REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Sous ce titre, un ancien officier retraité, ex-représentant du peuple à l'Assemblée Constituante en 1848, a publié à Alger une brochure dans laquelle, cherchant à prouver que le but du Spiritisme est une gigantesque spéculation, il établit des calculs d'où il résulte pour nous des revenus fabuleux qui laissent bien loin derrière eux les millions dont nous a si généreusement gratifié un certain abbé de Lyon (V. la Revue de juin 1862, page 179). Pour mettre nos lecteurs à même d'apprécier cet intéressant inventaire, nous le citons textuellement, ainsi que les conclusions de l'auteur. Cet extrait donnera une idée de ce que peut être le reste de la brochure au point de vue de l'appréciation du Spiritisme.

« Sans nous arrêter à analyser tous les articles concernant en apparence les épreuves du néophytisme et la discipline de la Société, nous appellerons l'attention du lecteur sur les articles 15 et 16. Tout est là.

Il y verra que, sous le prétexte de subvenir aux dépenses de la Société, chaque membre titulaire paye : 1° une entrée de 10 fr. ; 2° une cotisation annuelle de 24 fr., et que chaque associé libre paye une cotisation de 20 fr. par an.

Les cotisations se payent intégralement pour l'année, c'est-à-dire d'avance : M. Allan Kardec prend ses précautions contre les désertions.

Or, par l'engouement qu'on remarque partout pour le Spiritisme, nous croyons être modeste en ne comptant pour Paris que 3 000 associés, tant titulaires que libres. Les cotisations rapportent donc, par an, 63 000 fr., sans compter les entrées qui ont servi à monter l'affaire.

Nous ne compterons que pour mémoire les bénéfices faits sur la vente des Livres des Esprits et des Médiums. Ils doivent cependant être considérables, car nous ne connaissons guère d'ouvrage qui ait eu une plus grande vogue, vogue fondée sur l'insatiable désir qui pousse l'homme à percer le mystère de la vie à venir.

Mais, dans ce qui précède, nous n'avons pas encore montré la source la plus abondante des profits. Il existe une revue mensuelle spirite, publiée par M. Allan Kardec, recueil indigeste qui dépasse de loin les légendes merveilleuses de l'antiquité et du moyen âge, et dont l'abonnement est de 10 fr. par an pour Paris ; 12 et 14 fr. pour la province et l'étranger.

Or, quel est celui des nombreux adeptes du Spiritisme qui, faute de 10 fr. par an (environ 90 centimes par mois), se priverait de sa part d'apparitions, d'évocations, de manifestations d'Esprits et de légendes ? On ne peut donc compter, en France et à l'étranger, moins de 30 000 abonnés à la Revue, produisant un total annuel de300 000 fr.

Lesquels, ajoutés aux 63 000 fr. de cotisation 63 000 donnent un total de 363 000 fr.

Les frais à déduire sont :

1° Le loyer de la salle des séances de la Société, les gages des secrétaires, du trésorier, des garçons de salle et de bon nombre de médiums. Nous croyons être au-dessus de la réalité en portant ces frais à 40 000 fr.

Le prix de revient de la Revue : Un numéro de 32 pages ne coûte pas plus de 20 centimes ; les 12 numéros de l'année reviendront à 2 fr. 40 c. qui, répétés 30 000 fois, donnent un chiffre de 72 000 - Total des frais112 000 fr.


Retranchant ces frais des 363 000 fr., reste pour M. Allan Kardec un bénéfice annuel net de 250 000 fr., sans compter celui de la vente des Livres des Esprits et des Médiums.

Au train dont marche l'épidémie, la moitié de la France sera bientôt spirite, si cela n'est déjà fait, et comme on ne peut être bon Spirite si l'on n'est au moins associé libre et abonné à la Revue, il y a probabilité que sur 20 millions d'habitants dont se compose cette moitié, il y aura 5 millions d'associés et autant d'abonnés à la Revue ; conséquemment, le revenu des présidents et vice-présidents des sociétés spirites sera de 100 millions par an, et celui de M. Allan Kardec, propriétaire de la Revue et souverain pontife, 38 millions.

Si le Spiritisme gagne l'autre moitié de la France, ce revenu sera doublé, et, si l'Europe se laisse infester, ce ne sera plus par millions qu'il faudra compter, mais bien par milliards.

