« Monsieur,
Les adversaires du Spiritisme viennent d'imaginer,
pour le combattre, une nouvelle tactique ; elle consiste à faire paraître
sur le théâtre des spectres et fantômes impalpables que l'on représente comme
étant ceux du Spiritisme ; ces apparitions ont lieu tous les soirs à la
salle Robin, boulevard du Temple. J'ai assisté, hier, à la deuxième
représentation, et ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu M. Robin dire
à ses spectateurs : qu'il s'était proposé, par ces expériences, de
combattre l'étrange croyance de certaines personnes qui s'imaginent que les
Esprits font mouvoir des mains ou tourner des tables.
Je n'ai jamais compris, monsieur, pour mon compte,
l'analogie qu'il peut y avoir entre ces imitations créées par la physique
amusante et les manifestations spirites qui sont dans les lois de la
nature ; aussi de telles manœuvres ne sont guère à craindre pour les
adeptes du Spiritisme ; cependant, comme il ne faut pas laisser surprendre
la bonne foi du public, j'ai dû vous informer de ces faits, afin que vous leur
consacriez un article spécial dans la Revue, si vous le jugez convenable ;
et comme j'ai l'habitude d'agir, non dans l'ombre, mais au grand jour, je vous
autorise à faire de ma lettre tel usage qu'il vous plaira.
Recevez, etc.
Simond, étudiant en droit à Paris. »
Depuis quelque temps on parle d'une pièce fantastique
que l'on monte au théâtre du Châtelet, et où l'on doit, par un procédé nouveau
et secret, faire apparaître sur la scène des ombres-fantômes impalpables. Il
paraît que le secret a été éventé, puisque M. Robin l'exploite en ce moment.
Comme nous ne l'avons pas vu, nous ne pouvons rien dire sur le mérite de
l'imitation ; nous souhaitons pour lui qu'elle soit moins grossière que celle
qu'avaient imaginée M. et Mme Girroodd, Américains du Canada (quelques-uns
traduisent : Girod de Saint-Flour), pour simuler la transmission de pensée
à travers les murailles, et qui devait tuer sans retour les médiums et les
somnambules ; nous souhaitons surtout que son invention ne lui joue pas le
même mauvais tour qu'à eux. Quoi qu'il en soit, M. Simond a parfaitement raison
de penser que de telles manœuvres ne sont nullement à craindre, car, de ce
qu'on peut imiter une chose, il ne s'ensuit pas que la chose n'existe
pas ; les faux diamants n'ôtent rien à la valeur des diamants fins ;
les fleurs artificielles n'empêchent pas qu'il y ait des fleurs naturelles.
Prétendre prouver que certains phénomènes n'existent pas parce qu'on peut les
imiter, serait absolument comme si celui qui fabrique du vin de Champagne avec
de la poudre d'eau de Seltz prétendait prouver par là que le champagne et l'aï
n'existent que dans l'imagination. Jamais imitation ne fut plus ingénieuse,
plus adroite et plus spirituelle que celle de la double vue par Robert Houdin,
et cependant cela n'a nullement discrédité le somnambulisme, au contraire,
parce qu'après avoir vu la peinture, on a voulu voir l'original.
M. et Mme Girroodd avaient la prétention de tuer les
médiums en faisant passer tous les phénomènes spirites pour des tours
d'escamotage ; or, comme ces phénomènes sont le cauchemar de certaines
personnes, ils avaient recueilli les adhésions, étalées dans leurs prospectus,
de plusieurs prêtres et évêques spiritophobes, enchantés de ce coup de massue
donné au Spiritisme ; mais, dans leur joie, ces messieurs n'avaient pas
réfléchi que les phénomènes spirites viennent démontrer la possibilité des
faits miraculeux ; que prouver, si c'était possible, que ces phénomènes ne
sont que des tours d'adresse, c'est prouver qu'il peut en être de même des
miracles ; que, par conséquent, discréditer les uns c'était discréditer
les autres. On ne songe jamais à tout. Les tours de M. Girroodd étant
quelque peu usés, ces messieurs feront-ils maintenant cause commune avec M.
Robin pour ses apparitions ?
