Communication collective
Société de Paris, 1er novembre 1 866. Médium M. Bertrand.
Le 1er novembre dernier, la Société s'étant réunie, comme d'habitude, pour la commémoration des morts, reçut un grand nombre de communications, parmi lesquelles une surtout se distinguait par sa facture tout à fait nouvelle, et qui consiste dans une suite de pensées détachées, chacune signée d'un nom différent, qui s'enchaînent et se complètent les unes par les autres. Voici cette communication :
“Mes amis, que d'Esprits autour de vous qui voudraient se communiquer à vous et vous dire qu'ils vous aiment ; et combien vous seriez heureux si le nom de tous ceux qui vous sont chers était prononcé à la table des médiums ! Quel bonheur ! quelle joie, pour chacun de vous, si votre père, votre mère, votre frère, votre sœur, vos enfants et vos amis venaient vous parler ! Mais vous comprenez qu'il est impossible que vous soyez tous satisfaits ; le nombre des médiums n'y suffirait pas ; mais ce qui n'est pas impossible, c'est qu'un Esprit au nom de tous vos parents et amis vienne vous dire : Merci de votre bon souvenir et de vos ferventes prières ; courage ! ayez l'espoir qu'un jour, à la suite de votre délivrance, nous viendrons tous vous tendre la main. Soyez persuadés que ce que vous enseigne le Spiritisme est l'écho des lois du Tout-Puissant ; par l'amour, rendez-vous tous frères, et vous allègerez le lourd fardeau que vous portez.
Maintenant, chers amis, tous vos Esprits protecteurs vont venir donner leur pensée. Toi, médium, écoute, et laisse aller ton crayon suivant leur idée.
La médecine fait ce que font les écrevisses effrayées.
Dr Demeure
Parce que le magnétisme progresse, et qu'en progressant il écrase la médecine actuelle pour la remplacer prochainement.
Mesmer
La guerre est un duel qui ne cessera que lorsque les combattants seront de force égale.
Napoléon
De force égale matériellement et moralement.
Général Bertrand
L'égalité morale règnera lorsque l'orgueil sera destitué.
Général Brune
Les révolutions sont des abus qui détruisent d'autres abus.
Louis XVI
Mais ces abus font naître la liberté.
Pas de nom
Pour être égaux il faut être frères ; sans fraternité, nulle égalité et nulle liberté.
Lafayette
La science est le progrès de l'intelligence.
Newton
Mais ce qui lui est préférable, c'est le progrès moral.
Jean Reynaud
La science restera stationnaire jusqu'à ce que la morale l'ait atteinte.
François Arago
Pour développer la morale, il faut d'abord déraciner le vice.
Béranger
Pour déraciner le vice, il faut le démasquer.
Eugène Sue
C'est ce que tous les Esprits forts et supérieurs cherchent à faire.
Jacques Arago
Trois choses doivent progresser : la musique, la poésie, la peinture. La musique transporte l'âme en frappant l'ouïe.
Meyerbeer
La poésie transporte l'âme en ouvrant le cœur.
Casimir Delavigne
La peinture transporte l'âme en flattant les yeux.
Flandrin
Donc la poésie, la musique et la peinture sont sœurs et se donnent la main ; l'une pour adoucir le cœur, l'autre pour adoucir les mœurs, et la dernière pour ouvrir l'âme ; toutes trois pour vous élever vers votre Créateur.
Alfred de Musset
Mais rien, rien ne doit momentanément plus progresser que la philosophie ; elle doit faire un pas immense, laissant stationner la science et les arts, mais pour les élever si haut, quand il en sera temps, que cette élévation serait trop subite pour vous aujourd'hui.
Au nom de tous,
Saint Louis.
Le 6 Décembre, M. Bertrand obtint, dans le groupe de M. Desliens, une communication du même genre, qui est en quelque sorte la suite de la précédente.
L'amour est une lyre dont les vibrations sont des accords divins.
Héloïse
L'amour a trois cordes à sa lyre : l'émanation divine, la poésie et le chant ; si l'une d'elles manque, les accords sont imparfaits.
Abélard
L'amour vrai est harmonieux ; ses harmonies enivrent le cœur en élevant l'âme. La passion noie les accords en abaissant l'âme.
