REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868

Allan Kardec

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Le Spiritisme partout

La littérature contemporaine, périodique et autre, s'empreint chaque jour d'idées spirites, tant il est vrai, comme nous l'avons dit depuis longtemps, que ces idées sont une mine féconde pour les travaux d'imagination, riche en tableaux poétiques et en situations attachantes ; aussi les écrivains y puisent-ils déjà à pleines mains. Les doctrines matérialistes leur offrent un champ trop borné, trop prosaïque ; qu'en peut-on tirer qui soit de nature à toucher le cœur, à élever la pensée ? quelle poésie offre la perspective du néant, de la destruction éternelle de soi-même et de ceux que l'on affectionne ? Le matérialiste sent le besoin de parler à l'âme de ses lecteurs s'il ne veut les glacer ; d'en prêter une à ses personnages s'il veut qu'on s'y intéresse. De tout temps, les poètes et les littérateurs ont emprunté aux idées spiritualistes leurs plus belles images et leurs situations les plus émouvantes ; mais aujourd'hui le Spiritisme, en précisant les croyances en l'avenir, donne aux pensées un corps, une accentuation qu'elles n'avaient pas ; il ouvre un nouveau champ que l'on commence à explorer. Nous en avons déjà cité de nombreux exemples, et nous continuerons à le faire, de temps en temps, parce que c'est un signe caractéristique de la réaction qui s'opère dans les idées.

Outre les œuvres littéraires proprement dites, la presse enregistre aussi chaque jour des faits qui rentrent dans le cadre du Spiritisme.

La Comtesse de Monte-Cristo.

Sous ce titre, la Petite Presse publie un roman-feuilleton dans lequel on trouve les passages suivants, extraits des chapitres XXX et XXXI :

« – Mon paradis, chère mère, disait à la comtesse de Monte-Cristo sa fille mourante, ce sera de rester près de toi, près de vous ! toujours vivante dans vos pensées, vous écoutant et vous répondant, causant tout bas avec vos âmes.

Quand la fleur embaumera dans le jardin, et que tu la porteras à tes lèvres, je serai dans la fleur et c'est moi qui recevrai le baiser ! Je me ferai aussi le rayon, le souffle qui passe, le murmure qui bruit. Le vent qui agitera tes cheveux sera ma caresse ; l'odeur qui des lilas fleuris s'élèvera vers ta fenêtre, ce sera mon souffle ; le chant lointain qui te fera pleurer, ce sera ma voix !……

Mère, ne blasphème pas ! Point de colère contre Dieu ! Hélas ! ces colères et ces blasphèmes nous sépareraient peut-être à jamais.

Tant que tu resteras ici-bas, je me ferai ta compagne d'exil ; mais plus tard, lorsque, résignée aux volontés de notre Père qui est aux cieux, tu auras à ton tour fermé tes yeux pour ne plus les rouvrir, alors je serai à mon tour à ton chevet, attendant ta délivrance ; et, ivres d'une joie éternelle, nos deux cœurs, réunis à jamais, enlacés pour l'éternité, s'envoleront d'un même essor vers le ciel clément. Comprends-tu cette joie, mère ? ne jamais se quitter, toujours s'aimer, toujours ! Former, pour ainsi dire, à la fois deux êtres distincts et un seul être ; être toi et moi en même temps ? Aimer et savoir que l'on est aimée, et que la mesure de l'amour que l'on inspire est celle même de celui que l'on éprouve ?

Ici-bas, nous ne nous connaissons point ; je t'ignore comme tu m'ignores ; entre nos deux Esprit nos deux corps font obstacle ; nous ne nous voyons que confusément à travers le voile de la chair. Mais là-haut, nous lirons clairement dans le cœur l'une de l'autre. Et savoir à quel point l'on s'aime, c'est le véritable paradis, vois-tu !

Hélas ! toutes ces promesses d'un bonheur mystique et infini, loin de calmer les angoisses d'Hélène, ne faisaient que les rendre plus intenses, en lui faisant mesurer la valeur du bien qu'elle allait perdre.