Eh bien, naïfs Spirites ! Que pensez-vous de cette spéculation basée sur votre simplicité ? Eussiez-vous jamais cru que, du jeu des tables tournantes, il pût sortir de pareils trésors, et êtes-vous édifiés maintenant sur l'ardeur que mettent à fonder des sociétés les propagateurs de la doctrine ?

N'a-t-on pas raison de dire que la sottise humaine est une mine inépuisable à exploiter ?

Examinons maintenant les moyens mis en pratique par M. Allan Kardec, et son habileté comme spéculateur sera la seule chose qu'on ne pourra révoquer en doute.

Il comprend que, dans la vogue universelle des tables tournantes, se trouve toute faite, et sans bourse délier, la chose la plus difficile à se procurer, la publicité.

Or, dans de telles circonstances, promettre, au moyen des tables tournantes, de dévoiler les mystères de l'avenir et de la vie future, c'était s'adresser à une immense clientèle, avide de ces mystères et conséquemment toute disposée à écouter ses révélations. Ensuite, pensant que les cultes existants peuvent lui ravir bon nombre d'adeptes, il proclame leur déchéance. On lit dans la brochure : Le Spiritisme à sa plus simple expression (p. 15) : « Au point de vue religieux, le Spiritisme a pour base les vérités fondamentales de toutes les religions : Dieu, l'âme, l'immortalité, les peines et les récompenses futures ; mais il est indépendant de tout culte particulier. »

Cette doctrine, bien faite pour séduire le nombre toujours croissant des hommes qui ne veulent plus supporter aucune hiérarchie sociale, ne pouvait manquer son effet.

( Rem. Il y en a donc beaucoup, selon vous, à qui le joug de la religion est insupportable ! )

Ce qui nous surprend étrangement, c'est qu'en autorisant la prédication du Spiritisme, le gouvernement n'ait pas vu que cette audacieuse tentative contient en germe l'abolition possible de sa propre autorité ; car enfin, lorsque l'épidémie aura encore grandi, n'est-il pas possible que, sur l'injonction des Esprits, l'abolition d'une autorité qui peut menacer l'existence du Spiritisme soit décrétée ?

On pouvait sans danger permettre les sociétés spirites ; mais, n'était-il pas sage d'en interdire les publications ?

La secte eût été renfermée dans l'enceinte des salles des séances et n'eût probablement jamais dépassé la portée des représentations de Conus ou de Robert-Houdin.

Mais la loi est athée, a dit la philosophie moderne, et c'est en vertu de ce paradoxe qu'un homme a pu proclamer la déchéance de l'autorité de l'Église.

Cet exemple, soit dit en passant, démontrerait, aux yeux les moins clairvoyants, la sagesse des législateurs de l'antiquité qui ne croyaient pas que l'ordre matériel pût coexister avec le désordre moral et qui avaient si intimement lié, dans leurs codes, les lois civiles et les lois religieuses.

S'il était au pouvoir de l'humanité de détruire les créations spirituelles de Dieu, le premier effet du Spiritisme serait d'arracher l'Espérance du cœur de l'homme.

Qu'espérerait l'homme ici-bas, s'il acquérait la conviction (nous ne disons pas la preuve) qu'après la mort, il aura à sa disposition et indéfiniment plusieurs existences corporelles ?

Ce dogme, qui n'est autre chose que la métempsycose renouvelée de Pythagore, n'est-il pas de nature à affaiblir en lui le sentiment du devoir et à lui faire dire ici-bas : A plus tard les affaires sérieuses ? La Charité, si fortement recommandée par le Christ et par l'Eglise, et dont le Spiritisme affecte lui-même de faire la pierre angulaire de son édifice, n'en reçoit-elle pas une mortelle atteinte ?

Un autre effet du Spiritisme est de transformer la Foi, qui est un acte de libre arbitre et de volonté, en une aveugle crédulité.

Ainsi, pour faire réussir la spéculation du Spiritisme ou des tables tournantes, M. Allan Kardec prêche une doctrine dont la tendance est la destruction de la Foi, de l'Espérance et de la Charité.