Bernardin de Saint-Pierre
C'était l'amour que cherchait Diogène en cherchant un homme… qui est venu quelques siècles plus tard, et que la haine, l'orgueil et l'hypocrisie ont crucifié.
Socrate
Les sages de la Grèce le furent quelquefois plus dans leurs écrits et dans leurs paroles que dans leur personne.
Platon
Etre sage, c'est aimer ; cherchons donc l'amour par la voie de la sagesse.
Fénelon
Vous ne pouvez être sages, si vous ne savez vous élever au-dessus de la méchanceté des hommes.
Voltaire
Le sage est celui qui ne croit pas l'être.
Corneille
Qui se croit petit est grand ; qui se croit grand est petit.
Lafontaine
Le savant se croit ignorant, et qui se croit savant est ignorant.
Ésope
L'humilité se croit encore orgueilleuse, et qui se croit humble ne l'est pas.
Racine
Ne confondez pas avec les humbles ceux qui disent, par feinte modestie, ou par intérêt, le contraire de ce qu'ils sont : vous seriez dans l'erreur. Dans ce cas la vérité se tait.
Bonnefond
Le génie se possède par inspiration et ne s'acquiert pas ; Dieu veut que les choses les plus grandes soient découvertes ou inventées par des êtres sans instruction, afin de paralyser l'orgueil, tout en rendant l'homme solidaire de l'homme.
François Arago
On ne traite de fou que ceux dont les idées ne sont pas timbrées par l'autorité de la science ; c'est ainsi que ceux qui croient tout savoir, rejettent les pensées de génie de ceux qui ne savent rien.
Béranger
La critique est le stimulant de l'étude, mais elle est la paralysation du génie.
Molière
La science apprise n'est que l'ébauche de la science innée ; elle ne devient intelligence que dans la nouvelle incarnation.
J.-J. Rousseau
L'incarnation est le sommeil de l'âme ; les péripéties de la vie en sont les rêves.
Balzac
Quelquefois la vie n'est qu'un affreux cauchemar pour l'Esprit, et souvent il lui tarde qu'il soit fini.
La Rochefoucault
Là est son épreuve ; s'il résiste, il fait un pas vers le progrès, sinon il entrave la route qui doit le conduire au port.
Martin
Au réveil de l'âme qui est sortie victorieuse des luttes terrestres, l'Esprit est plus grand et plus élevé ; s'il succombe, il se retrouve tel qu'il était.
Pascal
C'est renier le progrès de vouloir que la langue soit l'emblème de l'immuabilité d'une doctrine religieuse ; de plus, c'est forcer l'homme à prier plus des lèvres que du cœur.
Descartes.
L'immuabilité ne réside pas dans la forme des mots, mais bien dans le verbe de la pensée. Lamennais
Jésus disait à ses apôtres d'aller prêcher l'Évangile dans leur langage, et que tous les peuples les comprendraient.
Lacordaire
La foi désintéressée fait des miracles.
Boileau.
La doctrine de Jésus ne se sent et ne se comprend que par le cœur ; quelle que soit donc la manière dont on la parle, elle est toujours l'amour et la charité.
Bossuet
Les prières dites ou écrites que l'on ne comprend pas, laissent vaguer les pensées, en permettant aux yeux de se distraire par le faste des cérémonies.
Massillon
Tout changera, sans toutefois revenir à la simplicité d'autrefois, ce qui serait la négation du progrès. Les choses se feront sans faste et sans orgueil.
Sibour
L'amour triomphera, et viendront avec lui : la sagesse, la charité, la prudence, la force, la science, l'humilité, le calme, la justice, le génie, la tolérance, l'enthousiasme, et la gloire majestueuse et divine écrasera, par sa splendeur : l'orgueil, l'envie, l'hypocrisie, la méchanceté et la jalousie qui entraînent à leur suite la paresse, la gourmandise et la luxure.
Eug. Sue
L'amour règnera, et pour qu'il ne tarde, il faut, courageux Diogène, prendre d'une main le flambeau du Spiritisme, et montrer aux humains les vers rongeurs qui forment plaie sur leur âme.