Par intervalles, cependant, au vent de ces paroles inspirées, l'âme d'Hélène s'envolait presque jusqu'aux hauteurs sereines où planait celle de la Pippione. Ses larmes s'arrêtaient, le calme rentrait dans son sein bouleversé ; il lui semblait que des êtres invisibles flottaient dans la chambre, soufflant à Blanche les mots à mesure qu'elle les prononçaient.

L'enfant s'était endormie, et, dans son rêve, elle semblait converser avec quelqu'un qu'on ne voyait pas, écouter des voix qu'elle seule entendait, et leur répondre.

Tout à coup, un brusque tressaillement agita ses membres frêles, elle ouvrit tout larges ses grands yeux et appela sa mère, qui rêvait accoudée à la fenêtre.

Elle s'approcha du lit, et la Pippione saisit sa main d'une main moite déjà des dernières sueurs.

– L'instant est venu, dit-elle. Cette nuit est la dernière. Ils m'appellent, je les entends ! Je voudrais bien rester encore, pauvre mère, mais je ne peux, leur volonté est plus forte que la mienne ; ils sont là-haut qui me font signe.

– Folie ! s'écria Hélène ! vision ! rêve ! Toi mourir aujourd'hui, ce soir, entre mes bras ! est-ce que c'est possible, cela ?

– Non, pas mourir, fit la Pippione ; naître ! je sors du rêve au lieu d'y entrer ; le cauchemar est fini, je m'éveille. Oh ! si tu savais comme c'est beau, et quelle lumière brille ici, auprès de laquelle votre soleil n'est qu'une tache noire !

Elle se laissa aller sur les coussins, resta un instant silencieuse, puis reprit :

– Les instants sont courts que j'ai à passer auprès de vous. Je veux que vous soyez tous là pour me dire ce que vous appelez un éternel adieu, ce qui n'est, en réalité, qu'un revoir prochain. Tous, entends-tu bien ? Toi d'abord, le bon docteur, Ursule, et Cyprienne, et Joseph.

Ce nom fut prononcé plus bas que les autres, c'était le dernier soupir, le dernier regret humain de la Pippione. A partir de cet instant, elle appartenait tout entière au ciel……

– C'était ma fille !

– C'était !… répéta d'une voix presque paternelle le docteur Ozam, en attirant Hélène contre sa poitrine. C'était !… donc ce n'est plus… Que reste-t-il ici ? un peu de chair à demi décomposée, des nerfs qui ne vibrent plus, du sang qui s'épaissit, des yeux sans regard, une gorge sans voix, des oreilles qui n'entendent plus, un peu de fange !

Votre fille ! ce cadavre dans lequel la nature féconde fait déjà germer la vie inférieure qui en disséminera les éléments ? – Votre fille, cette fange qui demain verdira en herbe, fleurira en roses, et rendra au sol toutes les forces vives qu'elle lui a dérobées ? Non, non, – ceci n'est point votre fille ! ceci n'est que le vêtement délicat et charmant qu'elle s'était fait pour traverser notre vie d'épreuves, un haillon qu'elle a abandonné dédaigneusement, comme une robe usée que l'on jette !

Si vous voulez avoir un souvenir vivant de votre fille, pauvre femme, il faut regarder ailleurs… et plus haut.

– Vous y croyez donc aussi, docteur, demanda-t-elle, à cette autre vie ? On vous disait matérialiste.

Le docteur eut un doux sourire ironique.

– Peut-être le suis-je, mais non de la façon dont vous l'entendez.

Ce n'est point à une autre vie que je crois, mais à la vie éternelle, à la vie qui n'a point commencé et qui, par conséquent, n'aura point de fin. – Chacun des êtres, égal aux autres au début, fait pour ainsi dire l'éducation de son âme, et en augmente les facultés et la puissance, dans la mesure de ses mérites et de ses actes. Conséquence immédiate de cette augmentation : cette âme plus parfaite agrège tout autour d'elle une enveloppe plus parfaite également. Puis enfin, un jour arrive où cette enveloppe ne lui suffit plus, et alors, comme on dit, l'âme brise le corps.

