Depuis que l'homme existe sur terre il y existe des Esprits ; et, depuis lors aussi, des Esprits se sont manifestés aux hommes. L'histoire et la tradition fourmillent de preuves à ce sujet ; mais, soit que les uns ne comprissent pas les phénomènes de ces manifestations, soit que les autres n'osassent pas les divulguer, de peur de la prison ou du bûcher, soit que ces faits fussent mis sur le compte de la superstition ou du charlatanisme par des gens trop prévenus, ou qui avaient intérêt à ce que la lumière ne se fît pas ; soit enfin qu'ils fussent mis sur le compte du démon par une autre classe d'intéressés, il est certain que, jusqu'à ces derniers temps, ces phénomènes, quoique bien constatés, n'avaient point encore été expliqués d'une manière satisfaisante, ou que, du moins, la véritable théorie n'avait pas encore pénétré dans le domaine public, probablement parce que l'humanité n'était pas mûre encore pour cela, comme pour bien d'autres choses merveilleuses qui s'accomplissent de nos jours. Il était réservé à notre époque de voir éclore, dans le même demi-siècle, la vapeur, l'électricité, le magnétisme animal, j'entends, du moins, comme sciences d'application, et enfin le spiritisme, le plus merveilleux de tous, c'est-à-dire, non seulement la constatation matérielle de notre existence immatérielle et de notre immortalité, mais encore l'établissement de relations matérielles, pour ainsi dire, et constantes entre le monde invisible et nous. Quelles conséquences incalculables ne doivent pas naître d'un événement aussi prodigieux ! Mais pour ne parler que de ce qui, pour l'heure, frappe le plus la généralité des hommes, de la mort, par exemple ; ne la voilà-t-il pas réduite à son vrai rôle d'accident naturel, nécessaire, et je dirai même heureux, et perdant ainsi tout son caractère d'événement douloureux et terrible, puisque, pour celui qui la subit, elle est le moment du réveil ; puisque, dès le lendemain de la mort d'un être chéri, nous autres qui restons, nous pouvons continuer nos relations intimes comme par le passé ! il n'y a de changé que nos rapports matériels ; nous ne le voyons plus, nous ne le touchons plus, nous n'entendons plus sa voix ; mais nous continuons d'échanger avec lui nos pensées comme de son vivant, et souvent même beaucoup plus fructueusement pour nous. Que reste-t-il après cela de si douloureux ? Et, si l'on ajoute à ce qui précède cette certitude que nous ne sommes plus séparés de lui que par quelques années, quelques mois, quelques jours peut-être, tout cela n'est-il pas fait pour transformer en un simple événement utile celui que jusqu'à ce jour, à peu d'exceptions près, les plus décidés ne pouvaient envisager sans effroi, et qui, certainement, fait le tourment incessant de toute l'existence de bien des hommes ? Mais je m'éloigne du sujet.
Avant de t'expliquer la pratique fort simple des communications, je voudrais essayer de te donner une idée de la théorie physiologique que je m'en fais. Je ne te la donne pas pour certaine, car je ne l'ai pas vue encore expliquée par la science ; mais il me semble, du moins, que ce doit être quelque chose approchant de cela.
L'esprit agit sur la matière d'autant plus facilement qu'elle est disposée d'une certaine façon plus propre à recevoir son action, c'est pourquoi il n'agit pas directement sur toute espèce de matière, mais il pourrait agir indirectement, s'il se trouvait, entre cette matière et lui, certaines substances d'une organisation graduée qui missent les deux extrêmes en rapport, c'est-à-dire la matière la plus brute en rapport avec l'esprit. C'est ainsi que l'esprit d'un homme vivant déplace des blocs de pierre fort lourds, les façonne, les coordonne avec d'autres et en forme un tout que l'on nomme une maison, une colonne, une église, un palais, etc. Est-ce l'homme-corps qui a fait tout cela ? Qui oserait le dire ?… Oui, c'est lui qui a fait cela, comme c'est ma plume qui écrit cette lettre ; mais je reviens, car je me sens encore aller à la dérive.