Cependant que le monde chrétien se rassure, le Spiritisme ne prévaudra pas contre l'Eglise. « On reconnaîtra toute la valeur d'un principe religieux (comme dit Mgr l'évêque d'Alger, dans sa lettre du 13 février 1863, aux curés de son diocèse), car il suffit à lui seul pour vaincre tous les tâtonnements, toutes les oppositions et toutes les résistances. »

Mais y a-t-il de vrais Spirites ? – Nous le nierons tant qu'un homme sentira que l'Espérance n'est pas éteinte dans son cœur.

Qu'y a-t-il donc dans le Spiritisme ? Rien autre chose qu'un spéculateur et des dupes. Et du jour où l'autorité temporelle comprendra sa solidarité avec l'autorité morale et se bornera seulement à interdire les publications spirites, cette immorale spéculation tombera pour ne plus se relever. »

Le journal d'Alger, l'Akhbar, du 28 mars 1863, dans un article aussi bienveillant que la brochure, reproduisant une partie de ces arguments, conclut qu'il est bien et dûment prouvé, par des calculs authentiques, que le Spiritisme nous donne actuellement un revenu positif de 250 000 fr. par an. L'auteur de la brochure voit les choses plus largement encore, puisque ses prévisions le portent d'ici à peu d'années à 38 millions, c'est-à-dire à un chiffre supérieur à la liste civile des plus riches souverains de l'Europe. Nous ne prendrons certainement pas la peine de combattre des calculs qui se réfutent par leur exagération même, mais qui prouvent une chose, c'est l'effroi que cause aux adversaires la rapide propagation du Spiritisme, au point de leur faire dire les plus grandes inconséquences.

Admettons en effet, pour un instant, la réalité des chiffres de l'auteur, ne serait-ce pas la plus énergique protestation contre les idées actuelles, qui crouleraient dans le monde entier devant l'idée émise par un seul homme, inconnu il y a six ans à peine ? N'est-ce pas reconnaître l'irrésistible puissance de cette idée ? Elle tend, dites-vous, à supplanter la religion, et pour le prouver, vous la présentez adoptée avant peu par vingt millions, puis par quarante millions d'habitants dans la France seule ; puis vous vous écriez : « Non, la religion ne peut périr. » Mais si vos prévisions se réalisent, que restera-t-il pour la religion ? Faisons aussi une petite statistique de chiffres d'après l'auteur : En France, 36 millions d'habitants ; Spirites, 40 millions ; reste pour les catholiques 0 moins 4 millions ; puisque, selon vous, on ne peut être catholique et Spirite. Si l'Eglise est aussi facilement renversée par un individu à l'aide d'une idée saugrenue, n'est-ce pas reconnaître qu'elle repose sur une base bien fragile ? Dire qu'elle peut être compromise par une absurdité, c'est faire une mince éloge de la puissance de ses arguments et livrer le secret de sa propre faiblesse. Où donc alors est sa base inébranlable ? Nous souhaitons à l'Eglise un défenseur plus fort et surtout plus logique que l'auteur de la brochure. Rien n'est dangereux comme un imprudent ami.

On ne pense pas à tout : l'auteur n'a pas songé qu'en voulant nous dénigrer il exalte notre importance, et le moyen qu'il emploie va juste contre son but. L'argent étant le dieu de notre époque, celui qui en possède le plus ne manque pas de courtisans attirés par l'espoir de la curée. Les milliards dont il nous gratifie, loin d'éloigner de nous, mettraient les princes mêmes à nos pieds. Que dirait l'auteur si, puisque nous n'avons point d'enfants, nous le faisions notre légataire de quelques dizaines de millions ? En trouverait-il la source mauvaise ? Ce serait bien capable de lui faire dire que le Spiritisme est bon à quelque chose.

Selon lui, une des sources de nos immenses revenus est la Société de Paris qu'il suppose avoir au moins 3000 membres. Nous pourrions lui demander d'abord de quel droit il vient s'immiscer dans les affaires privées ; mais nous passons là-dessus. Puisqu'il se pique de tant d'exactitude, et il en faut quand on veut prouver par des chiffres, s'il se fût donné la peine de lire seulement le compte rendu de la Société, publié dans la Revue de juin 1862, il aurait pu se faire une idée plus vraie de ses ressources, et de ce qu'il appelle le budget du Spiritisme.

