REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868

Allan Kardec

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LETTRE D'UN ESPRIT BIENHEUREUX

A son ami de la terre sur la première vue du Seigneur.

Cher ami,

De mille choses dont j'aurais désiré t'entretenir, je ne dirai, cette fois, qu'une seule chose qui t'intéressera plus que toutes les autres. J'ai obtenu l'autorisation de le faire. Les Esprits ne peuvent rien faire sans une permission spéciale. Ils vivent sans leur propre volonté, dans la seule volonté du Père céleste, qui transmet ses ordres à des milliers d'êtres à la fois, comme à un seul, et répond instantanément sur une infinité de sujets, à des milliers de ses créatures qui s'adressent à lui.

Comment te faire comprendre de quelle manière je vis le Seigneur ? Oh ! d'une manière bien différente de celle que vous, êtres encore mortels, ne pouvez vous l'imaginer.

Après bien des apparitions, des instructions, des explications et des jouissances qui me furent accordées par la grâce du Seigneur, je traversai une fois une contrée paradisiale, avec environ douze autres Esprits, qui avaient monté, à peu près, par les mêmes degrés de perfection que moi. Nous planâmes, voltigeâmes l'un à côté de l'autre, dans une douce et agréable harmonie, formant comme un léger nuage, et il nous semblait éprouver le même entraînement, la même propension vers un but très élevé. Nous nous pressions toujours davantage l'un contre l'autre. A mesure que nous avancions, nous devenions toujours plus intimes, plus libres, plus joyeux, plus jouissants et plus aptes à jouir, et nous disions : « Oh ! qu'il est bon et miséricordieux Celui qui nous a créés ! Alleluia au Créateur ! c'est l'amour qui nous a créés ! Alleluia à l'Etre aimant ! Animés par de tels sentiments, nous poursuivions notre vol et nous nous arrêtâmes auprès d'une fontaine.

Là nous sentîmes l'approche d'une brise légère. Elle ne portait pas un homme ni un ange, et pourtant ce qui s'avançait vers nous avait quelque chose de si humain, que cela attira toute notre attention. Une lumière resplendissante, pareille en quelque sorte à celle des Esprits bienheureux, mais ne la surpassant pas, nous inonda. « Celui-là est aussi des nôtres ! pensâmes-nous simultanément et comme par intuition. » Elle disparut, et d'abord il nous sembla que nous étions privés de quelque chose. « Quel être particulier ! nous dîmes-nous ; quelle démarche royale ! et en même temps quelle grâce enfantine ! quelle aménité et quelle majesté ! »

Pendant que nous nous parlions ainsi à nous-mêmes, soudainement une forme gracieuse nous apparut, sortant d'un délicieux bocage, et nous fit un salut amical. Le nouveau venu ne ressemblait pas à l'apparition précédente, mais il avait de même quelque chose de supérieurement élevé et d'inexprimablement simple à la fois. « Soyez les bienvenus, frères et sœurs ! », dit-il. Nous répondîmes d'une seule voix : « Sois le bienvenu, toi, le béni du Seigneur ! le ciel se réfléchit dans ta face et l'amour de Dieu rayonne de tes yeux. »

– Qui êtes-vous ? demanda l'inconnu. – Nous sommes les joyeux adorateurs du tout-puissant Amour, répondîmes-nous.

– Qui est le tout-puissant Amour ? nous demanda-t-il, avec une grâce parfaite.

– Ne connais-tu pas le tout-puissant Amour ? demandâmes-nous, à notre tour, ou plutôt ce fut moi qui lui adressai cette question, au nom de nous tous.

– Je le connais, dit l'inconnu d'une voix encore plus douce.

– Ah ! si nous pouvions être dignes de le voir et d'entendre sa voix ? mais nous ne nous sentons pas assez épurés pour mériter de contempler directement la plus sainte pureté. »

En réponse à ces paroles, nous entendîmes retentir derrière nous une voix qui nous dit : « Vous êtes lavés de toute souillure, vous êtes purifiés. Vous êtes déclarés justes par Jésus-Christ et par l'Esprit du Dieu vivant ! »

Une félicité inexprimable se répandit en nous au moment où, nous tournant dans la direction d'où partait la voix, nous voulions nous précipiter à genoux pour adorer l'interlocuteur invisible.