Mais elle le brise pour en trouver un autre plus en rapport avec ses besoins et ses qualités nouvelles ? Où ? Qui sait ? Peut-être dans un de ces mondes supérieurs qui étincellent sur nos têtes, dans un monde où elle trouvera un corps plus parfait, doué d'organes plus sensibles, par cela même meilleure et plus heureuse !...

Nous-mêmes, êtres parfaits, doués dès le premier jour de tous les sens qui nous mettent en rapport avec la nature extérieure, combien d'efforts ne nous faut-il pas ! Quels travaux latents ne sont-ils pas nécessaires pour que l'enfant devienne homme, l'être ignorant et faible, roi de la terre ! Et, sans cesse, jusqu'à la mort, les courageux et les bons persévèrent dans cette voie ardue du travail ; ils élargissent leur intelligence par l'étude, leur cœur par le dévouement. Voilà le travail mystérieux de la chrysalide humaine, le travail par lequel elle acquiert le pouvoir et le droit de briser l'enveloppe du corps et de planer avec des ailes. »

Remarque. – L'auteur, qui avait gardé jusqu'ici l'anonyme, est M. du Boys, jeune écrivain dramatique ; à certaines expressions presque textuelles, on voit évidemment qu'il s'est inspiré de la doctrine.




Le baron Clootz

Sous le titre de : Un vœu humanitaire, Anacharsis Clootz, baron prussien, conventionnel français, à ses concitoyens de Paris et de Berlin, le Progrès de Lyon, du 27 avril 1867, publiait, sous forme d'une lettre censément écrite de l'autre monde, par le conventionnel Clootz, un assez long article commençant ainsi :

« Dans l'autre monde que j'habite depuis la terrible journée du 24 mars 1794, qui m'a, je l'avoue, quelque peu désillusionné sur les hommes et sur les choses, le seul mot de guerre garde le privilège de me rappeler aux préoccupations de la politique terrestre. Ce que j'ai le plus aimé, que dis-je ? adoré et servi, lorsque j'habitais votre planète, c'est la fraternité des peuples et la paix. A ce grand objet d'étude et d'amour, j'ai donné un gage assez sérieux : ma tête, dont mes cent mille livres de rente accroissaient aux yeux de bien des gens l'importante valeur. Ce qui me consolait même quelque peu en montant les marches de l'échafaud, c'étaient les considérants par lesquels Saint-Just venait de justifier mon arrestation. Il y était dit, s'il m'en souvient bien, que désormais la paix, la justice et la probité seraient mises à l'ordre du jour. J'eusse donné ma vie, je le déclare hautement sans hésiter, et deux fois plutôt qu'une, pour obtenir la moitié de ce résultat. Et notez, s'il vous plaît, que mon sacrifice était plus complet et plus profond que n'aurait pu être celui de la plupart de mes collègues. J'étais de bonne foi et gardais le respect de la justice au fond du cœur ; mais, sans parler des cultes que j'avais en horreur, l'Être suprême de Robespierre lui-même m'agaçait les nerfs, et la vie future avait pour moi l'apparence d'un joli conte de fées. Vous me demanderez sans doute ce qu'il en est. Avais-je tort ? avais-je raison ? C'est là le grand secret des morts. Jugez vous-même à vos risques et périls. Il paraît toutefois que j'allais un peu loin, puisque, dans cette occasion solennelle, il m'est permis de vous écrire. »

L'article étant exclusivement politique, et sortant de notre cadre, nous n'en citons que ce fragment pour montrer qu'en ces graves sujets même, on peut tirer parti de l'idée des morts s'adressant aux vivants pour continuer auprès d'eux des relations interrompues. Le Spiritisme voit à chaque instant cette fiction se réaliser. Il est plus que probable que c'est lui qui a donné l'idée de celle-ci ; du reste, elle serait donnée comme réelle qu'il ne la désavouerait pas.




Métempsycose

« Connaissez-vous la cause des bruits qui nous arrivent ? disait madame Des Genêts. Est-ce quelque nouvelle scène de tigres déchaînés que nous préparent ces messieurs ?