En puisant ses renseignements ailleurs que dans son imagination, il aurait su que la Société ; rangée officiellement parmi les sociétés scientifiques, n'est ni une confrérie ni une congrégation, mais une simple réunion de personnes s'occupant de l'étude d'une science nouvelle qu'elle approfondit ; que loin de viser au nombre, qui serait plus nuisible qu'utile à ses travaux, elle le restreint plutôt qu'elle ne l'augmente, par la difficulté des admissions ; qu'au lieu de 3000 membres, elle n'en a jamais eu cent ; qu'elle ne rétribue aucun de ses fonctionnaires, ni présidents, vice-présidents ou secrétaires ; qu'elle n'emploie aucun médium payé, et s'est toujours élevée contre l'exploitation de la faculté médianimique ; qu'elle n'a jamais perçu un centime sur ses visiteurs qu'elle admet toujours en très petit nombre, n'ouvrant jamais ses portes au public ; qu'en dehors des membres reçus, aucun Spirite n'est son tributaire ; que les membres honoraires ne payent aucune cotisation ; qu'il n'existe entre elle et les autres sociétés spirites aucune affiliation, ni aucune solidarité matérielle ; que le produit des cotisations ne passe jamais par les mains du président ; que toute dépense, quelque minime qu'elle soit, ne peut être faite sans l'avis du comité ; enfin que son budget de 1862 s'est soldé par un encaisse de 429 fr. 40 cent.

Ce maigre résultat infirme-t-il l'importance croissante du Spiritisme ? Non, au contraire, car il prouve que la Société de Paris n'est une spéculation pour personne. Et quand l'auteur cherche à exciter l'animosité contre nous, en disant aux adeptes qu'ils se ruinent à notre profit, ils répondront tout simplement que c'est une calomnie, parce qu'on ne leur demande rien, et qu'ils ne payent rien. Pourrait-on en dire autant de tout le monde, et ne pourrait-on renvoyer à d'autres l'argument de l'auteur par des chiffres plus authentiques que les siens ? Quant aux trente mille abonnés de la Revue, nous nous les souhaitons. « Calomniez, calomniez, a dit un auteur, il en reste toujours quelque chose. » Oui, certainement, il en reste toujours quelque chose qui, tôt ou tard, retombe sur le calomniateur.

Injures, calomnies, inventions manifestes, jusqu'à l'immixtion dans la vie privée, en vue de jeter la déconsidération sur un individu et sur une classe nombreuse d'individus, cette brochure, qui a dépassé de beaucoup toutes les diatribes publiées jusqu'à ce jour, a toutes les conditions requises pour être déférée à la justice. Nous ne l'avons point fait, malgré les sollicitations qui nous ont été adressées à ce sujet, parce que c'est une bonne fortune pour le Spiritisme, et nous ne voudrions pas, au prix de plus grandes injures encore, qu'elle n'eût pas été publiée. Nos adversaires ne pouvaient rien faire de mieux pour se discréditer eux-mêmes, en montrant à quels tristes expédients ils en sont réduits pour nous attaquer, et jusqu'à quel point le succès des idées nouvelles les épouvante, nous pourrions dire leur fait perdre la tête.

L'effet de cette brochure a été de provoquer un immense éclat de rire chez tous ceux qui nous connaissent, et ils sont nombreux ; quant à ceux qui ne nous connaissent pas, elle a dû leur inspirer un vif désir de connaître ce Nabab improvisé qui récolte les millions plus facilement qu'on ne récolte les gros sous, et n'a qu'à lancer une idée pour y rallier la population de tout un empire ; or comme, selon l'auteur, il ne rallie que les sots, il en résulte que cet empire n'est composé que de sots du haut en bas de l'échelle. L'histoire de l'humanité n'offre aucun exemple d'un pareil phénomène. L'auteur eût été payé pour ce résultat qu'il n'eût pas mieux réussi ; nous n'avons donc pas à nous en plaindre[1].







[1] On nous écrit d'Algérie, nous le donnons sous toute réserve, que l'auteur de la brochure a fait partie d'un groupe spirite ; que son zèle pour la cause l'avait fait nommer président ; mais que plus tard, n'ayant pas voulu renoncer à certains projets désapprouvés par les autres membres, il avait été rayé de la liste.


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