Saint Louis
Remarque. Ce genre de communication soulève une question importante. Comment les fluides d'un aussi grand nombre d'Esprits peuvent-ils s'assimiler presque instantanément avec le fluide du médium pour lui transmettre leur pensée, alors que cette assimilation est souvent difficile de la part d'un seul Esprit, et ne s'établit généralement qu'à la longue ?
Le guide spirituel du médium semble l'avoir prévue, car le surlendemain il lui donna spontanément l'explication ci-après :
« La communication que tu as obtenue le jour de la Toussaint, ainsi que la dernière qui en est le complément, quoiqu'il y ait des noms répétés, ont été obtenues de la manière suivante : comme je suis ton Esprit protecteur, mon fluide est similaire du tien. Je me suis placé au-dessus de toi, te transmettant le plus exactement possible les pensées et les noms des Esprits qui désiraient se manifester. Ils ont formé autour de moi une assemblée dont les membres dictaient tour à tour les pensées que je t'ai transmises. Cela a été spontané, et ce qui rendait ce jour-là les communications plus faciles, c'est que les Esprits présents avaient saturé l'appartement de leurs fluides.
Lorsqu'un Esprit se communique à un médium, il le fait avec d'autant plus de facilité que les rapports fluidiques sont mieux établis entre eux, sinon l'Esprit est obligé, pour communiquer son fluide au médium, d'établir une espèce de courant magnétique qui aboutit au cerveau de ce dernier ; et si l'Esprit, en raison de son infériorité, ou de toute autre cause, ne peut établir ce courant lui-même, il a recours à l'assistance du guide du médium, et les rapports s'établissent comme je viens de l'indiquer. »
Slener
Une autre question est celle-ci : Dans le nombre de ces Esprits, n'y en a-t-il point qui soient incarnés en ce monde ou en d'autres, et, dans ce cas, comment peuvent-ils se communiquer ? Voici la réponse qui y a été faite :
« Les Esprits d'un certain degré d'avancement ont un rayonnement qui leur permet de se communiquer simultanément sur plusieurs points. Chez quelques-uns, l'état d'incarnation n'amortit pas ce rayonnement d'une manière assez complète pour leur empêcher de se manifester même à l'état de veille. Plus l'Esprit est avancé, plus sont faibles les liens qui l'unissent à la matière du corps ; il est dans un état presque constant de dégagement, et l'on peut dire qu'il est là où se porte sa pensée. »
Un Esprit.
Mangin le Charlatan
Tout le monde a connu ce vendeur de crayons qui, monté sur une voiture richement décorée, affublé d'un casque brillant et d'un costume étrange a été pendant de longues années, une des célébrités des rues de Paris. Ce n'était pas un charlatan vulgaire, et ceux qui l'ont connu personnellement s'accordaient à lui reconnaître une intelligence peu commune, une certaine élévation dans la pensée, et des qualités morales au-dessus de sa profession nomade. Il est mort l'année dernière, et depuis il s'est communiqué plusieurs fois spontanément à l'un de nos médiums. D'après le caractère qu'on lui a connu, on ne sera pas surpris du vernis philosophique que l'on trouve dans ses communications.
Paris, 20 décembre 1866, groupe de M. Desliens, médium, M. Bertrand.
Le crayon
Le crayon, c'est la parole de la pensée. Sans le crayon la pensée reste muette et incomprise de vos sens grossiers. Le crayon est l'âme offensive et défensive de la pensée ; c'est la main qui parle et se défend.
Le crayon !… et surtout le crayon Mangin !… Oh ! pardon… voilà que je deviens égoïste !… Mais pourquoi ne pourrais-je pas, comme autrefois, faire l'éloge de mes crayons ? Ne sont-ils pas bons ?… Avez-vous à vous en plaindre ? Ah ! si j'étais encore sur mon véhicule français avec mon costume romain… vous me croiriez… Je savais si bien faire mon boniment, et le pauvre badaud croyait blanc ce qui était noir, tout simplement parce que Mangin, le célèbre charlatan, l'avait dit !… J'ai dit charlatan… Non, il faut dire bonisseur… Allons ! les chalands, dénouez les cordons de votre bourse ; achetez de ces superbes crayons plus noirs que l'encre et durs comme pierre… Accourez, accourez, la vente va finir !… Ah ! çà, qu'est-ce que je dis donc ?… Je crois, ma foi, que je me trompe de rôle, et que je finis fort mal, après avoir bien commencé…
Vous tous, armés de crayons, assis autour de cette table, allez dire et prouvez aux journalistes orgueilleux que Mangin n'est pas mort. Allez dire à ceux qui ont oublié ma marchandise, parce que je n'étais plus là pour leur faire croire à ses étonnantes qualités, allez dire à tout ce monde que je vis encore et que, si je suis mort, c'était pour mieux vivre…
Ah ! MM. les journalistes, vous vous moquiez de moi, et pourtant si, au lieu de me considérer comme un charlatan escamotant la monnaie humaine, vous m'eussiez étudié plus attentivement et philosophiquement vous auriez reconnu un être ayant des réminiscences de son passé. Vous auriez compris le pourquoi de mon goût pour ce costume guerrier romain, le pourquoi de cet amour des harangues en place publique. Vous auriez dit alors que, sans doute, j'avais été soldat ou général romain et vous ne vous seriez pas trompés.