Qu'arriva-t-il ? Chacun de nous entendit instantanément un nom, que nous n'avions jamais entendu prononcer, mais que chacun de nous comprit et reconnut en même temps être son propre nouveau nom exprimé par la voix de l'inconnu. Spontanément, avec la rapidité de l'éclair, nous nous tournâmes, comme un seul être, vers l'adorable interlocuteur, qui nous apostropha ainsi avec une grâce indicible : « Vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Celui qui me voit, voit aussi le tout-puissant Amour. Je connais les miens et les miens me connaissent. Je donne à mes brebis la vie éternelle, et elles ne périront pas dans l'éternité ; personne ne pourra les arracher de mes mains, ni des mains de mon Père. Moi et mon Père nous sommes un ! »

Comment pourrais-je exprimer en paroles la douce et suprême félicité dans laquelle nous nous épanouîmes, quand celui qui, à chaque moment, devenait plus lumineux, plus gracieux, plus sublime, étendit vers nous ses bras et prononça les paroles suivantes, qui vibreront éternellement pour nous, et qu'aucune puissance ne serait capable de faire disparaître de nos oreilles et de nos cœurs : « Venez ici, vous, élus de mon Père : héritez du royaume qui vous fut préparé depuis le commencement de l'univers. » Après cela, il nous embrassa tous simultanément, et disparut. Nous gardâmes le silence, et, nous sentant étroitement unis pour l'éternité, nous nous répandîmes, sans nous mouvoir, l'un dans l'autre, doucement et remplis d'un bonheur suprême. L'Être infini devint un avec nous, et, en même temps, notre tout, notre ciel, notre vie dans son sens le plus vrai. Mille vies nouvelles semblèrent nous pénétrer. Notre existence antérieure s'évanouit pour nous ; nous recommençâmes d'être ; nous ressentîmes l'immortalité, c'est-à-dire une surabondance de vie et de forces, qui portait le cachet de l'indestructibilité.

Enfin, nous recouvrâmes la parole. Ah ! si je pouvais te communiquer, ne fût-ce qu'un seul son, de notre joyeuse adoration !

« Il existe ! nous sommes ! Par Lui, par Lui seul ! – Il est, – son être n'est que vie et amour ! – Celui qui le voit, vit et aime, est inondé des effluves de l'immortalité et de l'amour provenant de sa face divine, de son regard rempli de félicité suprême !

Nous t'avons vu, amour tout-puissant ! Tu te montras à nous sous la forme humaine, Toi, Dieu des dieux ! Et pourtant Tu ne fus ni homme, ni Dieu, Toi, Homme Dieu !

Tu ne fus qu'amour, tout-puissant seulement comme amour ! – Tu nous soutins par ta toute-puissance, pour empêcher que la force, même adoucie de ton amour, ne nous absorbât en elle.

Est-ce Toi, est-ce Toi ? – Toi que tous les cieux glorifient ; Toi, océan de béatitude ; – Toi, toute-puissance ; – Toi, qui autrefois t'incarnant dans les os humains, portas les fardeaux de la terre, et, ruisselant de sang, suspendu sur la croix, Te fis cadavre ?

Oui, c'est Toi, – Toi, gloire de tous les êtres ! Être devant lequel s'inclinent toutes les natures, qui disparaissent devant Toi, pour être rappelées à vivre en Toi !

Dans un de tes rayons se rencontre la vie de tous les mondes, et de ton souffle ne jaillit que l'amour ! »

Ceci, cher ami, n'est qu'une miette bien minime tombée à terre de la table remplie d'une félicité ineffable dont je me nourrissais. Profites-en, et il te sera donné bientôt davantage. – Aimes, et tu seras aimé. – L'amour seul peut aspirer à la félicité suprême. – L'amour seul peut donner le bonheur, mais uniquement à ceux qui aiment.

Oh ! mon chéri, c'est parce que tu aimes que je puis m'approcher de toi, me communiquer à toi, et te conduire plus vite à la source de la vie.

Amour ! Dieu et le ciel vivent en toi, tout comme ils vivent dans la face et dans le cœur de Jésus-Christ !

J'écris cela, d'après votre chronologie terrestre,

le 13. XI. 1798.

Makariosenagape.

La fin au prochain numéro.

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