L'Indépendance belge, qui n'aime pas le Spiritisme,
nous ne savons trop pourquoi, puisqu'il ne lui a point fait de mal, en parlant
de ce nouveau truc scénique dans un numéro de juin, s'écriait :
« Voilà la religion de M. Allan Kardec coulée à fond ; comment le
Spiritisme va-t-il se relever de là ? » Remarquez que cette dernière
question a maintes fois été posée par tous ceux qui ont prétendu lui donner des
coups d'assommoir, sans en excepter M. l'abbé Marouzeau, et qu'il ne s'en porte
pas plus mal. Nous dirons à l'Indépendance que c'est prouver une ignorance
complète de la base même du Spiritisme de croire qu'il repose sur des
apparitions, et que les lui ôter, c'est lui ôter l'âme. Si le fait des
apparitions était officiellement controuvé, la religion en souffrirait plus que
le Spiritisme, puisque les trois quarts des miracles les plus importants n'ont
pas d'autre fondement. L'art scénique est l'art de l'imitation par excellence
depuis le poulet de carton jusqu'aux plus sublimes vertus, et il ne s'ensuit
pas qu'on ne doive croire ni aux poulets véritables ni aux vertus. Ce nouveau
genre de spectacle, par son étrangeté, va piquer la curiosité publique, et sera
répété sur tous les théâtres, parce qu'il fera gagner de l'argent ; il
fera parler du Spiritisme plus encore peut-être que les sermons, précisément à
cause de l'analogie que les journaux vont s'efforcer d'établir. Il faut bien se
persuader que tout ce qui tend à en préoccuper l'opinion, pousse forcément à
l'examen, ne serait-ce que par curiosité, et c'est de cet examen que sortent
les adeptes. Les sermons le représentent sous un aspect sérieux et terrible,
comme un monstre envahissant le monde et menaçant l'Eglise jusque dans ses
fondements ; les théâtres vont s'adresser à la foule des curieux, de sorte
que ceux qui ne fréquentent pas les sermons en entendront parler au théâtre, et
ceux qui ne fréquentent pas les théâtres en entendront parler au sermon ;
il y en a, comme on voit, pour tout le monde. C'est vraiment une chose
admirable de voir par quels moyens les puissances occultes qui dirigent ce
mouvement arrivent à le faire pénétrer partout en se servant de ceux mêmes qui
veulent le renverser. Il est bien certain que, sans les sermons d'un côté et
les facéties des journaux de l'autre, la population spirite serait aujourd'hui
dix fois moins nombreuse qu'elle ne l'est.
Nous disons donc que ces imitations, même en les
supposant aussi parfaites que possible, ne peuvent porter aucun
préjudice ; nous disons même qu'elles sont utiles. En effet, voilà M.
Robin qui, à l'aide d'un procédé quelconque, produit devant les spectateurs des
choses étonnantes, qu'il affirme être les mêmes que celles du Spiritisme et que
produisent les médiums ; or, parmi les assistants, plus d'un se
dira : « Puisque avec le Spiritisme on peut faire la même chose,
étudions le Spiritisme, apprenons à être médium, nous pourrons voir chez nous
tant que nous voudrons, et sans payer, ce qu'on voit ici. » Dans le nombre
beaucoup reconnaîtront le côté sérieux de la question, et c'est ainsi que, sans
le vouloir, on sert ceux auxquels on veut nuire.
Ce que craignent les gens sérieux, c'est que ces
jongleries ne trompent certaines personnes sur le véritable caractère du
Spiritisme. Là, sans doute, est le mauvais côté, mais l'inconvénient est sans
importance, parce que le nombre de ceux qui se laisseraient abuser est trop
minime ; ceux même qui diraient : « Ce n'est que
cela ! » auront tôt ou tard l'occasion de reconnaître que c'est autre
chose ; et, en attendant, l'idée se répand, on se familiarise avec le mot
qui, sous le manteau burlesque, pénètre partout ; on le prononce sans
défiance, et quand le mot est quelque part, la chose est bien près d'y être.
Que ceci soit une manœuvre des adversaires du
Spiritisme, ou simplement une combinaison personnelle pour forcer la recette,
il faut convenir que c'est maladroit ; il y aurait plus d'adresse de la
part de MM. Robin et consorts à dénier toute parité avec le Spiritisme ou
le magnétisme ; parce que, en proclamant cette parité, c'est reconnaître
une concurrence, – nous parlons à leur point de vue commercial, – c'est donner
l'envie de voir cette concurrence, et avouer qu'on peut se passer d'eux.
Puisque nous sommes sur le chapitre des maladresses,
en voici une comme il y en a déjà eu tant ; nous regrettons de la faire
figurer à côté de celle de MM. Robin et Girroodd, mais c'est l'analogie du
résultat qui nous y force. Du reste, puisque des dignitaires de l'Église n'ont
pas cru au-dessous d'eux de patronner un prestidigitateur contre le Spiritisme,
ils ne pourront se scandaliser de trouver un sermon dans ce chapitre.