Comment l'esprit se met-il en rapport avec le lourd bloc qu'il veut déplacer ? Par le moyen de la matière échelonnée entre lui et ce bloc ; le levier met le bloc en rapport avec la main ; la main met le levier en rapport avec les muscles ; les muscles mettent la main en rapport avec les nerfs ; les nerfs mettent les muscles en rapport avec le cerveau, et le cerveau met les nerfs en rapport avec l'esprit, à moins qu'il n'y ait encore une matière plus délicate, un fluide qui mette le cerveau en rapport avec l'esprit. Quoi qu'il en soit, un intermédiaire de plus ou de moins n'infirme pas la théorie ; que l'esprit agisse de première ou de seconde main sur le cerveau, il agit toujours de très près ; de sorte que, reprenant la mise en rapport à rebours, ou plutôt, dans son ordre naturel, voilà l'esprit agissant sur une matière extrêmement délicate, organisée par la sagesse du Créateur d'une manière propre à recevoir directement, ou presque directement, l'action de sa volonté ; cette matière qui est le cerveau agit, par le moyen de ses ramifications que nous nommons les nerfs, sur une autre matière moins délicate, mais qui l'est encore assez pour recevoir l'action de ceux-ci, ce sont les muscles ; les muscles imprimant le mouvement à la partie solide qui sont les os du bras et de la main, tandis que les autres parties de la charpente osseuse recevant la même action servent de point d'appui ou d'arc-boutant. La partie osseuse, quand elle n'est pas encore assez forte par elle-même, ou pas assez étendue pour agir directement, multiplie sa force en s'aidant du levier, et, voilà le lourd bloc inerte, obéissant docilement à la volonté de l'esprit qui, sans cette hiérarchie intermédiaire, n'aurait eu aucune action sur lui.
En procédant du plus au moins, voilà les plus petits faits de l'esprit expliqués, de même qu'en procédant dans le sens contraire, on voit comment l'esprit peut arriver à transposer les montagnes, dessécher les lacs, etc., et dans tout cela, le corps disparaît presque au milieu de la multitude d'instruments nécessaires, parmi lesquels il ne fait que jouer le premier rôle.
Je veux écrire une lettre ; que me faut-il faire ? mettre une feuille de papier en rapport avec mon esprit, comme tout à l'heure j'y mettais un bloc de pierre ; je remplace le levier par la plume et la chose est faite. Voilà la feuille de papier répétant la pensée de mon esprit, comme tout à l'heure le mouvement imprimé au bloc manifestait sa volonté.
Si mon esprit veut transmettre plus directement, plus instantanément sa pensée au tien, et que rien ne s'y oppose, telles que la distance ou l'interposition d'un corps solide, toujours par le moyen du cerveau et des nerfs, il met en mouvement l'organe de la voix qui, frappant l'air de diverses manières, produit certains sons variés et convenus représentant la pensée, lesquels vont se répercuter dans ton organe auditif qui les transmet à ton esprit par le moyen de tes nerfs et de ton cerveau ; et c'est toujours la pensée manifestée et transmise par une série d'agents matériels gradués et interposés entre son principe et son objet.
Si la théorie qui précède est vraie, il me semble que rien n'est plus facile maintenant que d'expliquer le phénomène des manifestations spirites, et particulièrement de l'écriture médianimique qui seule nous occupe en ce moment.
La substance psychique étant identique chez tous les esprits, leur mode d'action sur la matière doit être le même pour tous ; leur puissance seule peut varier de degrés. La matière des nerfs étant organisée de manière à pouvoir recevoir l'action d'un esprit, il n'y a pas de raison pour qu'elle ne puisse recevoir l'action d'un autre esprit dont la nature ne diffère pas de celle du premier ; et puisque la substance de tous les esprits est de même nature, tous les esprits doivent être aptes à exercer, je ne dirai pas la même action, mais le même mode d'action sur la même substance, toutes les fois qu'ils sont mis en mesure de pouvoir le faire ; or, c'est ce qui arrive dans l'évocation.
Qu'est-ce que l'évocation ?
C'est un acte par lequel un Esprit titulaire d'un corps, prie un autre Esprit, ou, tout simplement, lui permet de se servir de son propre organe, de son propre instrument, pour manifester sa pensée ou sa volonté.
L'Esprit titulaire n'abandonne pas pour cela son corps, mais il peut bien neutraliser momentanément sa propre action sur l'organe de la transmission, et le laisser ainsi à la disposition de l'autre qui ne peut, toutefois, s'en servir qu'autant qu'il plaît au premier de le permettre, en vertu de cet axiome de droit naturel que chacun doit être maître chez soi. Cependant, il faut bien le dire, il arrive dans le Spiritisme, comme dans les sociétés humaines, que ce droit de propriété n'est pas toujours scrupuleusement respecté par messieurs les Esprits, et que plus d'un médium s'est trouvé plus d'une fois fort surpris d'avoir donné l'hospitalité à des hôtes qu'il n'avait point conviés et encore moins désirés ; mais c'est là un des mille petits désagréments de la vie qu'il faut savoir supporter, d'autant plus que, dans l'espèce, ils ont toujours un côté utile, n'eussent-ils pour but que celui de nous éprouver, en même temps qu'ils sont la preuve la plus manifeste de l'action d'un Esprit étranger sur notre organe, nous faisant écrire des choses que nous étions loin de prévoir, ou que nous ne sommes nullement jaloux d'entendre. Toutefois, cela n'arrive aux médiums qu'à leurs débuts ; quand ils sont formés, cela ne leur arrive plus, ou, du moins, ils ne s'y laissent plus prendre.
