REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868

Allan Kardec

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Le parti spirite

Un de nos correspondants de Sens nous a transmis les observations suivantes sur la qualification de parti donné au Spiritisme, à propos de notre article du mois de juillet sur le même sujet.

« Dans un article du dernier numéro de la Revue, intitulé : Le parti spirite, vous dites que puisqu'on donne ce nom au Spiritisme, il l'accepte. Mais doit-il l'accepter ? cela mérite peut-être un examen sérieux.

Toutes les religions, ainsi que le Spiritisme, n'enseignent-elles pas que tous les hommes sont frères, qu'ils sont tous les enfants d'un père commun qui est Dieu ? Or, devrait-il y avoir des partis parmi les enfants de Dieu ? N'est-ce pas une offense au Créateur ? car le propre des partis est d'armer les hommes les uns contre les autres ; et l'imagination peut-elle concevoir un plus grand crime que d'armer les enfants de Dieu les uns contre les autres ?

Telles sont, monsieur, les réflexions que j'ai cru devoir soumettre à notre appréciation ; peut-être serait-il opportun de les soumettre aussi à celle des bienveillants Esprits qui guident les travaux du Spiritisme, afin de connaître leur avis. Cette question est peut-être plus grave qu'elle ne le paraît au premier abord ; pour ma part, il me répugnerait d'appartenir à un parti ; je crois que le Spiritisme doit considérer les partis comme une offense à Dieu. »

Nous sommes parfaitement de l'avis de notre honorable correspondant, dont nous ne pouvons que louer l'intention ; nous croyons, cependant, ses scrupules un peu exagérés dans le cas dont il s'agit, faute sans doute d'avoir suffisamment examiné la question.

Le mot parti implique, par son étymologie, l'idée de division, de scission, et, par suite, celle de lutte, d'agression, de violence, d'intolérance, de haine, d'animosité, de vindication, toutes choses contraires à l'esprit du Spiritisme. Le Spiritisme n'ayant aucun de ces caractères puisqu'il les répudie, par ses tendances mêmes n'est point un parti par l'acception vulgaire du mot, et notre correspondant a grandement raison de repousser cette qualification à ce point de vue.

Mais au nom de parti s'attache aussi l'idée d'une puissance, physique ou morale, assez forte pour peser dans la balance, assez prépondérante pour qu'on ait à compter avec elle ; en l'appliquant au Spiritisme, peu connu ou méconnu, c'était lui donner un acte de notoriété d'existence, un rang parmi les opinions, constater son importance, et, comme conséquence, en provoquer l'examen, ce qu'il ne cesse de demander. Sous ce rapport, il devait d'autant moins répudier cette qualification, tout en faisant ses réserves sur le sens à y attacher, que, partie de haut, elle donnait un démenti officiel à ceux qui prétendent que le Spiritisme est un mythe sans consistance, qu'ils s'étaient flattés d'avoir vingt fois enterré. On a pu juger de la portée de ce mot à l'ardeur maladroite avec laquelle certains organes de la presse s'en sont emparés pour en faire un épouvantail.

C'est par cette considération, et dans ce sens, que nous avons dit que le Spiritisme accepte le titre de parti, puisqu'on le lui donne, car c'était le grandir aux yeux du public ; mais nous n'avons point entendu lui faire perdre sa qualité essentielle, celle de doctrine philosophique moralisatrice, qui fait sa gloire et sa force ; loin de nous donc la pensée de transformer en partisans les adeptes d'une doctrine de paix, de tolérance, de charité et de fraternité. Le mot parti, d'ailleurs, n'implique pas toujours l'idée de lutte, de sentiments hostiles ; ne dit-on pas : le parti de la paix, le parti des honnêtes gens ? Le Spiritisme a déjà prouvé, et prouvera toujours qu'il appartient à cette catégorie.

Du reste, quoi qu'il fasse, le Spiritisme ne peut s'empêcher d'être un parti. Qu'est-ce, en effet, qu'un parti, abstraction faite de l'idée de lutte ? c'est une opinion qui n'est partagée que par une partie de la population ; mais cette qualification n'est donnée qu'aux opinions qui comptent un nombre d'adhérents assez considérable pour appeler l'attention et jouer un rôle. Or, l'opinion spirite n'étant pas encore celle de tout le monde, est nécessairement un parti par rapport aux opinions contraires qui le combattent, jusqu'à ce qu'il les ait ralliées toutes. En vertu de ses principes, il n'est pas agressif ; il ne s'impose pas ; il ne subjugue pas ; il ne demande pour lui que la liberté de penser à sa manière, soit ; mais du moment qu'il est attaqué, traité en paria, il doit se défendre, et revendiquer pour lui ce qui est de droit commun ; il le doit, c'est son devoir, sous peine d'être accusé de renier sa cause qui est celle de tous ses frères en croyance, qu'il ne pourrait abandonner sans lâcheté. Il entre donc forcément en lutte, quelque répugnance qu'il en éprouve ; il n'est l'ennemi de personne, c'est vrai ; mais il a des ennemis qui cherchent à l'écraser : c'est par sa fermeté, sa persévérance et son courage qu'il leur imposera ; ses armes sont tout autres que celles de ses adversaires, c'est encore vrai ; mais il n'en est pas moins pour eux, et malgré lui, un parti, car ils ne lui auraient pas donné ce titre, s'ils ne l'avaient pas jugé assez fort pour les contrebalancer.

Tels sont les motifs pour lesquels nous avons cru que le Spiritisme pouvait accepter la qualification de parti qui lui était donnée par ses antagonistes, sans qu'il l'ait prise de lui-même, parce que c'était relever le gant qui lui était jeté ; nous avons pensé qu'il le pouvait sans répudier ses principes.


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