– Rassurez-vous, chère amie, tout est en sûreté : nos vivants et nos morts. Entendez la ravissante mélodie du rossignol qui chante dans ce saule ! C'est peut-être l'âme de l'un de nos martyrs qui plane autour de nous sous cette forme aimable. Les morts ont de ces privilèges ; et je me persuade volontiers qu'ils reviennent souvent ainsi auprès de ceux qu'ils ont aimés.

– Oh ! si vous disiez vrai ! exclama vivement madame Des Genêts.

– J'y crois sincèrement, fit la jeune duchesse. Il est si bon de croire aux choses consolantes ! Du reste, mon père, qui est très savant, comme vous ne l'ignorez pas, m'a assuré que cette croyance avait été répandue anciennement par de grands philosophes. Lesage, lui, y croit aussi. »

Ce passage est tiré d'un roman-feuilleton intitulé : Le Cachot de la Tour des pins, par Paulin Capmal, publié par la Liberté du 4 novembre 1867. Ici, l'idée n'est point empruntée à la doctrine spirite, puisque celle-ci a de tout temps enseigné et prouvé que l'âme humaine ne peut renaître dans un corps animal, ce qui n'empêche pas certains critiques, qui n'ont pas lu le premier mot du Spiritisme, de répéter qu'il professe la métempsycose ; mais c'est toujours la pensée de l'âme individuelle survivant au corps, revenant sous une forme tangible auprès de ceux qu'elle a aimés. Si l'idée n'est pas spirite, elle est au moins spiritualiste, et mieux vaudrait encore croire à la métempsycose que de croire au néant. Cette croyance, au moins, n'est pas désespérante comme le matérialisme ; elle n'a rien d'immoral, au contraire ; elle a conduit tous les peuples qui l'ont professée à traiter les animaux avec douceur et bienfaisance. Cette exclamation : Il est si bon de croire aux choses consolantes, est le grand secret du succès du Spiritisme.




Enterrement de M. Marc Michel

On lit dans le Temps du 27 mars 1868 :

« Hier, à l'enterrement de M. Marc Michel, M. Jules Adenis a dit adieu, au nom de la Société des auteurs dramatiques, à l'écrivain que la comédie joyeuse et légère vient de perdre.

Je trouve cette phrase dans son discours :

C'est Ferdinand Langlé qui, récemment, a précédé dans la tombe celui que nous pleurons aujourd'hui… Et qui le sait ? qui le peut dire ?… de même que nous accompagnons ici cette dépouille mortelle, peut-être l'âme de Langlé est-elle venue recevoir l'âme de Marc Michel sur le seuil de l'éternité.

C'est à coup sûr la faute de mon esprit trop léger, mais j'avoue qu'il m'est difficile de me représenter, avec la gravité convenable, l'âme de l'auteur du Sourd, du Camarade de lit, d'Une sangsue, de la Grève des portiers, venant recevoir sur le seuil de l'éternité, l'âme de l'auteur de Maman Sabouleux, de Mesdames de Montenfriche, d'un Tigre du Bengale et de la Station de Champbaudet.

X. Feyrnet. »

La pensée émise par M. Jules Adenis est du plus pur Spiritisme. Supposons que l'auteur de l'article, M. Feyrnet, qui a peine à conserver une gravité convenable en entendant dire que l'âme de M. Lauglé est peut-être présente, et vient recevoir l'âme de Marc Michel, ait pris la parole à son tour et se soit exprimé ainsi : « Messieurs, on vient de vous dire que l'âme de notre ami Langlé est ici, qu'elle nous voit et nous entend ! Il ne manquerait plus que d'ajouter qu'elle peut nous parler. N'en croyez pas un mot ; l'âme de Langlé n'existe plus ; ou bien, ce qui revient au même, elle s'est fondue dans l'immensité. De Marc Michel, il n'en reste pas davantage ; il en sera même de vous quand vous mourrez, de vos parents et de vos amis. Espérer qu'ils vous attendent, qu'ils viendront vous recevoir au débarqué de la vie, c'est de la folie, de la superstition, de l'illuminisme. Le positif, le voici : Quand on est mort, tout est fini. » Lequel des deux orateurs aurait trouvé le plus de sympathie parmi les assistants ? Lequel aurait séché le plus de larmes, donné le plus de courage et de résignation aux affligés ? Le malheureux qui n'attend plus de soulagement en ce monde ne serait-il pas fondé à lui dire : « S'il en est ainsi, finissons-en le plus tôt possible avec la vie ? » Il faut plaindre M. Feyrnet de ne pouvoir garder son sérieux à l'idée que son père et sa mère, s'il les a perdus, vivent encore, qu'ils veillent à son chevet, et qu'il les reverra.