Chacun est-il apte à être médium ? Naturellement cela devrait être, à des degrés différents toutefois, comme avec des aptitudes diverses ; c'est là l'opinion de M. Kardec. Il y a des médiums écrivains ; des médiums voyants ; des médiums auditifs ; des médiums intuitifs ; c'est-à-dire, des médiums qui écrivent, ce sont les plus nombreux et les plus utiles ; des médiums qui voient les Esprits ; d'autres qui les entendent, et conversent avec eux comme avec les vivants : ceux-ci sont rares ; d'autres qui reçoivent la pensée de l'Esprit évoqué dans leur cerveau et la transmettent par la parole. Un médium possède rarement plusieurs de ces facultés à la fois. Il y a encore des médiums d'un autre genre, c'est-à-dire dont la présence seule en un lieu quelconque permet aux Esprits de s'y manifester, soit par un bruit tel que des coups frappés, soit par le mouvement des corps, tel que le déplacement d'un guéridon, le soulèvement d'une chaise, d'une table ou de tout autre objet. C'est par ce moyen que les Esprits ont commencé à se manifester et à révéler leur existence. Tu as entendu parler des tables tournantes et de la danse des tables, tu en as ri et moi aussi ; eh bien ! ce sont les premiers moyens que les Esprits ont employés pour attirer l'attention ; c'est ainsi qu'on a reconnu leur présence ; après quoi, l'observation et l'étude aidant, on est arrivé à découvrir chez l'homme des facultés jusqu'alors ignorées, au moyen desquelles il peut entrer en communication directe avec les Esprits. Tout cela n'est-il pas merveilleux ? Et pourtant ce n'est que naturel, seulement, et je te le répète, il était réservé à notre époque de faire la découverte et l'application de cette science, comme de bien d'autres secrets merveilleux de la nature.
Maintenant, pour se mettre en rapport avec les Esprits, ou tout au moins pour voir si on est apte à le faire par l'écriture, on prend une feuille de papier blanc et un crayon qui marque bien, et on se met en position d'écrire. Il est toujours bon de commencer par adresser une prière à Dieu, puis on évoque un Esprit, c'est-à-dire on le prie de bien vouloir se communiquer à nous et de nous faire écrire ; puis on attend, toujours dans la même position.
Il y a des personnes qui ont la faculté médianimique tellement développée qu'elles écrivent tout d'abord ; d'autres, au contraire, ne voient cette faculté se développer chez elles qu'avec le temps et la persévérance. Dans ce dernier cas, on renouvelle la séance chaque jour, et pour cela un quart d'heure suffit ; il est inutile d'y passer plus de temps ; mais, autant que possible, il faut la renouveler tous les jours, la persévérance étant une des premières conditions de succès. Il faut aussi faire sa prière et son évocation avec ferveur ; la répéter même quelquefois pendant l'exercice ; avoir une volonté ferme, un grand désir de réussir, et surtout, point de distractions. Quand une fois on a réussi à écrire, ces dernières précautions deviennent inutiles.
Quand on doit bientôt écrire, on sent ordinairement un léger frémissement dans la main, précédé quelquefois d'un léger engourdissement dans la main et dans le bras, quelquefois même d'une légère douleur dans les muscles du bras et de la main ; ce sont des signes précurseurs et presque toujours certains que le moment du succès n'est pas éloigné ; il est quelquefois immédiat, d'autres fois, il se fait encore attendre un ou plusieurs jours, mais il ne tarde jamais beaucoup ; seulement, pour en arriver là, il faut plus ou moins de temps, ce qui peut varier d'un instant à six mois, mais, je te le répète, un quart d'heure d'exercice par jour suffit.
Quant aux Esprits que l'on peut évoquer pour ces sortes d'exercices préparatoires, il est préférable de s'adresser à son Esprit familier qui est toujours là et ne nous quitte jamais, tandis que les autres Esprits peuvent n'y être que momentanément et ne pas s'y trouver au moment où nous les évoquons, et être alors, par une cause quelconque, dans l'impossibilité de se rendre à notre appel, ce qui arrive quelquefois.
L'Esprit familier, qui vérifie jusqu'à un certain point la théorie catholique de l'ange gardien, n'est point cependant tout à fait tel que nous le représente le dogme catholique. C'est tout simplement l'Esprit d'un mortel qui a vécu comme nous, mais qui est beaucoup plus avancé que nous et nous est, par conséquent, infiniment supérieur en bonté et en intelligence ; qui accomplit là une mission méritoire pour lui, profitable pour nous, et nous accompagne ainsi dans ce monde et dans l'autre, jusqu'à ce qu'il soit appelé à une nouvelle incarnation, ou jusqu'à ce que nous-mêmes, arrivés à un certain dégré de supériorité, soyons appelés à remplir, dans l'autre vie, une mission semblable près d'un mortel moins avancé que nous.
