'une nouvelle transformation de l'égoïsme, qui
consistait à se mettre la conscience en repos, en réconciliant le pécheur avec
son Dieu.
Peu à peu, dans le cœur et la pensée d'un
petit nombre, l'iniquité d'un pareil système parut évidente. D'éminents esprits
tentèrent des modifications prématurées, mais qui, néanmoins, portèrent fruit
en établissant des précédents sur lesquels se base la transformation qui s'accomplit
aujourd'hui en toutes choses.
Longtemps encore sans doute, la loi sera
répressive et châtiera les coupables. Nous ne sommes pas encore arrivés à ce
moment où la seule conscience de la faute sera le plus cruel châtiment de celui
qui l'aura commise ; mais, vous le voyez tous les jours, les peines
s'adoucissent ; on a en vue la moralisation de l'être ; on crée des
institutions pour préparer sa rénovation morale ; on rend son abaissement
utile à lui-même et à la société. Le criminel ne sera plus la bête fauve dont
il faut à tout prit purger le monde ; ce sera l'enfant égaré dont il faut
redresser le jugement faussé par les mauvaises passions et l'influence d'un
milieu pervers !
Ah ! le magistrat et le juge ne sont
pas les seuls responsables et les seuls à agir en cette affaire ; tout
homme de cœur, prince, sénateur, journaliste, romancier, législateur,
professeur et artisan, tous doivent mettre la main à l'œuvre et apporter leur
obole à la régénération de l'humanité.
La peine de mort, vestige infamant de la cruauté
antique, disparaîtra par la force des choses. La répression, nécessaire dans
l'état actuel, s'adoucira chaque jour ; et, dans quelques générations, la
seule condamnation, la mise hors loi d'un être intelligent sera le dernier
degré de l'infamie, jusqu'à ce que, de transformations en transformations, la
conscience de chacun demeure seule juge et bourreau du criminel.
Et à qui devra-t-on tout ce travail ?
Au Spiritisme, qui, depuis le commencement du monde, agit par ses révélations
successives, comme mosaïsme, christianismes et spiritisme proprement dit !
– Partout, à chaque période, son influence bienfaisante éclate à tous les yeux,
et il y a encore des êtres assez aveugles pour ne pas le reconnaître, assez
intéressés à le terrasser pour en nier l'existence ! Ah ! ceux-là
sont à plaindre, car ils luttent contre une force invincible : contre le
doigt de Dieu.
Bonnamy père (Méd., M. Desliens).