Un rêve

Extrait du Figaro, du 12 avril 1868 :

« Quelque extraordinaire que paraisse le récit suivant, l'auteur, en déclarant le tenir du vice-président du Corps législatif lui-même (le baron Jérôme David), donne à ces paroles une incontestable autorité.

Pendant son séjour à Saint-Cyr, David fut témoin d'un duel entre deux de ses camarades de promotion, Lambert et Poirée. Ce dernier reçut un coup d'épée et alla se guérir à l'infirmerie, où son ami David montait le voir tous les jours.

Un matin, Poirée lui parut singulièrement troublé ; il le pressa de questions et finit par lui arracher l'aveu que son émotion venait d'un simple cauchemar.

– Je rêvais que nous étions au bord d'une rivière, je recevais une balle au front, au-dessus de l'œil, et tu me soutenais dans tes bras ; je souffrais beaucoup et je me sentais mourir ; je te recommandais ma femme et mes enfants, quand je me suis éveillé,

– Mon cher, tu as la fièvre, lui répondit David en riant ; remets-toi, tu es dans ton lit, tu n'es pas marié et tu n'as pas de balle au-dessus de l'œil ; c'est un rêve tout bêtement ; ne te tourmente pas ainsi, si tu veux guérir vite.

– C'est singulier, murmura Poirée, je n'ai jamais cru aux songes, je n'y crois pas, et pourtant je suis bouleversé.

Dix ans après, l'armée française débarquait en Crimée ; les saint-cyriens s'étaient perdus de vue. David, officier d'ordonnance attaché à la division du prince Napoléon, reçut l'ordre d'aller découvrir un gué en remontant l'Alma. Pour empêcher les Russes de le faire prisonnier, on fit soutenir cette reconnaissance par une compagnie de voltigeurs, prise dans le régiment le plus rapproché. Les Russes faisaient pleuvoir une grêle de balles sur les hommes d'escorte, qui se déployèrent en tirailleurs pour riposter.

Dix minutes ne s'étaient pas écoulées qu'un de nos officiers roula à terre, mortellement atteint. Le capitaine David sauta à bas de cheval et courut le relever ; il lui appuya la tête sur son bras gauche et, détachant la gourde pendue à sa ceinture, il l'approcha des lèvres du blessé. Un trou béant au-dessus de l'œil ensanglantait la figure ; un soldat apporta un peu d'eau et la versa sur la tête du moribond, qui râlait déjà.

David regarde avec attention les traits qu'il lui semble reconnaître, un nom est prononcé à côté de lui, plus de doute, c'est lui, c'est Poirée ! Il l'appelle, ses yeux s'ouvrent, le mourant reconnaît à son tour le camarade de Saint-Cyr…

– David ! toi ici ?… Le rêve… ma femme…

Ces mots entrecoupés n'étaient pas finis que déjà la tête retombait inerte sur le bras de David. Poirée était mort, laissant sa femme et ses enfants au souvenir et à l'amitié de David.

Je n'oserais pas raconter une pareille histoire si je ne l'avais entendue moi-même de l'honorable vice-président du Corps législatif.

Vox populi. »

A quel propos le narrateur ajoute-t-il ces mots : Vox populi ? On pourrait les entendre ainsi : Les faits de cette nature sont tellement fréquents, qu'ils sont attestés par la voix du peuple, c'est-à-dire par un assentiment général.