Allons ! allons ! achetez donc des crayons, usez-en ; mais servez-vous-en utilement, non comme moi pour pérorer sans motif, mais pour propager cette belle doctrine que beaucoup d'entre vous ne suivent que de trop loin.
Armez-vous donc de vos crayons, et frayez-vous une large route dans ce monde d'incrédulité. Faites toucher du doigt, à tous ces saint Thomas incrédules les sublimes vérités de Spiritisme qui feront qu'un jour tous les hommes seront frères.
Mangin.
Groupe de M. Delanne ; 14 janvier 1867. Médium, M. Bertrand
Le papier
J'ai parlé de crayon et de charlatanisme, mais je n'ai pas encore parlé du papier. C'est que sans doute je me réservais cela pour ce soir.
Ah ! que je voudrais être papier ; non lorsqu'il s'avilit à faire le mal, mais, au contraire, quand il remplit son véritable rôle qui est de faire le bien ! En effet, le papier est l'instrument qui, de concert avec le crayon, sème çà et là les nobles pensées de l'esprit. Le papier est le livre ouvert où chacun peut puiser du regard les conseils utiles à son voyage terrestre !…
Ah ! que je voudrais être papier, afin de remplir comme lui le rôle de moralisateur et d'instructeur, donnant à chacun les encouragements nécessaires pour supporter courageusement les maux qui sont si souvent causes de tant de honteuses faiblesses !…
Ah ! si j'étais papier, j'abolirais toutes les lois égoïstes et tyranniques, pour ne laisser rayonner que celles qui proclament l'égalité. Je ne voudrais parler que d'amour et de charité. Je voudrais que tous soient humbles et bons, que le méchant devienne meilleur, que l'orgueilleux devienne humble, que le pauvre devienne riche, que l'égalité enfin se fasse jour et soit, dans toutes les bouches, comme l'expression de la vérité, et non dans l'espérance de cacher l'égoïsme et la tyrannie qui possèdent le cœur.
Si j'étais papier, je voudrais être blanc pour l'innocence, vert pour celui qui n'a pas l'espérance d'un soulagement à ses maux. Je voudrais être de l'or dans les mains du pauvre, du bonheur dans les mains de l'affligé, du baume dans celles du malade. Je voudrais être le pardon de toutes les offenses. Je ne condamnerais point, je ne maudirais point, je ne lancerais point l'anathème ; je ne critiquerais point avec malveillance ; je ne dirais rien qui puisse faire tort à autrui. Enfin, je ferais ce que vous faites : je ne voudrais qu'enseigner le bien et parler de cette belle doctrine qui vous réunit tous et sous toutes les formes ; je professerais toujours cette sublime maxime : Aimez-vous les uns et les autres.
Celui qui voudrait revenir sur terre, non charlatan, non pour vendre seulement des crayons, mais pour y joindre la vente du papier, et qui dirait à tous : le crayon ne peut être utile sans le papier et le papier ne peut se passer du crayon.
Mangin.
La Solidarité
Paris, 26 novembre 1866, médium M. Sabb…
Gloire à Dieu, et paix aux hommes de bonne volonté !
L'étude du Spiritisme ne doit pas être vaine. Pour certains hommes légers, elle est un amusement ; pour les hommes sérieux, elle doit être sérieuse.
