Silvio PellicoExtrait de Mes Prisons, par Silvio Pellico, ch. XIV et XVI.
« Un état pareil était une vraie maladie ; je ne sais si je ne dois pas dire une sorte de somnambulisme. Il me semblait qu'il y avait en moi deux hommes : l'un qui voulait continuellement écrire, et l'autre qui voulait faire autre chose…
Pendant ces nuits horribles, mon imagination s'exaltait quelquefois à tel point que, tout éveillé, il me semblait entendre dans ma prison, tantôt des gémissements, tantôt des rires étouffés. Depuis mon enfance, je n'avais jamais cru aux sorciers ni aux Esprits, et maintenant ces rires et ces gémissements m'épouvantaient ; je ne savais comment me les expliquer ; j'étais forcé de douter si je n'étais pas le jouet de quelque puissance inconnue et malfaisante.
Plusieurs fois je pris la lumière en tremblant, et je regardai si personne n'était caché sous mon lit pour se jouer de moi. Quand j'étais à ma table, tantôt il me semblait que quelqu'un me tirait par mon habit, tantôt que l'on poussait un livre qui tombait à terre ; tantôt aussi je croyais qu'une personne, derrière moi, soufflait ma lumière pour qu'elle s'éteignît. Me levant alors précipitamment, je regardai autour de moi ; je me promenais avec défiance et me demandais à moi-même si j'étais fou ou dans mon bon sens, car, au milieu de tout ce que j'éprouvais, je ne savais plus distinguer la réalité de l'illusion, et je m'écriais avec angoisse : Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ?
Une fois m'étant mis au lit avant l'aurore, je crus être parfaitement sûr d'avoir placé mon mouchoir sous mon traversin. Après un moment d'assoupissement, je m'éveillai comme de coutume, et il me sembla qu'on m'étranglait. Je sentis mon cou étroitement enveloppé. Chose étrange ! Il était enveloppé avec mon mouchoir, fortement attaché par plusieurs nœuds ! J'aurais juré n'avoir pas fait ces nœuds, n'avoir pas touché mon mouchoir depuis que je l'avais mis sous mon traversin. Il fallait que je l'eusse fait en rêvant ou dans un accès de délire, sans en avoir gardé aucune souvenance ; mais je ne pouvais le croire, et, depuis ce moment, je craignais chaque nuit d'être étranglé. »
Si quelques-uns de ces faits peuvent être attribués à une imagination surexcitée par la souffrance, il en est d'autres qui semblent véritablement provoqués par des agents invisibles, et il ne faut pas oublier que Silvio Pellico n'était pas crédule à cet endroit ; cette cause ne pouvait lui venir à la pensée, et, dans l'impossibilité de se l'expliquer, ce qui se passait autour de lui le remplissait de terreur. Aujourd'hui que son Esprit est dégagé du voile de la matière, il se rend compte, non-seulement de ces faits, mais des différentes péripéties de sa vie ; il reconnaît juste ce qui, auparavant, lui paraissait injuste. Il en a donné l'explication dans la communication suivante sollicitée à cet effet.
Société de Paris, 18 octobre 1867.
Qu'il est grand et puissant ce Dieu que les humains rapetissent sans cesse en voulant le définir, et combien les mesquines passions que nous lui prêtons pour le comprendre sont une preuve de notre faiblesse et de notre peu d'avancement ! Un Dieu vengeur ! un Dieu juge ! un Dieu bourreau ! Non ; tout cela n'existe que dans l'imagination humaine, incapable de comprendre l'infini. Quelle folle témérité que de vouloir définir Dieu ! Il est l'incompréhensible et l'indéfinissable, et nous ne pouvons que nous incliner sous sa main puissante, sans chercher à comprendre et à analyser sa nature. Les faits sont là pour nous prouver qu'il existe ! Étudions ces faits et, par leur moyen, remontons de cause en cause aussi loin que nous pourrons aller ; mais ne nous attaquons à la cause des causes que lorsque nous possèderons entièrement les causes secondes, et lorsque nous en comprendrons tous les effets !…
Oui, les lois de l'Éternel sont immuables ! Elles frappent aujourd'hui le coupable, comme elles l'ont toujours frappé, selon la nature des fautes commises et proportionnellement à ces fautes. Elles frappent d'une manière inexorable, et sont suivies de conséquences morales, non fatales, mais inévitables. La peine du talion est un fait, et le mot de l'ancienne loi : « Œil pour œil, dent pour dent, » s'accomplit dans toute sa rigueur. Non-seulement l'orgueilleux est humilié, mais il est frappé dans son orgueil de la même manière dont il a frappé les autres. Le juge inique se voit condamner injustement ; le despote devient opprimé !
Oui, j'ai gouverné les hommes ; je les ai fait plier sous un joug de fer ; je les ai frappés dans leurs affections et leur liberté ; et plus tard, à mon tour, j'ai dû plier sous l'oppresseur, j'ai été privé de mes affections et de ma liberté !
Mais comment l'oppresseur de la veille peut-il devenir le républicain du lendemain ? La chose est des plus simples, et l'observation des faits qui ont lieu sous vos yeux devrait vous en donner la clef. Ne voyez-vous pas, dans le cours d'une seule existence, une même personnalité, tour à tour dominante et dominée ? et n'arrive-t-il pas que, si elle gouverne despotiquement dans le premier cas, elle est, dans le second, une de celles qui luttent le plus énergiquement contre le despotisme ?
La même chose a lieu d'une existence à l'autre. Ce n'est certes pas là une règle sans exception ; mais généralement ceux qui sont en apparence les libéraux les plus forcenés, ont été jadis les plus ardents partisans du pouvoir, et cela se comprend, car il est logique que ceux qui ont été longuement habitués à régner sans conteste et à satisfaire sans entraves leurs moindres caprices, soient ceux qui souffrent davantage de l'oppression, et les plus ardents à en secouer le joug.
Le despotisme et ses excès, par une conséquence admirable des lois de Dieu, entraînent nécessairement chez ceux qui l'exercent un amour immodéré de la liberté, et ces deux excès s'usant l'un par l'autre, amènent inévitablement le calme et la modération.
Telles sont, à propos du désir que vous avez exprimé, les explications que je crois utile de vous donner. Je serai heureux si elles sont de nature à vous satisfaire.
Silvio Pellico.