Le Sens spirituel
Une seconde lettre du docteur Grégory contient ce qui suit :
« Eraste, dans une communication, a énoncé une idée qui m'a frappé et
m'a donné à réfléchir. L'homme, dit-il, a sept sens : les sens bien
connus de l'ouïe, de l'odorat, de la vue, du goût et du toucher, et de
plus, le sens somnambulique et le sens médianimique.
J'ajoute à
ces paroles que ces deux derniers sens n'existent que par exception
suffisamment développés chez quelques natures privilégiées, en cas
qu'ils existent chez tout homme à l'état rudimentaire. Or, il est en moi
une conviction acquise par plus d'une observation et par une assez
longue expérience des puissances homéopathiques, c'est que nos
médicaments bien choisis, pris longtemps, peuvent développer ces deux
admirables facultés. »
Ce serait à tort, selon nous, que l'on
considèrerait le somnambulisme et la médiumnité comme le produit de deux
sens différents, attendu que ce ne sont que deux effets résultant d'une
même cause. Cette double faculté est un des attributs de l'âme, et a
pour organe le périsprit, dont le rayonnement transporte la perception
au delà des limites de l'action des sens matériels. C'est à proprement
parler le sixième sens, qui est désigné sous le nom de sens spirituel.
Le somnambulisme et la médiumnité sont deux variétés de l'activité de
ce sens, qui présentent, comme on le sait, des nuances innombrables, et
constituent des aptitudes spéciales. En dehors de ces deux facultés,
plus remarquées, parce qu'elles sont plus apparentes, ce serait une
erreur de croire que le sens spirituel n'existe qu'à l'état
rudimentaire. Comme les autres sens, il est plus ou moins développé,
plus ou moins subtil selon les individus, mais tout le monde le possède,
et ce n'est pas celui qui rend le moins de service, par la nature toute
spéciale des perceptions dont il est la source. Loin d'être la règle,
son atrophie est l'exception, et peut être considérée comme une
infirmité, de même que l'absence de la vue ou de l'ouïe. C'est par ce
sens que nous recevons les effluves fluidiques des Esprits, que nous
nous inspirons à notre insu de leurs pensées, que nous sont donnés les
avertissements intimes de la conscience, que nous avons le pressentiment
et l'intuition des choses futures ou absentes, que s'exercent la
fascination, l'action magnétique inconsciente et involontaire, la
pénétration de la pensée, etc. Ces perceptions sont données à l'homme
par la Providence, de même que la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le
toucher, pour sa conservation ; ce sont des phénomènes très vulgaires
qu'il remarque à peine par l'habitude qu'il a de les éprouver, et dont
il ne s'est pas rendu compte jusqu'à ce jour, par suite de son ignorance
des lois du principe spirituel, de la négation même, chez quelques-uns,
de l'existence de ce principe ; mais quiconque porte son attention sur
les effets que nous venons de citer et sur beaucoup d'autres de même
nature, reconnaîtra combien ils sont fréquents et qu'ils sont
complètement indépendants des sensations perçues par les organes du
corps.
La vue spirituelle, vulgairement appelée double vue ou
seconde vue, est un phénomène moins rare qu'on ne le croit ; beaucoup de
personnes ont cette faculté sans s'en douter ; seulement elle est plus
ou moins accentuée, et il est facile de s'assurer qu'elle est étrangère
aux organes de la vision, puisqu'elle s'exerce sans le secours de ces
organes, que les aveugles même la possèdent. Elle existe chez certaines
personnes dans l'état normal le plus parfait, sans la moindre trace
apparente de sommeil ni d'état extatique. Nous connaissons, à Paris, une
dame chez laquelle elle est permanente, et aussi naturelle que la vue
ordinaire ; elle voit sans effort et sans concentration le caractère,
les habitudes, les antécédents de quiconque l'approche ; elle décrit les
maladies et prescrit des traitements efficaces avec plus de facilité
que beaucoup de somnambules ordinaires ; il suffit de penser à une
personne absente pour qu'elle la voie et la désigne. Nous étions un jour
chez elle, et nous vîmes passer dans la rue quelqu'un avec qui nous
sommes en relation et qu'elle n'avait jamais vu. Sans y être provoquée
par aucune question, elle en fit le portrait moral le plus exact, et
nous donna à son sujet des avis très sages.
Cette dame n'est
cependant pas somnambule ; elle parle de ce qu'elle voit, comme elle
parlerait de toute autre chose, sans se déranger de ses occupations.
Est-elle médium ? elle n'en sait rien elle-même, car il y a peu de
temps, elle ne connaissait pas même de nom le Spiritisme. Cette faculté
est donc chez elle aussi naturelle et aussi spontanée que possible.
Comment perçoit-elle, si ce n'est par le sens spirituel ?
Nous
devons ajouter que cette dame a foi aux signes de la main ; aussi
l'examine-t-elle quand on l'interroge ; elle y voit, dit-elle, l'indice
des maladies. Comme elle voit juste, et qu'il est évident que beaucoup
des choses qu'elle dit ne peuvent avoir aucune relation physiologique
avec la main, nous sommes persuadé que c'est simplement pour elle un
moyen de se mettre en rapport, et de développer sa vue en la fixant sur
un point déterminé ; la main fait l'office de miroir magique ou
psychique ; elle y voit comme d'autres voient dans un vase, dans une
carafe ou autre objet. Sa faculté a beaucoup de rapport avec celle du
Voyant de la forêt de Zimmerwald, mais elle lui est supérieure à
certains égards. Du reste, comme elle n'en tire aucun profit, cette
considération écarte tout soupçon de charlatanisme, et attendu qu'elle
ne s'en sert que pour rendre service, elle doit être assistée par de
bons Esprits. (Voir la Revue d'octobre 1864 : Le Sixième sens et la vue
spirituelle ; octobre 1865 : Nouvelles études sur les miroirs
psychiques. Le Voyant de la forêt de Zimmerwald.)