Esprits frappeurs en Russie

On nous adresse de Riga, en date du 8 avril 1868, l'extrait ci-après du Courrier russe, de Saint-Pétersbourg :

« Croyez-vous aux Esprits frappeurs ? Pour moi, pas du tout ; et cependant je viens de voir un fait matériel, palpable, qui sort tellement des règles du sens commun, et aussi tellement en désaccord avec les principes de stabilité ou de pesanteur des corps que m'a inculqués mon professeur de quatrième, que je ne sais quel est le plus frappé des deux, l'Esprit ou moi. – Notre secrétaire à la rédaction reçut l'autre jour un monsieur à la mine convenable, d'un âge à ne pouvoir lui attribuer l'idée d'une mauvaise plaisanterie ; salutation, présentation, etc. ; le tout achevé, ce monsieur raconte qu'il vient à notre bureau chercher un conseil ; que ce qui lui arrive est tellement en dehors de tous les faits de la vie sociale, qu'il croit de son devoir de le publier.

– Ma maison, dit-il, est pleine d'Esprits frappeurs ; chaque soir sur les dix heures, ils commencent leurs exercices, transportant les objets les moins transportables, frappant, sautant, et mettant, en un mot, tout mon appartement sens dessus dessous. J'ai eu recours à la police, un soldat a couché chez moi plusieurs nuits, le désordre n'a pas cessé, encore qu'à chaque alarme il ait tiré son sabre d'une façon menaçante. Ma maison est isolée, je n'ai qu'un serviteur, ma femme et ma fille, et quand ces faits se passent, nous sommes réunis. Je demeure dans une rue très éloignée, au Vassili-Ostroff.

J'étais entré pendant la conversation, et l'écoutais la bouche béante ; je vous l'ai dit, je ne crois pas aux Esprits frappeurs, mais là, pas du tout. J'expliquai à ce monsieur que pour donner de la publicité à ces faits, encore fallait-il que nous fussions convaincus de leur existence, et lui proposai d'aller me rendre compte moi-même de la chose. Nous prîmes rendez-vous pour le soir, et à neuf heures j'étais à la maison de mon homme. On m'introduit dans un petit salon, meublé assez confortablement ; j'examine la disposition des pièces : il n'y en avait que quatre, dont une cuisine, le tout occupant tout l'étage d'une maison de bois ; personne ne demeure au-dessus, le dessous est occupé par un magasin. Vers les dix heures, nous étions réunis au salon, mon homme, sa femme, sa fille, la cuisinière et moi. Une demi-heure, rien de nouveau ! Tout à coup une porte s'ouvre et une galoche tombe au milieu de la chambre ; je crois à un compère, et je voulais m'assurer que l'escalier était vide, quand ma galoche saute sur un meuble et de là de nouveau sur le plancher ; puis ce fut le tour des chaises dans la chambre voisine, qui n'avait d'issue que par celle que nous occupions, et que je venais de trouver parfaitement vide. Au bout d'une heure seulement le silence se rétablit, et l'Esprit, les Esprits, l'adroit compère, ou le Dieu sait quoi, disparut, nous laissant dans une stupéfaction qui, je vous assure, n'avait rien de joué. Voici les faits, je les ai vus, de mes yeux vus ; je ne me charge pas de vous les expliquer ; si vous désirez chercher l'explication vous-même, nous tenons à votre disposition tous les renseignements pour aller faire vos observations sur les lieux.

Henri de Brenne. »




La famine en Algérie

Les détails donnés par les journaux sur le fléau qui décime en ce moment les populations arabes de l'Algérie n'ont rien d'exagéré, et sont confirmés par toutes les correspondances particulières. Un de nos abonnés de Sétif, M. Dumas, a bien voulu nous adresser une photographie représentant la foule des indigènes rassemblés devant la maison où on leur distribue des secours. Ce dessin, d'une vérité navrante, est accompagné de la notice imprimée suivante :

« Après les années successivement calamiteuses que notre grande colonie a traversées, un fléau plus terrible encore est venu s'abattre sur elle : la famine.

A peine les premières rigueurs de l'hiver s'étaient-elles fait sentir, qu'on voit à nos portes les Arabes mourant de faim ; ils arrivent par bandes nombreuses, à moitié nus, le corps exténué, pleurant de faim et de froid, implorant la commisération publique, disputant à la voracité des chiens quelques débris jetés avec les immondices sur la voie publique.