Réfléchissez à une chose avant toutes. Vous n'êtes pas sur la terre pour y vivre à la façon des bêtes, pour y végéter à la manière des graminées ou des arbres. Les graminées et les arbres ont la vie organique, ils n'ont pas la vie intelligente, de même que les animaux n'ont pas la vie morale. Tout vit, tout respire dans la nature, l'homme seul sent et se sent.
Que ceux-là sont insensés et à plaindre, qui se méprisent assez pour se comparer à un brin d'herbe, ou à un éléphant ! Ne confondons ni les genres ni les espèces. Ce ne sont pas de grands philosophes et de grands naturalistes qui voient dans le Spiritisme, par exemple, une nouvelle édition de la métempsycose, et surtout d'une métempsycose absurde. La métempsycose est le rêve d'un homme d'imagination, elle n'est pas autre chose. Un animal, un végétal produit son congénère, rien de plus ni rien de moins. Ceci soit dit, pour empêcher de vieilles idées fausses de s'accréditer de nouveau, à l'ombre du Spiritisme.
Homme, soyez homme ; sachez d'où vous venez et où vous allez. Vous êtes l'enfant aimé de celui qui a tout fait et qui vous a donné une fin, une destinée que vous devez accomplir sans la connaître absolument. Étiez-vous nécessaire à ses desseins, à sa gloire, à son propre bonheur ? Questions oiseuses, puisqu'elles sont insolubles. Vous Êtes, soyez-en reconnaissant ; mais être n'est pas tout, il faut être selon les lois du Créateur qui sont vos propres lois. Lancé dans l'existence, vous êtes tout à la fois cause et effet. Ni comme cause, ni comme effet, vous ne pouvez, au moins quant à présent, déterminer votre rôle, mais vos lois vous pouvez les suivre. Or, la principale est celle-ci : L'homme n'est pas un être isolé, il est un être collectif. L'homme est solidaire de l'homme. C'est en vain qu'il cherche le complément de son être, c'est-à-dire le bonheur en lui-même ou dans ce qui l'entoure isolément : il ne peut le trouver que dans l'homme ou l'humanité. Vous ne faites donc rien pour être personnellement heureux, tant que le malheur d'un membre de l'humanité, d'une partie de vous-même, pourra vous affliger.
C'est de la morale que je vous enseigne là, me direz-vous, or la morale est un vieux lieu commun. Regardez autour de vous, qu'y a-t-il de plus ordinaire, de plus commun que le retour périodique du jour et de la nuit, que le besoin de vous nourrir et de vous vêtir ? C'est à cela que tendent tous vos soins, tous vos efforts. Il le faut, la partie matérielle de votre être l'exige. Mais votre nature n'est-elle pas double, et n'êtes-vous pas plus esprit que corps ? Comment donc se fait-il qu'il vous soit plus dur de vous entendre rappeler les lois morales que d'appliquer à tout instant les lois physiques ? Si vous étiez moins préoccupés et moins distraits, cette répétition ne serait pas aussi nécessaire.
Ne nous écartons pas de notre sujet : Le Spiritisme bien compris est à la vie de l'âme ce que le travail matériel est à la vie du corps. Occupez-vous-en dans ce but, et tenez pour certain que lorsque vous aurez fait, pour vous améliorer moralement, la moitié de ce que vous faites pour améliorer votre existence matérielle, vous aurez fait faire un grand pas à l'humanité.
un Esprit.
Tout vient en son temps
Odessa, groupe de famille, 1866. Médium, mademoiselle M…
Question. – En lisant, dans la Vérité de 1866, les expériences magnétiques, j'en étais émerveillé, et je pensais en moi-même que cette force si étonnante pouvait peut-être être la cause de toutes les merveilles, de toutes les beautés, incompréhensibles pour nous, des planètes supérieures, et dont les Esprits nous donnent des descriptions. Je prie les bons Esprits de m'éclairer à ce sujet ?
Réponse. – Pauvres hommes ! L'avidité de savoir, l'impatience dévorante de lire dans le livre de la création, tout vous tourne la tête et éblouit vos yeux habitués à l'obscurité, lorsqu'ils tombent sur quelques passages que votre esprit, encore esclave de la matière, ne peut comprendre. Mais, ayez patience, les temps sont arrivés. Déjà le grand architecte commence à dérouler peu à peu devant vos yeux le plan de l'édifice de l'univers, déjà il soulève un coin du voile qui vous cache la vérité, et un rayon de lumière vous éclaire. Contentez-vous de ces prémices ; habituez vos yeux à la douce clarté de l'aurore, jusqu'à ce qu'ils puissent supporter la splendeur du soleil brillant dans tout son éclat.