Tout ceci, mon cher ami, entre merveilleusement comme tu le vois, dans nos idées de solidarité universelle. Tout ceci, en nous montrant cette solidarité établie de tout temps et fonctionnant constamment entre le monde invisible et nous, nous prouve, certes, que ce n'est pas une utopie de conception humaine, mais bien une des lois de la nature ; que les premiers penseurs qui l'ont prêchée ne l'ont pas inventée, mais seulement découverte ; et qu'enfin, étant dans les lois de la nature, elle est appelée fatalement à se développer dans les sociétés humaines, malgré les résistances et les obstacles que pourront encore lui opposer ses aveugles adversaires
[1].
Il ne me reste plus qu'à te parler de la manière d'évoquer. C'est la chose la plus simple. Il n'y a pour cela aucune forme cabalistique, aucune formule obligée ; tu t'adresses à l'Esprit dans les termes qui te conviennent ; voilà tout.
Pour te faire mieux comprendre, toutefois, la simplicité de la chose, je vais te dire la formule que j'emploie moi-même :
« Dieu tout-puissant ! permettez à mon bon ange (ou à l'Esprit d'un tel, si on préfère évoquer un autre Esprit), de se communiquer à moi et de me faire écrire. » Ou bien encore :
« Au nom du Dieu tout-puissant, je prie mon bon ange (ou l'Esprit de…) de se communiquer à moi. »
Maintenant, tu veux savoir le résultat de ma propre expérience, le voici :
Après six semaines environ d'exercices infructueux, j'ai senti un jour ma main trembler, s'agiter et tracer tout à coup, avec le crayon, des caractères informes. Dans les exercices suivants, ces caractères, quoique toujours inintelligibles, sont devenus plus réguliers ; j'écrivais des lignes, et des pages avec la rapidité de mon écriture ordinaire, mais toujours illisibles. D'autres fois, je traçais des paraphes de toutes sortes, petits, grands, quelquefois à plein papier. Quelquefois c'étaient des lignes droites, tantôt de haut en bas, tantôt en travers. D'autres fois, c'étaient des cercles, tantôt grands, tantôt petits, et quelquefois si répétés les uns sur les autres, que la feuille de papier était toute noircie par le crayon.
Enfin, après un mois de l'exercice le plus varié, mais aussi le plus insignifiant, je commençai à m'ennuyer, et je demandai à mon Esprit familier de me faire faire des lettres, au moins, s'il ne pouvait me faire écrire des mots ; j'obtins alors toutes les lettres de l'alphabet, mais je n'ai pu obtenir davantage.
Sur ces entrefaites, ma femme, qui avait toujours eu le pressentiment de ne point posséder la faculté médianimique, se décida néanmoins à en essayer, et au bout de quinze jours d'attente, elle se mit à écrire couramment et avec une grande facilité ; mais, plus heureuse que moi, elle le faisait, elle, très correctement et très lisiblement.
Un de nos amis a réussi, dès le second exercice, à griffonner comme moi, mais ça été tout. Nous ne nous décourageons pas pour cela, nous sommes convaincus que c'est une épreuve, et que, tôt ou tard, nous écrirons ; il ne faut que de la patience, c'est facile.
Dans une autre lettre, je t'entretiendrai des communications que nous avons obtenues par ma femme, et qui, assez singulières par elles-mêmes, sont surtout très concluantes pour l'existence des Esprits. En voilà assez pour aujourd'hui ; je tenais à te faire un exposé qui, bien que très sommaire, pût néanmoins embrasser l'ensemble de la théorie spirite. Cela suffira, je l'espère, à exciter ta curiosité, et surtout à éveiller ton intérêt ; la lecture des ouvrages spéciaux à laquelle cela va te disposer fera le reste.
En attendant l'ouvrage pratique dont je t'ai parlé, je t'enverrai très prochainement l'ouvrage philosophique intitulé : Le Livre des Esprits.
Étudie, lis, relis, essaie, travaille, et surtout ne te rebute pas, la chose en vaut la peine.
Et de plus, ne fais pas attention aux rieurs ; il y en a déjà beaucoup qui ne rient plus, bien qu'ils soient encore en possession de tous les organes qui leur servaient à cela naguère.
A toi et à bientôt,
Canu.
[1] Pour peu que les faits les plus naturels, mais non encore expliqués, prêtent au merveilleux, chacun sait avec quelle adresse la jonglerie s'en empare et avec quelle audace elle les exploite ; c'est là peut-être encore un des plus grands obstacles à la découverte et surtout à la vulgarisation de la vérité.