Quoique réduits eux-mêmes à de cruelles extrémités, les habitants de Sétif ne peuvent contempler d'un œil impassible une aussi profonde misère. Aussitôt, et spontanément, une commission de bienfaisance s'est organisée sous la présidence de M. Bizet, curé de Sétif ; une souscription est ouverte, chacun donne son obole, et, de suite, des secours quotidiens ont été distribués, au presbytère, à deux cent cinquante femmes ou enfants indigènes.

Dans les derniers jours de janvier, tandis qu'une neige abondante et longtemps désirée tombait sur nos contrées, on a pu faire mieux encore. Un fourneau a été installé dans un vaste local ; là, deux fois par jour, les membres de la commission distribuent des aliments, non plus à deux cent cinquante, mais à cinq cents femmes ou enfants indigènes ; là, enfin, ces malheureux trouvent un asile et un abri.

Mais, hélas ! les Européens sont obligés, et bien à contre-cœur, de limiter leurs secours aux femmes et aux enfants… Pour soulager toutes les misères, il faudrait une bonne partie du blé que les puissants caïds détiennent dans leurs silos ; cependant ils espèrent pouvoir continuer leurs distributions jusqu'au milieu du mois d'avril. »

Si nous n'avons pas ouvert, en cette circonstance, une souscription spéciale dans les bureaux de la Revue, c'est que nous savions que nos frères en croyance n'ont pas été les derniers à porter leur offrande dans les bureaux de leur circonscription ouverts à cet effet par les soins de l'autorité. Les dons qui nous ont été adressés à cet effet y ont été déposés.

M. le capitaine Bourgès, en garnison à Laghouat, nous écrit à ce sujet ce qui suit :

« Depuis quelques années, les fléaux se succèdent en Algérie : tremblements de terre, invasion des sauterelles, choléra, sècheresse, typhus, famine, misère profonde sont venus tour à tour atteindre les indigènes qui, expient maintenant leur imprévoyance et leur fanatisme. Les hommes et les animaux même meurent de faim, et s'éteignent sans bruit. La famine s'étend dans le Maroc et la Tunisie ; je crois cependant que l'Algérie est plus éprouvée. Vous ne sauriez croire combien l'on est ému en voyant ces corps hâves et chétifs cherchant partout leur nourriture, et la disputant aux chiens errants. Le matin, ces squelettes vivants accourent autour du camp et se précipitent sur les fumiers pour en extraire les grains d'orge non digérés par les chevaux, et dont ils se repaissent à l'instant. D'autres rongent des os pour en sucer la gélatine qui peut s'y trouver encore, ou mangent l'herbe rare qui croît aux alentours de l'oasis. Du milieu de cette misère surgit une débauche hideuse qui gagne les bas-fonds de la colonie, et répand dans les corps matériels ces plaies corrosives qui devaient être la lèpre de l'antiquité. Mes yeux se ferment pour ne pas voir tant de honte, et mon âme monte vers le Père céleste pour le prier de préserver les bons du contact impur, et donner aux hommes faibles la force de ne pas se laisser entraîner dans ce gouffre malsain.

L'humanité est encore bien loin du progrès moral que certains philosophes croient déjà accompli. Je ne vois autour de moi que des épicuriens qui ne veulent pas entendre parler de l'Esprit ; ils ne veulent pas sortir de l'animalité ; leur orgueil s'attribue une noble origine, et cependant leurs actes disent assez ce qu'ils furent jadis.

A voir ce qui se passe, on croirait vraiment que la race arabe est appelée à disparaître du sol, car, malgré la charité qu'on exerce envers elle et les secours qu'on lui porte, elle se complaît dans sa paresse, sans aucun sentiment de reconnaissance. Cette misère physique, provenant des plaies morales, a encore son utilité. L'égoïste, obsédé, coudoyé à toute heure par l'infortuné qui le suit, finit par ouvrir sa main, et son cœur ému ressent enfin les douces joies que procure la charité. Un sentiment qui ne s'effacera pas vient de naître, et peut-être même celui de la reconnaissance surgira-t-il dans le cœur de celui qu'on assiste. Un lien sympathique alors se forme ; de nouveaux secours viennent donner la vie au malheureux qui s'éteignait, et, du découragement, ce dernier passe à l'espérance. Ce qui paraissait un mal a fait naître un bien : un égoïste de moins et un homme courageux de plus. »