Remerciez le Tout-Puissant, dont la bonté infinie ménage votre faible vue, en levant graduellement le voile qui la couvre. S'il l'enlevait tout d'un coup, vous seriez éblouis et ne verriez rien ; vous retomberiez dans le doute, dans la confusion, dans l'ignorance dont vous sortez à peine. Il vous a été dit déjà que tout vient en son temps : ne le devancez pas par votre trop grande avidité de tout savoir. Laissez au Maître le choix de la méthode qu'il juge la plus convenable pour vous instruire. Vous avez devant vous un sublime ouvrage : « la nature, son essence, ses forces ; » il commence par l'A B C. Apprenez donc d'abord à épeler, à comprendre ces premières pages ; progressez avec patience et persévérance, et vous arriverez jusqu'à la fin, tandis qu'en sautant des pages et des chapitres, l'ensemble vous paraît incompréhensible. Il n'est pas d'ailleurs dans les desseins du Tout-Puissant que l'homme sache tout. Conformez-vous donc à sa volonté, elle a pour but votre bien.
Lisez dans le grand livre de la nature ; instruisez-vous, éclairez votre esprit, contentez-vous de savoir ce que Dieu juge à propos de vous apprendre pendant votre séjour sur la terre ; vous n'aurez pas le temps d'arriver jusqu'à la dernière page, et vous ne la lirez que lorsque vous serez détachés de la matière, lorsque vos sens spiritualisés vous permettront de le comprendre.
Oui, mes amis, apprenez et instruisez-vous, et, avant tout, progressez en moralité par l'amour du prochain, par la charité, par la foi : c'est l'essentiel, c'est le passeport à la vue duquel les portes du sanctuaire infini vous sont ouvertes.
Humbolt
Respect dû aux croyances passées
Paris, groupe Delanne, 4 février 1867. Médium, M. Morin
La foi aveugle est le plus mauvais de tous les principes ! Croire avec ferveur à un dogme quelconque, lorsque la saine raison se refuse à l'accepter comme une vérité, c'est faire acte de nullité et se priver volontairement du plus beau de tous les dons que nous ait faits le Créateur ; c'est renoncer à la liberté de juger, au libre arbitre qui doit présider à toutes choses dans la mesure de la justice et de la raison.
Généralement, les hommes sont insouciants et ne croient à une religion que par acquit de conscience, et pour ne pas rejeter tout à fait ces bonnes et douces prières qui ont bercé leur jeunesse, et que leur mère leur apprenait auprès du foyer, lorsque le soir apportait avec lui l'heure du sommeil ; mais si ce souvenir se présente quelquefois à leur esprit, c'est le plus souvent avec un sentiment de regret qu'ils font un retour vers ce passé où les soucis de l'âge mûr étaient encore enfouis dans la nuit de l'avenir.
Oui, tout homme regrette cet âge d'insouciance, et bien peu peuvent songer à leurs jeunes années !… Mais qu'en reste-t-il un instant après ?… – Rien !…
J'ai commencé à dire que la foi aveugle était pernicieuse ; mais il ne faudrait pas toujours rejeter comme foncièrement mauvais tout ce qui paraît entaché d'abus, composé d'erreurs et surtout inventé à plaisir pour la gloire des orgueilleux et le bénéfice des intéressés.
Spirites, vous devez savoir mieux que personne que rien ne s'accomplit sans la volonté du Maître suprême ; c'est donc à vous de bien réfléchir avant de formuler votre jugement. Les hommes sont vos frères incarnés, et il est possible que nombre de travaux des temps anciens soient vos œuvres accomplies dans une existence antérieure. Les Spirites doivent avant tout être logiques avec leur enseignement, et ne point jeter la pierre aux institutions et aux croyances d'un autre âge, par cela seul qu'elles sont d'un autre âge. La société actuelle a eu besoin, pour devenir ce qu'elle est, que Dieu lui départît peu à peu la lumière et le savoir.