Un de nos correspondants nous écrit de Bordeaux :
« Cher maître, je viens de recevoir une lettre de
ma sœur, qui habite la petite ville de B… ; elle se désespérait de ne
trouver personne avec qui elle pût s'entretenir du Spiritisme, lorsque les
adversaires de notre chère doctrine sont venus la tirer d'embarras. Quelques
personnes en ayant vaguement entendu parler ont cru devoir s'adresser aux
Carmes pour s'enquérir de ce que c'était ; ceux-ci, non contents de les en
détourner, prêchèrent quatre sermons sur ce sujet, dont voici les principales
conclusions :
Les médiums sont possédés du démon ; ils
n'agissent que dans un but d'intérêt, et ne se servent de leur pouvoir que pour
faire retrouver les trésors cachés ou les objets précieux qui sont perdus,
mais, au contact d'une sainte relique, vous les voyez se roidir et se tordre
dans d'affreuses convulsions.
Les temps prédits par les évangiles sont
arrivés ; les médiums ne sont autres que les faux prophètes annoncés par
le Christ ; bientôt ils auront pour chef l'Antéchrist. Ils feront des
miracles et des prodiges étonnants ; par ce moyen ils gagneront à leur
cause les trois quarts de la population du globe, ce qui sera le signe de la
fin des temps, car Jésus descendra sur une nuée céleste et, d'un seul souffle,
les précipitera dans les flammes éternelles. »
Il en est résulté que toute la ville a été mise en
émoi ; partout on parle du Spiritisme ; on ne se contente pas de
l'explication du prêtre, on veut en savoir davantage, et ma sœur, qui ne voyait
personne, a des jours où elle reçoit plus de trente visites ; elle renvoie
toujours au Livre des Esprits qui avant peu sera entre toutes les mains, et
beaucoup de ceux qui l'ont déjà se disent que cela ne ressemble pas du tout au
tableau qu'en a fait le prédicateur, qu'il y est même dit tout le
contraire ; aussi comptons-nous maintenant plusieurs adeptes sérieux,
grâce à ces sermons sans lesquels le Spiritisme n'eût pas pénétré de longtemps
dans ces contrées reculées. »
N'avions-nous pas raison de dire que c'est encore une
maladresse, et aurions-nous raison d'en vouloir à des adversaires qui
travaillent si bien pour nous ? Mais ce n'est pas la dernière ; nous
attendons la plus grande de toutes, qui couronnera l'œuvre. Depuis un an ils en
commettent une bien grave que nous nous gardons de relever, parce qu'il faut
qu'elle aille jusqu'au bout, mais dont on verra un jour les conséquences. Il y
a deux ans environ, nous demandions à un de nos guides spirituels par quel
moyen le Spiritisme pourrait pénétrer dans les campagnes. Il nous fut
répondu : « Par les curés. – Dem. Sera-ce volontairement ou
involontairement de leur part ? – R. Involontairement d'abord ;
volontairement plus tard. Avant peu ils feront une propagande dont vous ne
pouvez prévoir la portée. Ne vous inquiétez de rien et laissez faire : les
Esprits veillent et savent ce qu'il faut. »
La première partie de la prédiction, comme on le voit,
s'accomplit on ne peut mieux. Au reste, toutes les phases par où a passé le
Spiritisme nous ont été annoncées, et toutes celles qu'il doit parcourir encore
jusqu'à son établissement définitif nous le sont également, et chaque jour
vérifie l'évènement.
C'est en vain qu'on cherche à dissuader du Spiritisme
en le présentant sous des couleurs effrayantes. L'effet, comme on le voit, est
tout autre que celui qu'on attend ; pour dix personnes détournées, il y en
a cent de ralliées. Cela prouve qu'il a, par lui-même, un irrésistible attrait,
sans parler de celui du fruit défendu. Ceci nous remet en mémoire la petite
anecdote suivante :
Un propriétaire fit un jour venir chez lui un tonneau
d'excellent vin ; mais, comme il craignait l'infidélité de ses serviteurs,
il y mit cette étiquette en gros caractères : Affreux vinaigre. Or, le
tonneau laissant échapper quelques gouttes, l'un d'eux eut la curiosité d'y
goûter du bout du doigt, et trouva que le vinaigre était bon. On se le dit de
proche en proche, si bien que, chacun venant y puiser, au bout de quelque temps
le tonneau se trouva vide. Comme le propriétaire donnait à ses gens de la
piquette pour boisson, ils se disaient entre eux : « Cela ne vaut pas
l'affreux vinaigre. »
On aura beau dire que le Spiritisme est du vinaigre,
on ne fera pas que ceux qui y goûteront ne le trouvent doux ; or, ceux qui
en auront goûté le diront aux autres, et tous voudront en boire.