Les Esprits ne se sont pas trompés quand ils ont annoncé que des fléaux de toutes sortes ravageraient la terre. On sait que l'Algérie n'est pas le seul pays éprouvé. Dans la Revue de juillet 1867, nous avons décrit la terrible maladie qui sévissait depuis un an à l'île Maurice ; une lettre récente dit qu'à la maladie sont venus s'ajouter de nouveaux malheurs, et bien d'autres contrées sont en ce moment victimes d'événements désastreux.

Faut-il accuser la Providence de toutes ces misères ? Non, mais l'ignorance, l'incurie, suite de l'ignorance, l'égoïsme, l'orgueil et les passions des hommes, Dieu ne veut que le bien ; il a tout fait pour le bien ; il a donné aux hommes les moyens d'être heureux : c'est à eux de les appliquer s'ils ne veulent acquérir l'expérience à leurs dépens. Il serait facile de démontrer que tous les fléaux pourraient être conjurés, ou tout au moins atténués de manière à en paralyser les effets ; c'est ce que nous ferons ultérieurement dans un ouvrage spécial. Les hommes ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes des maux qu'ils endurent ; l'Algérie nous offre en ce moment un remarquable exemple : ce sont les populations arabes, insouciantes et imprévoyantes, abruties par le fanatisme, qui souffrent de la famine, tandis que les Européens ont su s'en préserver ; mais il est d'autres fléaux non moins désastreux contre lesquels ces derniers n'ont pas encore su se prémunir.

La violence même du mal contraindra les hommes à chercher le remède, et quand ils auront inutilement épuisé les palliatifs, ils comprendront la nécessité d'attaquer le mal dans la racine même, par des moyens héroïques. Ce sera l'un des résultats de la transformation qui s'opère dans l'humanité.

Mais, dira-t-on, qu'importe à ceux qui souffrent maintenant le bonheur des générations futures ? Ils auront eu la peine et les autres le profit ; ils auront travaillé, supporté le fardeau de toutes les misères inséparables de l'ignorance, préparé les voies, et les autres, parce que Dieu les aura fait naître en des temps meilleurs, récolteront. Que fait aux victimes des exactions du moyen âge le régime plus sain sous lequel nous vivons ? Peut-on appeler cela de la justice ?

Il est de fait que, jusqu'à ce jour, aucune philosophie, aucune doctrine religieuse n'avait résolu cette grave question, d'un si puissant intérêt, cependant, pour l'humanité. Le Spiritisme seul en donne une solution rationnelle par la réincarnation, cette clef de tant de problèmes que l'on croyait insolubles. Par le fait de la pluralité des existences, les générations qui se succèdent sont composées des mêmes individualités spirituelles qui renaissent à différentes époques, et profitent des améliorations qu'elles ont elles-mêmes préparées, de l'expérience qu'elles ont acquises dans le passé. Ce ne sont pas de nouveaux hommes qui naissent ; ce sont les mêmes hommes qui renaissent plus avancés. Chaque génération travaillant pour l'avenir travaille en réalité pour son propre compte. Le moyen âge fut assurément une époque bien calamiteuse ; les hommes de ce temps-là revivant aujourd'hui, bénéficient du progrès accompli, et sont plus heureux, parce qu'ils ont de meilleures institutions ; mais qui a fait ces institutions meilleures ? Ceux mêmes qui en avaient de mauvaises jadis ; ceux d'aujourd'hui devant revivre plus tard, dans un milieu encore plus épuré, récolteront ce qu'ils auront semé ; ils seront plus éclairés, et, ni leurs souffrances, ni leurs travaux antérieurs n'auront été en pure perte. Quel courage, quelle résignation cette idée, inculquée dans l'esprit des hommes, ne leur donnerait-elle pas ! (Voir la Genèse, chap. XVIII, nos 34 et 35.

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