Il ne vous appartient donc pas de juger si les moyens employés par lui étaient bons ou mauvais. N'acceptez que ce qui vous semble rationnel et logique ; mais n'oubliez pas que les vieilles choses ont eu leur jeunesse, et que ce que vous enseignez aujourd'hui deviendra vieux à son tour. Respect donc à la vieillesse ! Les vieillards sont vos pères, comme les vieilles choses ont été les précurseurs des choses nouvelles. Rien ne vieillit, et si vous manquez à ce principe pour tout ce qui est vénérable, vous manquez à votre devoir, vous mentez à la doctrine que vous professez.
Les vieilles croyances ont élaboré la rénovation qui commence à s'accomplir !… Toutes, en tant qu'elles n'étaient pas exclusivement matérielles, possédaient une étincelle de la vérité. Regrettez les abus qui se sont introduits dans l'enseignement philosophique, mais pardonnez aux erreurs d'un autre âge, si vous voulez à votre tour être excusés dans les vôtres ultérieurement. Ne donnez pas votre foi à ce qui vous paraît mauvais, mais ne croyez pas non plus que tout ce qui vous est enseigné aujourd'hui soit l'expression de la vérité absolue. Croyez qu'à chaque époque Dieu élargit l'horizon des connaissances en raison du développement intellectuel de l'humanité.
Lacordaire.
La Comédie humaine
Paris, groupe Desliens, 29 novembre 1866. Médium, M. Desliens
La vie de l'Esprit incarné est comme un roman, ou plutôt comme une pièce de théâtre, dont chaque jour on parcourrait un feuillet contenant une scène. L'auteur, c'est l'homme ; les personnages sont les passions, les vices et les vertus, la matière et l'intelligence, se disputant la possession du héros qui est l'Esprit. Le public, c'est le monde en général pendant l'incarnation, les Esprits dans l'erraticité, et le censeur qui examine la pièce pour la juger en dernier ressort et décerner un blâme ou une louange à l'auteur, c'est Dieu.
Faites donc en sorte de vous faire applaudir le plus souvent possible et de n'entendre que rarement le bruit du sifflet résonner désagréablement à votre oreille. Que l'intrigue soit toujours simple, et ne cherchez l'intérêt que dans les situations naturelles qui puissent servir à faire triompher la vertu, à développer l'intelligence et à moraliser le public.
Pendant l'exécution de l'œuvre, la cabale mise en mouvement par l'envie, peut essayer de critiquer les meilleurs passages, et n'encenser que ceux qui sont médiocres ou mauvais. Fermez l'oreille à ces flatteries, et souvenez-vous que la postérité vous appréciera à votre juste valeur ! Vous laisserez un nom obscur ou illustre, entaché de hontes ou couvert de gloire selon le monde ; mais, lorsque la pièce sera finie et que le rideau, tiré sur la dernière scène, vous mettra en présence du régisseur universel, du directeur infiniment puissant du théâtre où se passe la comédie humaine, il n'y aura ni flatteurs, ni courtisans, ni envieux, ni jaloux : vous serez seuls avec le juge suprême, impartial, équitable, juste.
Que votre œuvre soit sérieuse et moralisatrice, car c'est la seule qui ait quelque poids dans la balance du Tout-Puissant.
Il faut que chacun rende à la société au moins ce qu'il en reçoit. Celui qui, en ayant reçu l'assistance corporelle et spirituelle qui lui permet de vivre, s'en va sans restituer au moins ce qu'il a dépensé, est un voleur, car il a gaspillé une part du capital intelligent et il n'a rien produit.
Tout le monde ne peut pas être homme de génie, mais tous peuvent et doivent être honnêtes, bons citoyens, et rendre à la société ce que la société leur a prêté.
Pour que le monde soit en progrès, il faut que chacun laisse un souvenir utile de sa personnalité, une scène de plus à ce nombre infini de scènes utiles que les membres de l'humanité ont laissées depuis que votre terre sert de lieu d'habitation à des Esprits.
Faites donc qu'on lise avec intérêt chacun des feuillets de votre roman, et qu'on ne le parcoure pas seulement du regard, pour le fermer avec ennui, avant d'en avoir lu la moitié.
Eugène Sue.